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LES MARDIS DU PROC…



         A BREST l'usage est désormais de se rendre le mardi après midi au tribunal pour suivre le procès d'un commandant et de son armateur, mis en examen pour pollution en mer dans la zone économique exclusive (ZEE).

       Depuis que le Président CHIRAC traite les navigateurs indélicats et leurs armateurs de voyous des mers, le ministre de la justice a suivi.

       La loi « PERBEN 2 succède à la loi PERBEN 1, le tout suivi d'une circulaire du garde des sceaux aux procureurs du 1 octobre 2004.» : Trois tribunaux spécialisés (Brest, Le Havre et Marseille) traitent les cas de pollution maritime. Le Tribunal de Grande Instance de PARIS conserve le traitement des affaires de grande complexité, les vieux dossiers parisiens sont renvoyés à BREST et jugés comme des sujets récents.

       Les peines sont augmentées pour équilibrer les sanctions entre celles des capitaines français qui risquent la prison et celles de leurs collègues étrangers qui payeront eux aussi de très fortes amendes.

       Ne sont considérées comme involontaires que les pollutions dues aux accidents (abordage, échouement etc.) Toutes celles provenant de rejets sont considérées comme volontaires.

       Les peines sont encore « limitées » à 10 ans de prison et 1 million d'euros d'amende, ou la valeur du navire, ou 4 fois la valeur de la cargaison ! (Si bien que l'ERIKA polluant volontairement payerait moins cher qu'un porte conteneur !)

       Le tribunal tiendra compte dans un savant dosage de 3 niveaux de pollutions accidentels (imprudence, négligence, violation délibérée de l'obligation de sécurité), de la quantité de polluant, de la gravité et de l'irréversibilité des dommages.

       En 2 ans il y a eu 30 interventions, plus de 8,78 millions d'euros versés en caution et 4,12 millions d'euros encaissés en 2004.
Sujet de fierté pour nos ministres, messieurs PERBEN et GOULARD qui se congratulent sur les méthodes employées : « Désormais, on paie d'abord et on discute ensuite.. ». Il faut bien dire que c'est musclé, et cela commence à se savoir ! Peut être un jour n'il y aura t-il plus de pollution par hydrocarbure en mer ? Ni d'ailleurs d'autres pollutions.

       La FRANCE, bien sûr n'est pas la seule au monde à réprimer sérieusement les pollueurs en mer. Les U.S.A. mettent en prison les commandants et les membres d'équipage coupables de pollution et encouragent la délation. Le CANADA dit réprimer comme la FRANCE, les inspecteurs en ALLEMAGNE contrôlent les registres d'hydrocarbure et calculent les quantités de boues d'hydrocarbures que l'on devrait trouver, etc.


couverture de TV magazine du 09/04/2005
         Toujours est-il qu'il vaut mieux être pilote dans la douane ou l'aéronautique navale car là, on ne chôme pas ! Il semble même que la ronde des avions ne s'essouffle pas, tant en Atlantique qu'en Méditerranée. Tout aéronef de l'aéronautique navale en mission sanitaire ou de contrôle des pêches doit regarder les sillages. Mais il faut en regarder des sillages ! Ils rentrent souvent bredouilles contrairement à ce que laissent penser les médias.

       Il faut bien dire que les contrevenants sont certainement en majorité réellement pollueurs.

       Il est étonnant qu'en 2005 encore, il y ait des mécaniciens qui vident leurs puisards machine à moins de 200 milles des côtes (parfois même à la limite des eaux territoriales).

       J'éprouve des terreurs rétrospectives en me rappelant mes bons amis mécaniciens me disant de ne pas m'inquiéter, que les caisses avaient encore du vide, que le 15ppm (turbulo !) marchait à la perfection, que les filtres avaient été changés !

       2 navires ont été relaxés : l'un parce que ses tuyaux de ballastage étaient pourris et qu'il y avait passage entre soutes et ballasts (mais il a été condamné en appel), l'autre parce qu'en évacuant ses ballasts chargés en limon, on s'est aperçu que les boues contenaient des hydrocarbures.

       Je ne crois pas que plus d'un ou deux navires n'aient déchargé volontairement des boues provenant des séparateurs. En général il s'agit de vidange de puisards ou du ballast eaux de cale en passant à travers le séparateur 15ppm. Ce séparateur est en mauvais état, pas entretenu ou simplement manœuvré cellule shuntée en faisant passer de l'eau claire.

       Il y a aussi le ro-ro qui vide ses puisards de cale cargaison chargés d'eau de ruissellement après la fonte de la neige sur le matériel roulant, cette eau entraînant du gras et des huiles.

       Et puis il y a des capitaines qui ne peuvent expliquer !

       Les photos parfois ne sont pas convaincantes, on y voit un sillage persistant comme nous en avons tous vu en navigant !

       Le seul expert pollution auquel s'adressent les tribunaux fait partie de la douane et affiche une grande expérience de vol au-dessus de la mer. Il participe aux réunions internationales sur le sujet (convention de BONN).

       Un capitaine affirme que ce que l'on voit dans le sillage, c'est le blé qui restait sur le pont balayé par un paquet de mer. Un autre dira que c'est en déballastant les eaux de la rivière !

       L'expert, à l'appui du rapport du pilote, (qui systématiquement affirme que la pollution s'est arrêtée dès le contact radio avec le navire et qu'il n'y avait aucune trace sur l'avant du navire) confirmera que la pollution est bien par hydrocarbures. Le pilote aura donné la couleur de la nappe dans le sillage selon un code d'apparence des couleurs, ce qui permet d'établir l'épaisseur de la pollution ainsi que les données des débuts et fins de nappe.

       On pourrait espérer des éléments fournis par la caméra infrarouge ou le système de radars latéraux (SLAR) ou du système micro-ondes pour affiner le calcul de la surface polluée, de l'épaisseur ou de la nature du polluant mais ces données ne sont pas dévoilées.

       Pour la plupart il s'agit de pollution estimée de 50 à 500 litres d'hydrocarbures maximum.

       Il y a eu une fois un essai de preuve par prise d'échantillon : un seul échantillon sur 6 ou 7 était difficilement exploitable. Il faut dire que c'est compliqué de récolter des preuves d'hydrocarbures sans matériel plastique quand l'épaisseur est de moins d'un micron! (Essayez de récolter l'huile en surface d'une flaque sur laquelle il y a irisation !) Une pollution par hydrocarbure ne peut être visible réellement que si le rejet présente plus de 50 ppm.

       Et pourtant il semble indispensable d'avoir la preuve que la pollution apparente d'après la photo est bien de l'hydrocarbure ! Les suédois laissent des bouées dans le sillage qui indiquent la nature du produit. Il est vrai, qu'après, les avocats argueront que ce n'est peut être pas du même hydrocarbure, etc.


Robe du président du T. G. I.
         Le procureur fait bien son travail, il a mis au point ce qui se faisait ailleurs : dérouter le navire, faire payer une caution, entendre le capitaine et le chef mécanicien, faire contrôler sérieusement le navire (sécurité, propreté, gestion des hydrocarbures). Le procureur demande une sanction exemplaire …arguant du fait que c'est l'assurance qui payera ?

       Les parties civiles (6 à 7 associations écologiques ou représentatives des communes) plaident bien fort contre ces voyous des mers qui rejettent volontairement leurs boues d'hydrocarbures pour faire des économies. Elles réclameront des sommes en fonction du mètre carré pollué.

       Les juges condamnent après avoir écouté la défense qui tente de mettre un doute sur le rapport d'expertise, qui tente de minimiser la pollution et prouve que la gestion des hydrocarbures est irréprochable, (débarquement à terre des boues, incinération etc.)

       Le juge confirmera l'amende, proche de la caution. 90% à l'armateur et 10% au capitaine. Il y a peu de temps encore, tout le monde croyait que l'assurance ou l'armateur prendrait en compte les 20.000 ou 40.000€ du capitaine….Mais certains (En Italie ou en Grèce) ont été fort surpris de recevoir l'injonction de paiement à la maison !

       Nous nous sommes bien sûr inquiétés de l'absence de fiabilité des séparateurs à eaux mazouteuses, les armateurs aussi. Les US coast guard eux-mêmes ont fait une enquête auprès des navigants sur la fiabilité des séparateurs et leur maintenance. Nous aurions voulu mettre « à la cause » les fabricants, puis les sociétés de classification et les administrations qui homologuent ce matériel. Mais ceci est compliqué. L'administration italienne interdit à ses navires d'utiliser le séparateur à eaux mazouteuses.

       Parfois il n'est pas simple de trouver à ne débarquer que des eaux de cale ! Lesquelles présentent quelquefois des traces de produit chimique de nettoyage.

       Alors que faire ? Certains ont fait doubler les ballasts de rétention pour assurer une meilleure décantation. D'autres sélectionnent d'une façon drastique les égouttures, coulures ou eaux de nettoyage de réfrigérants, eau de condensation du collecteur de balayage etc. Une vie de labeur dans la terreur ?

       Loin de nous l'idée de contester le bien-fondé de la lutte engagée contre les pollueurs volontaires mais nous réclamons une justice équilibrée. La criminalisation du capitaine est un aveu de défaut de volonté politique, car même si les amendes atteignent des sommets vertigineux, elles n'en nettoient pas pour autant la mer.

       L'actualité montre enfin qu'à terre une pollution voire la mort d'hommes ne sont que des accidents alors qu'en mer un accident est une pollution dotée d'une tarification à tiroirs, à l'issue d'une procédure d'exception qui ne semble guère tenir compte des droits élémentaires de l'accusé.

Cdt Jacques LOISEAU
Vice-président de l'AFCAN
mai 2005
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