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Le commandant Daniel Rigolet et la naissance de l'AFCAN.



Ce fut en janvier 1979, à Brest où nos deux navires étaient en arrêt technique, amarrés tribord au quai d'armement, que nous nous sommes rencontrés la première fois. Mais quelle rencontre ! Le commandant Daniel Rigolet à bord du Pierre Guillaumat de la CNN, le plus grand pétrolier jamais construit au monde, moi sur le car-ferry Penn Ar Bed de la BAI (on ne disait pas encore la Brittany Ferries) qui semblait minuscule juste derrière. Entre voisins nous faisons connaissance mais sur le coup nos occupations respectives ne nous laissent pas partager plus qu'une bitte d'amarrage. Il a un gros souci : aucun amarrage traversier n'étant possible et craignant un coup de vent décostant, il fait creuser par des bulldozers dans le quai d'armement tout neuf deux souilles de plus de 100 m de long aboutissant à deux fosses pour y déposer ses ancres par les travers avant et arrière du Pierre Guillaumat. Je le connaissais de réputation, inventeur de la combinaison de survie, il avait plusieurs fois défrayé la chronique par ses actions d'éclat pour la faire reconnaître; quand j'ai vu tous les responsables du port de Brest sens dessus dessous, j'ai réalisé qu'elle n'était pas usurpée. Ils avaient trouvé un seigneur !
 

A bord du Penn Ar Bed je reçois une douzaine de confrères capitaines, excédés par les médias qui nous caricaturent systématiquement en « capitaines pollueurs ». C'est vrai, dix mois auparavant la catastrophe de l'Amoco Cadix avait marqué les esprits. Les lois 79.1 et 79.5 du 2 janvier 1979, promulguées pour calmer l'opinion publique très émue, furent ressenties par les capitaines comme une véritable déclaration de guerre ; ces lois prévoyaient que les capitaines, boucs émissaires désignés, jugés responsables d'infraction à la sécurité maritime ou coupables de pollution, seraient poursuivis au pénal et passibles de peines allant jusqu'à 10 millions de francs d'amendes et 10 ans de prison. A l'initiative de François Gourmelon et Jean Quéma, nous créons l'Association Française des Capitaines de Navires. Naturellement, Rigolet se joint à nous en apportant son enthousiasme et son retour d'expérience, nourri par cet embarquement sur le Pierre Guillaumat où les problèmes de construction et d'exploitation abondent.

Ni les portables ni les mails n'existent alors, mais l'organisation est efficace. Nous ne perdons pas notre temps et notre première assemblée générale constitutive se tient le 14 juin 1979 à Paris, à l'hôtel Arcade. Nous sommes 155 présents ou représentés sur les 238 annoncés, beaucoup sont embarqués bien sûr.

Naturellement, nous proposons à Rigolet d'être notre premier président car nous savions qu'avec sa notoriété, sa détermination et son charisme nous avions la personnalité idéale pour nous aider à franchir les premiers obstacles qui ne manqueront pas de se dresser devant nous. Ainsi fut fait et beaucoup grâce à lui, avec sa force morale et son expertise, l'AFCAN fut immédiatement reconnue et accueillie par le monde maritime, national et international.

Un solide bureau fut constitué autour de Rigolet. Malgré sa jeunesse, l'association s'est octroyée un président d'honneur en la personne de Georges Croisille, le premier pacha du France, ça faisait « classe » et surtout médiatique.
Trois vice-présidents : Yves Brochec, François Gourmelon et Jean-Jacques Perié.
Secrétaire général : Jean-Claude Lalitte.
Trésorier : Jean-Pierre Pollet.

Quatre secrétaires généraux adjoints furent nommés :
Organisation & développement : Jean Quéma, qui a abattu un travail énorme car il fallait partir de zéro. D'ailleurs la première adresse officielle de l'AFCAN fut à son domicile au Havre.
Pétrole/Pollution : Yves Cauchy – Paquebots/Cargo sec : Jean Ruyssen – Sécurité/Enseignement : Balandra qui malheureusement décéda peu après.
Après cette première AG, le président Rigolet a été interviewé par France Inter, Radio France International, l'Agence Reuter, FR 3 et Le Marin. Suivirent des articles dans Ouest France, Le Télégramme, tous les journaux havrais et marseillais et Le Monde.

Les collègues me confièrent les relations internationales, en particulier avec l'IFSMA à laquelle nous adhérons le 1er juillet 1979. Immédiatement son président, le captain Gronsand, écrivait à l'ambassadeur de France à Londres pour lui demander « que votre Gouvernement applique ces lois avec prudence et discernement extrêmes afin que les capitaines de navires n'aient pas à supporter les conséquences d'évènements qu'il n'était pas en leur pouvoir d'éviter. »

La lutte contre les lois « scélérates » ne fut pas notre seule occupation ; en effet cette année 1979 fut tristement marquée par une série d'accidents qui firent 92 victimes : l'explosion du pétrolier Bételgeuse à Bantry Bay le 5 janvier, le naufrage du François Vieljeux au large de Vigo le 14 février, la perte de l'Emmanuel Delmas après collision avec un pétrolier au large des côtes italiennes le 26 juin. Sollicité par les medias en quête d'explications, ou pour corriger leurs erreurs ou inepties, Rigolet fut sur la brèche sans compter son temps.

Pendant les mois qui suivirent, l'activité fut intense ; les commissions se mettent immédiatement au travail. Les délégations régionales, par leurs réunions, regroupent les adhérents qui à leur tour entretiennent l'information et la motivation. Des courriers sont adressés au président de la République, à tous les députés. Des rendez-vous sont obtenus avec ces derniers. Rigolet est présent sur tous les fronts. Il rencontre les préfets maritimes et Olivier Guichard qui préside le Conseil de la mer. Avec des collègues il rend visite aux CROSS. Car un autre avis de grand frais nous tombe dessus : la France et la Grande- Bretagne poussent l'OMCI -l'ancêtre de l'OMI - à adopter une réglementation de la navigation en Manche avec des dispositifs de séparation de trafic. Le projet, aberrant et conçu sans concertation avec les usagers est cependant adopté par la France avec une vitesse toute démagogique en oubliant qu'il faut un certain temps avant que tous les capitaines du monde soient informés. Le premier contrevenant est un collègue grec, le commandant Tzimas. Le tribunal du Havre, pour faire un exemple, le condamne à 6 mois de prison avec sursis et 200 000 francs d'amende. Plusieurs collègues furent condamnés ensuite. Nous pouvions compter sur Rigolet, pugnace et exigeant, pour faire le buzz.

Il a du temps : il vient de démissionner de la CNN où il avait servi pendant vingt-six ans. Ses relations avec son armement s'étaient rapidement dégradées après son saut dans la Seine, du pont Alexandre III devant les représentants de toute la presse nationale, pour promouvoir sa combinaison de survie et protester contre l'indifférence des autorités. C'était le 12 janvier et théoriquement il était à bord du Pierre Guillaumat !

Daniel Rigolet et Yves Brochec représentent l'IFSMA à la session du Sous-comité des engins de sauvetage de l'OMCI à Londres du 15 au 19 octobre 1979. Du 3 au 7 décembre Louis Saldo participe au Sous-comité sur le compartimentage, la stabilité et les lignes de charge.

L'AG de 1980 se tient le 29 mai à bord de la péniche du Touring Club de France à Paris. Nous sommes 204 présents ou représentés. Quéma démissionne du CA pour raisons de santé, il est remplacé par Saldo. Rigolet nous informe qu'il n'envisage pas de prolonger son mandat de président très longtemps, en tous cas pas au-delà du vote de l'amendement Lauriol à la loi 79/5 à l'Assemblée Nationale.

J'accompagne ensuite Rigolet et Brochec, à bord du HQS Wellington à Londres, à l'AG de l'IFSMA qui défendra auprès de l'OMCI le projet de l'AFCAN sur la navigation en Manche.

En septembre 1980, j'acceptai le poste de capitaine d'armement de la BAI et conformément aux statuts je me retirai du CA. J. Chennevière me remplaçait dans les relations avec l'IFSMA.

 
Mais nous sommes restés en contact et une amitié s'est vite tissée entre Rigolet et moi. Derrière l'homme public, j'ai découvert l'homme de bien, sociable et fraternel, convivial et bon vivant. Je ne sais pas quelle fut, parmi toutes ses qualités, la plus remarquable. Je ne citerai donc que sa générosité et son désintéressement. Ainsi, pour lui, la solidarité maritime n'était pas un vain mot. Parmi les exemples, je n'en cite qu'un : ci-dessus j'ai mentionné la perte du François Vieljeux. Son commandant Jean-Claude Thoreux était un homme dévasté par ce drame ; il avait perdu son navire, il avait perdu son équipage, il avait perdu son épouse. Mais surtout, son armateur le tenait pour responsable de la perte de son navire et avait fait un mémoire à charge dans ce sens.
Pour Rigolet, un homme en détresse, en mer ou à terre, doit être secouru.
Il me demande de le contacter et j'invite Thoreux à venir passer un dimanche chez moi, Rigolet et son épouse Mona furent des nôtres et nous avons fait de notre mieux pour remonter le moral de notre collègue, réconforté de pouvoir parler avec des personnes qui le comprenaient. Rigolet écrivit au préfet maritime de Cherbourg pour s'étonner du fait que le représentant de l'Etat au TMC de Dunkerque, devant lequel devait comparaitre Thoreux, était un officier mécanicien d'aéronavale, spécialité ne préparant pas particulièrement à la bonne appréciation des circonstances. Je ne connais pas la réponse de l'amiral mais Thoreux bénéficia d'un non-lieu.

C'était le Commandant Daniel Rigolet.
Jean Raymond THOMAS
Membre fondateur de l'AFCAN
30 janvier 2023
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