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Ports Refuges :
Hâvres de paix ou terrains de discorde ?

       Une nouvelle fortune de mer d'une extrême importance s'est déroulée fin juillet dernier au large de Durban, elle aurait du retenir notre attention, mais elle est passée totalement inaperçue dans les médias européens, sans doute du fait de l'éloignement du lieu du drame : Le super pétrolier "NAPA", chargé de 280.000 tonnes de pétrole brut, armateur chinois mais arborant le pavillon de Singapour, a failli se briser en deux tout simplement en chevauchant la forte houle générée par les trains de dépressions déboulant en cette période hivernale australe sur le Rail du Cap de Bonne Espérance. Ce pétrolier, pourtant de construction récente (1990), a vu son bordé tribord se fissurer au niveau de la citerne 4, laissant échapper une partie de sa cargaison !

       Surprenant pour un navire de seulement 13 ans d'âge, théoriquement bien entretenu par un armateur renommé de Hong Kong ! Il n'y a donc pas que les vieilles bailles, hors d'âge et hors normes, de moyen tonnage chargées de fioul lourd qui se cassent ! Le pire est-il à venir pour notre littoral déjà si meurtri ? Toujours est-il que le "NAPA" a évité la catastrophe en mettant en fuite à l'approche hostile des Quarantièmes Rugissants pour trouver refuge, au mouillage en haute mer, le long des côtes plus hospitalières du Mozambique. Le transfert de sa cargaison sur un autre navire, s'effectua fort heureusement sans dommage.

       Que se passera-t-il si une telle mésaventure survient cet hiver à un super tanker au large d'Ouessant ? Qui acceptera ce mastodonte crachant sa sépia et pourrons-nous le remorquer vers un lieu sûr et lequel ?

       Cette fragilité des pétroliers vieillissant est inquiétante. De plus les spécialistes en Météorologie s'accordent à dire que du fait du réchauffement de la planète, les événements climatiques extrêmes vont se multiplier, il est prévisible qu'après un tel été de canicule, les tempêtes hivernales seront sévères en Atlantique Nord et plus violentes qu'à l'accoutumée, malmenant d'avantage les super tankers qui doublent Ouessant... Les Bretons ont du souci à se faire !

       Après le naufrage du "PRESTIGE", qualifié de véritable fiasco de l'Europe Maritime, du fait de la lamentable gestion de crise effectuée par les autorités espagnoles, le Parlement Européen a enfin réagi et dans ses décisions post-Prestige et post-Erika, a demandé aux pays maritimes de l'Union de lui fournir pour 2004, la liste des Ports Refuges pouvant accueillir les navires en difficulté. Comme dans le mot Port il y a déjà la notion de Refuge, cette appellation frisant le pléonasme, fut modifiée et très vite remplacée par "Lieux de Refuge" ou "Ports Appropriés" ! Subtiles nuances qui ne changent rien au problème épineux posé car il y a un hic et il est de taille : à tel point que la France, après mûres réflexions, a décidé de ne pas rendre publique cette liste, se bornant à donner à la Commission Européenne uniquement le détail des procédures à suivre en cas de navire en détresse le long de ses côtes ! D'autres pays européens tels que l'Allemagne, ont décidé d'agir de même...

         Pourquoi ? Tout simplement parce que cette liste c'est de la dynamite ! On peut facilement imaginer le tollé général et la grande colère des populations côtières et des municipalités concernées qui verraient leur frange de littoral désignée comme refuge ! Faut-il les alarmer par avance ?

       Ce risque de pollution supplémentaire, programmée, n'est plus tolérable pour ces populations riveraines, même si dans ce cas précis une indemnisation est prévue par l'Union Européenne pour compenser les dommages environnementaux et collatéraux subis et assurer le nettoyage des sites souillés.

       Un front du refus qui ne manquerait de se manifester, dû à une certaine lassitude, une overdose des populations côtières face au côté répétitif des accidents et pollutions qui nous viennent de l'océan depuis plus de trois décennies. Avec le sentiment, à juste titre, que tout n'est pas fait au niveau de la prévention !..

      Pourtant il fut un temps où la baie de Douarnenez et la rade de Brest accueillaient des navires à risques ou sérieusement endommagés sans levée de boucliers particulière. C'était il y a 35 ans : rappelons l'entrée en grande rade du pétrolier "ARIETTA S. LIVANOS" chargé de
41.000 tonnes de pétrole brut le 23 Octobre 1966. Il avait été abordé sur son arrière par un minéralier au large d'Ouessant. Le compartiment machine noyé, la poupe disparaissait sous l'eau, seul le pavillon libérien émergeait et l'enfoncement du navire avoisinait les 22 mètres, équivalent à la hauteur d'un immeuble de 6 étages !

      Dans ces conditions extrêmes et alors qu'il avait une stabilité diminuée, les pilotes de Brest et les marins du remorqueur allemand "HEROS" firent des prouesses pour l'amener au mouillage en rade. A cette époque là on était moins regardant au niveau environnemental, il est vrai qu'il n'y eu pas de pollution, et la base des sous marins atomiques de l'Île Longue n'était pas encore construite... A cette occasion l'Association pour la création à Brest d'un Port Pétrolier-Relais, présidée par Georges Lombard, Maire de Brest, profita de l'événement pour éditer un petit opuscule ventant les mérites de la rade de Brest capable d'accueillir les géants des mers de 500.000 tonnes ! Cette même association renouvela ce genre de publication en Novembre 1967 quand le super pétrolier-minéralier "CEDROS" de 170.000 tonnes de port en lourd, entra à pleine charge en rade de Brest par gros temps de suroît, avec une houle de 4 mètres dans le Goulet et une très faible visibilité. La compagnie SHELL avait choisi la rade de Brest pour l'alléger de 30.000 tonnes. En effet ce navire avec un tirant d'eau de 19 mètres ne pouvait accéder au Havre sa destination finale. La Presse hexagonale, unanime, loua la prouesse réalisée en pleine tempête, par 106 de coefficient de marée ! Personne ne parla d'acrobaties aux risques démesures... Et tous vantèrent les mérites de la rade de Brest pour devenir le Port-Relais de l'Europe ! On connaît la suite, le site d'Antifer eut la préférence...

      Toujours est-il que cette rade semble la plus appropriée car la plus profonde et la plus sûre, pour servir de refuge à un navire en détresse, ce qui n'est pas toujours le cas de la baie de Douarnenez ouverte au vent et à la grosse houle d'Ouest avec des fonds de moins bonne tenue. Mais l'Amirauté prendra-t-elle le risque d'autoriser l'entrée en rade d'un navire sérieusement endommagé, avec fuite de sa cargaison et/ ou de ses soutes ? Quitte à le mettre tout de suite dans une cale sèche du port de réparation navale si tant est que l'une d'elles soit libre et disposée à l'accueillir.

      Et s'il coulait dans le goulet bloquant pour un temps l'entrée et la sortie des sous marins atomiques assurant notre force de dissuasion nucléaire, polluant à l'occasion, chimiquement ou par hydrocarbures, toute la rade avec ses plages, ses activités de pisciculture, de conchyliculture, les huîtres, les coquilles St Jacques etc. ! Inimaginable. Mais alors que faire ? L'envoyer en baie de Douarnenez ne serait pas une décision de bon sens marin, l'expérience passée du " SEA VALIANT " en Avril 1979, ne fut pas un franc succès : il dut attendre une dizaine de jours au mouillage avant que l'allégeur, profitant d'une atténuation de la houle, puisse accoster le pétrolier qui avait perdu plusieurs tôles de son étrave dans le mauvais temps !

      Aujourd'hui, dans un cas semblable, les communes de Crozon-Morgat, St Nic, Plomodiern, Douarnenez, aux premières loges en cas de pollution, réagiraient vivement face au risque encouru pour éviter que leur littoral ne soit souillé à jamais ! Il sera très difficile voire impossible de faire comprendre aux riverains qu'il vaut mieux limiter la pollution à leur baie, plus facile à nettoyer, plutôt que de la laisser se diffuser vers l'ensemble du littoral menacé. Les mêmes réactions d'hostilité sont à prévoir aux 4 coins de l'hexagone s'il fallait conduire un pétrolier perdant son fioul vers un des refuges possibles tel que l'abri de St Vaast la Hougue ou en baie de St Brieuc en Manche, soit à l'abri de Belle-Île ou au fond du Golfe de St Tropez ou sur rade de Villefranche ou d'Ajaccio etc ! Cette liste sera longue et constituera un sérieux casse-tête pour les autorités en charge, le but étant de ne pas renouveler les erreurs magistrales du Prestige.

      Faudra-t-il remonter jusqu'au Premier Ministre pour prendre la décision d'accès à tel refuge avec les conséquences énoncées plus haut ?! Il y a de grandes chances que oui. En espérant que la cellule de crise en place sera à la hauteur de la situation et sera de bon conseil pour le décideur désigné. Qui en fera partie ?

      Une interrogation supplémentaire et d'actualité, concerne le projet de Parc National Marin en Mer d'Iroise : Quid de la cohabitation possible de ce territoire sensible à préserver de toute pollution marine avec des lieux de refuge en son sein ?

      Beaucoup de questions en vérité, sans trop de réponses mais la meilleure solution ne serait-elle pas de prendre le problème dans le bon sens et non à l'envers comme nous le faisons habituellement, en jouant la Prévention à outrance pour minimiser les risques d'accident en mer, en portant par exemple un sérieux coup d'arrêt aux pavillons de complaisance qui prolifèrent comme du chiendent, causes de tous nos maux, jetant le discrédit sur toute une profession !

      Comment procéder ? Tout simplement en responsabilisant l'État du Pavillon en cas d'accident, ne serait ce que financièrement et au niveau international via l'Organisation Maritime Internationale (OMI). Ces nouveaux venus dans la Complaisance sont des États généralement sans tradition maritime, souvent de minuscules îlots perdus au fin fond des Caraïbes ou de petits atolls du Pacifique, à peine plus grands que Ouessant ou pire sans littoral ni accès à la mer, mais qui ont bientôt des flottes plus importantes en tonnage que la nôtre !

      Il serait normal qu'en cas d'agression polluante par un navire sous norme, car il s'agit bien d'une agression, l'État du pavillon, reconnu coupable de négligences caractérisées, paie, sinon l'intégralité du moins une bonne partie des indemnisations aux victimes, plus les frais de nettoyage des dégâts occasionnés. Cette mesure aurait de quoi faire réfléchir ces États quant à l'intérêt de s'aventurer dans le juteux business de la complaisance maritime, paradis fiscal pour l'armateur, enfer pour le marin et les populations côtières ! Leur éradication de la scène maritime entraînerait dans leur sillage, l'élimination des mauvais armateurs et de leurs navires sous normes, ce qui contribuerait à assainir durablement le transport maritime.

      Et si en plus, cerise sur le gâteau, l'Agence Européenne de Sécurité Maritime avait la bonne idée de mettre sur pied un Corps spécialisé de Garde Côtes Européens que tous les Marins appellent de leurs vœux, pour faire respecter les conventions et réglementations internationales et communautaires, vérifiant le bon état de navigabilité des navires pour éliminer les vieilles bailles à risques, nous serions alors très près du but recherché d'une Prévention Maximum.

      Le problème de la Sécurité du transport Maritime serait enfin traité dans sa globalité avec le remède de cheval qu'il nécessite, au lieu de réagir au coup par coup. Bricolage continuel, curatif mais non préventif, enrobé de "sécurité médiatique" chère aux hommes politiques, privilégiant les formules chocs mais creuses qui ne nous mettent pas hélas à l'abri d'une nouvelle pollution majeure.


Cdt M.BOUGEARD
Capitaine au Long Cours


N.B : Les Garde Côtes US ont bloqué récemment dans leurs ports, des navires sous pavillon St Vincent & Grenadines, dont certains officiers étaient détenteurs de brevets frauduleusement délivres par cette petite république qui n'est pas de surcroît habilitée à délivrer des licences en conformité avec la réglementation internationale.
Cette autorité leur avait simplement demandé un chèque en retour de la délivrance de leurs brevets ! Et vogue la galère !



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