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L’Europe est-elle maritime ?

Journée d’étude – 6 Septembre 2024 – ENSM Le Havre Cette journée était programmée en présentiel et en distanciel.

L’accueil a été fait par Mme Gersende LE DIMNA, enseignante, Responsable des relations internationales et des partenariats académiques, ENSM, suivi par la présentation de la journée d’étude Mr Frédéric MONCANY DE SAINT-AIGNAN, Président du Conseil d’Administration de l’ENSM : L’Union Européenne (UE) est-elle maritime ? C’est une certitude. L’UE était un antidote à la guerre, un impératif économique de reconstruction et de paix. La marine marchande, économie maritime, est une base fondamentale de l’UE : construction navale, ports, flotte stratégique. L’ENSM a une vocation européenne évidente avec des enseignants et des élèves venants de Hongrie, Norvège, Roumanie, et prochainement l’adhésion à l’IAMU (International Association of Maritime Universities).

Ensuite, Mr Florent SAINT MARTIN, conseiller municipal du Havre chargé du littoral, vice-président de Le Havre Seine Métropole, vice-président du département 76, a pris la parole pour rappeler que toutes les 5 secondes, 10 tonnes de marchandises entrent dans le port du Havre, soit 80 millions de tonnes par an. Le Havre a été créé en 1517 par François 1er pour être un port. La mer fait partie intégrante de la ville, largement tournée vers la mer et la Seine. L’Europe est-elle maritime ? Au lendemain des élections européennes, on peut dire que la campagne électorale a ignoré la politique maritime au cours de tous les débats qui ont précédé les élections. De même, Mme la Présidente de la Commission Européenne a limitée l’aspect maritime et portuaire dans son discours devant le Parlement Européen à peu de lignes, principalement sur la lutte contre la drogue et l’insécurité. Cependant, l’Europe est maritime d’un point de vue géographique, historique, économique, et stratégique. Mais on peut dire qu’aujourd’hui une partie des Institutions Européennes, des Etats membres, ceux qui font les lois ne considèrent pas que l’Europe, aujourd’hui, est encore trop tournée vers la terre.

Dans une vidéo enregistrée, Mr Stéphane RAISON, ancien directeur général et ancien président du directoire du grand port fluviomaritime de l’axe Seine, HAROPA PORT, parle du lien entre la formation maritime et les ports, essentiel puisque sans services portuaires, sans pilotes, sans remorqueurs, sans lamaneurs, etc., sans navires, il n’y a pas de ports.

La France, deuxième espace économique ZEE dans le monde, est très en retard en matière de ports et de maritime. Moins d’emplois que dans le nord de l’Europe, et faire venir des navires à Rotterdam pour alimenter Rungis n’est sans doute pas la meilleure solution. Pourtant on a des ports et des compagnies maritimes en France. Haropa port est le plus grand fluviomaritime du monde, et la cérémonie d’ouverture des JO, sur la Seine, a vu, parmi les 85 bateaux fluviaux qui ont transporté les délégations, une trentaine des bateaux verts, hybrides ou électriques.

L'ENSM doit contribuer à cette ambition de décarbonation, grâce à sa capacité à former des professionnels aux métiers internationalement reconnus, à travers une formation d'excellence, et une compétence que tous les étudiants ont construite au fil des années, et qu'ils continuent d'accompagner le mouvement de transformation maritime, comme les nouveaux carburants.

Parmi les cinq premiers armateurs de porte-conteneurs mondiaux, quatre sont européens, un seul est chinois, idem pour le câble et l'offshore, métiers de demain pour les étudiants de l'ENSM.

Les ports d'outre-mer permettent à la France de disposer de la 2e ZEE au monde, des territoires d'outre-mer idéalement situés dans l'océan Indien, les Caraïbes et le Pacifique. Il faut utiliser ces points d'appui pour que la France rayonne : participer à une pêche durable, mesurée, calibrée ; observer les fonds marins ; assurer la défense à l'échelle de ces territoires ; lutter contre les trafics de toutes sortes. Il faut penser le développement des ports et des territoires d’outre-mer de manière différente et dense. Il faut optimiser l'utilisation de l'espace, qui sera utile aux ports européens, en empilant les entrepôts plutôt qu'en les étalant. Ce sont des défis à long terme pour tous les acteurs régionaux dans la réalisation du développement durable.

AXE 1 : La marine marchande dans l’économie européenne.

  1. L’Europe maritime, combien de divisions ?

    Modérateur : Mr Louis GUÉDON, officier monovalent pont navigant chez VShips.

    Question à Mme Isabelle RYCKBOST, Secrétaire générale ESPO (European Sea Ports Organisation), en vidéo de Lithuanie : Quel rôle peuvent jouer les ports européens ans la ré- industrialisation de l’Europe et sa souveraineté ?

    Le port, facilitateur de commerce, ne crée pas le trafic. Ce qui fait que la Chine est tellement importante en Europe, c’est notre modèle européen de production, d’importation et de consommation.

    Dans le contexte géopolitique actuel, il faut protéger les infrastructures stratégiques telles que les ports. En Europe on discute d’un nouveau cadre pour contrôler les investissements étrangers afin d’éviter que les infrastructures stratégiques soient ou deviennent co-contrôlées par des pays étrangers, non pas pour raisons commerciales mais pour raisons géopolitiques. Protéger nos ports, ce n’est pas dire les fermer à certains investisseurs. C’est à l’UE et aux gouvernements nationaux de soutenir et de protéger ses infrastructures portuaires, de les montrer forts et compétitifs, de prévoir de l’espace pour l’évolution des ports, question de permis et de budget, avec des investissements venant du secteur privé, comme par l’investissement public.

    Question : On voit bien qu’en matière d’économie portuaire, de positionnement géographique et concurrentiel, les pays et régions ne sont absolument pas égaux. Comment les écosystèmes portuaires européens travaillent avec les institutions de l’UE pour que l’économie portuaire européenne puisse favoriser le développement économique de ses ports ?

    Le système de gouvernance des ports est différent suivant les États membres. Ce cadre respecte cette différence. La Commission est en train de faire un rapport sur sa mise en œuvre, et on y note beaucoup de progrès. Désormais, on est dans une autre dynamique : l’intégration des armateurs vers l’arrière pays, les terminaux, le rail. Les ports ne sont plus juste des points de multi modalité liant le maritime avec l’hinterland, ils sont aussi des hubs d’énergie, des zones industrielles, des zones d’économie. L’Europe oblige les ports à être des entreprises normales, et en même temps occuper des fonctions d’intérêt public : verdissement, transition

    énergique, mais aussi se préparer, militairement, à être le point logistique d’urgence en cas de crise politique.

    Question à Mr Jean-Marie DUMON, Délégué général adjoint, délégué défense et sécurité GICAN : Quel est l’état aujourd’hui de l’industrie navale française et européenne ?

    En France la filière industrielle navale a une dynamique positive puisque entre 2022 et 2023, l’évolution du chiffre d’affaires a été de plus 14%, avec une augmentation d’emplois directs de 8%. Il y a de grands groupes qui tirent tout le secteur avec des entreprises moins connues et de toutes tailles, mais toutes indispensables à l’industrie navale, y compris la filière de déconstruction navale.

    En Europe, l’industrie navale est performante parce que capable de produire tous les navires possibles, les plus complexes et tous les équipements et systèmes dont ces navires ont besoin. C’est 300 chantiers navals, plus d’un million d’emploi directs. C’est une industrie duale au sens où elle peut travailler sur des thématiques militaires et civiles, c’est aussi une valeur ajoutée dans le secteur des énergies marines renouvelables et également sur le nucléaire civil. L’industrie navale est au cœur d’enjeux fondamentaux pour notre souveraineté industrielle, et c’est un acteur clé de l’innovation dans la décarbonation et dans la digitalisation.

    Depuis 2023, la Chine représente plus de 50% de l’activité globale. On voit depuis les années 70 cette tendance asiatique à conserver ses parts de marché, d’abord la Corée ou le Japon, puis la Chine. Le reste du monde pèse un peu moins que l’Europe (UE + UK + Norvège). Et si on regarde le carnet de commande, pour le civil, on voit la dynamique qu’il y a en Chine, en Corée, au Japon, par rapport à l’absence de dynamique en Europe sur le sujet. C’est un constat. De plus, les chantiers chinois produisent massivement de tout. Nous conservons des marchés de niche grâce à la qualité de nos chantiers en Europe. Les USA, ayant un marché domestique au travers du Jones Act, conservent une capacité de produire des navires marchands. L’Europe est sur le marché des navires à passagers, principalement croisière. Il y a donc une diversification du carnet de commandes chinois et une spécialisation européenne qui est une qualité parce qu’on est les seuls à pouvoir développer des systèmes complexes intégrés à bord, dans le domaine militaire comme dans le domaine civil. Mais si on a une baisse de commandes sectorielle, vers quoi s’orienter ? De plus, 95% des armateurs chinois commandent en Chine, les armateurs coréens en Corée à 90%, et les armateurs européens optent davantage pour des chantiers navals non-européens, à 90%.

    Sur le secteur militaire, c’est plus encourageant, au sens, où l’industrie navale militaire européenne conserve une place de numéro deux au monde, derrière l’Asie. L’Europe conserve des positions de force dans le naval militaire, même si on observe une croissance récente de la part asiatique, passée de 25% à 45% en deux ans.

    On a une compétition géopolitique et industrielle mondiale qui voit s’affronter les USA et la Chine. Et l’Europe est au milieu. En Europe, si on investit sur les technologies vertes dans le secteur maritime ou naval, ça ne doit pas aller vers les chantiers navals chinois, sinon on aura encore tout perdu. L’Europe a la principale zone économique exclusive au monde. Nous devons donc unir nos efforts dans le secteur civil et dans le secteur défense pour continuer à produire du made in Europe.

    Question à Mr Sotiris RAPTIS, Secrétaire Général ECSA (European Community Shipowners Association : Que sont, que peuvent, les armateurs européens, à court de chantiers par rapport aux armateurs asiatiques ?

    Les armateurs européens soutiennent la transition verte de l'économie et du transport maritime et saluent l'annonce de la Commission européenne d'investir davantage dans la capacité industrielle en Europe et la proposition d'un nouvel accord industriel pour transformer le Green Deal européen en un accord industriel propre et augmenter la capacité industrielle en Europe. Il s’agit de savoir comment accroître la compétitivité européenne par rapport aux autres pays concurrents, les Etats-Unis et la Chine. Selon un rapport à paraître, il manque à l'Europe 500 milliards d'euros par an pour investir dans la transition énergétique et numérique. Nous soutenons l’approche selon laquelle nous devons consacrer davantage d’argent à la numérisation et à la transition verte. Nous soutenons qu’au moins 40 % des carburants propres et des technologies propres utilisés par le secteur maritime soient fabriqués en Europe.

    Nous devons garantir que les armateurs européens puissent être compétitifs au niveau national et bénéficier de conditions de concurrence équitables. Nous avons besoin d'une stratégie industrielle maritime européenne articulée dans le cadre de la stratégie globale européenne avec un accord industriel propre, condition première pour que les armateurs européens restent compétitifs au niveau international. Nous pourrons alors discuter de ce critère de 40 % pour la fabrication de carburants et de technologies propres en Europe. Enfin, nous devons avoir un accès adéquat au financement : investissements publics et privés et accès aux prêts.

    Nous avons également besoin d’avoir accès à une main-d’œuvre qualifiée, afin de perfectionner et de requalifier notre main-d’œuvre et nos gens de mer. Des études ont montré que nous devrons perfectionner et requalifier 800 000 marins d’ici le milieu des années 2030 pour rattraper notre retard dans la transition numérique et énergétique. Nous voulons atteindre la neutralité carbone d’ici 2050, mais nous devons déterminer d’où viendra l’argent. Il existe un lien évident entre le financement européen et la valeur ajoutée européenne. Nous avons travaillé avec les décideurs politiques lorsque la législation ETS (European Trading Scheme) a été adoptée pour garantir que de l'argent soit réservé au secteur du transport maritime - près de 2 milliards d'euros après 2030 pour la transition énergétique.

    Question à Mme Caroline NEUMAN, Adjointe au sous-directeur de la sécurité et de la transition écologique des navires DGAMPA : Pouvez-vous nous expliquer comment l’État français accompagne l’innovation maritime ?

    Il n’y a pas de réindustrialisation sans soutien à l’innovation. La France, à travers le programme France 2030, soutient l'innovation en fédérant plusieurs directions générales de différents ministères. C'est pourquoi la DGAMPA, avec le CORIMER (Comité d'Orientation pour la Recherche et l'Innovation dans les Industries Maritimes) s'est positionnée dans les comités d'orientation qui intéressent le secteur maritime. Parmi les thèmes stratégiques figurent le verdissement et la numérisation des chantiers navals et des navires. Il existe également un soutien des constructeurs français via la réglementation. Nous devons être leaders dans l’élaboration de réglementations européennes et internationales pour soutenir les industries qui construisent les équipements, les navires et les technologies de demain, par exemple l’expérimentation et l’exploitation de drones et de navires autonomes. Nous disposons de dispositions fiscales pour accélérer ce soutien à l’innovation, comme la

    dépréciation verte. Plus les Journées de l'Innovation qui permettent de mettre en lumière les technologies, les acteurs, les bureaux d'études, les projets, et tous les acteurs susceptibles de développer quelque chose qui s'inscrit dans nos politiques publiques.

    L'Europe soutient également l'industrie navale européenne à travers différents fonds dont le fonds Horizon Europe, qui soutient des projets européens en partenariat entre différents pays européens. Le secteur maritime a été inclus dans l'ETS, et la communauté maritime peut utiliser ces crédits pour soutenir des projets de décarbonation des navires. Ce nouveau fonds n'est pas identifié comme une aide d'État.

    Question à Mr Jean-Marie DUMON, Délégué général adjoint, délégué défense et sécurité GICAN : Quelles sont les perspectives de croissance pour l’industrie navale en France et en Europe ?

    Récemment, un manifeste a été publié pour convaincre les décideurs publics de soutenir la construction en Europe d'ici 2035 de 10 000 navires neufs ou modernisés, durables et numérisés, afin de relancer et accompagner la volonté des armateurs européens d'augmenter la part du « made in Europe » dans leur flotte, tout en garantissant leur compétitivité. Sans armateurs européens, il n’y a pas d’autonomie et de souveraineté à long terme. Au niveau européen, il existe le programme Waterborne, dans le cadre d'Horizon Europe, qui permet d'investir en Europe, pour atteindre le « zéro émission » du transport maritime en 2050.

    Cet appel, Maritime Industrial Strategy, se développe sur plusieurs axes, car il ne suffit pas d'investir dans l'innovation avec Waterborne, il ne suffit pas d'avoir un NZIA (Net-Zero Industrial Act) européen insuffisamment centré sur notre secteur. Aux USA, l'IRA (Inflation Reduction Act) permet aux industries établies aux États-Unis, donc de toutes nationalités, qui s'engagent à verdir leurs activités d'être éligibles à ce système de subventions, soit 40 milliards de dollars, soit 10% du total investi par l’administration, qui va aux chantiers navals américains. La NZIA ne permet pas à notre secteur d’obtenir 10 % des investissements du Green Deal. Faisons de même, protectionnisme et subventions aux activités.

    Axe 1 : Souveraineté industrielle et compétitivité. C’est l’exigence du « Made in Europe » dans les marchés publics stratégiques, ainsi que des incitations financières pour construire et rénover en Europe.

    Axe 2 : Un cadre réglementaire favorable. Il s'agit d'une législation sur l'industrie maritime et d'une alliance industrielle pour soutenir les analyses de rentabilisation et créer un cadre de réussite.

    Axe 3 : Leadership technologique. Il s’agit d’investissements continus en R&D, ainsi que de soutiens financiers et de garanties bancaires.

    Axe 4 : Une main d'œuvre qualifiée. Il s’agit de campagnes de communication, de programmes de formation et d’un bassin de travailleurs qualifiés pour recruter, retenir et développer la main-d’œuvre nécessaire.

    « Made in Europe », on peut en parler sur les marchés publics, l'utilisation des revenus ETS, l'échange de quotas d'émission. Nous avons également besoin d’investisseurs privés dans l’industrie.

    Question à Mr Sotiris RAPTIS, ECSA : Les armateurs sont dépendants des volumes de construction navale disponibles, des ressources humaines et de la capacité des ports. Quelles sont aujourd’hui les possibilités des armateurs européens ?

    Aux USA, il y a le Jones Act et ses mesures protectionnistes. Pour rester fort en tant qu’industrie maritime, la seule façon d’y parvenir est d’investir dans les technologies propres et la numérisation. Nous soutenons l’appel à une « stratégie industrielle maritime » citée ci- dessus.

    Nous devons investir plus rapidement dans les technologies propres, et pas seulement dans le financement privé. Après l'introduction des règles de Bâle, le secteur du transport maritime étant un secteur à très haut risque, l'accès des armateurs aux financements européens s'est rétréci. Un tiers des investissements des 500 milliards d'euros manquant chaque année pour financer notre transition verte et énergétique sont des investissements publics, un IRA adapté à l'UE offrirait plus d'incitations, d'investissements et d'allégements fiscaux, et augmenterait donc la capacité industrielle. Il nous faut un nouvel accord industriel spécifique à Bruxelles.

    Question à Mme Caroline NEUMAN, Adjointe au sous-directeur de la sécurité et de la transition écologique des navires DGAMPA : La transition éco énergétique des navires prend différentes formes, les armateurs privilégiant un carburant ou un mode de propulsion, les Européens sont-ils divisés sur ce point ? Et quels sont les enjeux ?

    Le commerce maritime s'inscrit dans un contexte international. Les armateurs, dans ce contexte de transition éco-énergétique, souhaitent disposer de navires dotés de technologies ou d'énergies fiables, peu coûteuses, avec une visibilité assez lointaine sur le coût de ces énergies ou le coût de ces technologies, et avec une capacité de fourniture d'énergies nouvelles et de maintenance de cette technologie répandue aux quatre coins du monde. Il est nécessaire que les États disposent d’une stratégie de développement industriel vert au niveau européen. En France et en Europe, on parle de flotte stratégique, mais cette flotte stratégique doit avoir la capacité d'être maintenue en bon état et d'être verte, et si elle n'a pas accès aux carburants verts européens en quantité minimale d'autonomie suffisante, elle ne sera pas indépendante à long terme. Il faut donc avoir une approche commune Etat/Armateur sur ce point de transition écologique, réfléchir aujourd'hui à une stratégie énergétique en Europe et faire des arrangements entre pays européens pour savoir qui prend quoi en termes de navires (tailles et types), mettre en place des partenariats au niveau technologique, la voile, les batteries, les nouveaux carburants, etc. L'UE est dépendante des énergies fossiles ; il faut également envisager de remplacer les stocks fossiles stratégiques par des capacités minimales de production de nouveaux carburants, pour disposer d'une autonomie suffisante pour les transports stratégiques.

    Question à Mr Jean-Marie DUMON, GICAN : Concernant les contraintes pour la construction navale, n’est-ce pas aussi avant tout un problème de foncier portuaire ?

    Pour réaliser la transition énergétique, des investissements massifs sont également nécessaires dans les infrastructures côtières et portuaires et dans la capacité de les développer. Cela renforce la nécessité d'une stratégie industrielle capable de se projeter dix ans ou plus, par rapport aux objectifs zéro émission, puis 2050. Nous avons les terrains pour cela, mais cela nécessite des investissements massifs, que les communautés, les investisseurs privés et le secteur mutualiste s’engagent.

    Question : Quand on voit que seulement 10 % de l'IRA va aux chantiers navals, ça ne marche pas en tant que pacte vert, ne pourrait-on pas en profiter pour créer un pacte bleu avec un pourcentage assez élevé pour les chantiers navals ?

    Pour Mr Jean-Marie DUMON, GICAN, avoir un pacte bleu, il y a l'intérêt d'une stratégie européenne pour l'ensemble de l'industrie maritime. L'objectif de 40% est ambitieux par rapport à la situation actuelle. L'UE a renforcé ses outils de défense commerciale et multiplie les enquêtes antisubventions contre la Chine, sur les véhicules électriques, les panneaux solaires et les éoliennes, mais pas dans notre secteur. Nous avons besoin d'une alliance européenne pour le secteur maritime en Europe et de réaliser des projets importants d'intérêt européen commun, dédiés à notre secteur. C’est possible et c’est le moment.

    Mme Caroline NEUMAN, DGAMPA, rappelle que si chaque pays européen souhaite avoir son propre chantier naval de plus de 100 mètres, cela risque de ne pas être utile. Et comme les fonds publics ne vont pas couler à flots dans les années à venir, il est nécessaire d'unir nos forces, également au niveau français. Qui doit développer quoi, qui doit travailler, sur quoi ? Qui doit financer quoi ? Cette stratégie européenne vise également à créer et à distribuer des technologies critiques au sein de l’Europe. Il va falloir optimiser le financement européen et travailler en équipe pour identifier où doit être construit quoi et qui doit produire tel ou tel type de carburant.

    Question : L'UE propose un certain nombre de programmes et chaque État, chaque industriel veut en bénéficier. Dans le naval civil, contrairement au secteur de la défense, existe-t-il des géants assez forts pour rallier tous les pays européens dans tel domaine ou tel pays ?

    Pour Mr Jean-Marie DUMON, GICAN, la coopération dans le domaine militaire en Europe est en cours d'un point de vue industriel depuis 2017. Il y a le Fonds européen de défense, et la stratégie européenne de l'industrie de défense qui vient d'être annoncée, où ce sera aux États membres de dire ce qu'ils veulent produire ensemble. Ce n’est pas à l’industrie de décider. Il existe déjà des projets de coopération bilatérale. Si nous perdons des marchés civils, parce que nous avons une industrie duale, à terme pourrons-nous encore produire des systèmes complexes pour les navires militaires ?

    Si l’UE n’est pas un acteur au niveau mondial, sans capacité d’exporter hors de l’UE, en raison des surcoûts intérieurs importants, cela impactera notre autonomie stratégique et industrielle, et donc notre souveraineté.

    Nous avons besoin d’une vision économique de guerre, comme d’une flotte stratégique, et donc d’une meilleure coopération. Il faut être plus efficace, gagner des parts de marché et alors, en coopérant mieux, il sera possible d'optimiser entre sites. S’il y a des projets, il y aura une réalité industrielle.

    Concernant une stratégie industrielle maritime européenne, Mr Sotiris RAPTIS, ECSA, rappelle de ne pas négliger la force du transport maritime européen, les près de 40% de la flotte mondiale contrôlée par des entreprises européennes, faisant de l'Europe un leader des chaînes d'approvisionnement mondiales, un atout à préserver. Le commerce est aussi parfois négligé dans nos discussions. En France, le rapport entre commerce international et PIB est d'environ 80 %, il est inférieur à 20 % aux États-Unis et entre 25 et 30 % en Chine. Notre prospérité dépend du libre-échange, d'autant plus que nous dépendons du transport maritime

    pour maintenir la sécurité de la chaîne d'approvisionnement énergétique, alimentaire et logistique du continent. Voyez comment nous avons réduit les importations de gaz russe au cours des deux dernières années en utilisant les navires comme terminaux flottants ; il en va de même pour la stabilité des prix alimentaires grâce au transport par bateau des céréales de l’Ukraine vers le reste du monde.

    Question à Mr Sotiris RAPTIS, ECSA : Comment l'ESCA et les établissements d'enseignement, comme l'ENSM, peuvent collaborer pour promouvoir la marine marchande ?

    Le grand défi, en discussion à Bruxelles, est qu'il faudra valoriser et requalifier 800 000 marins d'ici 2035. En collaboration avec les organisations syndicales, nous allons lancer le Forum européen des compétences maritimes le 30 octobre à Bruxelles. Nous y discuterons avec les administrations nationales, la Commission européenne, le monde universitaire et bien sûr les armateurs et les syndicats de gens de mer de ce qui doit changer.

    mer sur ce qu’il faut changer immédiatement.

  2. Quelle est la place de la flotte européenne de marine marchande ?

    Modérateur : Mr François LAMBERT, Directeur Général, ENSM.

    Question à Mr Philippe CORRUBLE, Enseignant-Chercheur Ecole de Management de Normandie (EMN) : Plus de 23 000 navires de commerce à l’échelle européenne, près de 54 milliards d’euros pour le transport maritime européen, et environ 190 000 navigants. Comment les différentes réglementations, que les armateurs européens connaissent, leur permettent-elles d’assumer ce développement ?

    Dans le secteur du transport maritime conteneurisé, trois des quatre plus grandes entreprises mondiales sont européennes. Au sein de ce système, il faut se poser la question des alliances mondiales qu'elles ont nouées entre elles pour pouvoir assurer un service régulier, jusqu'à 90% des parts de marché détenues par les trois grandes alliances mondiales, avec une très forte présence de grandes compagnies maritimes européennes. La réglementation actuelle a peut-être favorisé cet état de fait, mais ne l'oublions pas, il s'agit d'une industrie cyclique, avec des périodes de pertes.

    Les alliances. La réglementation européenne vient d'évoluer. Le secteur maritime a bénéficié d'une exemption aux règles applicables à tous les autres secteurs de l'économie et pas seulement en Europe. Une dérogation aux principales règles du droit antitrust américain et du droit européen de la concurrence puisque la coopération entre entreprises concurrentes a été autorisée, afin de satisfaire la demande sur les grandes lignes et permettre un service plus régulier. Cette réglementation, critiquée au niveau européen, ne se justifie qu'à partir du moment où elle autorise des avantages qui profitent non seulement aux compagnies maritimes mais aussi aux utilisateurs, et donc aux consommateurs. La critique est justifiée car il y a alignement des comportements, partage des compétences, mais pas d'alignement des prix. Ce qui est également critiquable : la mutualisation des systèmes d’information par la digitalisation. L'année dernière, il y a donc eu un refus de prolongation de la dérogation et l'industrie maritime a été renvoyée dans le régime général interdisant les coopérations illicites, mais autorisant les accords de spécialisation horizontale et qui perdurera donc : les alliances mondiales existent toujours. Dans ces alliances, les Européens ont une place importante. C'est

    bien, mais attention, les USA sont aujourd'hui bien plus offensifs que les Européens à l'égard de l'industrie maritime, à travers des « surestaries de détention ». La Commission maritime fédérale des États-Unis est plus offensive que la Commission européenne.

    Question à Mr Antoine HANNEDOUCHE, Chef de la mission Flotte de Commerce, DGAMPA : Quel est le rôle de la Mission Flotte de Commerce dans cet équilibre fait d’alliances internationales, de flottes contrôlées, mais aussi de flottes en propre ?

    Le rôle de la Mission Flotte Commerciale au sein de la DGAMPA est de piloter une politique de développement économique de la marine marchande mise en œuvre depuis une vingtaine d'années : missions de surveillance réglementaire, un volet pour le développement d'outils économiques favorisant la compétitivité et la durabilité, un volet promotionnel du pavillon français dans ses différents registres. Tout cela ne peut se faire que dans un cadre européen très réglementé, notamment celui des aides d’État.

    La flotte commerciale est passée d'un déclin, marqué au début des années 1980, à une amélioration, évidente depuis 2000. Il était nécessaire de soutenir un secteur ayant besoin, dans la concurrence internationale, d'être compétitif, en développant un certain nombre d'outils fiscaux : en 2002, un système permettant un impôt forfaitaire sur les bénéfices et non un impôt sur les sociétés, puis des systèmes de déduction des amortissements pour l'acquisition de navires, permettant de déduire le coût des navires, un avantage pour les armateurs qui leur permet d'investir dans le défi de la décarbonation du transport maritime. Dans le système fiscal, il existe l'exonération de l'impôt sur le revenu des gens de mer au Registre International Français (RIF), une dépense fiscale permettant de maintenir l'attractivité pour nos armateurs français. Et l'exonération de cotisations patronales et salariales, un système qui permet d'atteindre une forme de salaire net et d'être compétitif par rapport aux autres pays.

    Question à Mr Alain COATANHAY, Membre du Comité des Affaires Sociales, Armateurs de France (AdF) : Est-ce-que les armateurs de France pensent que les différents règlements et le cadre européen leur permettent de développer leurs actions de flotte ?

    Nous sommes bien placés dans la marine marchande européenne, avec le transport de conteneurs, les navires de service, l'océanographie, le câble, mais aussi désormais le service de l'éolien, où les développements sont importants et attendus. Tout cela nécessite des soutiens tels que le triptyque Taxe au Tonnage, Taxe de Bail, Exonérations de charges salariales et patronales, qui permet d'aligner les coûts sur le niveau minimum de concurrence en Europe. Ces éléments doivent être maintenus. AdF travaille au niveau européen sur tout ce qui touche à la transition climatique et énergétique, afin de favoriser la disponibilité de carburants propres. Nous aimerions que les différences de prix entre les carburants propres et conventionnels soient un peu effacées par les revenus des systèmes européens d’échange de quotas. En matière de formation, nous soutenons un cadre international visant à réglementer les conditions d'emploi des gens de mer, à promouvoir le recyclage et le perfectionnement des gens de mer et à utiliser leurs compétences pour le développement de nouvelles technologies et de nouvelles normes de sécurité.

    Le financement actuel peut toujours être amélioré. Le point de départ est un financement compétitif des navires au niveau européen, en améliorant l’accès au financement via les

    banques et les marchés de capitaux, et en étant vigilant sur la taxonomie des activités économiques durables. En maintenant un commerce ouvert, afin que les tentatives de l'UE pour améliorer la sécurité économique ne se transforment pas en protectionnisme. L’UE doit continuer à garantir la protection des voies de navigation internationales.

    Question à Mr Yannick CHENEVARD, Député du Var : Le caractère souverain de la flotte stratégique est-il cohérent avec ce qui a été dit sur les besoins des armateurs, le cadre réglementaire national et le cadre européen ?

    Aujourd'hui, la Convention de Montego Bay et des réglementations telles que la liberté de navigation sont remises en question. Construire une flotte stratégique en France et en Europe passe par l'approvisionnement maritime et l'importation de matériels critiques et stratégiques. L'UE est une puissance maritime, avec 22 pays sur les 27 membres qui sont des pays maritimes. Il y a donc des ports, des marines militaires et commerciales, donc un besoin de navires et de marins formés.

    Militairement, sur cinq marines, dont la Grande-Bretagne, l'UE est puissante, voir la mission Aspides en mer Rouge et le Centre MICA, à partir duquel les flottes européennes sont en mesure d'assurer des moyens de protection. La même chose peut être dite sur le plan industriel, tactique et stratégique, en raison de l'importance d'assurer les approvisionnements dont la France et l'Europe ont besoin. Marine militaire et Marine civile, toutes deux sont combinées. Pour cela, nous avons besoin de bateaux civils, au niveau industriel, et nous avons besoin de marins, de personnes capables à un moment donné de passer d'un système à un autre ou du moins d'en comprendre les procédures opérationnelles. En France, à l'époque du service national, les officiers marine marchande servaient comme aspirants dans la marine nationale et maîtrisaient donc les procédures et la logique opérationnelle. Il faudra encourager les étudiants de l'ENSM en troisième année à avoir la possibilité de faire une année de césure dans la marine nationale pour apprendre toutes ces procédures opérationnelles. Car alors, en navigation civile, si besoin, les pratiques seront connues. Et c’est probablement la même chose à l’échelle européenne.

    L'aspect industriel, c’est d'abord un inventaire des formes de chantiers disponibles en Europe. Ensuite, c'est le recours au Service d'Intérêt Économique Général pour les financements européens qui permet directement, sans concurrence, d'identifier les secteurs d'intérêt. C'est aussi, à l'échelle européenne, le pouvoir et la transformation de l'AESM (Agence Européenne pour la Sécurité Maritime). Il n’est pas forcément nécessaire de modifier les textes et la législation, mais d’utiliser ce qui fonctionne et de le renforcer si nécessaire.

    Question : Quels types de règles sur la décarbonation, les compétences des marins ou les exigences réglementaires devrions-nous édicter, en France et en Europe, pour nous donner la possibilité de gagner des parts de marché ?

    Pour Mr Yannick CHENEVARD, Député, il y a un certain nombre de choses à renforcer, comme les capacités de l'AESM. Cela nécessite un travail de la part du Parlement européen, de la Commission et du Conseil. La France doit peser de tout son poids au sein de l’UE et de l’OMI sur la réglementation européenne et la juridiction des transports. Apporter des changements réglementaires permanents n’est pas utile, regardons d’abord ce qui existe.

    Mr Alain COATANHAY, AdF, rappelle que l'activité maritime étant internationale, c'est l'OMI qui doit être le véritable siège de l'évolution de la réglementation. Tout ce qui est régional ou national doit être évité, car la surenchère régionale ou nationale déstabilise les activités dans tout ce qui peut être fait au niveau de l'OMI pour éviter les distorsions.

    Pour Mr Antoine HANNEDOUCHE, DGAMPA, il est important de pouvoir capitaliser sur un effort législatif mené aux niveaux européen et national, pour consolider l'existant en matière de réglementation. Il existe une dynamique qui soulève un certain nombre de questions de capacité : capacité à suivre la gestion administrative et la gestion technique de ces navires ; capacité à fournir suffisamment d'officiers pour armer ces navires ; un soutien budgétaire à l'ensemble de ces mesures. Cela rejoint les enjeux stratégiques de la flotte. Mais face à la rareté des fonds publics, il faudra cibler des priorités, une consolidation quantitative et qualitative.

    D’abord, d’un point de vue réglementaire, notamment au niveau européen, c’est la décarbonation. Il ne faut pas forcément plus de textes, mais plutôt laisser le temps à l'écosystème maritime de s'adapter aux objectifs, neutralité carbone d'ici 2050 puis « Fit for 55 ». L'Europe doit s'adapter à ses objectifs, ne pas être à la traîne de ses concurrents, mais au contraire être une filière d’excellence sur la décarbonation.

    L’autre piste, c’est la concurrence déloyale. Dans l’approche de consolidation qualitative, la dimension sociale est un élément important à prendre en compte. La position de la France en Europe était plutôt de créer une initiative européenne pour aller vers une plus grande protection des normes sociales de la plupart des Etats membres, opinion qui ne fait pas aujourd'hui l'unanimité parmi les Etats membres.

    Mais que ce soit sur la décarbonation ou le dumping social, il n’y a pas que le réglementaire, il existe aussi des labels européens (tel le Green Marine Europe), des corridors verts, des initiatives largement privées. Ceci est également valable dans le domaine social.

    Ensuite Mr Philippe CORRUBLE, EMN, estime que la question européenne peut être vue sous deux aspects : interne et externe à l'UE.

    En interne, la Commission européenne a changé sa position idéologique et intransigeante sur l'interdiction des collaborations susceptibles d'être anticoncurrentielles. Il existe un règlement d'exemption modifié qui intègre cet aspect et surtout des lignes directrices pour une approche plus solidaire de l'effort de décarbonation pour les constructeurs d'un même secteur. Se pose aussi la question des aides publiques, qui s'appuient sur le budget national, qui autorise des aides de plusieurs milliards en Allemagne, ou de centaines de millions ailleurs, pour faciliter cette transition énergétique et dans tous les domaines, pas seulement le secteur maritime.

    À l’extérieur de l’UE, c’est le rapport entre la compétitivité et le respect dans la concurrence internationale entre l’Europe et le reste du monde. Il existe deux instruments. Premièrement, un règlement européen qui permet d'intervenir lorsqu'une aide publique étrangère, donc d'un État non européen, facilite l'entrée sur le marché européen de produits subventionnés et souvent vendus à un coût inférieur au prix auquel ils sont vendus sur le marché intérieur de ces États : batteries, automobiles, composants de navires. Deuxièmement, le contrôle des investissements directs étrangers, à travers une réglementation européenne qui favorise la coordination entre les États.

    Question : Les marins civils seraient amenés à devenir des acteurs stratégiques dans certains contextes, et très peu d’étudiants ont fait la PMS en deuxième année. Et ceux qui ont fait la PMS, quand ils sont réservistes, se retrouvent dans les CROSS, ils ne sont pas embarqués. Y a-t-il des travaux pour lier ces deux formations ?

    Mr Yannick CHENEVARD, Député, répond que pour cela, il faut profiter d'une loi de programmation militaire doublant les réserves, non pas pour avoir des réservistes, mais pour gagner en capacité opérationnelle. C'est pourquoi une année de césure serait de s'intégrer pleinement, en étant embarqué comme aspirant sur un navire à missions, en étant chef de quart, en réalisant un certain nombre de missions opérationnelles pour vous immerger dans le sujet. Pour ceux qui ne souhaitent pas faire l'année de césure, la PMS doit déboucher sur un ESR (Engagement à Servir dans la Réserve) utile. Les CROSS, c’est bien, mais le fait que les marins militaires puissent, en partie, transmettre un savoir-faire opérationnel est un grand atout.

    Pour Mr François LAMBERT, ENSM, la Marine nationale pourrait encourager la validation des horaires d'embarquement dans le cadre d'une année de césure. La validation des temps passés à bord des navires de la Marine Nationale complète l'expérience, et facilite une carrière dans la marine marchande. Il faut aussi travailler là-dessus avec l'École Navale.

    Un complément apporté par Mr Bastien ARCAS, Président de l'association HYDROS : de 2012 à 2014, plusieurs élèves officiers ont validé 100% de leur temps d'élèves à bord d'un navire de la Marine Nationale. Ce précédent existe donc. De plus, la période PMS ayant disparu, il a fallu se mobiliser pour la remettre en place. Tout le monde n’a pas vocation à avoir des connaissances militaires, certains officiers n’en veulent pas du tout, mais cela existe.

    Question : Quel est la part de la taxe au tonnage sur l'attractivité du pavillon RIF, et faut-il s'inquiéter si elle est modifiée à l'avenir ?

    Question : Embarquer dans la marine nationale, c’est une décision des Affaires Maritimes. L’année de césure est prêchée depuis très longtemps. Pourquoi ça ne débouche pas ?

    Pour Mr Antoine HANNEDOUCHE, DGAMPA, la taxe au tonnage est l'un des éléments fondamentaux d'attractivité pour la flotte et les armateurs français. Elle ne concerne pas seulement la flotte battant pavillon français, mais également la flotte contrôlée par un armateur français. Il s’agit d’un élément fondamental d’attractivité pour les entreprises ayant leur siège social en France, dont les bénéfices sont situés en France. L'effet sur la flotte est en partie indirect. Il est clair que la modifier serait un signal négatif en termes d'attractivité, également en termes de relation de confiance que la France a su construire avec ses armateurs et avec les armateurs étrangers ayant choisi le pavillon français.

    Mr Alain COATANHAY, AdF, rappelle que la taxe au tonnage n'est pas un système spécifiquement français. De nombreux États en disposent, et si la France décidait de le supprimer, les armateurs se tourneraient vers d'autres solutions.

    De même, Mme Nathalie MERCIER-PERRIN, Présidente exécutive du Cluster Maritime Français (CMF), précise que si la France cesse la taxe au tonnage, cela crée une distorsion et la France se met évidemment sous un jour négatif par rapport à ses homologues européens. La

    taxe au tonnage est un produit européen, et la France ne peut s'en retirer. De plus, les ports non français gagneraient évidemment des avantages indéniables.

    AXE 2 : L’officier de marine marchande européen dans un contexte de crise ?

  3. Quelles stratégies pour satisfaire les besoins des armements européens ?

    Modérateur : Mr Thomas ROY, Enseignant construction, exploitation, sécurité et Chef du Département Monovalent Pont, ENSM.

    Question à Mr François LAMBERT, ENSM : Quelles stratégies pour satisfaire les besoins des armements européens ? Comment y répond l’ENSM ?

    Avec AdF, et grâce au soutien de la DGAMPA, nous avons formulé une série de propositions qui ont été modulées autour de trois axes principaux.

    Le premier c’est la compétitivité du pavillon : crédit-bail, taxe au tonnage, toute une série de choses qui permettent de dire que le pavillon français est un pavillon compétitif.

    Le deuxième c’est la complémentarité des différents acteurs portuaires et maritimes, des différents acteurs de la chaîne logistique, certains chargeurs se sont mobilisés. Ce fut plus compliqué dans une période économique plus difficile, certains acteurs attendaient une solidarité plus ferme, par exemple sur le vélique ou d'autres types de transports plus propres. Et le troisième c’est social et formation. Le social a concerné particulièrement le pavillon Wallis et Futuna. Pour la formation, il y avait l'ENSM dont le but était de favoriser une meilleure prise en compte des besoins des armateurs, c'est-à-dire de renforcer le nombre d'officiers formés par l'ENSM. La formation est longue, mais elle est obligatoire et doit répondre aux critères STCW, en France trois ans pour les officiers monovalents et cinq ans pour les officiers polyvalents. Nous ne pouvons pas recruter 150 personnes et leur donner une formation accélérée pour devenir officiers en un an. Il faut aussi des bâtiments, du personnel, repenser les programmes, avoir un suivi pédagogique et technique. L'ENSM doublera le nombre d'officiers diplômés entre 2021 et 2027, passant de 220 à 440 officiers diplômés en 2027. Les armateurs s'y engageant, ce sont des besoins qui seront utiles pour continuer à développer le pavillon français.

    Il existe une certitude d’emploi dans le secteur du transport maritime. Il est de notre responsabilité d'être à la hauteur pour amener ce secteur cyclique à préserver cette dynamique. Il s'agit de plus de 5 millions d'euros de subventions pour charges de service public, d'une subvention pour frais d'investissement de grands travaux, et de valorisation de ressources propres : Fondation ENSM et formation continue.


    Question à Mr Rowan Van SCHAEREN, Directeur Général, Académie Maritime d’Anvers (AMA) : La pénurie d’officiers de la marine marchande est généralisée. Quel est l’état des lieux de l’emploi des navigants formés à Anvers ?

    Pour l'école d'Anvers, chaque élève, après avoir quitté l'école, est parti en mer et cela ne devrait pas changer dans un avenir proche. En Belgique, en 2022, on comptait environ 3.000

    marins naviguant sous différents pavillons. Il est très difficile d'attirer les jeunes vers le secteur maritime. Environ 80% du personnel recruté par les armateurs belges n'est pas originaire de nos régions. Ils recrutent à l’extérieur pour avoir suffisamment de personnel à bord pour armer leurs navires. C'est un vrai défi. L'un des commentaires souvent reçus par les armateurs ou les alumnis (associations d’anciens élèves) est qu'il n'y a pas de loyauté des marins. Ils naviguent en sortant de l’académie et partent ensuite à la recherche d’autres opportunités. La solution réside dans la compétitivité des armateurs par rapport aux entreprises à terre. Il y a une concurrence sur le marché, au niveau des salaires, car même au niveau européen il y a des différences, donc une concurrence intra-européenne entre armateurs pour le recrutement des jeunes officiers, sans parler de l'international. Bien entendu, nous formons dans le respect des certifications STCW, et parfois d'exigences supplémentaires, régionales ou nationales, rendant la position des académies plus dure vis-à- vis d’autres dans le monde.

    Il faut être flexible. Quand on regarde les changements, les armateurs, les procédures, les processus, nous aussi, les institutions, devons être capables de nous adapter rapidement. En outre, la reconnaissance mutuelle des certifications, même en Europe, n'est pas si simple. Il y a donc des opportunités au sein de l'UE pour promouvoir la mobilité des étudiants.


    Question à Mr François LAMBERT, ENSM : La Convention STCW, figée sur ces bases et constituant un carcan au niveau de la mobilité des formations, doit-elle être réformée ?

    Oui. Il faut réformer, c’est obligatoire. Il y a eu deux réformes majeures sur ce texte, 1995 et 2010, mais STCW ne vit pas avec son temps. Deux réponses à cela.

    La première, faire confiance, à l’intelligence des enseignants pour pouvoir adapter ce qui est une base, confiance aussi à l’inspection générale de l’enseignement maritime pour ne pas être trop sourcilleuse. Comme en Belgique, nous avons une autorité académique qui nous dit : Attention, vous allez un peu trop loin, ou pas assez loin, par rapport au programme. Il faut être vigilant par rapport au nombre d’heures de cours, par rapport au savoir nécessaire à dispenser pour obtenir un diplôme.

    La seconde, ce type de conférences dans lesquelles on veut inscrire les étudiants, pour les faire réfléchir à d’autres choses : l’Europe est-elle maritime ? Ce n’est pas au programme de STCW. Charge aux étudiants de s’ouvrir vers d’autres types de matière que la seule STCW, en allant vers des projets personnels, individuels ou collectifs qui pourraient les amener à sortir du seul cadre de la navigation. Parce que 15 ans après la sortie de l’école, 90% des étudiants ne naviguent plus. Faire autre chose, c’est à partir d’ici que ça se construit. Donc naviguer le plus longtemps possible, mais se préparer à la suite.

    Donc réformer STCW, oui. D’ailleurs il y a une réforme en cours. L’ENSM y participe, sollicitée par la DGAMPA. Il faut adapter STCW sur les formations initiales à ce que sera la navigation de demain, sur les questions de souveraineté, les drones, la télé opération des navires, les nouveaux carburants. Et il faut adapter STCW sur des formations plus courtes, sur la formation professionnelle afin de pouvoir répondre à un besoin opérationnel des armateurs. Par exemple, la compétence électro technicien prévue dans le cadre de l’électrotechnique et des automatismes, n’est pas promue dans les suites de la carrière dans la marine marchande.

    Or, certains armateurs en ont besoin. Demain cette compétence pourrait être promue si le cadrage évolue, charge à nous en interne de le faire évoluer.

    Question à Mr Alain COATANHAY, AdF : Aujourd’hui quel est le besoin des armateurs ? Quelles sont les perspectives pour 2027-2034 ?

    Une enquête en 2021 sur les projections en 2027 avait chiffré le besoin d’officier à 245 officiers polyvalents en moyenne par an, et 330 officiers monovalents sur les sept ans, même si cela ne concernait que les compagnies représentant 42% des marins du secteur.

    Nous sommes confronté à un système international avec des rémunérations minimum pour le personnel d’exécution, salaires ITF appliqués à l’international par la plupart des compagnies. Pour les officiers, même s’il existe des barèmes minimaux internationaux, il existe un marché du salaire des officiers qui va largement au-delà des barèmes. Et donc l’ensemble des aides d’aujourd’hui, exonération de charges et autres, permettent de rapprocher le coût de l’officier français du marché de l’officier européen. La qualité des officiers européens est reconnue. Le besoin c’est d’avoir des navires qui soient autonomes, par exemple des navires de service projetés au milieu du Pacifique pour des durées importantes, avec des équipements complexes à bord, et les équipages doivent être à même d’être autonomes sur le dépannage. Donc il y a un vrai besoin de qualification très importante, pas forcément identique entre les marins, les officiers européens et les autres officiers.

    Bien que l’activité maritime soit cyclique, le besoin a vocation à perdurer, à condition que le système actuel, qui l’a favorisée, soit pérenne. Et dans les périodes de faible activité sur les postes embarqués, les officiers parviennent assez facilement à se reclasser à terre.

    Question : au CV Laurent MACHARD de GRAMONT, Sous-directeur Recrutement, écoles et formation, Direction du personnel militaire de la marine, Marine Nationale (MN) : La pénurie d’officiers touche également la Marine Nationale. Quelles sont les principales stratégies mises en place pour attirer et fidéliser de nouveaux marins ?

    Du côté des officiers, il n'y a pas de problème de recrutement, plutôt une certaine stabilité ; nous sommes dans une institution souveraine. Cette année, 85 étudiants ont été recrutés à l'école navale, avec un taux de sélection de près de dix candidats pour un reçu, l'école navale faisant partie du concours commun Centrale/Supelec.

    Cependant, il y a plus de tension sur le recrutement au niveau des équipages/opérateurs. Le recrutement ne se fait pas pour les écoles, mais pour l'employeur (MN). Chaque année, nous recrutons 10 % des équipages, ce qui fait que les gens partent avant dix ans, et nous avons donc un problème de fidélisation, car ce sont des métiers exigeants pour l'organisation et la vie de famille. Nous avons développé le plan familial, l'approche indicielle des primes, prenant en compte la pénibilité, afin de reconstruire une échelle sociale qui favorise l'envie de progresser. Pour le personnel non-officier, un dispositif a été mis en place intégrant automatiquement une formation continue modulaire. Il ne s'agit pas d'une formation initiale et pendant cette période de formation, la personne reste affectée à son bâtiment.

    Au niveau des officiers, face aux enjeux technologiques de demain, il faut partager davantage, interagir davantage avec les autres écoles. La marine passera de 4 000 à 14 000 réservistes

    d'ici 2035. La réserve, c'est 10 à 30 jours par an, 3 ou 4 jours de vacances, pour le reste il faut qu'il y ait un partenariat avec les employeurs.

    Question à Mr François LAMBERT, ENSM : L’emploi maritime est toujours fluctuant. Il faut 5 and pour former un officier polyvalent, 3 and pour un monovalent, et l’ENSM a aussi développé une filière génie maritime également. Comment l’école permet-elle à tous ses élèves de trouver un emploi à l’issue de ces formations ?

    En Europe, et l'ENSM est une école dans le concert des nations européennes, les connaissances de base, STCW, doivent être dispensées de manière uniforme. Nous sommes liés à un réseau d'écoles européennes sous l'égide de l'Association internationale des universités maritimes.

    5 ans pour le diplôme d'ingénieur ne débouchent pas forcément sur un emploi, surtout à terre. La qualification principale est celle d'officier de la marine marchande. On ne peut pas faire de contrats cycliques, mais il n'y a pas eu d'impact sur l'emploi malgré les aléas du transport maritime ces dernières années. Par rapport à la flotte stratégique, les officiers de la marine marchande que nous formons sont parfois peu conscients du fait qu'il s'agit d'une école exceptionnelle, dans laquelle ils acquièrent un savoir qui n'est pas commun, et que, parfois, ils sont tentés de ne pas les utiliser à bord d'un navire. Il faut maintenir ce choix de navigation des étudiants. L'école, avec ses équipements pédagogiques et ses enseignants, doit aussi être à ce niveau.

    Le principe de la flotte stratégique fait référence à un dispositif similaire à celui de l'hôpital, loi de 2009, avec un engagement de service. Il s'agit de la création d'un vivier, pour tous types de navires, dans lequel il y aurait des étudiants formés ici. C'est pouvoir, au bout d'un certain nombre d'années, signer un engagement à servir dans ce vivier de flotte stratégique qui garantirait une gestion prévisionnelle de l'emploi et des compétences. Ainsi toutes les formations dispensées seraient suivies d’effet, avec la possibilité après l'école de s'engager à poursuivre au moins pour un temps une carrière dans la marine marchande.

    Concernant les ingénieurs maritimes, le besoin n’est pas le même, même s’il est important. Et l'ENSM n'a pas le monopole de cette formation.

    Question à Mr Rowan Van SCHAEREN, AMA : L’académie d’Anvers collabore-t-elle directement avec des armateurs européens pour adapter ses programmes de formation ? Quel type de partenariats stratégiques sont entretenus vous avec les entreprises maritimes européennes ?

    Les armateurs sont représentés au sein de notre Conseil Général et nous réalisons régulièrement des enquêtes pour garantir que nous continuons à proposer les compétences requises. La liaison avec les armateurs est essentielle, il faut les écouter, être flexible et s'adapter continuellement, avec les compétences requises par STCW. Nous rencontrons également différents clusters, et je crois que les établissements d'enseignement devraient également se rassembler pour devenir un cluster d'enseignement en Europe, les deux dernières années avec l'ENSM au niveau de la recherche et des échanges ont montré que c'est le moyen de répondre aux exigences de la communauté maritime. Il faut faire des choix financiers, et c'est en trouvant des collaborations, en travaillant, avec des institutions de très haut niveau, que nous pourrons offrir ce que demandent les armateurs. Pour sauvegarder les compétences

    maritimes en Europe, secteur stratégique, nous devons nous tourner vers les ports, mais aussi vers les établissements d'enseignement. Pour que les énergies renouvelables entrent dans l'enseignement maritime, un environnement juridique doit être créé pour les établissements d'enseignement afin de les rendre flexibles et de s'adapter aux besoins des armateurs. Les écoles sont là pour aider les armateurs européens, pour évoluer et faire en sorte que, dans dix ans, ils soient toujours les premiers armateurs mondiaux.

    Question à Mr Alain COATANHAY, AdF : Comment les armateurs français abordent cette question de l’enseignement, quel lien avec les établissements scolaires ?

    Les armateurs de France sont représentés au conseil d’administration de l’ENSM, donc il y a une participation active à l’ensemble des décisions, des avis, une participation à des groupes de travail sur les évolutions proposées par l’école, et par les armateurs. La réponse est plutôt positive. Nous avons des besoins spécifiques sur des formations qui sortent du cadre généraliste, par exemple les ETO (Electro Technical Officer). Les évolutions réglementaires font que des personnes débauchées de l’industrie en général doivent depuis 2017 avoir des formations spécifiques maritimes, STCW, qui, en France, ne sont dispensées que par l’ENSM. Après de multiples échanges avec l’administration, des formations spécifiques ont été mises en place, et il y a eu une écoute de l’école permettant de construire ces formations et qu’on espère pérennes, développées et de plus en plus adaptées à nos besoins.

    Question au CV Laurent MACHARD de GRAMONT, MN : Au regard de l’évolution de la situation géostratégique du moment, la Marine Nationale anticipe-t-elle une évolution des effectifs de façon conséquente dans les années à venir ?

    Sur l’évolution des effectifs, on essaie toujours l’évolution en absolu, d’abord un peu de mal à l’anticiper. Ce qu’on anticipe beaucoup plus, au moyen d’un bureau de pilotage des métiers, c’est l’évolution des compétences, et derrière une évolution des grades. Aujourd’hui il y a un besoin de beaucoup plus d’officiers mariniers que de quartiers maitres et matelots.

    Ces domaines de compétences : les drones, le cyber, soit des métiers qui se transforment rapidement, certains officiers mariniers experts termineront officiers, donc des statuts différents pour lesquels on doit rendre le passage attractif, argent, responsabilités, impacts sur les droits à la retraite. Le budget pour les écoles étant sur trois ou quatre ans, on ne regarde pas ce que l’on peut faire plus loin. Il faut penser, aujourd’hui, aux métiers de demain pour pouvoir avoir des gens avec le savoir faire et 10 ans d’expérience en 2036.

    Question à Mr François LAMBERT, ENSM : Jusqu’où faudrait-il monter le recrutement pour compenser ce turn over qui existe ? L’ENSM est-elle en phase avec les certifications européennes ou internationales ? Y a-t’il un réseau d’alumnis pouvant valoriser la formation française et participer aux réflexions d’optimisation ? L’ENSM est-elle intégrée dans un réseau d’universités européennes ? Existe-t-il aussi comme dans d’autres écoles d’ingénieurs un système d’apprentissage ?

    Le recrutement dépend également de la capacité et des ressources disponibles. L'option peut être donnée par les pouvoirs publics, avec un responsable de la mer au sein d'un ministère, quelles que soient les questions budgétaires. Avec un programme d'investissements multiplié par dix, nous résoudrions la pénurie qui empêche le développement du drapeau français. Avec

    une stabilité dès 2027, avec 500 officiers diplômés chaque année, il y aurait une vision à long terme pour répondre aux aspirations des armateurs français.

    La certification européenne n'existe pas car elle est internationale : convention STCW. Quant aux officiers polyvalents, peu de pays les forment. La certification n’existe pas au niveau européen, mais l’AESM s’en préoccupe progressivement.

    Réseau des anciens élèves : oui, c'est l'association HYDROS.

    Structuration européenne d'un réseau : oui, le réseau MetNET et le cadre de l'association internationale des universités maritimes, à développer.

    Apprentissage pratique : oui, les étudiants embarquent et alternent les périodes en école et en mer.


    Question : Vous parliez de s’engager, auprès de qui, des compagnies, AdF ? Aujourd’hui on choisit un type de navigation, en s’engageant serait-ce toujours le cas ?

    Mr François LAMBERT, ENSM, rappelle que cela reste une proposition. En signant, on entre dans le vivier de la flotte stratégique dont le cadre est défini par l'Etat, nombre et types de navires, et les armateurs, qui d’ailleurs ne seront probablement pas tous d'accord avec cette position. Aujourd'hui, les étudiants ont le choix en fonction de leurs préférences et de leurs expériences. Peut-être plus demain, les armateurs pouvant considérer que leur activité est stratégique, des critères liés à l'expérience ou au rang à la sortie d'école pourraient être pris en compte.

    Il y a peut-être un problème avec cet engagement à long terme. Mais tout le monde ne fera pas partie de la flotte stratégique, car toute la flotte n’est pas stratégique. Cela doit être évalué et prévu par la loi.

    Pour Mr Bastien ARCAS, Président de l'association HYDROS, les armateurs choisissent déjà, en entretien, il ne s'agit pas d'un classement de fin d'études, plutôt selon un caractère souhaité selon le type de navigation. Il n’est pas dans l’intérêt des armateurs d’obliger un officier à travailler sur son navire. S'engager sur une flotte stratégique pour 5 ans, cela garantit en contrepartie des emplois. Et cette question de visibilité à 5 ans est intéressante : 5 ans de scolarité sachant qu'au bout, il y a un boulot pour 5 ans. Cela peut aider à débloquer la vie personnelle, comme avec une banque.

  4. Le marin stratégique au centre du jeu : les défis de la souveraineté et de la décarbonation.

Modérateur : Mr Jeoire de CHASSEY, Elève Officier de marine marchande, OCQPI 2ème année, ENSM.

Question à Mme Julia TASSE, Directrice de recherche, Responsable du Programme Climat, Energie et Sécurité, IRIS (Institut des Relations Internationales et Stratégiques) : Dans quelles mesures la coopération internationale est-elle cruciale pour aborder les défis climatiques dans le domaine maritime notamment en ce qui concerne la sécurité et la souveraineté ?

La décarbonisation et la souveraineté forment une union illogique. Il est nécessaire d’analyser l’impact du changement climatique à la fois en matière d’adaptation et d’atténuation.

L'adaptation est très importante pour l'ensemble de la flotte française, militaire et marchande, elle implique d'intégrer le changement climatique comme un enjeu de capacité d'action et de maintien en condition opérationnelle. Ne pas intégrer les impacts du changement climatique sur le milieu maritime, c’est prendre le risque de faire face à des événements climatiques extrêmes imprévus et non anticipés. On sait, grâce aux modèles, anticiper l'évolution des courants, de la thermocline, du niveau de la mer, des canicules marines, et il suffit donc d'avoir des décisions économiques ou politiques, pour que l'adaptation au changement climatique soit un angle clé de la capacité de la flotte, de continuer à opérer, quelles que soient les conditions.

Atténuation, des programmes internationaux ont été mis en place pour coopérer à la réduction des émissions. La coopération autour des défis climatiques est nécessaire car le changement climatique est un problème mondial. Tous les acteurs doivent bouger en même temps, aucun acteur n'a intérêt à bouger sur les émissions si les autres ne le font pas. D’abord parce que cela coûte cher matériellement et humainement. Deuxièmement, si personne ne se prépare, nous serons confrontés à un contexte dégradé. Nous devons donc envisager d’investir davantage dans la manière de résister à un contexte plus difficile, avec des conditions de navigation plus compliquées, plutôt que d’investir dans la décarbonation.

Tout le monde comprend que la réduction des émissions est un enjeu. La question est de savoir comment procéder, avec quels outils et dans quels secteurs. La dispersion actuelle sur la législation et le cadre normatif est aussi le reflet de la manière dont s’organise la géopolitique. On arrivera à un alignement car la dynamique est en marche, on observe déjà les impacts du changement climatique, et plus on les observe, plus les pays et les secteurs les plus exposés font bouger les lignes. De même, le secteur des assurances pousse à s’adapter au changement climatique, à prendre en compte ses impacts.

La coopération internationale est cruciale ; nous avons besoin des mêmes normes, des mêmes impulsions au niveau mondial. Question de souveraineté, il faut se poser la question de la place de la France dans cet orchestre autour de la décarbonation et des normes environnementales. La France souhaite-t-elle que ses industries, son secteur privé soient à l'avant-garde et apparaissent comme un leader dans l'action lui permettant d'être en avance en termes économiques et stratégiques ? Décorréler décarbonation et souveraineté est une erreur

; il faut au contraire se poser la question de l'atout stratégique pour agir au plus vite. Et plus tôt nous agirons, moins cela coûtera cher.


Question à Mr Bastien ARCAS, HYDROS : Est-ce que les nouvelles menaces affectent la navigation ? Comment les marins peuvent-ils se préparer à naviguer ans des eaux de plus en plus chaudes et de moins en moins sécurisées ?

Il ya les impacts météorologiques mais aussi les impacts géopolitiques sur la navigation. Les routes maritimes changent, exemple actuel de Suez, et en conséquence des ports, des infrastructures qui sont moins escalés. La chute du trafic à Suez a aussi un impact climatique. Passer par le cap de Bonne Espérance en hiver austral, c’est s’exposer à des pertes de conteneurs, ou des naufrages, et la durée de la traversée est rallongée.

Comment s’adapter à bord ? En fait, et de tout temps, les marins n’ont fait que cela : s’adapter. Le marin possède un socle de connaissance, navigation, machine, etc., et en plus il

s’adapte en permanence au navire et aux évènements. Donc il n’y a pas vraiment d’inquiétude sur la capacité du marin à s’adapter au nouveau monde qui arrive. Par contre, l’attractivité du métier de marin, c’est une balance. Dans cette balance, il y a la passion, la mer, mais aussi les contraintes, à bord (conditions de travail) et à terre (famille). Lorsque ces contraintes deviennent plus fortes, des navigants partent à terre. Si ces contraintes baissent par la suite, il faudrait trouver un moyen de réembarquer ceux qui souhaitent revenir à la mer.

Aujourd’hui la sûreté est une contrainte de plus. Le métier de marin a toujours été dangereux, mais on n’en entend pas vraiment parler des accidents. Là, avec les missiles qui tombent sur des navires, on en entend parler un peu plus.

Quant à l’adaptation au changement climatique, il faudra, entre autres choses, repenser le saisissage des conteneurs, et renforcer les normes de construction.

Question à Mr Guillaume LEGRAND, Fondateur et Directeur, TOWT : On a parlé d’adaptation par rapport au changement climatique, la propulsion, et aussi d’avance stratégique. Est-ce que les cargos à voile peuvent contribuer à la souveraineté économique et énergétique des nations ?

On parle du réchauffement climatique comme s'il s'agissait d'un phénomène complètement exogène au maritime. Mais une partie de ce réchauffement, même minime si l'on ne parle que du CO2, vient du transport maritime car les déplacements sont gigantesques. TOWT exploite actuellement deux navires, navires que nous avons développés et construits en France. On peut donc parler de souveraineté et de mutualisation des technologies. Le navire Anémos a accosté aux USA après une traversée de 18 jours, l'objectif étant de 13-14 jours, et avec une économie de 200 tonnes de CO2 dans l'atmosphère. Le secteur maritime est un lieu d’innovation éminent, les routes sont larges, il n'y a pas de tunnel et il est donc possible de mettre des gréements. L’aspect stratégique peut être considéré comme infinitésimal, mais ces technologies, cette première génération de navires, sont très intéressantes stratégiquement. La France, immense pays maritime par son territoire, est aussi le pays hôte de l'un des premiers armateurs à avoir fait le choix, en matière de propulsion, d'une nouvelle énergie vers la décarbonation. Et il y a aussi nos confrères français qui construisent ces grands voiliers marchands. C'est un levier de valeur, de souveraineté, de capacité d'agir en toute liberté. La technologie de la voile en est encore à ses balbutiements et nos navires ont évidemment besoin d’être améliorés. Mais la France est dans une position stratégique, au bon endroit, au bon moment, et saura jouer son rôle. Le métier de marin évolue. Qu'est-ce que la Colreg et la stabilité pour les voiliers ? C’est un sujet à mettre en avant dans les formations.

Question à Mme Julia TASSE, IRIS : Comment voyez-vous l’évolution de la marine marchande dans les prochaines décennies à la lumière de ces impératifs et de souveraineté et de décarbonation ?

Il y a un intérêt du public de plus en plus important pour ces sujets. Avec la conférence sur les océans de 2025 et l’année de la mer qui est en cours, il va y avoir une dynamique autour de ces sujets et donc par cet intérêt des Français pour le milieu maritime, la marine marchande, et le métier de marin, avec tous les engagements et les innovations, va devenir de plus en plus visible. En termes d’évolution sur la décarbonation, les innitiatives des grands leaders français ou des start up rendent une image positive de toute l’industrie de la mer auprès des Français.

En parallèle de cet élan plutôt positif du grand public pour le milieu maritime et donc pour la marine marchande, il va y avoir un intérêt géopolitique autour des activités de la flotte de commerce qui peut devenir une cible comme c’est le cas en mer Rouge, et le fait d’attaquer une marine civile pour porter atteinte à des intérêts stratégiques d’un certain pays. Et là, il y a un vrai enjeu, la visualisation de cette activité, visualisation positive grâce à la décarbonation et grâce à tous les efforts d’innovation, mais aussi visualisation en tant que levier de puissance, avec tout ce que cela comporte de dangers, de menaces et de potentiels. Pour résumer, l’évolution de la marine marchande va être très à suivre, car elle va être au cœur d’enjeux cristallisants pour la souveraineté française, dans les décennies à venir.

Question à Mr Bastien ARCAS, HYDROS : Quels seraient les principaux défis auxquels les marins marchands vont être confrontés dans la transition vers cette nouvelle économie décarbonée ?

Le milieu maritime est très spécifique, la conséquence c’est que les solutions techniques viendront forcément du terrain et de la pratique. Donc on doit avoir une stratégie en France sur comment faire pour développer des solutions innovantes qui répondent aux vrais besoins, pour les marins à bord. Débuter par une formation pluridisciplinaire d’ingénieur qui doit donner le socle de base pour partir naviguer. Ensuite il faut naviguer, acquérir l’expertise de la navigation et des opérations commerciales. Une expertise ça ne s’acquiert pas en six mois, il faut plusieurs années. Une fois cette expertise acquise, il faut, pour les armateurs, avoir cette capacité à identifier l’officier qui a un potentiel de curiosité et d’envie de créer. Et le sortir de la navigation. C’est alors qu’il y a besoin d’une formation spécifique, lui faire acquérir les compétences nécessaires pour savoir créer des systèmes, monter des projets, des entreprises, participer dans des groupes de travail afin de mieux expliquer aux « terriens » ces données particulières à la marine marchande.

Question : Quels incitations, soutiens publics ou privés seraient nécessaires pour rendre les cargos à voile plus compétitifs ?

En Europe, selon Mr Guillaume LEGRAND, TOWT, le sur-amortissement vert est l'un des leviers fondamentaux grâce auquel tous les armateurs de voiliers ont financé environ 10% des navires. La taxe au tonnage est également fondamentale, c'est grâce à elle que les banques réduisent leurs impôts sur les sociétés. Nous avons réussi à financer huit navires à un taux de sur-amortissement vert correct, reclassé au 1er janvier 2024 sous forme d'aide d'État, suite au traité européen sur les aides d'État.

Une partie de la réponse aurait été de parler de l’ETS, des « taxes » sur le carburant. La réglementation climatique dans le secteur maritime fait que la plupart des actifs des armateurs non voiliers ne sont plus finançables. Soit on n'applique pas la loi, soit on fait du slow steaming, mais alors on construit davantage de navires, et cela n’a aucun sens tant qu’il n’y a pas de nouveau carburant. Demain, les nouveaux carburants seraient très abondants, très fiables, très bon marché et très décarbonés : hydrogène, méthanol, ammoniac. Mais, par exemple, on oublie complètement l’effet d’emballement climatique du méthane sur l’atmosphère.

Et nous sommes finalement face à ce gigantisme, à ces flux mondiaux et face à des réglementations qui vont s'imposer à tous les armateurs. Le voilier, « triple A » en termes de

climat, pourrait avoir un effet positif sur l'ETS, mais seuls les navires de 5 000 UMS ou plus sont pris en compte.

Le réchauffement climatique entraîne également une prise de conscience réglementaire, avec des contraintes très fortes pour les armateurs utilisant des énergies fossiles conventionnelles. C'est fondamental pour la décarbonation, les personnes envers lesquelles nous devons rendre des comptes sont les générations futures, nos clients et les marins. Nous avons besoin de plus de marins possédant des compétences techniques en vélique. C'est aussi un levier d'attractivité.

Une précision apportée par Mr François LAMBERT, ENSM sur la formation d'ingénieur de la marine marchande, vendeuse un certain temps, pour rassurer les armateurs, et désormais moins en avant. Le renouveau du diplôme d'officier de marine marchande polyvalent, qualité d’ingénieur à partir de septembre 2024, favorise l'acquisition des fondamentaux en début de cycle, afin de pouvoir suivre toutes les évolutions technologiques, tout en ayant un sens marin très développé, pour l'évolution de la voile. La voile n’est pas la même qu’au temps des Phéniciens, et il est indispensable de maîtriser les fondamentaux. Vous pouvez être ingénieurs, navigants ou en génie maritime, ou de toute autre formation dispensée, mais il faut d'abord maîtriser les fondamentaux pour pouvoir embarquer.

Question : Pourquoi ne pas passer par le Nord ?

Selon Mme Julia TASSE, IRIS, il n'est pas intéressant de passer par le Nord, sauf pour desservir Yamal et donc toute la zone de production pétrolière et gazière russe. Passer par la route du Nord-Est signifie moins d'escales et moins de capacités d'opérations commerciales que sur les autres routes maritimes. C'est un engagement qui permet de se positionner aux yeux du monde comme une entreprise ayant des engagements environnementaux, sans que cela soit pour le moment un modèle économique car à moins d'y être contraint, c'est moins attractif.


Question à Mr Guillaume LEGRAND, TOWT : Est-ce que les voiles rigides entrent dans la compensation carbone ?

Actuellement on a deux navires en opérations qui sont des navires à propulsion principale vélique, avec des voiles souples pour 2750 m² de voilure si tout le gréement est établi. En fait, on est souvent entre 1700 et 2000 m² de toile où tout est intégralement mécanisé et donc sans intervention gréement.

Le vent au large est abondant, il est prédictible. Grâce au spatial le routage et les communications permettent des vitesses de 10.5 nœuds en moyenne. On sait qu’il est possible d’avoir des 24hr à 300 milles, donc de bonnes vitesses grâce à un choix de ratio de gréement extrêmement puissant et également des lignes d’écoulement extrêmement fines, ce qui permet une décarbonation sur plus de 90% de la distance. Les voiles rigides ou ailes décrochent quand la vitesse n’est pas assez élevée, donc il faut des machines. Nous avons fait le choix d’être sur un gréement qui peut permettre de naviguer principalement au portant et la recherche va innover également dans le carbone rigide, avec des systèmes d’ouverture de gréement. Les équipementiers français, regroupés sous l’association Wing Ship, ont chacun leurs propres visions techniques et commerciales.

En ce qui concerne la souveraineté française, les routes maritimes directes entre métropole et les DOM rendent éligible au C2E (Certificat d’Economie d’Energie), bien qu’au milieu il y ait 4 000 milles d’eaux internationales. Mais la notion de route directe sans escale n’est pas très maritime. Ce dispositif ferait alors exister l’espace maritime français comme une extension dans une sorte de fiction juridique de son territoire. Et c’est uniquement en France, mais cela créerait un précédent en faisant exister une valeur qu’il serait bien de projeter au niveau européen.

Question à Mr Guillaume LEGRAND, TOWT : Et sur les bateaux militaires ?

Les militaires sont là pour gagner la guerre, pas pour les ours blancs et le climat. Il faut avoir un avantage stratégique, c’est évident. Dire à des militaires on va vous amener des gréements pour décarboner votre flotte, ça peut être sympa. Dire à des militaires que des gréements sont tellement pertinents, tellement efficients, qu’ils vont donner un avantage stratégique par moins de consommation, pourquoi pas. Je pense qu’on est capable de développer, au nom de la décarbonation des systèmes véliques, des gréements qui feront peut-être gagner des conflits, ou en tout cas des zones de pression.

La journée est clôturée par Mme Nathalie MERCIER-PERRIN, CMF. Alors, l’Europe est- elle maritime ? Ou plutôt pourquoi s’intéresser au maritime ? La mer nourrit, fournit des médicaments, produit de l’énergie et relie nos économies. Dans et sur la mer, les activités sont nombreuses ; c'est le cœur de la souveraineté et de la géopolitique. Alors merci aux jeunes de se lancer dans les carrières maritimes car nous avons besoin de vous tous les jours. Le monde maritime est aujourd’hui au cœur de la géopolitique. A travers le Centre MICA, la France et l'Europe sont au cœur de leur souveraineté. Au-delà du transport maritime, il existe de grands câbles sous-marins hautement stratégiques. 98% de nos connexions, de nos vies, passent également par ces câbles.

Énergies marines. Pour produire de l’énergie marine, il faut effectivement de l’énergie éolienne, et on a parlé éolien et vélique. La marine marchande est au cœur de la souveraineté puisqu'on va décarboner, il faut décarboner, il y a des défis colossaux et ça se passe aussi en mer avec ces champs d'énergie éolienne qui vont créer de nouveaux métiers autour de la sécurité, autour de l'intelligence artificielle, autour des connexions en mer et par satellite.

La France et l'Europe, la souveraineté et l'économie. La France ne peut pas travailler seule. Aujourd'hui, en France, l'ensemble des activités de l'économie maritime, trafic maritime, pêche, nautisme, grands fonds, cybersécurité maritime, ports, et autres, représentent près de 450 000 emplois et 97 milliards en valeur de production en 2022. En 2030, ce sera 1 million d'emplois, pour 150 milliards d'euros. Nous devons donc nous organiser aux niveaux français et européen pour gagner des parts de marché, pour continuer à être souverains sur nos espaces maritimes. La France apporte à l’Europe sa deuxième place mondiale en termes d’espace maritime. Il va donc falloir discuter avec l’Europe et assumer cette seconde place. Des outils existent, il n’est pas nécessaire de repartir d’une page blanche. Il appartient aux organisations, comme les différents clusters, d'entamer la négociation d'un certain nombre de prérequis européens. Au niveau européen, nous avons une marge de progression en termes d'organisation.

Cdt Hubert ARDILLON
Vice-président AFCAN
Secrétaire Général CESMA

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