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Chronique d’un audit ISM
Ils sont arrivés à quatre au siège de la compagnie de bon matin. Tout était planifié, réglé, écrit. Les audités prêts à répondre mais un peu tendus quand même, en effet, chacun avait connaissance de ses points faibles vis à vis des exigences du code ISM.
La personne désignée supervisant l’ensemble comme il convient imaginait déjà le domaine des "Non conformités" et autres remarques. Et les "Non conformités" pour des raisons malgré tout fort compréhensibles, il les connaissait.
Dès la première heure il est apparu que l'audit ne se déroulerait pas comme on pouvait le penser : le fonctionnement réel de la compagnie était mal appréhendé par les auditeurs et leurs propos se situaient dans le cadre d’une inspection et non d’un audit de sécurité. Le métier de base des auditeurs reprenait le dessus, ils inspectaient le siège d’une compagnie de navigation.
Déjà le planning d’audit interpellait : le code stipule la direction au plus haut niveau, et ce niveau de direction n'a pas été audité ni visité par les auditeurs.
Deux directeurs étaient audités conjointement :
- Des auditeurs extrêmement respectueux forts polis, forts civils écoutant bien attentivement les propos des 2 directeurs qui avaient vu aussitôt à qui ils avaient affaire et avaient tout intérêt a jouer le temps, le planning. Cela a parfaitement marché, l’un des directeurs s’est absenté en plein milieu de l’audit : une réunion des plus importantes, d’où compassion des auditeurs assortie des excuses de l’intéressé et du directeur restant seul soit 10 minutes de moins pour l’audit.
- Poursuite de l’audit et reprise du monologue sur l’organisation des différents actionnaires, les répartitions etc… On évoque l’année passée : les achats, les ventes, les aspects commerciaux, le fret…. puis l’avenir : les projets à court et moyen terme avec phrases et mots qui conviennent à un directeur de société maîtrisant les stratégies financières.
- Un auditeur toujours fort respectueux se décide à poser une question, une question simple que le directeur gère admirablement en la développant, l’enjolivant et en remerciant l'auditeur d’avoir posé une question "si pertinente et plus complexe qu’on ne le pense….". Et le temps passe….
Le temps imparti est atteint et même dépassé et tout le monde se sépare avec force politesses et civilités sans vraiment avoir échangé au niveau directorial sur la sécurité, sa gestion et les moyens que la compagnie met en œuvre pour l’améliorer.
L’audit de la Personne Désignée a constitué un temps fort du programme.
- En effet les auditeurs se trouvent face à l’audité qui doit être en mesure de fournir : les sacro-saintes procédures du S.G.S, puis tous les documents collatéraux que constituent les rapports de mer, d’avaries, d’accidents, de presque accidents, comptes-rendus et autres certificats, attestations etc… La totalité pesant plusieurs kilos et représentant quelques milliers de pages même si l’informatique constitue une aide non négligeable. Ce n’est pas toujours du goût des auditeurs qui préfèrent le papier. Le côté tactile est important.
- Cette fois la durée programmée de l’audit est deux fois plus longue que celle prévue avec les directeurs et les auditeurs observent avec gourmandise les documents disposés dans une spacieuse salle de réunion. On ouvre classeurs, chemises et sous chemises, on se passe des documents avec quelques commentaires à voix basse, on interroge la personne désignée sur un événement, une situation dont l’un ou l’autre des auditeurs a pu avoir connaissance…
- Sur ces notes de service qui valide ? quelle date ? comment ? suivi des actions ?
- Vous ne répondez pas précisément au code, que comptez-vous faire ?
- L’organigramme ne mentionne pas la présence de Mr X……, il n’est pas à jour.
- Tel événement certes, vous avez un rapport de mer, vous avez pris des actions correctives mais cela n’est pas conforme à la procédure de signalisation des anomalies…. Vous nous présentez une vingtaine de fonctionnement d’appareils et d’équipement en marche accidentelle, pas mal, mais ce n’est pas ce que le Code demande ….etc…
Il se créé une émulation entre les auditeurs et il faut à la Personne Désignée beaucoup de maîtrise et de patience pour répondre avec courtoisie aux questions qui fusent et souvent reflètent la méconnaissance du métier.
Le temps imparti est dépassé … Pause déjeuner.
Reprise en début d’après-midi avec le Service Technique. C’est un directeur qui a de l’expérience et a déjà subi audits, inspections, vettings en quantité.
- Beaucoup de classeurs dans les armoires, le P.C. est en route sur le bureau. Les auditeurs prennent place autour d’une table nette de tout document, le directeur technique d’une voix suave demande la nature de l’audit, ce qu’il peut faire….
- Allées et venues, recherche de documents, appels téléphoniques, visualisations sur écran, arrivée d’un ingénieur d’armement, puis de la secrétaire créent un mouvement sous les yeux des auditeurs qui ne saisissant pas la situation assistent en spectateurs et ont beaucoup de mal à récupérer la conduite de l’audit.
La journée se termine après une nouvelle audition de la personne désignée : beaucoup de prises de notes et de questions qui en fait seraient plutôt destinées aux directeurs de département. En revanche certains points fondamentaux du S.G.S. sont ignorés, pourquoi ? propos gênants ?, trop techniques ?, crainte de découvrir des questions qui fâchent la haute direction ?
Le lendemain les personnels de l’armement et d’autres services sont audités. Les questions sont un peu plus pertinentes et montrent qu’une connaissance relative du fonctionnement de la compagnie a été perçue la veille. Mais dans l’ensemble le personnel est déçu, il s’attend à avoir en face de lui des professionnels compétents, ayant les idées claires sur l’organisation d’un armement.
Le personnel attend de bonnes questions : il espère que dysfonctionnements et anomalies soient mis en exergue. Ce n’est pas le cas. Il y a une perte de crédibilité des auditeurs, de la part des audités, qui s'étendent sur des détails et provoquent, dans leur recherche forcenée de l’écart, la déstabilisation de la personne.
Au cours de cette deuxième journée l’audit d’un chef de service a été le point d’orgue de ces journées en matière de manœuvre – pour ne pas écrire manipulation - des auditeurs et ce avec, quelque part, leur complicité.
- Le chef de service en question a tenu l’attention des auditeurs avec sa seule façon de parler, de bouger, avec ses signes, ses griffonnages sur le paper board. Ici de nouveau le plan d’audit est oublié et l’on écoute attentivement les expériences, les projets, les études réalisées ou à réaliser, l’inévitable informatique avec ses logiciels tous plus complexes les uns que les autres.
- A aucun moment les auditeurs n’ont posé une question en rapport avec l’audit et le code ISM. Aucun document n’a été demandé, aucune procédure, les questions soulevées lors des examens de documents n’ont pas été posées.
Fin du temps imparti , merci… et bravo !
Lors de l’audit des personnes demandaient, sincèrement, ce que les auditeurs voulaient exactement tant les questions étaient vagues.
Puis est venu le moment de réunion des auditeurs qui a duré quelques 2 heures quand même.
La restitution s’est faite en fin de journée avec les inévitables remerciements conventionnels et les amabilités de rigueur.
Le résultat est dans l’absolu tout à fait honorable et l’attestation est renouvelée pour un an, cachet de l’administration, au revoir et merci.
Après ces 2 jours d’audit, on ne peut être que déçu par ceux qui sont censés nous contrôler. La sécurité, la vraie, la concrète celle de tous les jours, celle que l’on doit apprendre, répéter au pont comme à la machine, a t-elle progressé chez nos dirigeants ? Les auditeurs, qui en fait sont des inspecteurs, ne maîtrisent ni la philosophie de l’ISM ni l’audit et sont complètement désarçonnés devant des directeurs sûrs d’eux.
Par ailleurs le fait d'avoir des auditeurs jeunes qui n’ont jamais, ou peu navigué, constitue un facteur aggravant.
Le résultat de l’audit se bornait comme on pouvait s’en douter à des observations classiques : les dates, les validations, les signatures, la procédure imprécise…. alors que des N.C. importantes étaient bizarrement passées sous silence.
L’audit, surtout l’audit terre, n’est pas une visite annuelle telle qu’on la pratique à bord.On parle ici de gestion de sécurité à l’armateur, à ses représentants "au plus haut niveau", à des décideurs. Il faut évidemment parler de coûts, de budgets, de plannings etc…
Il convient donc d’être professionnel et déterminé quelle que soit la qualité et le niveau hiérarchique de l’audité.
La seule question qui vaille : "Où en êtes-vous Monsieur, à votre niveau avec la sécurité, avec l’ISM ?" n’a malheureusement jamais été posée en ces termes simples au cours de l’audit terre.
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