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L'ALASKA, c'est exquis !



       Sacha Guitry, amateur de bons mots et aussi «publicitaire» à ses heures de détente, avait trouvé avant guerre le slogan idéal pour définir et vanter les délices d'Eleska cette marque de cacao en poudre très connue à l'époque : Eleska c'est exquis ! Génial, n'est-ce pas ?
Nul doute que cette formule exquise puisse être transposée comme devise marketing du 49ème état des USA, ce territoire grand comme trois fois la France et ancienne Amérique russe rachetée 7.2 millions de dollars seulement au Tsar de toutes les Russies en 1867 !
Ce n'est pas Sarah Palin, éphémère reine de beauté des lieux, gouverneur d'Alaska et colistière malchanceuse de John McCaine, qui nous dira le contraire. Oui, définitivement, l'Alaska c'est exquis !
       En ce 17 juillet 2008, à l'approche d'Anchorage par voie des airs, la nature m'en met plein la vue à travers le hublot du Boeing d'Alaska Airline. Dieu que c'est beau !



       Un dernier saut de puce vers Homer sur un petit coucou à hélices d'Era Aviation et me voilà à pied d'œuvre en attente de l'arrivée du câblier Tyco Resolute, prévue le lendemain, puis démarrer au plus vite la pose du segment 2.1 de la liaison AKORN (AlasKa-ORégon Networks) pour le compte d'Alaska Communications Systems (A.C.S). Il pleut sur Homer, mon Alaska dream se dilue dans l'eau ! Suis-je victime des clichés colportés par les lectures de Jack London affirmant que «…l'Alaska est le pays où le whisky gèle !». J'avoue que je m'attendais plutôt à de la neige, même en été. Bof, de toute façon, un Brestois par définition ne craint pas un léger crachin, même en plein mois de juillet ! Question d'habitude et de toute façon, comme dirait Olivier de Kersauzon l' «amiral» breton le plus médiatique : «la pluie ne mouille que les cons !» (sic).

       Le comité d'accueil est fort heureusement au rendez-vous. Pas de colliers de fleurs, il fait frais, mais sous un parapluie un large sourire réconfortant illumine le visage d'une figure des câbles sous-marin qui m'attend : le Saint Pierrais Gus Dodman m'accueille les bras ouverts. Je ne vois que lui parmi les Alaskiens autochtones, Aléoutes et Inuits, mélangés à des hordes de touristes nord américains, venus taquiner le silver salmon, le halibut de 400 livres (au moins…) ou tout bonnement sur place pour faire un safari photo avec pour guest star, bien sûr, la baleine à bosse et accessoirement le tout venant de ces contrées lointaines, tel que les loutres de mer, grizzlis et autres orignaux.

       Sans oublier, en toile de fond, la majesté des glaciers qui se jettent dans la mer et les îles volcaniques éparses prolongeant la péninsule de l'Alaska. Dire que James Cook, à bord de son Resolution en 1778, effectua son troisième et dernier voyage tour-du-mondiste, le hissant dans ces lieux hostiles mais d'une beauté à vous couper le souffle, traversant même le détroit de Behring, à la recherche du fameux passage du nord-ouest. Au retour de ce périple, l'escale d'Hawaï lui fut fatale. Triste fin d'une vie aventureuse bien semblable à celle de notre compatriote Jean-Yves La Pérouse sur la mystérieuse île de Vanikoro.
       Notons qu'à quelques années d'intervalle, ces hardis et illustres capitaines découvrirent, à bord de l'Endeavour pour James et de l'Astrolabe pour Jean-Yves, l'australe baie de Botanie où Alcatel eut la bonne idée de «planter» une usine à câbles plus de deux cents ans plus tard. Les marins du Vercors puis du Fresnel de France Telecom Marine fréquentèrent assidûment ces lieux chargés d'histoire. Souvenirs souvenirs !

         Revenons à l'Alaska après cette dérive australienne au delà du tropique du Capricorne, si chère à nos coeurs. Le décor est planté du côté de Homer, dans le Nord, le Norrrrrrrrd : Tout y est beau, calme, originel. J'admire. Je suis mon guide qui est là pour superviser la pose et l'ensouillage du câble dans Cook inlet au moyen d'une barge en finition à Homer : pose terrestre à travers la presqu'île puis ensouillage de Nikiski vers Anchorage. Un sale coin, ce cul de sac où s'aventura le capitaine Cook, du fait des faibles profondeurs balayées par des courants de marée à folle amplitude, alternatifs et violents.
       Pour fêter nos retrouvailles, nous nous engouffrons dans le bar «The Lighthouse», plus communément appelé le Salty dawn saloon, qui n'est autre qu'un vieux phare en bois désaffecté mais pas désinfecté d'odeurs de tabac et de bière forte. Il offre la particularité d'avoir ses murs et plafonds tapissés de billets verts de 1 Dollar. Chaque Buck devant être signé du généreux donateur pour éloigner le mauvais sort. Je sacrifiais à la coutume pour mettre tous les atouts de notre côté à la veille de cette difficile campagne qui s'annonce sur le papier. AKORN commence notamment par l'ensouillage de 326 kilomètres dans des fonds hostiles, rabotés et endurcis par le passage des glaciers et icebergs, il y a quelques milliers d'années, abandonnant dans leur fonte des champs de boulders.
Bel amuse-gueule à moins que ce soit le plat de résistance de la pose…

       Mais pour l'instant, place à la détente. Sympathique cette soirée. Gus et moi, nous refîmes le monde en commençant par celui des câbles sous-marins. Il y avait du boulot…nous remémorant le bon vieux temps, ces moments forts vécus en commun comme cette fameuse réparation en septembre 1979 du fragile et cassant câble analogique La Havane-Key West à bord du Marcel Bayard, ayant un « marquis » pour capitaine, L-C Mertz et Joseph Levrel pour chef de mission. Pourtant au mieux de sa forme notre vaillant câblier eut bien du mal à contrer la force naissante et puissante du Gulf Stream.
       Une bonne nuit courte mais réparatrice effaça, en partie seulement, le décalage horaire et les abus de houblon de la soirée.



       A l'heure du petit déjeuner le Tyco Resolute, et non le Resolution de James Cook…, fait une entrée remarquée dans la baie Kachemak, de retour d'un "Pre-Lay Grapnel Run" de 10 jours sur le tracé du câble à ensouiller. Il jeta l'ancre à quelques encablures du Spit de Homer. Cette jetée naturelle s'avance dans la mer sur 5 kilomètres. Digue remarquable, particulière car très basse sur l'eau. Elle fut balayée en 1964 par un tsunami consécutif à un tremblement de terre sous marin de magnitude 9.2, poussant vers le rivage et la ville d'Homer une vague scélérate et destructrice de 8 mètres de haut. Cette menace sismique en épée de Damoclès ne semble pas inquiéter outre mesure les patrons, employés des bars et restaurants de fruits de mer qui se sont installés à son extrémité, ni les caravaniers en camping-cars, pêcheurs occasionnels qui ont pris leurs quartiers d'été pour assouvir leur passion.

       J'observe un long moment le nouveau venu au mouillage. Il a une silhouette un peu curieuse, avec pour particularités ses deux petites cheminées ramassées derrière le bloc aménagements et la passerelle, elle-même plantée au milieu du navire. Vent arrière, il doit falloir bien fermer les portes de la passerelle pour la rendre étanche aux gaz d'échappement ! Étrange design.
Il me tarde de le découvrir.

         Auparavant le Tyco Resolute avait traversé le Pacifique Nord en deux petites semaines, à allure économique, suivant une orthodromie presque parfaite l'amenant à frôler les îles Aléoutiennes.
Au pays du soleil levant il avait chargé de 2.900 kilomètres de câbles et ses réserves de la liaison AKORN à l'usine Hitachi proche de Kuji. Seul le typhon Nikra vint troubler la routine nipponne bien ordonnée des 18 jours de chargement, obligeant le navire à appareiller et gagner le large durant 36 heures, le temps que le météore taïpheng change de route et s'éloigne définitivement des côtes.

       Une barcasse me mena à bord à grande vitesse. L'imposante masse de ce câblier de 140m de long me plût au premier coup d'œil, avec ses daviers tout à fait impressionnants. Le pavillon bien coloré et ensoleillé des Îles Marshall flottant à la poupe, m'intrigua, avec Majuro pour port d'attache. Ma foi, contraint et forcé, il faut s'adapter. C'est la mode maritime actuelle. Il y a eu mieux mais il y a plus !

       Pas de philippin à la coupée mais un matelot péruvien au teint cuivré, il me souhaite la bienvenue avec un large sourire.
       A bord 57 marins. Tout l'équipage ou presque est hispanique et sympathique. Les officiers et les membres de l'équipe charrue sont espagnols. Nombreux sont les Galiciens, anciens de Temasa, avec pour commandant Alejandro Toimil natif de Vigo, qui fut en d'autres temps seul maître à bord (ou presque) de l'Ibérus, ce vieux ferry RO-RO transformé en un surprenant câblier. Le Chef de Mission est Guido Bonaccorsi, sicilien d'origine, vivant en Espagne. Le second capitaine, José Manuel del Castillo, est Madrilène, le seul francophone du bord, ce qui mérite d'être signalé… Notons aussi qu'il embarqua en tant que représentant client sur le Léon Thévenin en mars 2008 lors de la réparation du câble TGN Western Europe (Highbridge Somerset/UK - Urdiliz/Bilbao). Son séjour à bord lui laissa manifestement un bien agréable souvenir. Il m'en parla maintes fois dans la langue de Molière, vantant les mérites de sa cuisine…et du savoir faire câblier de son équipage sous la houlette de Pascal Auffret (chef de mission) et de Robert Poirier (Commandant). Les matelots du Tyco Resolute, une partie des jointeurs et du service restaurant ont été recrutés dans les Amériques centrale et du Sud, principalement au Pérou.

       Il fut lancé en 2002 au chantier Keppel de Singapour sur plans et design Ulstein. Une série de six câbliers identiques, «Classe Reliance», fut construite entre 2001 et 2003 dans ce même chantier pour le compte de Tyco. Hélas, cette flotte de câbliers poseurs prit la mer à la pire époque du moins en ce qui concerne les poses de câbles sous-marins.

       Le Resolute appareilla donc pour l'Uruguay où il séjourna 5 années, à Montevideo, pour la plus grande joie de son équipage !…Avec au menu, une sortie annuelle (en moyenne) pour réparer un câble en Atlantique Sud ou au large des côtes Chiliennes au delà du cap Horn. Pas étonnant que les équipages, après avoir connu le paradis sur terre, selon leurs dires, n'aient de cesse que d'y retourner, se remémorant à chaque repas cette époque grandiose. Que de regrets exprimés durant ces conversations avec moult sanglots dans la voix, surtout quand la vieille charrue embarquée faisait des siennes sur les fonds rocailleux, rallongeant à n'en plus finir cette campagne AKORN !

       La visite du bord me confirme que le Resolute est un navire spacieux et robuste. Vu sa taille on s'en doutait un peu mais tout géant a forcément ses faiblesses, son talon d'Achille. La perfection n'existe pas encore dans les flottes câblières existantes. A moi d'en découvrir les défauts.

         Certains sont visibles au premier coup d'œil, les erreurs de conceptions sont nombreuses et semblent avoir été copiées sur les 6 navires de la série, du moins d'après ce qui m'a été rapporté. Ce qui arrive couramment dans bon nombre de flottes câblières quand on n'a pas jugé utile de demander l'avis des utilisateurs...

       Faisons l'inventaire. Tout d'abord quelques aberrations : les trois grandes cuves à câbles ont leurs sorties à plat pont, ce qui est surprenant, pas pratique et dangereux pour le personnel, obligeant le répéteur «on the move» dans la goulotte à «grimper» une côte à 45° à l'approche de la machine linéaire de pose (20 paires de roues ODIM à tribord). Cette dernière est de plus tournée dans le mauvais sens par rapport aux deux tambours de réparations (ODIM Kley France) situés à bâbord. Pas facile de transférer le câble de la LCE (linear cable engine) vers les tambours !
       Notons aussi que sur le pont de travail, la salle de jointage est située sur l'avant du milieu du navire, par le travers de la cuve 2, à plus de 80 mètres des daviers ! Bien trop éloignée de la plage arrière en cas d'épissure finale par petits fonds par exemple, quand il est nécessaire que la boucle soit la plus courte possible. Quelle drôle idée !

Deux autres mauvaises surprises m'attendent lors de ma première visite de cette plage arrière :
- Tout d'abord la découverte du dynamomètre situé à toucher le réa du davier de la machine linéaire ! Cette étrange localisation laisse augurer une mise à bord difficile de la charrue par manque de place évident et surtout oblige à des manœuvres surprenantes et dangereuses pour sa mise à l'eau. Ce qui fut confirmé lors des premières manœuvres : avec effarement je vis le personnel se déplacer sans crainte sous la charrue hissée par le portique, pour aller bosser le câble ou enlever la bosse !
  - Quant à la charrue embarquée qui allait sillonner le plateau continental alaskien, deuxième déception : c'est l'Arado Uno. La charrue de l'Atlantida, qui aurait mérité de terminer ses jours depuis longtemps au musée Tyco de Morristown (New Jersey- USA). Ce vieux modèle, premier du genre chez SMD me parut bien léger pour affronter le dur terrain semé d'embûches qui nous attendait tout au long de ces 400 kilomètres d'ensouillage répartis en deux phases, sur les plateaux continentaux de l'Alaska et de l'Oregon. Fort heureusement elle survécut. L'ombilical de la première génération avec ses flotteurs à gréer tous les 8 mètres me laissa pantois ! Combien de fois n'ai-je pas eu de frissons dans le dos en voyant des paquets d'algues géantes décrochées du fond lors de la dernière tempête, défiler le long du bord et manquer de se prendre dans les ballons.        Nous eûmes de la chance. Il est vrai qu'une vierge trône à la passerelle : la Santa Virgen del Carmen, fêtée le 16 juillet en ce début de campagne alaskienne. Patronne des marins, elle veilla sur ses protégés tout au long de la pose, écartant le mauvais oeil. A tel point que l'on cassa plusieurs fois la charrue mais, à aucun moment, le câble optique ne fut sérieusement endommagé nécessitant un joint. Ce qui fut une belle prouesse, que dis-je une performance ! Un "very good stuff", ce câble Hitachi.

       Regrettons tout de même que ce câblier moderne n'ait pas disposé d'une autre charrue, plus lourde de type Rock Plough, digne de son époque qui aurait permis un meilleur ensouillage dans ces fonds particulièrement difficiles. Mais le Resolute avait-il la force de traction suffisante pour tirer la "sea plow" à plus de 100 tonnes dans des conditions normales, praticables, lors de temps venteux et de forts courants alternatifs ? Rien n'est moins sûr. Le bollard pull (force de traction) sur ses deux hélices azimutales arrière (3.100 kw chacune) ne dépassant pas 90 tonnes avec, pour tenir le cap et la route, seulement deux propulseurs transversaux à l'avant dont un azimutal et rétractable. Ce propulseur, Ulstein de 1.700 Kw, pouvait aussi fonctionner en tunnel en position relevée.
       Ces faibles forces motrices étaient bien insuffisantes pour des poses «tous temps». Regrettons que la plupart des géants des mers câbliers construits récemment souffrent d'un manque de puissance congénitale. Sans doute pour la même raison que celle énoncée plus haut…

       De toute façon, dans le cas présent, le constructeur avait imposé contractuellement de ne pas tirer à plus de 40 tonnes sur la vieille charrue Arado Uno ! De plus, le treuil de remorquage ne pouvait endurer plus forte traction, dévirant fortement à chaque pointe de tension supérieure à 50 tonnes…Des faiblesses qui laissent rêveur. Je regrettais amèrement le temps béni en Corée sur FNAL où l'Ocean Challenger, ce câblier norvégien de petite de taille mais «Maousse – costaud», tirait la charrue à 130 tonnes avec son bollard pull de 150 tonnes !

       Toujours est-il que le 19 juillet à l'aube nous quittâmes le mouillage en baie d'Homer pour nous positionner deux heures plus tard en épissure initiale par 16 mètres de fond à marée basse à 4.100 mètres du rivage. Le joint sur les 4 paires de fibres du câble double armure, est terminé le lendemain à 13H17 et la charrue au fond à 17H30. La vitesse de progression restera faible, very slow going, rarement au delà de 0.2 noeuds, (eh oui, la vitesse au DP était exprimée en nœuds alors que les longueurs étaient en mètres. Comprenne qui pourra !). Les fonds sont coriaces, les 1,20 mètres de profondeur d'enfouissement contractuelle sont plus que difficiles à atteindre. Vu nos petits moyens, à l'impossible nul n'est tenu.

       Les incidents sur le treuil et la charrue se multiplient mais le câble téléphonique tient et ne rompt point. La campagne s'allonge, fort heureusement l'excellente nourriture calme les esprits chagrins. Certains, il est vrai, approchent des trois mois de bord.
         Pour se distraire et bien que la pêche soit interdite sur un câblier (ce qui est méconnu…), certains mirent une ligne et son hameçon dans ces eaux poissonneuses : de belles prises de saumons argentés (une trentaine) jusqu'à 7,5 kilos, bien sauvages, viennent agrémenter l'ordinaire déjà riche en produits de la mer poissons de toutes sortes, colins d'Alaska, calamars et autres tapas. C'était un bien agréable moment que celui du passage à table. Même si le Resolute est un « dry ship ». Y a pas plus sec dans la flotte câblière ! Que d'eau, que d'eau…sans pastis !
       Le dimanche est le jour de la paella, valencienne ou galicienne, je ne sais plus, mais sans bête aux longues oreilles (cuniculus vulgaris), sur ma demande express et insistante, superstition oblige… suite à un premier incident touchant la charrue survenu juste après le premier dimanche passé en mer ! Qu'il est difficile pour un marin de prononcer, même à terre, le nom de Jeannot Lapin… Les Galiciens ne croient pas à cette superstition. Toujours est-il que c'est ce plat typique espagnol qui sert de repère hebdomadaire pour le temps qui passe, à défaut du sacro-saint apéro traditionnel franchouillard sur nos câbliers FT Marine! Sans oublier les «prouesses» du boulanger, qui, à chaque petit déjeuner dominical, faisait étalage de ses connaissances en mini mais vraiment mini viennoiserie : cinq de ces micro croissants tenaient sur le plat de la main !
La perspective d'une relève d'équipage en fin de mois rendit le moral à la troupe. Prince-Rupert au Canada fut choisi comme escale possible.

       Mais, avant la délivrance tant désirée, il fallait terminer l'ensouillage de ce tronçon puis la pose classique de 600 kilomètres avant de mouiller une bouée câble dans la zone d'immersion future de l'unique Unité de Branchement de la liaison. L'ensouillage progressait très lentement, l'Arado Uno faisait de la résistance. Deux sournoises dépressions issues du détroit de Berhing traversant le golfe d'Alaska à 30 nœuds vinrent troubler le train-train quotidien les 13 et 18 août. Deux jours d'intempéries seulement, 54 heures de WOW (waiting on weather) pour être très précis, étaient bien peu de chose finalement en 45 jours d'ensouillage. On a vu pire en mer d'Iroise et dans le Golfe de Gascogne !

       Et même si le soleil est aux abonnés absents des semaines durant, la mer resta pacifique, permettant aux «Whales Watchers»( !) en herbe lorsqu'ils étaient de quart à la passerelle d'annoncer la présence des baleines à bosse qui ne manquaient pas de nous rendre une petite visite quotidienne. Sans toutefois trop approcher notre charrue, effrayées par les ondes négatives de notre sonar perturbant leurs chants mélodieux.

       Un énième incident sur l'Arado Uno, une fuite hydraulique, nous fit croire le 20 août en soirée que notre vaillante charrue allait rendre l'âme au fond des glauques profondeurs, tristement par 273 mètres de fond avant d'avoir terminé son job. Comble de la malchance, nous n'étions plus qu'à une vingtaine de kilomètres du but, cette fin d'ensouillage tant attendue au 329ème kilomètre.

       Déjà fragilisé 8 jours avant, lors d'un choc précédent avec un rocher et rafistolé avec les moyens du bord, le stabilisateur arrière tribord, son vérin, la roue compteuse et un bout de la structure restèrent au fond lors de la remontée de la charrue ! A l'arrivée sur le pont, le constat fut sans appel : il manquait bien la jambe arrière ! Qu'à cela ne tienne, les principaux de l'équipage ne restèrent pas pour autant les deux pieds dans le même sabot.

 

       Leurs réactions furent rapides, unanimes et de bon sens : tout d'abord il fallait reculer le Resolute et mettre la grue de son ROV à l'aplomb de la position du Plow Up et puis, simple comme bonjour, il suffisait de mettre à l'eau le sous-marin jaune, le Triton ST 213 fabriqué par Perry Slingsby Systems (U.K). Le yellow submarine s'occupa du reste, avec rapidité et une belle efficacité. La pièce manquante fut découverte sur le fond à la première plongée du submersible en moins de temps qu'il ne faut pour le dire.
Un messager fut frappé sur le stabilisateur lors de la deuxième immersion puis relevé plage arrière après passage avant/arrière. Dix heures seulement s'écoulèrent entre le moment où l'ensouillage fut stoppé et le retour à bord du stabilisateur perdu ! La réparation et les soudures durèrent un peu plus longtemps…Comme quoi il faut toujours avoir un ROV à bord, même sur un navire de pose ! Ce n'est pas un luxe, loin de là. C'est ce qu'il fallait démontrer.

       La charrue, malmenée et secouée, rapiécée de partout, termina son martyre le 24 du mois d'août par 1.360 mètres de fond au kilomètre 329. Sauvée des eaux, elle était sur le pont, indemne, du moins entière ou presque à 01H00 du matin.

       La pose classique qui s'ensuivit s'effectua sans souci à grande vitesse avec des pointes à 6.5 nœuds ! La bouée marquant l'extrémité du segment 2.1 était mise à l'eau le 27 au beau milieu du Golfe abyssal d'Alaska, par 3.523 mètres de fond.

       L'escale canadienne de Prince-Rupert arriva à point nommé le 28 août. Des forces nouvelles et reposées vinrent à la rescousse. Pas de nouvelle charrue. Un nouveau commandant prit la barre : José Moran, ancien de l'Atlantida. Ceux qui ne débarquaient pas profitèrent de cette petite pause dans la pose pour se dégourdir les jambes et reprendre goût aux joies terrestres. Plaisirs limités à quelques bars et un casino pour les 12.000 habitants de ce petit port de Colombie Britannique.

       L'intégration de l'unité de branchement ne posa pas de problèmes majeurs le 2 septembre par 3.506 mètres de fond et sans procédures écrites s'il vous plaît….hélas ! 12 kilomètres de stub furent posés vers Juneau sur le segment 3, si jamais, dans un avenir incertain, une dérivation était posée vers la capitale de l'Alaska, peuplée de 30.000 âmes seulement soit dix fois moins que la population d'Anchorage.

       Encore heureux qu'il eut fait beau…le temps était clément, la mer belle et la houle élégante. Il s'en fallut de peu : la nuit suivante, le vent se mit à souffler à 50 nœuds en rafales !
         Comme quoi les fétichistes du bord qui avaient accroché aux «jambes» de la BU des petites culottes de femmes, trophées souvenirs d'escales passées en Uruguay ou ailleurs, avaient eu le nez creux et choisi le bon remède ou grigri pour retarder le mauvais temps.
       Notons que cette unité de branchement, «fit la Paimpolaise» comme il se doit une fois débordée au davier, en écartant largement ses jambettes… J'eus beaucoup de mal à expliquer aux Espagnols le pourquoi de cette expression imagée et érotico-câblière bien bretonne !
       Autrefois délicate, cette manœuvre de déploiement est devenue routinière sur tous les navires câbliers tissant leurs toiles de câbles autour de la planète. Tout comme le fut en son temps la mise à l'eau d'une charrue ou son relevage.
       La pose classique du segment 2.2 reprit à grande vitesse vers le point de mise à l'eau de la bouée sur le site de l'épissure finale. Seize répéteurs se suivirent et se ressemblèrent, débordés au davier tous les 110 kilomètres, forçant le Resolute à ralentir à 1,5 nœuds et 3,5 noeuds pour le passage des boîtes de jonction. A l'aide du système de navigation intégré Winfrog, les quatre surveyors se chargèrent de placer ces engins au bon endroit sur le fond avec le mou idoine.

Fin de pose le 10 septembre et mise à l'eau de la bouée à 170 kilomètres des côtes d'Oregon.
       Nous fîmes route aussitôt vers Florence pour attaquer le PLGR sur le plateau continental au départ d'Haceta beach. Pas de câble militaire «unknown cable» à venir troubler cette fois-ci notre ratissage du fond constitué de sable, dense à très dense par endroits. Seuls quelques casiers à crabes furent accrochés et remontés à bord puis rendus aux pêcheurs dès le lendemain à l'escale d'Astoria, port situé à l'entrée de la Columbia river où eut lieu le pre-lay meeting avant le lancement de l'atterrissement. Réunion qui me permit de faire la connaissance de Jacky Melro d'AXIOM, représentant client à terre pour ce qui concernait les mesures.

       Aucune intervention de chantier local n'était prévue pour renforcer notre charrue mal en point. Ça passe ou ça casse, telle fut la devise choisie par Tyco. Alea jacta est. Et advienne que pourra pour cette dernière étape ! Le 14 septembre à l'aube, une brume à couper au couteau sans vent, rend la mer d'un calme olympien. Le Tyco Resolute se positionne à 100 mètres du bore pipe ou Sea HDD (Horizontal Directionnal Drilling). C'est un tuyau de forage, de 3,75 pouces de diamètre intérieur, dont l'extrémité a été enfouie quelques jours auparavant par des plongeurs et dans lequel doit se faufiler notre câble d'atterrissement pour éviter cette zone de déferlement de la houle du Pacifique se brisant en magnifiques rouleaux à l'approche de la plage. Un nouveau type de lancement d'atterrissement que je ne connaissais pas, plus simple que l'habituel, et fonctionnant merveilleusement bien. Sans vaseline et en deux heures de temps les 1.600 mètres de Light Weight Armour cable furent virés à terre dans le tube par un treuil à proximité de la Beach manhole. Le joint plage terminé et la charrue chargée du câble double armure fut mise à l'eau dans la nuit du 14 au 15 septembre par 22 mètres d'eau.

       Les mêmes causes produisant les mêmes effets, notre charrue qu'il fallait ménager, ne fit pas des prouesses dans ces terrains pourtant plus meubles qu'en Alaska.

       Deux représentants de l'OFCC (Oregon Fishermen's Cable Committee) étaient à bord. Ces patrons de chalutiers se relayèrent 24 heures sur 24 pour surveiller la qualité de l'ensouillage, enregistrer sur le disque dur de leur ordinateur la pose et la profondeur d'enfouissement en continu, utilisant pour ce faire leur propre positionnement GPS et même un Loran C ! Les pêcheurs d'Oregon sont, il faut l'avouer, très bien organisés et défendent ardemment leurs intérêts quand il s'agit de poser un câble sous-marin dans leurs terrains de pêche du crabe d'Oregon. A chaque projet de pose le comité, composé de pêcheurs et de propriétaires de câbles, très coopératif au demeurant, s'impose pour être consulté et discuter le choix du tracé sur le plateau continental avec l'acheteur de la liaison. Un contrat scelle l'accord entre les parties avant chaque pose…

       Le 19 à 2h du matin, une alerte de tension anormale sur le câble vint stopper le bon déroulement de l'opération, l'enfouissement dépassait alors les 1.20 mètres par grands fonds supérieurs à 1.200 mètres. Câble entremêlé avec la remorque ou l'ombilical. On ne le sut jamais, toujours est-il qu'il fut nécessaire de relever définitivement la charrue à quatre kilomètres de la position Plow Up contractuelle. Au relevage trois coques non serrées, apparurent sur l'ombilical avec deux flotteurs emmêlés. Le câble quant à lui demeurant en bon état sans traces de frottement ou dépôts de graisse de la remorque. Une saine décision fut prise entre Tyco et ACS pour ne pas remettre la charrue à l'eau par ces grands fonds, surtout que nous étions alors à moins de deux kilomètres d'une zone de pêche et chalutage interdits.

       Si bien que la pose classique de près de 90 kilomètres démarra un peu plus tôt que prévu avec quelques péripéties au passage du 17ème et dernier répéteur ! Sa boucle sur le pont étant emmêlée avec celle du joint de changement de cuve…

         La bouée était crochée le 20 septembre au kp 171. L'épissure finale et sa boucle furent mises à l'eau correctement même si la manœuvre effectuée fut laborieuse (toujours sans procédures écrites…). J'ai vu bien mieux comme manoeuvre de déploiement sous d'autres pavillons avec des équipages plus expérimentés et performants… Le largueur acoustique fut déclenché à 150m du fond (2.390m) le 22 septembre à 02H00 du matin, après accord des stations terrestres au vu des bonnes mesures sur les quatre paires de fibres.

       Fiat lux ! Dès cet instant, la lumière fut et courut à très grande vitesse dans ces nouvelles voies sous la mer. Sarah Palin pourra désormais appeler son ami John Mc Cain en toute sécurité, grâce à Akorn et ses 2,6 térabits (40 millions de communications simultanées), doublant l'autre liaison existante NorthStar, rachetée tout récemment par ACS à Wci Cable Inc, câble de plus faible capacité il est vrai, 2x15 Gigabits seulement à la pose en 1999, mais qui peut maintenant être upgradé à 2x200 Gbts par la suite. Cette liaison relie Whittier à Juneau en Alaska puis Nedonna beach (Oregon).

       Le Tyco Resolute fit alors route à 13 nœuds, sa vitesse de croisière habituelle, vers Portland pour y débarquer les réserves d'AKORN, remontant de jour la magnifique Columbia river jusqu'à Swan Island. Le câblier des Îles Marshall s'amarra au poste à quai de l'américain Global Sentinel en travaux extérieurs du PLIB AKORN réalisés au large de Homer puis de Florence.

       Une fois les réserves de câbles déchargées, le Resolute appareilla pour gagner Baltimore où il était très attendu : Sa plage arrière devait être modifiée et renforcée afin d'y installer (enfin !) une nouvelle charrue (Perry Slingsby, concurrent de SMD) digne de son standing de navire câblier du 21ème siècle…
Cdt Michel Bougeard


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