Que s'est-il donc passé en baie de Douarnenez ?

      On a frôlé la catastrophe en baie de Douarnenez en cette fin de Février 2004. Rien n'a été rapporté dans les médias, étrange … Toujours est-il que le 26 Février il fait un temps de chien en Mer d'Iroise, vent de Nord-Nord-Est force 8 établie avec rafales à 50 nœuds et bourrasques de neige altérant la visibilité.

      Le cargo turc "KAPTAN ASLAN FATOGLU" vire péniblement Ouessant dans la nuit, chargé de 5.100 tonnes de blé chargées à Rouen à destination de Crotone en Italie.

      Craignant que sa cargaison ne ripe il demande au CROSS Corsen l'autorisation d'aller se mettre à l'abri en baie de Douarnenez. Accord lui est donné et le mouillage est désigné par l'autorité maritime : on lui demande alors d'aller mouiller à quelques encablures dans le Nord des jetées du port de Douarnenez sur la côte Sud de la baie du même nom ! Surprenant car par des vents du Nord d'une telle force, c'est bien le pire endroit pour se mettre à l'abri avec des fonds sableux de médiocre tenue, la baie de Morgat situé à l'abri de la côte Nord de la baie offre de bien meilleurs mouillages ! Question de bon sens marin...

Le capitaine du cargo turc obtempère ne connaissant pas les lieux, que se passe-t-il ensuite ? Fatigue dû au mauvais temps, endormissement de l'officier de quart seul à la passerelle, mauvaises interprétations des informations données par le GPS, le radar et le sondeur ou par manque de carte de la baie ?

      On ne sait pas ce qui s'est passé au stade actuel de l'enquête si tant est qu'il y ait une enquête en cours ? Toujours est-il qu'un peu avant 06 heures du matin le navire s'échoue en avant toute, à 12 nœuds... au pied du phare du Millier à toucher les falaises de la côte Sud ? Incroyable ! Les homards et crabes sardines ont du trembler dans leurs caches tellement le choc fut violent ! Le bulbe de son étrave est complètement écrasé jusqu'au tunnel du propulseur avant, le peak avant est crevé. Mais fort heureusement les soutes à fuel sont épargnées…

      Vingt minutes plus tard le "Kaptan Aslan Fatoglu" se remet à flot par ses propres moyens, son gouvernail est légèrement endommagé mais la machine et son hélice tournent normalement. Une heure plus tard il gagne le mouillage désigné.

      Ouf ! Les 12 hommes d'équipage ont été très chanceux, les populations côtières aussi dont le littoral a frôlé une nouvelle pollution dans l'indifférence générale !..

      Eh oui, le Sémaphore du Cap de la Chèvre est fermé du coucher au lever du soleil !.. Le sémaphore de la Pointe du Raz est activé 24H/24 mais ne voit rien de ce qui se passe dans le sud de la baie ! Il y a donc une énorme faille dans le système de surveillance et de protection de nos côtes dans sa zone la plus sensible. Inquiétant. Surtout que la baie de Douarnenez avec la rade de Brest sont les deux seuls lieux de refuge pour la zone ô combien névralgique d'Ouessant/Mer d'Iroise. Or la Commission Européenne avait demandé aux nations maritimes de la Communauté Européenne de lui fournir la liste de ces lieux et ports de refuges. La France refusa et préféra donner uniquement le détail des procédures à suivre en cas de navires en détresse le long de ses côtes ! On voit tout de suite la limite de cette mesure avec les péripéties de ce cargo turc en divagation en baie de Douarnenez !..
      Cela rappelle trop l'odyssée du porte-conteneurs " Melbridge Bilbao " quelques années auparavant avec son officier de quart endormi, se faufilant en pleine nuit entre les roches de Molène.
      Il est grand temps de revoir complètement notre système de protection de nos côtes pour lutter avec plus d'efficacité contre l'insécurité du transport maritime. Cette nouvelle fortune de mer nous démontre à peu de frais l'urgence des mesures à prendre dont la mise sur pied du fameux corps de Gardes Côtes Européens que tous les Marins appellent de leurs vœux depuis des décennies.

      Prévenus enfin de cette étrange affaire par nos soins les médias locaux et régionaux en firent leur Une le jeudi 10 Mars. Gênée par cette publicité qui la mettait dans l'embarras, l'Amirauté avança dans un premier temps qu'elle n'avait pas les crédits pour armer 24h / 24 le sémaphore en question (voir carte) puis se ravisa et affirma par la suite que de toute façon si les guetteurs avaient été de quart au cap de La Chèvre cette nuit là, cela n'aurait rien changé !..

      Vivement que tous les navires soient munis de l'A.I.S. pour mieux les suivre surtout dans leur approche de port ou de mouillage. Les boites noires aussi sont importantes dans un cas semblable pour mieux déterminer ce qui s'est réellement produit car la position de l'échouage communiquée ne correspond pas à un haut fond connu mais très près de la falaise !

      L'officier de quart était-il endormi et l'alarme d' "Homme Mort" en service ? Notons que l'enclenchement de cette alarme n'est pas prévu faire partie des données qui seront enregistrées par cette Boite Noire lors de sa mise en service obligatoire courant 2005 !

      Il faut savoir aussi qu'en Mer d'Iroise il y a un projet de Parc Marin qui doit voir le jour en 2004/2005 et qui de ce fait nécessiterait une surveillance et une protection environnementale de tous les instants. A une question posée par votre serviteur au Préfet du Finistère et au Préfet Maritime lors d'une réunion de travail à la PréMar il y a quelques mois, quant à mon étonnement du refus de la France de donner la fameuse liste des lieux de refuge sur demande de la Commission Européenne, l'Amiral me répondit qu'il privilégiait l'établissement des procédures destinées à l'assistance à apporter au navire. On voit que toute cette préférence et toute la paperasse qui en découle n'a servi à rien dans le cas présent et qu'il vaudrait mieux comme je le précisais devant l'auditoire réuni en Préfecture, désigner les sites de refuges et demander aux 15 membres de la Communauté Européenne + les 10 petits nouveaux à venir, de voter des crédits pour aménager ces lieux de refuges sur le littoral européen ! Ce jour là mes arguments n'avaient pas semblé convaincre nos deux Préfets !..

Cdt Michel Bougeard