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PLASTIC ODYSSEY
L'ambition d'un jeune officier de la Marine marchande : à 26 ans,
il veut lancer une expédition maritime de trois ans à l'assaut de l'océan de plastiques.

«Ils ne savaient pas que c'était impossible, alors ils l'ont fait» Mark Twain

 
Le Propeller Club de Paris organise chaque mois sur les Vedettes de Paris, port de Suffren, une conférence sur un sujet maritime. L'intitulé énigmatique de la conférence du lundi 22 mai : «Rendez-vous vers le futur à bord de la première DeLorean (1) des mers Plastic Odyssey», et la qualité du présentateur, Simon BERNARD, officier de la Marine marchande, diplômé de l'ENSM, m'avaient décidé à m'y rendre, d'autant plus qu'Alain Connan (2) , intéressé par la réalisation du catamaran de l'expédition m'avait vivement incité à l'y accompagner.
Ni l'un ni l'autre n'avons été déçus, subjugués à la fois par la personnalité du jeune conférencier et par l'ambition de son projet. Aussi avant d'entrer dans le vif du sujet, l'expédition Plastic Odyssey, nous allons tenter de découvrir les motivations et les réalisations de ce jeune et brillant élève de l'école de la marine marchande.

Simon Bernard, un étudiant passionné, inventeur et aventurier

Après une année en classe préparatoire PCSI (Physique, Chimie, Sciences industrielles) et une année d'études à Londres (3) où il prépare les concours de pilote de ligne et de la marine marchande, Simon Bernard est admis à l'Ecole Nationale Supérieure Maritime (ENSM) en 2011. A Marseille puis au Havre il suit le double cursus d'ingénieur naviguant et obtient le diplôme d'études supérieures de la marine marchande (DESMM) le 27 janvier 2017.
Simon Bernard n'a pas regretté ce choix. Découvrant la mer grâce à son père, il prend goût à la voile et à la pêche sous-marine et manifeste un vif intérêt pour le monde maritime. Etudiant en deuxième année à l'ENSM de Marseille, il montrera son désir de naviguer lors d'un entretien télévisé avec un commandant de la Méridionale. Il l'interroge notamment sur son «ressenti la première fois où il a pris le quart», le problème d'éloignement de la famille lors des embarquements au long cours, l'avenir du métier.
Ses divers embarquements au long cours sur des porte-conteneurs et sur des ferries pendant sa scolarité, tant au pont qu'à la machine, lui donneront l'occasion d'apprécier la qualité du métier d'officier de la marine marchande où «il faut savoir prendre ses responsabilités et faire preuve de sang-froid». Officier polyvalent sur le Bretagne de Britanny Ferries de mai à octobre 2015, il remplira respectivement les fonctions de lieutenant navigation et d'officier mécanicien.

Esprit curieux, Simon Bernard est aussi un inventeur et un aventurier qui cherche des solutions innovantes aux nombreux problèmes qui nous entourent. Les causes qui lui importent le plus sont l'environnement et la lutte contre la pauvreté, et il choisit de mettre ses connaissances techniques et scientifiques à leur service.
Après avoir obtenu son baccalauréat en 2009, il multiplie les aventures et les engagements humanitaires mais aussi écologiques. Pendant toutes ses années d'études, il participe à de nombreux projets et concours, tels le concours Deloitte-4L, le challenge Hydro Contest, le projet Nomade des mers, le projet Scan eat, le POC Challenge, l'expédition Plastic Odyssey.
Qualifié par son entourage de modeste, simple et très ouvert, il est aussi lauréat de nombreux prix :
Avenir de l'IFM (Institut français de la mer) pour ses engagements et les valeurs qu'il incarne, Green Tech Verte Ecoles pour son projet Scan eat, POC Challenge pour son mémoire sur les micro-algues, Fondation de la Mer pour son projet Plastic Odyssey.

Concours Deloitte-4L Eco-Challenge : projet de recyclage de savons pour le Maroc

Pendant sa deuxième année à l'Ecole de Marseille, Simon Bernard a participé du 15 au 25 février 2013 au raid étudiant 4L Trophy, célèbre rallye-raid à vocation humanitaire réservé aux étudiants. Ce challenge se base sur trois grands axes : parcourir les étapes parsemées d'épreuves de franchissement, aider les enfants marocains et respecter l'environnement, tout cela à bord d'une 4 L.
L'entreprise Deloitte, partenaire du 4L Trophy, offrait dans le cadre du concours Deloitte-4 L Eco-Challenge une bourse de 1 000 € à 10 équipages sélectionnés sur un projet écologique. Simon Bernard et son camarade de l'ENSM Arthur Claye, participants sélectionnés, se sont lancés dans l'aventure avec le projet «Prévention hygiène avec des savons recyclés». Celui-ci consistait à récolter les savons usagés dans des hôtels, les reconstituer puis en fabriquer de nouveaux, propres à la consommation et les distribuer aux enfants du Maroc.

Hydro Contest 2014 : étude d'un nouveau concept de navire de charge, le 3 S

 
Président et fondateur d'Hydro Tech-2014, association pour la recherche et le développement de navires propres, Simon Bernard participe au challenge international Hydro Contest-2014, concours visant à concevoir les navires économes en énergie, en imaginant de nouvelles formes de carènes. Avec l'équipe Hydro Tech de Marseille, il créé le concept de navire Semi-Submersible à Sustentation (3S), et remporte le prix de l'innovation technologique. «L'idée du concept était de s'affranchir au maximum de la résistance de vague du navire en transportant la cargaison sous la surface de l'eau, dans une torpille, et l'équipage au-dessus de l'eau dans une nacelle», écrira-t-il dans la revue Jeune Marine.


Projet Nomade des mers (2015-2016) : conception d'un dessalinisateur «lowtech»

 
Il participe au défi Nomade des mers, un catamaran de 13 mètres transformé en laboratoire expérimental pour une expédition de trois ans autour du monde, dont l'objectif est de découvrir les innovations durables autour du monde.
L'eau potable n'étant pas encore produite à bord, il réfléchit à un prototype de déssalinisateur low-tech. Après un an de recherche, il parvient à mettre au point un prototype de déssanilisateur à la fois rudimentaire et efficace, permettant d'obtenir un litre d'eau potable à l'heure. Fin mars 2016, il rejoindra le bateau en Afrique pour 15 jours d'essais en conditions réelles. Reste maintenant à l'optimiser, l'idéal étant de le coupler à un concentrateur solaire.


Projet Scan eat : analyseur individuel de la qualité de l'eau et des aliments

 
En 2016, à 25 ans, élève de 5ème année, il est lauréat du projet Green Tech Verte Ecoles, lancé par la ministre de l'Ecologie et visant à sélectionner les innovateurs parmi les élèves du ministère, pour son projet Scan eat, un e-contrôleur individuel de la qualité de l'eau et de l'air et des aliments bruts (fruits, légumes). Cet e-contrôleur qui se présente sous la forme d'un petit boîtier de poche, permet de détecter et mesurer les pesticides contenus dans les aliments ainsi que les différents polluants contenus dans l'eau et dans l'air.
L'objet existe, mais pour qu'il fonctionne, il faut développer un algorithme. Lorsqu'il aura fini ses études, il bénéficiera d'un CDD de 12 mois pour développer son projet, épaulé par des experts, et d'un financement de 150 000 euros.


Mémoire sur les micro-algues pour capter le CO2 des navires

Dans le prolongement de la COP 21 fin 2015 à Paris, le groupe de travail «Shipping» de la Plateforme Océan et Climat (POC), coordonné par Armateurs de France et Surfrider Foundation Europe, a décidé de lancer le POC Challenge, en mobilisant la jeunesse autour de la thématique «Transport maritime et transition énergétique».
Ce concours donne l'opportunité à des étudiants de «plancher» sur la question de la transition énergétique dans le transport maritime qui représente près de 2,3 % des émissions de CO2 a rappelé l'OMI lors la session MEPC 70. En attendant que des navires zéro émission voient le jour, il faut trouver des solutions pour réduire les émissions de CO2 des navires déjà existants. Dans ce but, Simon Bernard a rédigé un mémoire sur la réduction des émissions de CO2 du transport maritime par l'installation de cultures de micro-algues sur les navires de commerce. Les micro-algues sont un moyen efficace de capter le CO2 tout en étant une source potentielle de biodiesel qui peut se substituer aux fuels lourds très polluants.
Il a présenté son projet dans le cadre d'une conférence au LH Positive Economy Forum du Havre en septembre 2016 dont le thème était : «Quelles urgences pour la COP 22 ?».
Il est désigné en octobre 2016 lauréat de la première édition du POC Challenge pour son mémoire sur les micro-algues, leur potentiel en matière de captage du CO2 et de production de vecteurs énergétiques. A ce titre il a pu présenter son mémoire le 11 novembre 2016 à la COP 22, à Marrakech.

L'expédition Plastic Odyssey : comment transformer le déchet en ressource et libérer nos océans

L'enjeu

 
Une étude réalisée en 2016 par la fondation Ellen McArthur et soutenue par le Forum économique mondial nous révèle que 150 millions de tonnes de déchets plastiques polluent nos océans. La masse de ces déchets pourrait doubler d'ici 2050, au point d'affirmer qu'il y aura plus de déchets que de poissons. L'amoncellement de débris flottants – sacs, bouteilles, filets et autres emballages – transforment progressivement les milieux océaniques en véritables décharges à ciel ouvert.
Bouteilles et sacs jonchent les fonds marins et les plastiques les plus résistants, notamment le polyéthylène, mettent plusieurs siècles à se dégrader. Ils risquent à terme de détruire des écosystèmes marins, faisant des poissons leurs premières victimes.
Face à ce constat alarmant, il existe une quantité de projets de récupération du plastique à la surface de l'eau. Mais l'enjeu est ailleurs, seulement 1 % du plastique flottant en mer est récupérable, nous révèlent les scientifiques. «Il faut traiter le problème à la source», affirme Simon Bernard, c'est-à-dire nettoyer les côtes et arrêter la «fuite» des matières plastiques, estimées à 80 % d'origine terrestre.
Sensibiliser et revoir nos manières de consommer demandent du temps. Plusieurs décennies vont être nécessaires pour que nos façons de consommer évoluent et que progressivement des emballages biodégradables soient utilisés. C'est pourquoi des solutions de transition sont indispensables.
Lors d'une escale à Dakar de l'expédition Nomade des mers, Simon Bernard nous raconte avoir été frappé par la découverte de tonnes de déchets plastiques et surtout par ces gens qui tentaient de survivre au milieu de cet environnement. A partir de ce moment-là, il s'est dit que le seul moyen d'aider ces populations et d'agir pour la protection de l'environnement, c'était de transformer le problème -le plastique- en solution.

L'expédition

Pour transformer le problème du plastique en ressource, Simon Bernard et trois de ses camarades ont décidé de planifier une expédition autour du monde à bord d'un navire–atelier de recyclage. L'objectif de cette expédition, dénommée Plastic Odyssey est non-seulement de réduire la quantité de plastique dans les océans mais aussi de sensibiliser à la ressource que peut constituer le plastique et de faire naître des initiatives qui créeront des emplois tout en réduisant la pollution.
De nombreuses technologies existent déjà pour transformer le plastique, par exemple en mobilier, briques de construction, isolant, tissus… Ces technologies sont sous-exploitées et très peu connues du grand public. On les utilise peu dans les pays en voie de développement et là se pose le plus gros du problème : ce sont les pays du Sud qui voient leur paysage défiguré et leurs conditions de vie dégradées à cause des déchets plastiques. Pour Simon Bernard, il est nécessaire de concevoir une technologie low-cost de recyclage du plastique, accessible à tous, et de sensibiliser les populations locales à cette technologie.
L'expédition est prévue pour durer trois ans. Elle partira début 2020 pour sillonner les côtes d'Afrique, d'Asie et d'Amérique du Sud, continents producteurs de 98 % des déchets. A chaque escale, Plastic Odyssey procédera à un nettoyage des côtes, et s'efforcera d'impliquer les acteurs de la société locale dans la collecte des déchets. Elle mènera des ateliers afin que ces populations participent à la réflexion sur la mise en place de systèmes de recyclage adaptés à leurs territoires.

Un navire propre pour un océan propre

Poussant le défi encore plus loin, Simon Bernard envisage de faire fonctionner le bateau grâce à un carburant constitué uniquement à partir des plastiques. Une partie des déchets ramassés, non recyclables par d'autres moyens, sera stockée à bord pour être ensuite reconvertie en carburant à l'aide d'une technologie émergente, la pyrolyse plastique. Le mélange de plastique est converti en un combustible qui produit 20 % de moins d'émissions de CO2 que les carburants fossiles. Ce procédé est autosuffisant et permet de produire un litre de carburant par kilogramme de plastique traité : 1Kg de plastique = 1 l d'éco-carburant.
L'énergie nécessaire à la transformation provient uniquement de la chaleur perdue des moteurs et des gaz produits par le procédé. Aucun apport en énergie supplémentaire n'est nécessaire. Le carburant alimente quatre moteurs de 75 CV qui propulsent le navire.
Seront également embarqués à bord : Enfin un logiciel de routage météorologique très performant permettra de minimiser la consommation du navire en profitant du vent et des courants favorables.

La planification

Le navire de l'expédition serait construit sur le modèle d'un catamaran de 25 mètres par la société Ship-As-A-Service, partenaire de Plastic Odyssey. Le célèbre architecte naval Marc Van Peteghem a promis son concours.
Simon Bernard compte sur le mécénat et le soutien de personnalités pour accroître la légitimité de l'expédition. Il espère conclure des partenariats à la fin de cette année 2017 qui permettront de lever des financements nécessaires pour élaborer dès janvier 2018 le premier bateau prototype, réaliser des essais en juin 2019 et démarrer l'expédition en 2020.
Il prévoit de parcourir 40 000 milles en trois ans, entrecoupés de 32 escales.
Pour cela, il bénéficie d'un impact médiatique énorme et du soutien de personnalités du monde maritime et scientifique tels que Catherine Chabaud, Gérard Feldzer, Michel Desjoyaux, Jean-Louis Etienne, Claudie Haigneré…
Mais l'objectif principal de Plastic Odyssey ne s'arrête pas à cette expédition maritime. Sur le long terme, Simon Bernard espère installer à terre des systèmes de recyclage dans toutes les villes du monde et démocratiser des technologies low-tech de recyclage du plastique.

Conclusion

Simon Bernard s'est exprimé avec simplicité et conviction devant l'assemblée du Propeller Club vivement intéressée par l'originalité et l'ambition de son projet. Parmi celle-ci, on pouvait noter la présence de représentants du Cluster maritime, d'Armateurs de France, de l'association des capitaines au long cours et des capitaines de première classe (ACLCC1), de l'association des officiers de la marine marchande (HYDROS), de pensionnés de la marine marchande et aussi de l'AFCAN.
Il ne faut pas s'étonner que le jury de la Fondation de la Mer ait décerné en novembre 2016 le prix de l'innovation maritime au projet d'expédition Plastic Odyssey pour la jeunesse et l'audace de ses participants. Les clés de la réussite sont avant tout la passion et la persévérance.
«Arrêtez de croire qu'on ne peut accomplir ses rêves», tel est le message que Simon Bernard adresse à tous les jeunes qui veulent s'engager en montant leur propre projet.
René TYL
membre de l'AFCAN

(1)
(2)

(3)
L'automobile de «Retour vers le futur»
Alain Connan participe avec le célèbre architecte naval Marc van Peteghem à une étude sur les transports maritimes à la voile en Polynésie française (projet de navire EMC 150).
Elève au «Westminster Adult Education College», il est titulaire du «Cambridge Certificate of Proficiency in English»


Sources
Conférence de Simon Bernard au Propeller Club de Paris
Le Marin
Mer et Marine
Jeune Marine
Hydros
Interview Annabelle Baudin (Youth we can)
Marine Marchande Information


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