La convention collective des officiers prévoit le départ à la retraite à 55 ans.
Une loi votée sous la primature de Mr Chirac tend à rendre cette clause illégale. Les "partenaires
sociaux", suite à la nouvelle situation créée par ce texte, ont signé un protocole d'accord, lequel
prévoit, à nouveau, que l'âge de départ de la retraite est bien 55 ans.
Protocole illégal, dénoncent certains, qui font appel au juriste
pour qu'il "dise la loi".
Cette demande amène une question, à laquelle je vais répondre en
premier lieu : Qui "dit la loi" dans notre système juridique ?
Nous ne sommes pas dans un pays d'ayatollahs, où la loi a un
caractère sacré, procède du divin, et s'applique sans contestation ni interprétation.
Bien au contraire, nos lois sont les suites et conséquences de
coutumes diverses, d'évolutions économiques et sociales, de pressions de lobbies, d'idées politiques.
Telle loi votée hier par une majorité politique est mise à mal par la majorité politique qui suit.
Nous en savons quelque chose, puisque l'AFCAN a été créée suite au
vote d'une loi que nous contestons.
La loi ne peut donc se lire sans référence à son histoire, au
contexte de l'époque où elle a été votée, et également au contexte de l'époque où elle est interprétée.
Car la loi s'interprète. La première interprétation est celle de la
jurisprudence, construite suite aux arguments avancés par les parties dans un procès. La deuxième
interprétation est la doctrine, somme d'analyse des docteurs en droit.
Ces trois sources du droit, loi, jurisprudence, doctrine,
constituent ce que l'on appelle le droit positif. Un droit vivant, en perpétuelle évolution, où la
jurisprudence bien établie d'hier peut être remise en question par la thèse d'un étudiant qui en
démontre les incohérences.
Ceci exposé, à défaut de dire le droit, on peut donner un avis,
appuyé par les éléments actuels de jurisprudence et de doctrine.
Je pourrais donc dire que dans ce cas, il y a conflit entre deux
textes qui ont chacun leur valeur, la loi, et le contrat. La jurisprudence considère que le contrat peut
déroger à la loi lorsque le contrat va dans le sens de l'intérêt des parties. Pour donner un avis, il
faudrait donc décider si le fait de continuer à naviguer après l'âge prévu pour le départ à la retraite
est de l'intérêt de l'intéressé.
Chacun d'entre nous peut avoir un avis là-dessus, mais est-ce le
rôle de l'AFCAN d'approuver ou de critiquer les parties signataires à cet accord ?
Le débat sur cette question m'amène par contre à faire une
proposition sur la manière que pourrait avoir l'AFCAN d'aborder les problèmes juridiques.
Je pense que, plutôt que de nous poser la question de la légalité ou
de l'illégalité de tel ou tel texte, nous devons nous poser la question de son utilité ou de sa
nocivité.
Et, dès lors que nous considérons une loi comme néfaste, notre
action me semble claire : agir auprès du législateur pour la faire modifier, soutenir nos collègues
auprès des tribunaux pour faire évoluer la jurisprudence dans le bon sens, rencontrer les universitaires
pour que la doctrine prenne en compte notre analyse.
C'est ce que l'AFCAN fait depuis des années pour la loi qui réprime
au-delà de l'acceptable les capitaines victimes de la pollution par leur navire, texte qui n'est
peut-être pas illégal, mais qui est néanmoins scélérat.
Jean-Paul DECLERCQ
Capitaine au Long Cours
Docteur en Droit
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