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PSYCHOSE PETROLE


Notre collègue B. Andrieux nous fait part de ses réflexions :


      Un petit rappel de mon cursus pour comprendre comment j'arrive à une telle réflexion. J'ai commandé depuis mai 1995, des navires secs de petit et moyen tonnage : porte-conteneurs, rouliers, rouliers passagers, transporteurs de colis lourds gréés au long-cours et au cabotage, et après une remise à niveau des connaissances comme second capitaine pendant 2 ans, je commande à nouveau, mais des pétro-chimiquiers double coque de moyen tonnage au cabotage international.

Partons des constatations suivantes :
  • C'est dans l'air du temps, mais maintenant on banalise toutes les professions jusqu'au ridicule et parfois au dénigrement systématique.
  • Face à cela, chacun veut se valoriser et s'identifier justement en prenant la place (ou en prétendant le faire) du professionnel dénigré.
  • Les techniques de communication sont tellement abouties qu'elles peuvent donner l'illusion à celui qui reçoit l'information, qu'il reçoit toute l'information et que cela le rend capable de prendre une décision. Celui qui envoie l'information est, lui, de plus en plus accaparé par cette tâche au détriment des autres.

      Jusqu'ici je n'ai pas cité de profession, mais de nombreux marins se seront reconnus.
  • Une quantité non négligeable d'anciens navigants reconvertis a tendance à s'arroger le label super-navigant l'autorisant à raconter n'importe quoi du moment que ça. la fait mousser et que ça rapporte de l'argent à leur petit négoce. (Ce n'est heureusement pas le cas à l'AFCAN, où les retraités sont au contraire bien utiles aux actifs pour suivre les dossiers et travailler au corps en continu les autorités afin de faire passer des idées qui évitent des catastrophes)
      Jusque là on est dans le tronc commun de tous les métiers et il faut rester vigilant pour ne pas se faire bouffer, mais c'est tenable. Là où ça se gâte encore plus, c'est dans le transport pétrolier.
      Alors qu'un pétrolier à ballasts ségrégués chargé et entretenu correctement n'est pas plus dangereux qu'un cargo tant que l'on est en transit (de quai à quai), on assiste à une véritable psychose de la part du public et des autorités qui va nous conduire rapidement à des aberrations et des drames.
      Cette psychose se répercute jusque chez les pilotes et particulièrement dans les ports des pays dits civilisés. Le cas n'est pas rare, il se généralise. A tel point que, par exemple, le dialogue fondamental et décisionnel sur les capacités de manœuvre du navire n'existe plus. On met dans 95% des cas tous les remorqueurs disponibles parmi les plus puissants. Il m'est arrivé d'avoir des remorqueurs dont la puissance, pour chacun d'eux, dépassait la puissance nominale en route toute du navire. Après, on s'étonne d'avoir des bosses sur la coque et des trous dans les ballasts, que le navire ne répond plus à la barre, tous les filets d'eau de l'hélice étant perturbés.
      On m'a imposé jusqu'à 3 remorqueurs sur un pétrolier équipé d'un propulseur d'étrave et d'un gouvernail Beker. Le summum est atteint au Japon où le pilote donne carrément des ordres au commandant : ON NE DISCUTE PAS ! ! !
      Le pire est atteint en face en Corée, où ils essayent de faire pareil, n'y arrivent pas et frôlent la catastrophe à tous les coups. II faut ou bien reprendre quand c'est possible (avec des remorqueurs ce n'est pas évident) ou bien avoir les nerfs très solides ! J'ai vu des collègues terminer la manœuvre en sueur, alors qu'elle n'aurait dû présenter aucune difficulté. J'arrête les exemples, j'en ai d'autres, ils sont tout autant effarants.
      Ceci pour dire que d'un coté les armateurs vont vite faire leurs comptes et arrêter de mettre des propulseurs et des gouvernails élaborés et que de l'autre, le commandant intervient de moins en moins dans la chaîne décisionnelle qui concerne le navire dont il est responsable. C'est grave, d'autant qu'il reste responsable. II est court-circuité généralement par les agents, les autorités portuaires et les pilotes. J'ai choisi l'exemple des manœuvres portuaires par ce que c'est flagrant, mais on peut trouver cela également ailleurs, malheureusement.
      La pollution du Prestige en est peut-être la triste illustration car chaque semaine amène des bribes d'informations qui vont parfois dans ce sens.

Cdt B. ANDRIEUX


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