Retour au menu
Retour au menu
A bord du Queen Mary 2.



Navire amiral de la Cunard, le Queen Mary 2 est reconnaissable à sa coque rouge et noire et ses lignes élancées évoquant les paquebots du début du XXe siècle. Avec ses 13 ponts, s'il n'est pas tout à fait le plus long, le plus large, le plus gros des paquebots (1), il est sans contexte le plus raffiné et le plus luxueux des navires à passagers de tous les temps. Véritable ville en haute mer, ce géant combine vitesse (29 nœuds) et grand confort à bord.
L'évènement, The Bridge, qui s'est déroulé l'été 2017 entre Saint-Nazaire et New York, couvert par des chaînes de télévision du monde entier et suivi par plusieurs centaines de milliers de personnes, a contribué à mettre en lumière l'excellence maritime française : la construction navale avec le retour du Queen Mary 2 à Saint-Nazaire ou la spécificité , bien française, des multicoques océaniques.

The Bridge, évènement atypique et multifacettes

Le projet fabuleux de l'évènement exceptionnel The Bridge, imaginé et créé par Damien Grimont(2), directeur de la société Profil Grand large, avait pour ambition d'établir un pont (Bridge) entre la France et les Etats-Unis à l'occasion du centenaire de l'arrivée des soldats américains en 1917.
L'objectif de The Bridge était de célébrer cet évènement par le retour du Queen Mary 2, le plus prestigieux paquebot du monde, dans son berceau de Penhoët d'où il se lancerait pour une « transat » commémorative entre le pont de Saint-Nazaire et le pont Verrazano dont l'un des évènements phares serait la course entre le Queen Mary 2 et quatre grands multicoques océaniques(3).
L'enjeu de la crédibilité du projet était de faire accepter à la Cunard d'affréter pour la première fois le Queen Mary 2 à l'association The Bridge, et de faire revenir le paquebot à Saint-Nazaire où il avait été construit. Au-delà de l'aspect festif et commémoratif, le but de The Bridge était aussi de convaincre 150 entreprises et 1 000 dirigeants de se réunir dans un huis-clos transatlantique pour échanger sur les enjeux des entreprises de demain.
The Bridge a vu le jour en juin 2017 grâce à l'engagement de deux figures du monde maritime français, Patrick Boissier(4) et Francis Vallat(5). Le 23 juin, le Queen Mary 2 appareillait de Cherbourg avec 2 000 passagers à son bord.
Escorté le long des côtes bretonnes par les bâtiments des marines de guerre impliqués dans la Première Guerre Mondiale, il était accueilli à Saint-Nazaire le 24 juin, port qui l'a vu naître il y a plus de 13 ans, par une grande fête populaire à laquelle ont participé plus de 250 000 personnes.
 
Le départ a eu lieu le 25 juin. Un des moments forts de l'escale a été l'entrée dans la «forme Joubert» où le navire avait été construit. Le Queen Mary 2, avec ses 345 mètres de long pour 41 mètres de large, avait très peu de marge de manœuvre dans une forme longue de 350 mètres, avec seulement 3,5 mètres d'espace de chaque côté. La manœuvre avait été préparée de longue date sur le simulateur de navigation des pilotes de Loire, en présence du commandant et des trois pilotes qui devaient l'assister.
L'après-midi, s'est déroulé dans une ambiance féérique. Une immense foule massée sur les quais acclamait le Queen Mary 2, encerclé par des centaines de plaisanciers et précédé par les grands multicoques, le tout survolé à très basse altitude par un Airbus A380.
L'arrivée à New York le 1er juillet à l'aube fut aussi un moment fort pour les passagers. Ceux-ci, massés de bonne heure sur les ponts au moment du passage sous le pont Verrazano n'ont eu de cesse d'admirer le soleil se levant derrière les buildings de Manhattan, au son de la chorale qui entonnait «Amazing Grace» pendant que le paquebot évitait devant la Statue de la Liberté.
La régate avec les multicoques français a été aussi l'un des points d'orgue de The Bridge. Si le mythique paquebot de la Cunard, rompu à la traversée de l'Atlantique, est arrivé le premier à New York en un peu moins de 6 jours, les trimarans se sont livrés à une course impitoyable. Le vainqueur Macif a coupé la ligne d'arrivée le lundi 3 juillet, après 8 jours 31 minutes 20 secondes de course.
 

La Cunard Line

1839-1853 : les débuts

 
Né à Halifax en 1787, Samuel Cunard, armateur, assurait le transport du courrier entre Boston, Terre-Neuve et les Bermudes. En 1830, il conçut le projet d'établir une ligne entre l'Amérique et l'Angleterre, mais faute de capitaux suffisants, il fut contraint de l'abandonner. En 1839, le gouvernement britannique lance un appel d'offres pour assurer le service de courrier mensuel de l'Atlantique Nord. Samuel Cunard obtient le contrat pour un service Liverpool-Halifax-Boston.
Le 4 juillet 1840, le premier paquebot de la compagnie, le Britannia, quitte pour la première fois Liverpool à destination de Halifax où il arrive après douze jours et dix heures de traversée (soit 8,5 nœuds de moyenne). Le Britannia, navire à vapeur construit en bois, de 63 mètres de long et de 1 150 tonneaux de jauge, est équipé de trois mâts, de deux roues à aubes lui donnant une puissance de 700/800 CV, et de la proue traditionnelle des clippers. Il peut emporter 115 passagers, 25 tonnes de fret et de charbon. Le confort des cabines était très sommaire, comme le raconte Charles
Dickens qui avait pris passage à son bord en janvier 1842 et y connut les affres du mal de mer : «un antre impraticable, à peine imaginable, dont les couchettes sont plus étroites que les cercueils pour dormir». D'ailleurs ajoute-t-il, peut-on dormir sur un tel bateau : «Le paquebot se couchait, se redressait, vacillant, pesant, tournoyant, bondissant, enfonçant, sautant, hésitant, roulant, tanguant et frémissant. Et je n'ajouterai rien en ce qui concerne les sons très remarquables et peu rassurants qui s'échappent de diverses cabines où reposent 70 passagers, bien trop malades pour pouvoir absorber leurs repas».
Il fallait alors débourser 38 guinées pour traverser l'océan à bord du Britannia. Aujourd'hui, il en coûte quelque 3 400 euros pour accomplir le même trajet (avec retour par avion) à bord du Queen Mary 2, mais comme le dit Didier Decoin «dans des conditions d'opulence et de bien-être qui ravalent le Britannia de Dickens au rang de navire-prison pour transport de bagnards – d'écrivains rabat-joie…»
En même temps que le Britannia, le chantier écossais de Greenock lance la construction de ses trois sister-ships, l'Acadia, le Caledonia et le Colombia.
Avec l'arrivée de nouveaux navires plus importants, le service deviendra hebdomadaire avec double escale d'arrivée en Amérique, à Boston et New York. A partir de 1853, les navires sont munis d'hélices et traversent en douze jours la distance Liverpool/New York.

1853-1879 : face à la concurrence
En 1850, l' «American Collins Line» et la «British Inman Line» ouvrent de nouvelles lignes sur l'Atlantique. La Cunard met en service en 1856 son premier navire à coque d'acier, le Persia. Celui-ci remporte le Ruban bleu en réalisant la traversée Liverpool/New-York en neuf jours et seize heures (13,1 nœuds de moyenne). En 1871, la célèbre White Star Line fait son entrée sur le marché avec son premier Oceanic et ses cinq jumeaux qui battent tous les records.

1879-1934 : Cunard Steamship Company
Devenue la «Cunard Steamship Company» en 1879, la compagnie commande en 1881 le Servia, qui devient le premier paquebot doté de l'éclairage électrique. Cette même année, Cunard commande les Umbria et Etruria qui peuvent atteindre les 19,5 nœuds. Six ans plus tard, la compagnie britannique lance les Campania et Luciana qui remporteront le Ruban bleu avec une vitesse de 21,8 nœuds.
En 1900, la Cunard se trouve dans une situation critique. Afin de rivaliser avec les nouveaux paquebots allemands, elle obtient après une série de négociations avec le gouvernement britannique des financements pour construire deux nouveaux paquebots, le Lusitania et le Mauretania.

Le Lusitania (1906-1915), le plus grand, le plus beau et le plus rapide paquebot du monde, jaugeait 32 550 tx et annonçait une vitesse de 25 nœuds. Long de 263 mètres, large de 29 mètres, il pouvait accueillir 1 350 passagers et un équipage de 800 hommes. Il connut une triste fin, torpillé le 7 mai 1915 par un sous-marin allemand, il coula en 18 minutes, entraînant avec lui 1 198 victimes.
Le Mauretania, (1907-1935), frère jumeau du Lusitania, remporta le Ruban bleu en 1907 avec une vitesse de 23,69 nœuds et garda le trophée pendant 25 ans. Après le remplacement des chaudières au charbon par des chaudières au fuel, il a battu son propre record de vitesse en 1929 avec 27,65 nœuds. Il fut le plus populaire des paquebots du Royaume-Uni. Il avait coûté l'équivalent de 30 millions de francs.
En 1914, pour ne pas être surpassée par les classes Olympic de la White Star, la Cunard lance son mythique Aquitania.
L'Aquitania (1914-1949), long de 270 mètres, large de 29,10 mètres, propulsé par quatre hélices à une vitesse de 25 nœuds, et manœuvré par un équipage de 550 hommes pouvait transporter 1 789 passagers (514 en 1ère classe, 410 en 2e et 865 en 3e). Réquisitionné en 1915 pour transporter des troupes, il reprit son service sur l'Atlantique en 1919. Converti à la propulsion au fuel en 1920, il fut affecté à la ligne Southampton-Cherbourg-New York. En 1939 il fut à nouveau requis pour le transport de troupes jusqu'en 1948. Récupéré pour la ligne Halifax au Canada, il fut ensuite démoli en 1950.
En 1921, la Cunard récupère l'Imperator, paquebot allemand de la «Hamburg America Line» saisi après l'Armistice de 1919, qu'elle renomme Berangaria (1912-1938). D'un tonnage de 51 959 tx, il mesurait 295 mètres de long pour 32,60 mètres de large. Il était l'un des premiers paquebots à porter quatre hélices actionnées par quatre turbines à vapeur. Il pouvait embarquer 2 300 passagers et 950 hommes d'équipage. Affecté à la ligne Southampton-New -York, il fut envoyé à la démolition en 1938.
Malgré le krach boursier de 1929, les Italiens, les Allemands et les Français commandèrent des paquebots très prestigieux : le Bremen (27,8 nds Ruban bleu) pour les Allemands, le Rex (28,9 nds) pour les Italiens et le Normandie (30,6 nds) Ruban bleu de la Compagnie Générale Transatlantique.
 

En 1930, la Cunard fait construire deux navires de 80 000 tx : ce sont les premiers Queens. Les travaux sont suspendus en 1931 en raison de conditions économiques défavorables.

1934-1998 : Cunard White Star Line
En 1934 a lieu la fusion des deux grandes compagnies Cunard et White Star, qui forment la «Cunard White Star Line».
Le gouvernement britannique offre alors à la Cunard un prêt de 8 millions de livres pour achever la construction des futurs Queen Mary et Queen Elisabeth.
Le Queen Mary (1936-1967) fut le concurrent direct du Normandie. Long de 310,74 mètres, pour 35,96 mètres de large, ses trois cheminées de forme elliptiques de 11 mètres de diamètre s'élevaient à 21 mètres au-dessus du pont d'embarcation.
Sa propulsion assurée par quatre groupes de turbines Parsons d'une puissance de 180 000 CV lui assurait une vitesse de 29 à 31 nds. L'équipage comprenait 1 101 personnes pour 2 139 passagers.
Le Queen Mary obtint deux fois le Ruban bleu, la première en 1936 avec une vitesse de 30,63 nds, la seconde en 1938 avec une vitesse de 31,69 nds.
Pendant la seconde guerre mondiale, le célèbre paquebot fut transformé en transport de troupes. Il pouvait accueillir à son bord 16 000 hommes de troupe.
En 1946, après divers travaux de réaménagement, il reprit son activité normale sur la ligne Southampton-Cherbourg-New York. Il accomplit son dernier voyage en 1967 et fut racheté par la ville de Long Beach aux Etats-Unis pour être transformé en musée maritime, hôtel-restaurant et centre de conférence.
 
Le Queen Elisabeth (1940-1968) mis en service au moment de l'entrée en guerre de l'Angleterre contre l'Allemagne, servit de transport de troupes pendant les hostilités. Long de 314,25 mètres et large de 35,96 mètres, ses quatre turbines développant 160 000 CV lui assuraient une vitesse de 29 nds. A la fin de la guerre il subit d'importants travaux pour redevenir enfin un paquebot transatlantique. Il entreprit son voyage inaugural le 16 octobre 1946, ses nouveaux aménagements lui permettant de recevoir 2 398 passagers et 1 296 membres d'équipage.
Son dernier voyage eut lieu le 29 novembre 1968. Vendu en 1970 à un armateur de Hong Kong pour la ferraille, celui-ci décida de le transformer en université flottante. Lors des travaux, un violent incendie se déclara en janvier 1972. Après avoir brûlé 24 heures durant, il chavira et fut englouti lentement.
Le Queen Elisabeth 2 (1967), lancé en 1967 pour concurrencer le France, est entré en service en 1969. Navire ultra-moderne de 294 mètres de long et de 32 mètres de large, spécialement aménagé pour les croisières, il compte 906 membres d'équipage et peut accueillir 1 800 passagers. Ses 9 moteurs diesels totalisent une puissance de 90 MW, lui permettant d'approcher les 30 nds.
L'inauguration du Queen Elisabeth 2 en 1969 s'est néanmoins présentée sous de sombres augures : apparition du Boeing 747, fréquentation des paquebots en chute libre. Ce n'est qu'avec le désarmement du France, son rival, en 1974, que le navire connut une augmentation de sa clientèle. Toutefois, en 1979, il faillit disparaître à son tour lors du second choc pétrolier et fut sauvé in extremis par Margaret Thatcher qui imposa des économies de fonctionnement drastiques.
Lors du conflit des Malouines en 1983, il servit momentanément de transport de troupes. Après d'importants travaux, il resta seul pendant trente ans à acheminer régulièrement des passagers sur l'Atlantique Nord.
Désarmé en 2008, il fut vendu par Cunard à l'émirat de Dubaï pour 100 millions d'euros afin de le convertir en hôtel flottant à Palm Jumeirah. Le projet ayant échoué, il a attendu 10 ans pour être transformé en hôtel flottant à Port Rashid où va être développée une grande marina.
 

1998-2014 : La renaissance de Cunard Line
En 1998, le numéro 1 mondial de la croisière, Carnival Corporation, devient propriétaire de la Cunard. Son intention est de reconstruire la mythique compagnie britannique avec du haut de gamme. Un nouveau projet voit alors le jour pour remplacer le Queen Elisabeth 2 sur la légendaire ligne transatlantique : le projet Queen Mary.
A la suite d'études menées auprès de différents chantiers, Carnival engage le 6 novembre 2000 une commande de 850 millions de dollars aux Chantiers de l'Atlantique, le prix le plus élevé consenti jusque-là pour la construction d'un paquebot.
La construction du célèbre Queen Mary 2 débute en France, à Saint Nazaire le 4 juillet 2002.
Le 23 décembre 2003 la Cunard prend livraison de son nouveau fleuron, qui débute sa croisière inaugurale le 12 janvier 2004, après avoir été baptisé le 8 janvier à Southampton par la reine Elisabeth 2.
Le 3 décembre 2004, une nouvelle commande voit le jour, cette fois-ci aux chantiers Fincantieri, celle du Queen Victoria, un paquebot destiné uniquement aux croisières. Nettement plus petit que son prédécesseur, 294 mètres contre 345 mètres, il peut embarquer 2 014 passagers et 866 membres d'équipage, sa vitesse est de 23 nds. Lancé le 15 janvier 2007, il effectue sa croisière inaugurale le 11 décembre 2007. Il sera rénové en 2017.
 
A peine un mois plus tôt, Cunard commande un nouveau Queen, toujours chez Fincantieri, le futur Queen Elisabeth. Mis en service en 2010, le nouveau paquebot est baptisé à Southampton en grande pompe par la reine Elisabeth 2. Version améliorée du Queen Victoria, son allure raffinée et contemporaine est mise en valeur par sa décoration Art déco.
Depuis leur lancement, le Queen Mary 2, le Queen Victoria et le Queen Elisabeth étaient immatriculés au Royaume-Uni, port d'attache Southampton. Depuis 2011, coup de tonnerre dans la marine marchande britannique, et révolution depuis la création de la compagnie en 1838, les trois paquebots sont dorénavant ré-immatriculés aux Bermudes, port d'attache Hamilton. La Cunard a prétexté que cette mesure était prise afin de donner la possibilité aux passagers, comme sur d'autres compagnies, de pouvoir se marier à bord, ce qui n'est apparemment pas possible sur les navires de Sa Majesté. En fait, cette ré-immatriculation devrait permettre à la Cunard de diminuer ses coûts, avec des taxes moins importantes payées à l'Etat du pavillon.
En 2012, tradition oblige, les Mary, Victoria et Elisabeth se rassemblent à Southampton pour fêter le jubilé de la reine Elisabeth 2.

2014-2017 : Les années festives
Janvier 2014 marque les 10 ans du plus célèbre paquebot au monde, le Queen Mary 2.
A cette occasion, les trois Queens se retrouvent le 9 mai à Liverpool. Elles se retrouveront ensemble le 3 mai 2015 à Southampton à l'occasion du 175e anniversaire de la Cunard. Le 25 mai, pour la première fois de son histoire, la compagnie organise une grande parade de ses trois liners dans son port d'attache historique, Liverpool. Cet événement rassemble plus de 1,4 million de personnes.
Le 2 juillet, le Queen Mary 2 quitte Southampton pour la plus grande croisière anniversaire de l'année. En effet, le 4 juillet, 175 ans jour pour jour après le Britannia, il quittera Liverpool pour rallier New York via Halifax et Boston.
L'été 2017 a été marqué par l'évènement The Bridge qui a été suivi par des plusieurs centaines de milliers de personnes (voir supra).

Le Queen Mary 2 : le charme transatlantique

Effilé et majestueux, conçu pour naviguer sur toutes les mers et par tous les temps, le navire amiral de la flotte Cunard est le plus beau paquebot de sa génération. «Avec ses ponts spacieux et ses espaces communs si vastes et si bien agencés, ses quatorze ascenseurs pour desservir des salles à manger extravagantes, des salles de bal, un planétarium gigantesque, une bibliothèque de 8 000 titres, quatre piscines dont deux intérieures et des salons à foison, on a l'impression, bien que le navire affiche complet, d'avoir privatisé le paquebot», nous dit Didier Decoin, sous le charme d'une traversée entre Le Havre et New York.

Le grand tour du navire
On donne souvent une idée du gigantisme des paquebots en comparant leurs dimensions à celles d'étalons bien connus, comme la tour Eiffel, un terrain de football ou pour des Anglo-Saxons l'Empire State Building. Ainsi, long de 345 mètres, il s'en faut de 36 mètres pour que le Queen Mary 2 atteigne la hauteur de ce célèbre monument new yorkais.
De son côté, Didier Decoin trouve plus «créatif» de mesurer le paquebot en …bus à impériale londoniens (9 140 millimètres de longueur et 2 440 mm de largeur). On sait ainsi que le Queen Mary 2 mesure la longueur de quarante et un de ces bus mis bout à bout, «d'un rouge bien plus rutilant qu'avec les 105 mètres d'un long terrain détrempé et boueux».
Parcourir de l'avant à l'arrière et de haut en bas chacun des 13 ponts du navire équivaut à une promenade de plus de quatre kilomètres.
Le pont 13 est le pont le plus élevé du navire. C'est du haut du pont d'observation, situé au-dessus de la passerelle de navigation, que les passagers se massent pour assister aux manœuvres d'entrée et de sortie des ports. Juste à côté se dresse le mât d'une hauteur de 17 mètres.
L'unique grande cheminée haute de 19,5 mètres est située au milieu du navire. Le tirant d'air du navire, 62 mètres, a été calculé pour pouvoir passer sous le pont du Verrazano. A marée haute, seulement trois mètres séparent le point culminant du mât radar et le tablier du pont.
Le Queen Mary 2 est le seul paquebot de nos jours à accueillir pour la traversée de l'Atlantique les «passagers à quatre pattes», renouant ainsi avec la tradition du France. Le chenil, situé à tribord de la cheminée, peut en recevoir 24. Ceux-ci bénéficient d'une aire de promenade équipée d'un réverbère de type londonien «pour ne pas dépayser les chiens anglais lorsqu'ils lèvent la patte», et d'une bouche à incendie «made in America» à l'intention des canidés américains. Néanmoins, ce luxe se paie, entre 300 et 500 $ par animal.
La passerelle de navigation domine l'avant du pont 12. Au centre, la timonerie, avec l'ensemble des appareils de navigation, à tribord la chambre des cartes, à bâbord le «poste central sécurité». De chaque côté sur les ailerons, des postes de commande utilisés lors des manœuvres de port.
Les cabines du commandant et du chef mécanicien sont situées sur l'arrière de la passerelle, respectivement à tribord et à bâbord.
Pour des raisons de sûreté et de sécurité, l'accès à la passerelle est strictement réglementé, les passagers ne peuvent la visiter. Ceux-ci peuvent néanmoins avoir une vue d'ensemble des appareils de navigation à travers les vitres d'une petite coursive transversale située sur l'arrière de la passerelle.
Sur l'arrière de la cheminée se trouve la piscine intérieure du «pavillion pool», de plus de 10 mètres de long, toute en mosaïque, dont le toit s'ouvre par beau temps. Les deux autres piscines, extérieures, sont situées sur les ponts 6 et 8, à l'arrière du navire.
Plus des trois quarts des 1 369 cabines de passagers disposent de balcons ouverts sur la mer. Les plus luxueuses ont des dimensions impressionnantes, 209 m2 pour le grand duplex, de 111 à 146 m2 pour les duplex, 74 m2 pour les suites royales, 47 m2 pour les suites Queens, 35 m2 pour les suites Princess. Les grands duplex disposés sur l'avant du pont 10 offrent une vue magnifique pour un coût de 60 000 $. Les cabines de la classe Britannia avec balcon ou loggia, de 23 à 25 m2 occupent les ponts milieu, et les cabines dites extérieures de 18 m2, sans balcon, les ponts inférieurs. Le paquebot dispose aussi de cabines intérieures de 15 m2 dont les prix sont plus modestes.
Les suites ont leur propre salle à manger, les Queens et Princess Grill, et leur bar dédié, un chef d'œuvre Art déco, très yacht club. Les autres passagers ont accès à l'immense restaurant de 1 000 places le Britannia. D'autres restaurants, tels que le Steak House at the Verandah, le Golden Lion (authentique pub anglais), le Todd English ou le Lotus sont dignes de restaurants étoilés, mais avec supplément !
Le restaurant le plus fréquenté est le Kings Court, où sont proposés petit-déjeuner ou déjeuner sous forme de somptueux buffets chauds et froids.
Il y a plusieurs types de soirée à bord du Queen Mary 2. Le type de soirée et la façon dont il faut s'habiller sont rappelés sur le programme quotidien. Tenue de soirée (dining suit) : smoking pour les hommes (ou costume sombre) et robe de soirée pour les femmes – tenue décontractée chic (elegant casual), costume cravate, robe ou pantalon habillé – tenue décontractée (casual), le premier et le dernier soir. Ces tenues concernent les soirées au restaurant et particulièrement la soirée du commandant.
Les salons et bars de toutes sortes ne manquent pas à bord.
Le Commodore Club, un salon luxueux au charme très «british», situé sur l'avant du pont 9 offre une vue panoramique sur l'océan. A côté, le «Churchill's Cigar Lounge» permet aux amateurs de goûter d'excellents cigares.
Toujours à l'avant du navire, au niveau du pont 8, la librairie et la bibliothèque sont des endroits très fréquentés. Les passagers, confortablement installés dans des canapés ou fauteuils en cuir, peuvent consulter l'un des 8 500 ouvrages ou 200 livres audio qu'elle contient.
A l'instar de nombreux paquebots de croisière le Queen Mary 2 offre tout un panel de loisirs et divertissements. Ainsi, pour le sport, un simulateur de golf avec 51 parcours, ou le jogging sur le pont Promenade, 3 tours de pont correspondant à 1 mile (1609 mètres).
Le gymnasium situé sur le pont 7 contient une cinquantaine d'appareils d'entrainement sportif. A bâbord, le «Canyon Ranch Spa», dispose d'un bassin de thalassothérapie de 30 pieds sur 15 qui dispense toutes sortes de jets bouillonnants, pour 40 $. Le centre thermal emploie 50 employés sous contrat, appartenant à une société américaine.
Le casino Empire propose 13 tables de jeux, plus de 55 machines à sous et du poker sur vidéo. C'est dans la grandiose salle de bal Queen Room de 1 000 m2 que sont organisés les bals tels que le Black and White Bal ou le Bal Masqué. Au théâtre, qui peut recevoir 1 094 spectateurs, tous les soirs sont proposés de magnifiques spectacles ou des comédies musicales créées par la compagnie Cunard Royal Dancers and Singers au sein du très élégant Royal Court Theatre.
Citons aussi le Planetarium, le Night Club G 32 ou le jardin d'hiver.

Le service à bord
Le service à bord est dirigé par le département Hôtellerie. Il comprend 16 responsables placés sous l'autorité de l' «Hotel Manager». Parmi ceux-ci, le plus important est le «Food and Beverage Manager», chargé de toutes les activités liées à la restauration du bord. L'«Executve housekeeper» est responsable de tout l'entretien du bord. L'«Executive chef» s'occupe des menus, y compris ceux des restaurants gastronomiques.
D'autres occupent les fonctions de «senior maître d'hotel», «public room manager», chef de cuisine, «cashier», ou «food and beverage controler».
Sur la traversée du 2 au 9 septembre 2018, il y avait 2 514 passagers, dont 1 227 anglais, 701 américains, 103 canadiens, 102 français, 73 australiens, 65 suisses, 54 allemands, 36 belges, 34 irlandais, 14 suédois, 12 norvégiens, 10 néo-zélandais, les autres provenant d'une trentaine d'autres nationalités.
L'équipage était composé de 1 236 membres dont 1 015 hommes et 221 femmes, dont 685 Philippins, 106 Anglais, 66 Indiens, 45 Sud-Africains, 36 Ukrainiens, 29 Mauriciens, 29 Roumains, 23 Serbes, 22 Américains, 22 Macédoniens, 15 Hongrois, 4 Français et 157 d'autres nationalités.
Ce ratio de 1 pour 2 permet un service de très grande qualité, quasi irréprochable. Pour cela, 150 cuisiniers, 85 plongeurs, 21 magasiniers et 150 serveurs préparent et servent 16 000 repas par jour. Au cours d'une transat sont consommées 12 tonnes de viande, 8 tonnes de volaille, 1 400 kg de saumon, 15 tonnes de salades, 11 tonnes de fruits, 1 800 kg de fromage, 36 000 œufs, 1 900 kg de sucre, 20 kg de caviar, 800 kg de langoustes pour un total de 129 tonnes de nourriture et 21 000 litres de boisson. La cave contient 40 000 bouteilles de vin.
D'après les avis des clients, le service à bord est exemplaire, tant le personnel est à l'écoute des passagers, et désireux de les satisfaire.
Néanmoins, le travail à bord d'un navire de croisière est souvent difficile, 10 heures par jour, 7 jours sur 7, avec des contrats de plus de six mois. Les salaires sont en général en dollars. Il n'existe pas de barèmes dans l'industrie de la croisière, les revenus dépendent de la compagnie, du bateau et bien entendu du poste.
 









Les postes d'animation et de production (danseur, professeur de fitness, cuisinier…) ont une rémunération fixe, les postes de service (serveur, photographe, gift shop.. .) ont un fixe très faible. Le salaire se fera alors soit à partir d'un pourcentage sur les ventes, soit par le biais d'un savant système de pourboires ou soit par la combinaison des deux. Ces rémunérations sont la plupart du temps net d'impôt. Les employés doivent payer le déplacement de leur domicile jusqu'au port d'embarquement, le billet de retour étant réglé par la compagnie. Malgré cela, il est difficile d'obtenir un emploi sur un bateau de croisière.

La conduite du navire
L'état-major Pont comprend, outre le capitaine, 6 «senior officers»: le commandant adjoint, le second capitaine et trois officiers respectivement en charge de la sûreté, la sécurité et l'environnement. Le quart à la mer est assuré par un «senior officer» assisté par un lieutenant.
La passerelle du Queen Mary 2 est dotée de tous les équipements électroniques les plus modernes en matière de navigation et d'exploitation des systèmes du navire, avec un haut degré d'automatisation. Les officiers de quart disposent d'écrans plats, reconfigurables selon les besoins, alors que les «pods» sont actionnés par de simples manettes.
Le navire est en outre équipé d'un système de positionnement dynamique. Basé sur une géolocalisation par satellite, il lui permet de conserver sa position en jouant sur ses pods et propulseurs d'étrave.
Le «Computer Safety System» donne accès à tous les systèmes de sécurité du bord.
L'ingénieur en chef est à la tête du Département Technique qui compte 27 officiers dont 6 «senior officers» et 70 techniciens. Les officiers mécaniciens assurent le quart à la mer depuis la salle de contrôle des machines.
 
Pour obtenir une vitesse de pointe de 31 nds, le navire dispose d'une propulsion hyperpuissante, fournie par quatre moteurs diesels de 16,2 MW chacun et deux turbines à gaz d'une puissance unitaire de 25 MW. Les traditionnelles lignes d'arbres sont remplacées par quatre pods d'une puissance de 21,5 MW chacun. Deux des quatre « pods » sont orientables. Capables de tourner à 360°, ils font ainsi, en plus de leur fonction de propulseurs, office de gouvernails et remplacent les habituels safrans. Pour les évolutions portuaires, s'y ajoutent trois propulseurs d'étrave de 3,2 MW chacun. L'ensemble de la puissance installée dépasse les 116 MW dont 86 pour la propulsion. Le navire est capable de traverser l'Atlantique uniquement sur ses moteurs diesels (jusqu'à 25 nds), le recours aux turbines à gaz servant surtout à rattraper d'éventuels retards. Le navire est également équipé de quatre stabilisateurs, contrôlés par un instrument de référence verticale gyroscopique qui détecte le roulis potentiel du navire, améliorant ainsi le confort des passagers.
La consommation quotidienne à une vitesse de 29 nœuds est d'environ 261 tonnes de «Heavy Fuel Oil (HFO)» pour les moteurs diesel, et de 237 tonnes de «Marine Gas Oil (MGO)» pour les turbines à gaz.
La production d'eau douce à partir de l'eau de mer s'effectue par trois évaporateurs produisant chacun 630 tonnes/jour. La consommation quotidienne est d'environ 1 100 tonnes/jour, ce qui équivaut à 302 litres par personne et par jour.
Dimensionné pour franchir au mieux les longues houles de l'Atlantique, et taillé pour affronter les caprices de l'Atlantique nord, le Queen Mary 2 a une tenue à la mer étonnante. Son imposante étrave, sa dimension et la forme très étudiée de la carène lui permettent de faire face à des creux de 12 mètres et d'avancer à 25 nœuds dans de pareilles conditions. «C'était impressionnant de voir comment le navire tenait bien la mer, il bougeait extrêmement peu. Au restaurant le Britannia, on continuait à servir normalement les passagers, on voyait d'énormes vagues à travers les hublots, mais nous naviguions comme si de rien n'était» a raconté l'un des maîtres d'hôtel du paquebot.

L'histoire hors du commun de la Cunard a rendu «mythique» la célèbre compagnie. Après avoir transporté du courrier et permis à des millions de migrants de tenter leur chance dans le Nouveau monde, cette compagnie fait aujourd'hui découvrir le monde à des milliers de personnes dans le plus grand des conforts. Depuis plus d'un siècle et demi, la Cunard domine, par sa renommée, les compagnies maritimes mondiales aussi bien pour les traversées transatlantiques que pour les croisières.
Devant ce succès, il ne faut pas s'étonner que Cunard ait passé aux chantiers Fincantieri la commande d'un nouveau paquebot livrable en 2022. Il sera moins imposant que le Queen Mary 2, mais plus gros que les Queen Victoria et Elisabeth.


René TYL, membre de l'AFCAN


 1 Le plus gros paquebot du monde est le Symphony of the seas, livré par STX le 24 mars 2018. Long de 362 mètres, large de 66 mètres, il peut accueillir 6 680 passagers et 2 200 membres d’équipage
 2 Damien Grimont, ancien coureur au large qui a remporté la Mini-transat en 1999
 3 Macif (François Gabart), Sodebo (Thomas Colville), Idec Sport (Francis Joyon), Actual (Yves Le Blevec). François Joyon a remporté le 11 novembre 2018 sur Idec la 11e route du Rhum avec 7 minutes d’avance sur Macif de François Gabart.
 4 Patrick Boissier, ancien directeur des Chantiers de l’Atlantique, ancien président de DCNS et du Gican.
 5 Francis Vallat, ancien armateur, fondateur et ancien président du Cluster maritime français et actuellement président des clusters maritimes européens.


Sources
  • RMS Queen Mary 2, « Owner's Workshop Manual”, An insight into the design, construction and operation of the world's largest ocean liner.
  • L'Epopée Transatlantique, Cherbourg/New York, Gérard Destrais, Isoète Mémoires Cotentin.
  • Paquebots, le temps des traversées, Michel Mohrt-Guy Fleinstein, Editions maritimes.
  • «Cherbourg, port du Titanic et des transatlantiques», la presse de la Manche.
  • QM 2, le charme transatlantique », Dider Decoin, le Figaro du 22 décembre 2017.
  • «The Bridge», l'évènement de l'été, Marine et Océans, n° 256, 3e trimestre 2017.
  • «Daily Programm», journal de bord du QM 2, semaine du 2 septembre 2018.
  • «La Cunard Line fête ses 175 ans», article internet.
  • «Historique de la Cunard Line», par Cunard.
  • Traversée Southampton / New York, René TYL, semaine du 2 septembre 2018.


Retour au menu
Retour au menu