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Le projet Femmar
par Gwenaele Proutiere-Maulion et Laure Tallonneau,
Centre de droit maritime et océanique, Université de Nantes
Un éclairage sur les conditions de travail des femmes dans les activités maritimes et leur rôle en matière de sensibilisation en matière d'hygiène et de sécurité.
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Le projet FEMMAR est relatif à l'évolution du rôle et du statut de la femme dans les activités maritimes.
Ce projet est porté par des chercheurs de l'Université de Nantes ainsi que par des chercheurs des Universités du Pays-Basque espagnol, de la Corogne, et de Greenwich.
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Il a pour objectif, sur une période de 3 ans (2009-2011), d'analyser et de mettre en exergue l'évolution du rôle et du statut des femmes dans les activités maritimes, en particulier leurs conditions de travail mais également leur rôle de vecteur de sensibilisation au respect des règles en matière d'hygiène et de sécurité.
L'objectif des chercheurs (économistes, juristes, géographes, sociologues) étant avant tout de donner la parole à ces femmes, il a été choisi dans un premier temps de procéder à une étude quantitative en diffusant un questionnaire destiné à toutes les femmes intervenants dans les différentes activités maritimes.
448 questionnaires nous ont ainsi été retournés au 31 janvier 2010, ce qui a permis au projet d'entrer dans sa seconde phase avec le démarrage des entretiens début janvier 2010. 27% des femmes qui ont répondu exercent leur activité dans le secteur de la pêche, 15% dans le secteur de l'aquaculture, 27% dans le secteur de la marine marchande, 14 % dans la Marine Nationale et 17% dans un secteur plus marginal (scientifiques, sportifs, affaires maritimes etc…).
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La population interrogée se caractérise également par une forte hétérogénéité de l'âge : 77% des femmes dans la pêche et 70% dans la conchyliculture ont plus de 35 ans contre 41% dans la marine marchande et 22% dans la marine nationale. Enfin, il faut noter que 91% des femmes interrogées vivent en couple dans la pêche, 19% dans la conchyliculture, 26% dans la marine nationale et 37% dans la marine marchande.
- Résultats (qui s'appuient sur le traitement des questionnaires et l'analyse de 23 entretiens sur les 35 qui ont été menés)
- Sécurité au travail
Concernant la sécurité au travail, les résultats des questionnaires montrent qu'elle est jugée satisfaisante par 73% des femmes travaillant dans la pêche, 83% des femmes travaillant dans la conchyliculture, 88% des femmes travaillant dans la marine marchande et 92% des femmes travaillant dans la Marine Nationale. Ces chiffres ne doivent pas cependant occulter le fait que 14 % des femmes travaillant dans le secteur des pêches maritimes estiment que la sécurité au travail n'est pas du tout satisfaisante. Bien que des progrès notables aient été réalisés, beaucoup de chemin reste à parcourir avant que le port du VFI devienne une norme sociale et non plus seulement une norme juridique. De façon générale, l'analyse des corrélations montre ici que la sécurité au travail est perçue comme plus élevée par des femmes jeunes ayant un niveau de formation élevé et ne travaillant pas dans la pêche. Les femmes de plus de 45 ans jugent moins favorablement la sécurité au travail ce qui peut s'expliquer par une évolution des mentalités et une information plus importante des jeunes femmes sur la réglementation en vigueur.
Lors des entretiens, certaines femmes font remarquer que leur travail implique une certaine force physique et qu'il est de ce point de vue parfois difficile. D'autres relèvent également les difficultés liées aux décalages horaires en fonction des embarquements. Mais, de façon générale, il apparaît très clairement que les contraintes spécifiques au recrutement du personnel féminin en matière de droit du travail (hygiène et sécurité, maternité) n'apparaissent plus comme des éléments dissuasifs au recrutement. Par ailleurs, l'arrivée des femmes dans les activités maritimes ne semble pas avoir modifié sensiblement l'organisation du travail contrairement à ce qui s'est passé lors de la féminisation d'autres secteurs comme, par exemple, celui du personnel de surveillance dans les prisons . Les femmes marins ne semblent pas être ramenées par leurs collègues masculins à leur faiblesse physiologique et psychique.
- Dénonciation des pratiques de harcèlement/discriminations au travail
Selon les résultats du questionnaire, 4% des femmes travaillant dans la pêche ont déclarée avoir été victime de harcèlement (moral/sexuel, physique/verbal), 6% dans la conchyliculture, 36% dans la marine marchande et 33% dans la Marine Nationale. Une faible proportion de femmes travaillant dans la pêche (6%) ou dans la conchyliculture (7%) connaît des personnes ayant été victimes de harcèlement moral ou sexuel alors que ce pourcentage est plus élevé pour celles qui exercent leur activité dans la marine marchande (33%) et dans la marine nationale (43%). Concernant le fait d'avoir subi ou de subir des discriminations au cours de leur vie professionnelle, environ un tiers des femmes a répondu par l'affirmative. Ce pourcentage s'élève à 42% pour la marine marchande et 44% pour la marine nationale, alors qu'il n'est que de 13% pour la conchyliculture. Ces discriminations concernent d'abord l'accès à l'emploi, suivi du manque de considération, de la misogynie, de l'évolution de carrière, des discriminations salariales, de l'affectation à un poste inadapté et de l'autorité contestée par les subordonnés.
Il leur a également été demandé si elles avaient signalé les comportements de harcèlement et/ou discrimination auxquels elles avaient été confrontées : près de 30% d'entre elles ont répondu par l'affirmative (54 femmes sur 184). La proportion est plus faible dans la conchyliculture (7%) et s'élève dans la pêche (25%), la Marine Nationale (31%) et la marine marchande (39%). Ces comportements ont été signalés principalement au supérieur hiérarchique (70% des cas) et dans une moindre mesure (6% des cas) à un collègue, aux autorités (gendarmerie, police, Halde), à la médecine du travail, à une structure intermédiaire ou à un syndicat.
L'analyse des corrélations montre par ailleurs que les femmes qui se déclarent victimes de harcèlement ou de discrimination présentent le même profil. Il s'agit essentiellement de femmes relativement jeunes et ayant un niveau de formation plus élevé. Il s'agit d'abord de femmes qui travaillent dans la marine marchande, puis dans la Marine Nationale et dans une moindre mesure dans la conchyliculture et dans la pêche. De la même façon, ce sont plus fréquemment les salariées qui rapportent être victimes de harcèlement.
Il est à noter que ces éléments ne se retrouvent pas du tout ou très peu lors des entretiens. Une femme, aujourd'hui chef mécanicien sur un navire sismique, relate cependant avoir eu une tentative d'intrusion dans sa cabine de la part d'un troisième mécanicien, mais elle en a aussitôt informé son supérieur qui à son tour a informé le commandant. La chaîne hiérarchique a ici fonctionné correctement. La dénonciation des faits a donné lieu à un rapport et les deux marins n'ont plus navigué ensemble. S'étant sentie soutenue par sa hiérarchie cette femme relate cet incident sans souffrance. Beaucoup de femmes relèvent, en revanche, la correction de leurs collègues masculins à leur égard, le fait que leur présence instaure plus de retenue dans les propos qui sont tenus ainsi que l'aide qui leur est apportée.
Là aussi on peut constater que « depuis quelques années, discriminations négatives et positives semblent décliner par l'effet de la banalisation de la présence des femmes dans tous les métiers, y compris au sein de la Marine Nationale. La professionnalisation de générations d'hommes ayant bénéficié d'une scolarité intégralement mixte, le partage croissant des responsabilités économiques et sociales banalisent par ailleurs la place des femmes dans les espaces socio-professionnels… La fin de la réservation de l'embarquement aux seules femmes volontaires participe à la neutralisation des genres. Même si carrières, secteurs d'activités, bateaux, chambres, continuent à proposer des différentiations objectives, les femmes semblent peu à peu devenir des marins comme les autres ». Lors des entretiens, les femmes rencontrées insistent ainsi plus sur la façon dont elles vivent leur condition féminine à bord que sur leurs conditions de travail proprement dites. Elles ne se plaignent pas de leurs conditions de vie à bord (taille des cabines, équipements sanitaires etc … sauf pour souligner l'absence de toilettes à la passerelle mais dont elles font remarquer que cela est aussi problématique pour leurs collègues masculins ).
Néanmoins, il convient de s'interroger sur la relation entretenue par ces femmes vis-a-vis de leur corps et de leurs pratiques vestimentaires. Nombreuses sont celles, en effet, qui indiquent faire attention à la façon dont elles sont habillées à bord ( disparition du maquillage et des bijoux, vêtements neutres lorsque l'armateur n'impose pas de tenue spécifique etc…), ce qui peut apparaître comme une voie d'intégration . Il importe cependant de veiller à ce que la tentation de gommer les attributs féminins ne cache pas une forme inconsciente de protection et de mise à distance des collègues masculins. Le harcèlement est, en effet, une attitude dont les enjeux peuvent avoir de multiples dimensions. Les dénoncer fait courir à la victime le risque de se retrouver au ban du collectif. La minimisation des propos, ou des comportements, apparaît dès lors comme une stratégie d'adaptation de façon à ne pas entrer dans le jeu, ne pas se laisser prendre au piège des rôles de sexes. D'où le besoin de mettre des barrières, au prix parfois de son propre effacement, (ne pas exhiber sa féminité, ne pas rétorquer mais ne pas copiner non plus ce qui serait une confusion des sexes . Trouver sa place en tant que femme, dans le milieu maritime, va ainsi se jouer dans la manipulation des marqueurs de la féminité (vêtement, maquillage…) .
- La femme en tant que vecteur de sensibilisation dans la prévention du stress au travail
La dynamique collective initiée par les femmes en mer ou à terre ne se limite pas à une sensibilisation à l'importance du respect des règles d'hygiène et de sécurité sur les lieux de travail. Elles sont également un vecteur de sensibilisation essentiel en ce qui concerne la dénonciation de la multiplication des comportements addictifs et réalisent un travail considérable dans la généralisation du recours à des cellules d'urgence médico-légale à la suite d'évènements de mer.
- Prévention des comportements addictifs liés au stress
Lors de l'enquête quantitative les femmes ont été interrogées sur l'existence de pratiques addictives au sein de leur entreprise. Pour 85% des femmes qui ont répondu, travaillant dans le secteur de la pêche ou de la conchyliculture, cette proposition est jugée pas du tout vraie alors que les pourcentages tombent à 40% pour les femmes en lien avec la marine marchande et à 17% pour celles en lien avec la Marine Nationale. 70% des femmes interrogées jugent la lutte contre les pratiques addictives satisfaisante (39%) ou très satisfaisante (31%). Ce pourcentage est moindre pour les femmes travaillant dans la marine nationale (58%) et 11% de celles travaillant à la pêche jugent la lutte contre les pratiques addictives pas du tout satisfaisante. 30% des femmes travaillant dans la Marine Nationale la jugent peu ou pas du tout satisfaisante.
Ce sont ici essentiellement des femmes plus âgées mais avec un fort niveau de qualification qui considèrent que leur entreprise est plus souvent touchée par des pratiques addictives. Mais les conduites addictives concernent tous les secteurs d'activités. Les femmes qui ont une ancienneté de 3 à 9 ans ou de plus de 15 ans répondent plus fréquemment par l'affirmative. Cette perception est cependant moins marquée pour les chefs d'entreprises. La prévention semble un élément essentiel pour la lutte contre les pratiques addictives. Si aucun effet d'âge ne ressort, en revanche, les femmes mariées montrent une plus grande satisfaction au regard de la lutte contre les pratiques addictives. Cette satisfaction est accrue chez les chefs d'entreprises et les conjointes collaboratrices par rapport aux salariées.
- Accompagnement psychologique des évènements de mer
Les entretiens menés ont également révélé une forte implication de certaines associations de femmes de marins pêcheurs en faveur d'un meilleur accompagnement psychologique des familles à la suite d'un événement de mer,. L'association des femmes et familles de marins de Vendée (AFFMV) ainsi que le Service Social Maritime ont, en effet, constaté que les victimes directes et indirectes (familles, amis et communauté maritime) d'évènements de mer avaient besoin d'un soutien psychologique suivi. Les évènements de mer sont en effet responsables de l'apparition de comportements anormaux. Depuis la série de naufrages en Vendée dans les années 2000, les marins ont peur de retourner en mer et on observe une recrudescence du nombre d'accidents du travail. De plus, quelques mois voire plusieurs années après l'évènement de mer, les victimes montrent des signes de traumatisme (troubles du sommeil et de l'appétit...). Or les victimes ne font pas le rapprochement entre la cause et les effets. Les marins (les hommes) ont tendance à minimiser la dangerosité des évènements de mer afin de se protéger (sinon ils n'iraient plus en mer) et ont un discours assez fataliste : « c'est le milieu maritime, c'est comme ça ». Les femmes, elles, s'attachent à sensibiliser les hommes à la nécessité d'une prise en charge. Et s'ils éprouvent le besoin d'une aide, les hommes ne vont pas la leur demander. L'association a cependant constaté que lorsqu'elle les dirigeait vers les centres d'accueil thérapeutique, ils faisaient ensuite les démarches nécessaires.
L'AFFMV et les professionnels des CUMP travaillent ensemble depuis 3 ans pour coordonner leurs actions au niveau départemental dans la prise en charge continue des victimes . Désormais ce ne sont plus les victimes qui se déplacent mais c'est la CUMP qui va à leur rencontre, quelques jours après l'évènement (cela était indispensable pour les îliens de l'Île d'Yeu et Noirmoutier). Par leur proximité avec la population, le SSM et l'AFFMV ont au sein du réseau un rôle de vigilance sur les comportements des personnes. Désormais, lorsqu'elle détecte des comportements anormaux, l'association détermine rapidement le service vers lequel elle va diriger les intéressés. Cette collaboration a abouti à la rédaction d'une plaquette destinée à sensibiliser les gens aux évènements de mer et à les orienter vers les structures d'accueil. Aujourd'hui, le groupe travaille sur l'amélioration de l'annonce de l'accident aux familles et sur l'incitation à la consultation par le marin du médecin traitant avant de rembarquer.
Conclusion :
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L'étude montre donc plusieurs disparités sectorielles en ce qui concerne les conditions de travail des femmes dans le secteur maritime. Dans l'ensemble la sécurité au travail est jugée « satisfaisante » par une très grande majorité avec une exception pour la pêche maritime.
De même la présence de pratiques addictives au travail est jugée marginale à la pêche et dans la conchyliculture mais pas dans la marine marchande et la Marine Nationale (entre 25 et 30% des femmes qui ont répondu considèrent que leur entreprise est touchée par ce type de pratique). Plus d'un tiers déclarent avoir été victimes de harcèlement moral ou sexuel (verbal et physique) dans les marines marchande et nationale alors que ce pourcentage est d'environ 5% à la pêche et dans la conchyliculture (poids des relations familiales dans l'entreprise). De la même façon environ un tiers des femmes enquêtées déclarent subir ou avoir subi des discriminations au cours de leur vie professionnelle, proportion plus élevée dans les marines marchande et Nationale (environ 40%), ce pourcentage est plus faible dans la conchyliculture (13%). Ces chiffres semblent ainsi très au-dessus des moyennes nationales et européennes. Pour autant les entretiens réalisés ne traduisent pas un mal-être au travail.
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Au contraire, 86 % des femmes interrogées choisiraient à nouveau une carrière maritime (54% des femmes referaient le même parcours et 32% le referaient mais autrement). La présence des femmes dans les activités maritimes paraît donc aujourd'hui banalisée et leurs compétences en tant que marins reconnues, montrant ainsi une évolution importante du secteur maritime, lequel malgré un référentiel pluriséculaire de masculinité, a rapidement accepté l'arrivée des femmes.
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M. Tritarelli, femme marin, une réalité de management, mémoire technique de fin d’études, ENMM Le Havre, 2010, p 18.
Guillaume Malochet, « Dans l’ombre des hommes, la féminisation du personnel de surveillance des prisons pour hommes » Sociétés contemporaines 3/2005 (n° 59-60) pp 199-220.
La féminisation de la marine nationale, entre évidences et questionnement sociologiques, www.iufm-pacifique.nc
Entretiens réalisés avec une femme inspectrice de sécurité des navires, ancienne navigante, et une femme professeur à l’ENSMM également ancienne navigante.
M. Tritarelli, femme marin, une réalité de management, mémoire technique de fin d’études, ENMM Le Havre, 2010, p 37.
S. Cromer et D. Lemaire, L’affrontement des sexes en milieu de travail non mixte, in Inversion du genre, corps au travail et travail des corps, Y. Guichard-Claudic, D. Kergoat (coord.) Cahiers du genre, L’harmattan 2007, p 72
idem p 73.
idem p 74.
Entretien avec la présidente de l’AFFMV « nous on peut diriger les gens vers ces structures … on peut travailler avec les infirmières pour les aider à mieux comprendre comment fonctionne ce milieu là, comment ils travaillent, comment ils perçoivent les choses, comment ils vivent au jour le jour ».
Enquête conditions de travail DARES 2005. 10 % de la population européenne se dit victime de violence ou de harcèlement sur le lieu de travail selon une enquête réalisée en 2007 par la Fondation européenne des conditions de travail.
Pour de plus amples informations et un accès à l’intégralité des résultats, vous pouvez consulter le site : femmar.free.fr
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