Retour au menu
Responsabilités de l'État du Pavillon…
Fin Mars 2004 , soit plus de quatre années après la catastrophe, le juge français Madame Dominique de Talancé a clos l'instruction du dossier "Erika" en mettant en examen 19 entités ! C'est un record, elle a ratissé large, du Commandant du navire à l'État Côtier, la liste est longue ! En cela elle a eu bien raison car le cas de l'"Erika", de même que celui du "Prestige", démontrent que tous les maillons de la chaîne des intervenants du transport maritime sont incriminés dans ces deux catastrophes. Tous responsables et tous coupables !
A des degrés de responsabilité différents bien évidemment mais les 19 maillons
faibles identifiés et mis en examen pour l'"Erika" sont dans un premier temps cités à comparaître à un même niveau de culpabilité : il
appartiendra au tribunal de définir la faute des uns et des autres ou de blanchir tel ou tel autre. En cela il y a une grande avancée
par rapport aux pratiques du passé, certains se souviennent du naufrage dramatique du pétrolier malgache "Tanio" en Manche en Mars
1980. C'était un cas bien similaire, un tanker vétuste et usé, chargé de fuel lourd n°2 qui se brise en deux dans le mauvais temps au
large de l'île de Batz. Hélas et bien triste différence, 8 marins périrent dans cette catastrophe. Cette affaire ne fut pas jugée de
la même façon, est-ce parce qu'il y avait beaucoup d'intérêts français en jeu ?
Mais revenons à "l'Erika", sans vouloir préjuger de ce que décideront les juges. Rappelons tout
d'abord que dans tous ces drames maritimes les marins payent un lourd tribut.
|
|
Il en est de même des populations côtières, de la faune et de la flore quand "l'in-fortune de mer" dégénère en catastrophe
écologique. Mais il est un grand responsable qui échappe régulièrement à toute sanction et qui devrait normalement être en
première ligne pour écoper des peines les plus lourdes : c'est l'État du Pavillon et son théorique "lien substantiel"
(genuine link) avec le navire, sorte de cordon ombilical qui le relie au navire tout au long de sa vie tant qu'il bat ses
couleurs !
Car c'est bien lui qui a compétence sur "son" navire en l'enregistrant sous son
pavillon. C'est donc à ce même État de bien veiller au respect des conventions qu'il a lui même ratifiées, par tous les
navires immatriculés dans son registre. C'est à lui de surveiller le bon état de navigabilité de chacun de ceux-ci lors du
renouvellement des certificats comme l'important Permis de Navigation, et ce au cours de visites annuelles diligentées par
des inspecteurs compétents. Mais hélas ce n'est pas toujours le cas pour des petits pays qui n'ont bien souvent aucune
tradition maritime et encore moins une administration spécialisée en arrière !
|
Pour ce faire ces micro-Etats délèguent leurs responsabilités d'application des obligations aux Sociétés de
Classification, les Recognised Organisations (R.O) qui peuvent dans certains cas être les mêmes que celles qui sont en contrat avec
l'armateur pour classer son navire !..
S'ensuit un classement des États du pavillon en fonction du sérieux de ces derniers, établi selon
de nombreux critères : Ce classement s'appuie sur le respect des principales conventions internationales (Marpol, Solas, STCW, Load
Line, OIT, FIPOL), sur le fait de savoir aussi si l'état du pavillon est en bonne place sur les listes blanches, grises ou noires des
Memorandum of Understanding (MoU) de Paris ou de Tokyo ou bien ou mal listé par les Gardes Côtes Américains et si ces Flag States ont
de bons ou mauvais rapports avec l'Organisation Maritime Internationale (OMI). Sans oublier aussi l'état de leurs relations avec les
Sociétés de Classification, sont-elles ou non membres de l'IACS (International Association of Classification Societies) qui
regroupent les plus sérieuses d'entre elles. Le nombre de vieux navires arborant leurs pavillons entre aussi en jeu pour ce
classement de leur respectabilité. On s'aperçoit alors que bon nombre de registres et non des moindres, posent de sérieux problèmes,
tels que Panama et d'autres républiques bananières sans oublier Malte qui a rejoint la Communauté Européenne depuis le 1er Mai et qui
n'a toujours pas ratifié la convention Marpol ! Ahurissant... Espérons qu'une clause lui demandant de ratifier au plus vite les
principales conventions internationales sera exigée de sa part pour son adhésion pleine et entière à l'Union Européenne des 25.
Aux séances de l'OMI, Panama, une des toutes premières puissances maritimes du monde, a la triste
réputation de freiner des quatre fers pour retarder la ratification des conventions améliorant la Sécurité , toujours encline à
flirter par clientélisme avec les limites basses de la Sécurité. Ce faisant il devient très attractif et bien évidemment draine vers
lui tous les armateurs peu scrupuleux à la recherche de normes les moins contraignantes et les moins chères possibles.
Le juge Mme D. de Talancé s'est heurtée de front avec l'autorité maritime maltaise à la fin de
l'année passée : elle avait convoqué son directeur pour les besoins de l'enquête mais celui-ci a refusé de se rendre à la convocation
sur ordre de ses supérieurs !
Malte a récidivé en Mai 2004 et trouvé la faille dans la procédure de mise en examen grâce à
l'aide d'un bataillon d'avocats français appelés à la rescousse ! Arguant du fait que tout État étranger doit jouir de l'immunité de
juridiction devant les juridictions pénales françaises, les Autorités Maritimes Maltaises (MMA) ont obtenu gain de cause en appel le
10 Mai dernier !
Cette tentative couronnée de succès de se défiler devant la juridiction française va sûrement
donner des idées similaires aux autres entités mises en examen. L'affréteur Total-Elf tente ainsi de se disculper par le biais d'un
rapport d'expertise qui stipule que "Total ne pouvait être en mesure de déceler l'état de corrosion" de l'Erika ! Nul doute que
d'autres feront la même démarche et qu'en final le Commandant Mathur se retrouvera bien seul devant la justice française, bouc
émissaire tout désigné, l'arbre qui cache la forêt. On mesure toute l'étendue des difficultés d'un État Côtier pour traduire devant sa propre
juridiction l'État du Pavillon !
|
|
Mais il y a peut-être une autre solution, le challenge n'est pas insurmontable : Imaginons un
navire immatriculé à un registre douteux, dans le collimateur de toutes les instances précitées, qui aurait un casier loin d'être
vierge avec un nombre important de déficiences mineures et majeures décelées lors de contrôles de l'État du Port, ayant entraîné des
jours de rétentions à ce navire sous norme au cours de ces dernières mois; donc un bien lourd passé en vérité qui apparaîtrait au
grand jour à la suite d' une catastrophe maritime de grande ampleur, avec naufrage et pertes en vies humaines, se traduisant aussi
par une pollution majeure !
N'est-il pas possible dans ce cas d'espèce que l'État Côtier victime de la marée noire ainsi que
les familles des marins disparus portent plainte devant le Tribunal International du Droit de la Mer, TIDM ou ITLOS (International
Tribunal for the Law Of the Sea)?
Ce tribunal existe, il siége à Hambourg, et est l'institution judiciaire créée par la Convention
des Nations Unies de Montego Bay de 1982 pour le droit de la Mer (UNCLOS : United Nations Convention for the Law Of the Sea). Il a été
mis en place par une convention des Nations Unies intitulée "Règlements des différends". Composé de 21 membres dont un français, Mr
Jean-Pierre Cot. Ce tribunal est pour le Droit de la Mer, l'équivalent de la Cour Internationale de Justice de La Haye (CIJ). Tout
comme la CIJ , le TIDM est une juridiction inter étatique, compétente pour trancher des litiges entre États.
|
Sa compétence est étendue
en matière de protection du milieu marin et plus généralement pour tous les litiges relatifs à l'application de la Convention UNCLOS
de Montego Bay. C'est à dire des litiges portant sur le droit de la mer. Un État qui ne respecterait pas ses obligations pourrait se
voir poursuivi devant cette juridiction internationale.
Tout pavillon a des droits en haute Mer, en référence à cette fameuse Liberté des Mers qui régit
le transport maritime depuis toujours en matière de libre circulation. Mais cette liberté a ses limites, la donne a changé sur mer,
par les volumes, les tonnages et la dangerosité des cargaisons transportées de nos jours. Cette liberté implique aussi des devoirs,
précisés depuis 1982 par la convention des Nations Unies du Droit de la Mer, dite de Montego Bay qui a édicté des règles très
précises dans les deux domaines indissociables que sont la Sécurité de la Navigation et la Protection de l'Environnement.
Et c'est sur ces points précis que l' intervention du TIDM pourrait être efficace dans la lutte
contre les pavillons de complaisance non respectables. Trop d'armateurs peu scrupuleux, ceux qui ternissent l'image de marque du
Shipping mondial, recherchent des pavillons sans États pour faire le "meilleur" business en toute quiétude avec des normes à minima,
une libre immatriculation qui se traduira en Paradis Fiscal pour l'armateur mais qui se transformera rapidement en Enfer pour le
Marin...
A la question que je lui posais sur un recours possible devant le TIDM en matière de pollution
des côtes, Mr Jean-Pierre Cot, juge français à Hambourg, me répondait ceci : "C'est une question très sensible et difficile. Le TIDM
pourrait connaître de tout litige entre l'État du pavillon et l'État côtier à ce sujet pour contrôle insuffisant par l'État du
pavillon du navire polluant. Il ne l'a jamais été et, au demeurant, je ne connais pas de cas dans lequel on ait cherché à mettre en
cause l'État du pavillon. C'est très dommage, car toute la question de la responsabilité de l'État du pavillon reste à définir en
droit international. C'est là une question de volonté des États souverains. Il suffirait, par exemple, d'intenter un recours contre
les Bahamas à propos de l'affaire du Prestige devant le TIDM ou un tribunal arbitral pour poser enfin le problème devant une
juridiction internationale. Je crois que ce serait une contribution intéressante à l'évolution du droit international en la matière.
Mais je constate la réticence des États à s'engager dans cette voie."
Le recours est donc possible, difficile sans doute mais c'est une question de volonté de l'État
côtier dont le littoral a été souillé. La France serait bien inspirée de mettre en cause rapidement et directement la République de
Malte pour cause de marée noire engendrée par le naufrage de l'Erika.
En harcelant sans relâche l'État défaillant par des plaintes déposées devant ce tribunal
international à chaque manquement d'un navire battant son pavillon, il y a de fortes chances que, montré du doigt sans cesse et mis
en cause par de multiples condamnations allant jusqu'à la condamnation suprême de crime contre l'Environnement, l'État laxiste
incriminé se déciderait enfin à "faire le ménage" dans sa flotte en revoyant à la hausse les règles et normes auxquelles elle doit se
soumettre. Contraint et forcé, il se doterait enfin d'une administration maritime compétente chargée de l'aider lui, État du
pavillon, à s'acquitter de ses obligations par un meilleur contrôle ses navires. Seuls les pavillons d'immatriculation présentables
survivraient à ce coup de balai nécessaire : il y a encore trop de pays sur les Listes Noire et Grise des MoU de Paris et Tokyo. Ces
pays n'ont plus rien à faire dans le Transport Maritime qu'ils gangrènent par les menaces qu'ils représentent pour les marins et
l'environnement. Il est nécessaire que ces registres fassent les efforts qui s'imposent pour gagner la Liste Blanche groupant les
États Présentables ou disparaître purement et simplement.
Dans cette logique, pourquoi, par exemple, à chaque cas de flagrant délit de rejets
d'hydrocarbures volontaires au large de ses côtes, la France en tant qu'État côtier souverain ne déposerait pas lui aussi une plainte
devant cette juridiction contre l'état du pavillon du navire pollueur ? Nul doute que sa plainte serait recevable et que la
condamnation qui suivrait assortie d'une amende en rapport avec la faute commise si elle est avérée, aurait des répercussions
efficaces dans la chasse aux pollueurs. Le mauvais fonctionnement d'un séparateur à eau mazouteuse n'est-il pas dû plus
particulièrement à un mauvais entretien de l'appareil conséquemment à un manque d'expérience du personnel de surcroît en nombre
insuffisant, plutôt qu'à une volonté délibérée de rejeter à la mer ces eaux de cale polluantes. Dans ce cas, la responsabilité de
l'État du pavillon est grande par manquement aux contrôles qui s'imposent et une acceptation d'effectifs insuffisants proposés par
l'armateur. C'est bien l'État du pavillon qui signe la déclaration d'effectif et qui a normalement ratifié la Convention sur la durée
du travail des gens de mer et les effectifs des navires de 1996, la fameuse C180 ! Tout navire auquel s'applique cette convention
doit avoir à bord un équipage suffisant en nombre et en qualité pour garantir la sécurité...
Toutes ces nouvelles actions donneraient assurément beaucoup de travail au TIDM qui, il faut bien
le reconnaître, ne tourne pas à plein régime faute de sollicitations, n'ayant eu à traiter jusqu'à ce jour que des litiges entre
États concernant la pêche. Et n'oublions pas le cas dramatique des marins abandonnés dans un port par leur armateur qui disparaît
lorsque le navire est saisi. L'Etat du pavillon n'est-il pas alors le seul lien auquel devraient pouvoir se rattacher avec espoir
les marins pour paiement de leur salaires impayés et les frais de rapatriement vers leurs pays respectifs. La vérité est toute autre,
navrante, le Flag State se défile lui aussi tout comme l'armateur de ce Ship Of Shame (SOS, navire de la honte) qui brouille les
pistes derrière ce Single Ship Company (Un navire, une compagnie) pour lui permettre de mieux disparaître !
Une étude effectuée en Argentine par ITF au cours des 10 dernières années, fait apparaître que
sur 8 navires abandonnés dans les ports argentins, 6 portaient les couleurs panaméennes ! Il n'y a pas d'autre alternative que faire
appel au TIDM pour ce genre de délits maritimes puisqu'un État ne peut en juger un autre pour des actes tenant à l'exercice de sa
souveraineté. Le juge en charge du dossier Erika est bien placé pour connaître ce principe d'immunité de juridiction qui repose
semble-t-il sur une certaine "courtoisie internationale" (sic) devant présider aux relations de bon voisinage entre États souverains !
Peut-on parler de courtoisie quand il s'agit de crime contre l'environnement?
L'Organisation Maritime Internationale doit donc prendre le relais, elle a un rôle majeur à jouer
pour assainir le Shipping et éradiquer de la surface des océans les vieilles bailles sous normes et les pavillons de libre
immatriculation trop laxistes en matière de sécurité maritime. L'OMI s'y emploie, c'est indéniable, un groupe de travail a été
constitué en 2003 pour traiter des mesures à prendre dans le but d' encourager les Flag States dans leurs exigences de conformité. Mr
Mitropoulos, le nouveau secrétaire général grec de l'OMI s'est attelé à cette tâche bien difficile et de longue haleine pour
améliorer le cheminement des navires tout en intensifiant la sauvegarde de la vie humaine en Mer. Pour ce faire, les pouvoirs de l'OMI
doivent être renforcés vis à vis de l'Etat du pavillon. On ne peut plus continuer à transporter n'importe quoi n'importe comment !
L'OMI devrait donc favoriser l'émergence du TIDM qui en tant que juridiction internationale spécialisée doit contribuer à mettre de
l'ordre sur Mer. Cette juridiction pourrait lui servir de bras armé pour ramener le mouton noir égaré dans la libre immatriculation
complaisante, vers le troupeau des États Respectables qui savent se faire respecter par leur sérieux. L'Agence Européenne de Sécurité
Maritime, toute nouvellement créée, a elle aussi un rôle majeur à jouer par l'influence qu'elle se doit d'avoir vis à vis de l'OMI en
portant sur le devant de la scène le TIDM.
Toutes les mesures qui iront dans le sens d'une meilleure sécurité du transport maritime sont les
bienvenues, l'utilisation intensive du Tribunal International du Droit de la mer en est un maillon, un atout qu'il ne faut pas
négliger dans cette perspective.
Cdt M.Bougeard
Capitaine au Long Cours
Membre de l'AFCAN
Retour au menu
|