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4 mars 2002, jour de deuil, un peu de respect s'il vous plait!
Beaucoup de marins de commerce français doivent se rappeler les inaugurations de navires au
Havre ou à Marseille par nos armateurs : réception, bénédiction, présentation à la presse, etc. Le
"Marin " sous la plume de Jean Sauvée, son créateur, en rendait compte. La Transat, Les Messageries
Maritimes, Worms, Shell, Esso, SFTP, Delmas-Vieljeux, Chargeurs Réunis, Havraise Péninsulaire,
Gazocéan, et j'en passe, invitaient le ban et l'arrière ban du Monde maritime. Les navires de ces
sociétés françaises battaient pavillon français, étaient armés par des équipages français et
généralement construits dans des chantiers français. Nous, navigants, Capitaines, Officiers, Marins,
étions fiers de servir sur de tels navires qui, au fur et à mesure que la technique évoluait,
devenaient de plus en plus complexes. Certes lors des discours officiels, nos armateurs n'oubliaient
jamais de rappeler que les conditions économiques et sociales d'emploi des marins français sous
pavillon national, appelé plus tard le surcoût, les pénalisaient. Nous, marins, avons joué le jeu de
l'automatisation, accepté des diminutions significatives d'équipage, tout en défendant notre statut
social français. Nous avions à cœur d'être les plus performants face aux armements étrangers: ceux
qui appartenaient à des groupes multinationaux tels que Shell ou Esso pouvaient se comparer à d'autres
pavillons et nous n'avions pas à rougir face aux autres. Sur les navires de charge, les tournées du
Nord duraient huit jours: escale de jour dans les ports, navigation de nuit entre les nombreux ports
(Dunkerque, Anvers, Rotterdam, Hambourg et retour): bref nous avons joué le jeu. La récompense:
quasi-disparition des Armements français par fusions ou transferts des intérêts financiers sous
d'autres cieux ou encore recours massif et exclusif à l'affrètement, et un pavillon français bis dit
registre TAAF. Aujourd'hui, en Mars 2002, la quasi-totalité des armateurs ci-dessus a disparu, le
pavillon est réduit à 250 navires, la plupart sous pavillon-bis, une administration maritime française
en passe de disparaître et Jean Sauvée n'est plus là pour nous faire part de ses commentaires
pertinents, indépendants et respectés.
Mais "Le Marin" existe toujours. Sous une forme plus attrayante, il se veut toujours le
chroniqueur de l'actualité maritime, certes avec moins de compétence et de hauteur de vue que son
fondateur, reçoit de la publicité à commencer par celle des Armateurs et rend toujours compte de
l'inauguration des nouveaux navires. A cet égard, le numéro 2852 du 8 Mars dernier a valeur d'exemple:
à la une la photo d'un magnifique navire portant un nom français "Marie Delmas" ( le troisième du nom),
appartenant à un armateur français très ancien, mais battant Pavillon dit de complaisance et armé par
un Équipage étranger: Ukrainien pour les officiers et Philippins pour le personnel d'exécution, et,
pour faire bonne mesure, une photo du Commandant ukrainien faisant visiter la passerelle de son navire
à des invités, enfin inauguré le 4 Mars 2002 au Havre en présence du "gratin" du monde maritime
français et des Autorités françaises. Les armateurs français ont obtenu ce dont ils rêvent depuis
cinquante ans: être aidé par l'État, construire à l'étranger, battre pavillon économique et embarquer
des Équipages non soumis aux Lois sociales françaises.
Certes, le Directeur général, Mr Gilles Alix, après avoir jeté des fleurs aux officiers français
(pour gérer des GIE fiscaux !) a eu soin de rappeler que ".....si, nous pouvions employer des marins
français aux mêmes conditions que des marins européens, il n'y aurait pas de problème". Mais, il s'est
bien gardé de décrire ces conditions !
Pour ma part, je ne fais pas grief à Monsieur Bolloré de faire construire et d'exploiter des
navires de commerce aux conditions économiques qui lui sont les plus favorables : le fond de commerce
d'un armateur, ce sont ses navires et il est tout à fait légitime qu'il essaie d'en tirer le rendement
maximum. Je n'en veux pas à nos camarades Ukrainiens, Polonais ou philippins de servir sur des navires
financièrement français. Eux aussi ont le droit de gagner leur vie et celle de leurs familles. Mais,
si un jour de par le monde, il y a des Officiers et du personnel d'exécution aussi compétents qu'eux
mais meilleur marché, ils seront aussitôt remplacés parce que trop chers.
Pour nous, marins de commerce français, ce 4 mars 2002 doit être ressenti comme un jour de deuil.
Mais ce qui est encore plus triste, en cette période d'élections présidentielles et législatives,
c'est qu'aucun parti politique, aucun syndicat ne s'est ému de cette inauguration singulière. Il est
vrai qu'en nombre de voix, les navigants français, actifs ou retraités, comptent si peu ! Et pourquoi
dépenser l'argent du contribuable pour des gens qui polluent les côtes et coûtent socialement cher. A
force de tenir ce genre de discours, on ne trouvera bientôt plus d'Officiers ou de marins français
pour armer le peu qui reste.
Cdt Jean P. LE COZ
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