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Consultation de l'AFCAN
par la délégation ministérielle aux industries de sécurité (DMIS)




En marge du colloque Safer Seas de Brest, Monsieur Jean-Guillaume MESSMER, chargé de mission à la délégation ministérielle aux industries de sécurité (DMIS) du ministère de l'Intérieur a contacté l'AFCAN dans le cadre de la collecte auprès des acteurs du monde de la mer sur les nouveaux enjeux et besoins en termes de sûreté maritime identifiés par ces acteurs.
Le DMIS représente le ministère de l'Intérieur au sein du Comité de la Filière des Industries de Sécurité (CoFIS), structure de pilotage des questions industrielles de la filière de sécurité.

Après contact, Monsieur MESSMER avait envoyé à l'AFCAN un questionnaire qui a été transféré aux adhérents. Le texte suivant est une synthèse des réponses obtenues, en espérant avoir tenu compte de tous les avis qui nous sont parvenus.

Généralités

Question DMIS   Votre association a été fondée dès 1979 en particulier pour réfléchir et interpeller sur les questions de sécurité en mer. Vous avez récemment proposé un colloque sur la cybersécurité, écrit sur la question de l'accueil des migrants sur les navires ou encore évoqué les problèmes et tensions que présentent les zones sujettes à la piraterie maritime.
Réponse AFCAN   La sûreté maritime est une partie importante de la sécurité maritime et il est donc naturel que l'AFCAN en fasse un sujet de débat interne.
     
Question DMIS   Pour vous, quelles sont les grandes problématiques qui se poseront en matière de sûreté maritime à courte, moyenne et longue échéances ?
Réponse AFCAN   La cyber criminalité ne pouvait qu'atteindre l'industrie du transport maritime et c'est principalement au niveau des possibilités de connaître le contenu des conteneurs qu'elle nous interpelle : piratage informatique des listings, dissimulation des marchandises prohibées, récupération ensuite de ces marchandises dans un port ou sur la route.
Ce sera sans doute le grand problème de la prochaine décade.
En ce qui concerne les autres cargaisons (vrac liquide par exemple), c'est encore plus facile de se procurer les informations nécessaires puisqu'elles sont envoyées par le bord lui-même, ainsi que par les agents consignataires, à un grand nombre d'adresses diverses impossibles à vérifier par le capitaine, en exagérant on pourrait dire “au monde entier”. Rien de plus facile par la suite d'arraisonner un navire transportant du pétrole raffiné pour le relâcher après avoir pris la cargaison, ou pour remettre sur le marché le navire une fois maquillé et son équipage éliminé. Détournement de cargaison : c'est déjà la réalité pour les produits hydrocarbures raffinés dans le Golfe de Guinée et en Asie. Ce genre d'activité pourrait s'étendre à d'autres types de marchandises.

La piraterie maritime nous interpelle aussi même si les solutions sont plus à terre pour le contrôle des pirates, puis en mer en assurant d'une part un quadrillage militaire de dissuasion et des mesures de protection du navire élémentaires BMP, ainsi que la présence de gardes armés à bord.

La transhumance des migrants : c'est l'actualité en cours. Il n'y a pour l'instant aucun signe d'amélioration, donc un problème qui va continuer, et qui pourrait même s'étendre. Ceci dit, cela dépendra aussi de la capacité et de la volonté d'accueil des migrants dans certains pays.
Le problème des migrants pour les navires est un problème à la fois de sûreté et de sécurité. Hygiène, capacité d'accueil, taille et manœuvrabilité des navires, type de cargaison, obligation de détournement de navires qui ne peuvent rien faire, ratio équipage/rescapés, etc.
     
Question DMIS   Y a-t-il d'autres sujets qui vous semblent problématiques, notamment au niveau des ports et des navires ?
Réponse AFCAN   Le code ISPS ne s'applique toujours pas aux navires effectuant une navigation nationale, alors que les risques sont au moins équivalents, voire même plus grands car les malfaisants préfèrent attaquer là où c'est le plus facile.

La vulnérabilité des navires à quai côté mer. On est, ou sensé être protégé côté quai, du fait de l'application du code ISPS par le port ou terminal mais on reste bien vulnérable côté mer. Il n'y a pas de port qui soit protégé par une barrière côté mer. Même des ports fermés ou «à flot» comme Amsterdam, Anvers ou Le Havre et Dunkerque en amont des écluses ont des points accessibles à tous.
     
Question DMIS   Selon vous, les questions de sûreté maritime sont-elles encore sous-estimées en France ? Si oui, comment pourraient-elles être mieux prises en compte ?
Réponse AFCAN   Ni plus ni moins qu'ailleurs dans un pays comparable. La France n'est qu'un élève moyen au niveau de la sûreté maritime. Faudrait-il un attentat sur un navire en escale, dans un entrepôt, dans l'immeuble d'un « grand port maritime » ou sur une aire de stockage de conteneurs pour booster la sûreté portuaire?
     
Question DMIS   Peut-on d'après vous concilier les impératifs de productivité liés à la mondialisation et la prise en compte d'une plus grande sûreté maritime (qui peut coûter cher) ? Si oui, comment ?
Réponse AFCAN   Pas facile. Il suffit de voir le problème de la pesée des conteneurs pour vérifier leur masse exacte. Perte de temps surtout s'il faut rejeter le conteneur.

La formation du personnel a été “baclée”. Pourtant ce côté formation sécurité et sûreté, recommandé par ILO, peut être mis en place sans que le coût soit trop élevé, comme on l'a fait pour les navires.
Même une catastrophe comme celle de Tianjin ne suffit pas à débloquer le problème.
Faut-il attendre qu'un évènement type 11 septembre 2001 qui concernerait à la fois les USA et le domaine du transport maritime pour qu'il existe une législation en la matière qui devienne par la suite un code international?

On a réussi à intégrer la sûreté dans le système de management des navires. On a l'impression que le plus grand problème de l'industrie portuaire est l'absence de culture sécurité : une caserne de pompiers c'est suffisant !
La responsabilité de la sécurité et de la sûreté du port appartient à l'Etat du port, il faudrait une convention type MLC 2006, mais portuaire.

Sûreté maritime, menaces et actes malveillants

Question DMIS   Parmi les cibles potentielles d'actes malveillants en termes maritimes, ont été identifiés : ports, navires, infrastructures de télécommunications et infrastructures énergétiques, ressources biologiques et minérales, environnement, littoral et cyber.
En voyez-vous d'autres ? Lesquelles vous semblent les plus menacées dans les années à venir ?
Réponse AFCAN   Pour le moment seuls des navires ont été attaqués (capture, rançon, pillage de la cargaison). On peut s'attendre bien sûr aux infrastructures énergétiques, mais il n'y a pas encore d'attaque sur un champ d'éoliennes. Par contre on peut noter que lors de l'attaque du Limburg, si le navire continue sa route sur la bouée de chargement de pétrole d'Ash Shihr, on détruit 80% du PIB du Yémen.
Tout dépendra des intérêts qui seront attaqués, de l'Etat attaqué aussi.
Et la prise d'un pétrolier pour l'amener vers un endroit touristique stratégique et déverser son contenu en mer et sur les côtes.

Le risque communication : un de nos adhérents qui navigue sur des navires câbliers depuis 10 ans, et depuis 3 ans sur un réparateur remarquait : il suffirait d'affréter un navire et de tirer un grappin coupant sur une ligne Nord Sud au milieu des grands océans. Cela pourrait potentiellement couper un grand nombre de câbles communications en peu de temps. Une action coordonnée de plusieurs navires bloquerait alors tout le système mondial, donc un impact considérable. Compte tenu des délais pour réparer un câble, il est impossible actuellement de réduire le temps d'impact.
Peu de matériel, un petit nombre de navires de pêche pour arriver à un résultat majeur.
     
Question DMIS   Selon les cibles listées précédemment, contre quels types de menaces faut-il selon vous principalement se protéger (piraterie, attaque terroriste, trafic, pollution, pillage...) et par quel biais (détection, neutralisation, contrôle d'accès...) ?
Réponse AFCAN   Cible navires : le pillage des biens de l'équipage et du navire ne gêne pas grand monde à part le marin lui-même et l'armateur. Il ne perturbe pas le commerce. Le biais de protection : une force militaire importante et de gros moyens matériels et financiers tels ceux qui ont été engagés pour lutter contre la piraterie est-africaine car bien qu'elle n'ait engendré qu'une faible perturbation du commerce mondiale, un accroissement de cette activité aurait pu devenir vraiment contrariant si par exemple les gros PC avaient été touchés.
Dans les ports ou infrastructures énergétiques, par définition pas très éloignées des côtes, les moyens les plus efficaces restent la détection et les contrôles d'accès.

Besoins potentiels

Question DMIS   Avez-vous identifié des lacunes techniques et technologiques en termes de sûreté maritime ? Des besoins - existants ou futurs - actuellement non couverts en la matière, notamment dans les navires et dans les ports ?
Réponse AFCAN   La principale lacune est la formation des acteurs (surtout le personnel portuaire) qui reste dans un état lamentable malgré tous les efforts de l'OMI. En sécurité dans tous les accidents maritimes classiques on pointe le manque de formation des acteurs, c'est la même chose dans l'industrie de la sûreté maritime et portuaire mais on ne s'en apercevra réellement que lors du prochain accident de sureté dans un port.

La qualité du matériel utilisé : souvent de simples caméras alors que des logiciels intelligents analysant les images sont aujourd'hui très performants, abordables et créateurs d'économies importantes.

Navires : la tendance est à l'arrêt des mesures anti-pirates en Est Afrique (gardes armés embarqués). Il reste la double veille par l'équipage…
     
Question DMIS   Avez-vous identifié des lacunes capacitaires en termes de sûreté maritime ?
Réponse AFCAN   Une formation insuffisante ou totalement absente.
     
Question DMIS   La cybersécurité des ports et des navires doit-elle être mieux prise en compte et si oui par rapport à quels types de menaces ?
Réponse AFCAN   Première menace : ce qui rapporte le plus. Donc trafics illicites (essentiellement drogues et armes).
Ensuite trafic de personnes (migration clandestine).
Enfin un hacker peut certainement arriver à entrer, ou à planter un terminal de conteneurs ou pétrolier, et recueillir certaines informations.

Questions finales

Question DMIS   Quels sont selon vous les autres acteurs du monde de la mer les plus pertinents qui pourraient répondre à cette collecte des besoins que nous effectuons ?
Réponse AFCAN   D'une manière générale, tous ceux qui n'ont pas d'intérêts financiers dans la sûreté.
     
Question DMIS   Quels sont les acteurs les plus à la pointe sur ces questions en tant qu'offreur ou en tant que demandeur de nouvelles solutions techniques et technologiques ?
Réponse AFCAN   Certainement les fabricants de logiciels d'analyse intelligente des images.
Ensuite, malheureusement, n'importe quel individu qui a quelque chose à vendre dans ce domaine. Avec la possibilité d'une exagération du risque pour mieux vendre une parade.

Demandeur : cela dépendra essentiellement du risque et de la gêne occasionnée. On peut toujours penser aux armateurs en ce qui concerne les navires (à la condition du coût), aussi aux opérateurs portuaires si on arrive à leur démontrer que leur terminal est non seulement une cible potentielle avérée mais qu'en plus il n'est pas suffisamment protégé.
     
Question DMIS   Est-il plus dangereux et difficile d'être capitaine de navire aujourd'hui qu'il y a 30 ans ?
Réponse AFCAN   Dangereux ? Non.
Il y a moins de catastrophes maritimes, moins de navires qui disparaissent avec l'équipage. Un marin a plus de risques d'avoir un accident de voiture lorsqu'il est en congés que de faire face à un évènement maritime. Le métier a évolué, ses risques aussi mais les mesures de prévention se sont adaptées.

L'importante différence c'est qu'on est plus informé qu'auparavant des risques, des menaces et des attaques.

Difficile ? Oui.
Contraintes commerciales (aggravées par la facilité de joindre le Cdt quelle que soit la localisation du navire).
Contraintes règlementaires (conformité à ISM, ISPS, MLC, etc.), multiplication des inspections dont certaines sont véreuses, surcharge de paperasses, de rapports.
Et nous traînons toujours le risque facteur humain avec nous comme dans toute activité. L'effort en ce sens est insuffisant dans toutes les parties de notre industrie. L'époque est à la gestion des ressources humaines.

Dangereux car plus difficile ?
Oui. Fatigue et effectif insuffisant. Il y a eu des accidents causés par des navires venant s'échouer ou naviguant dangereusement, par fatigue du personnel de quart, sans que l'on puisse contacter normalement le navire.
A ce sujet on peut regretter que la MLC 2006 ait laissé une ambiguïté sur la durée du travail. La convention prévoit soit 72 hrs de travail max. par 7 jours, soit 77 hrs de repos min (ce qui correspond à 91 hrs de travail possibles par 7 jours). Le quart à deux 6/6 est autorisé (plus les suppléments, manœuvres, inspections, formalités, papiers, etc.).

Criminalisation générale du capitaine par l'opinion publique, mais surtout par les textes et les pratiques judiciaires.
Le capitaine est désigné coupable pour des choses hors de son influence (soufre, certificats équipage, état du navire). En France on parle de « délit ».
Bien sûr la pollution par rejet, où le capitaine – désigné coupable sans enquête sur le déroulé des faits réels - est à la merci de malveillance ou simple incompétence d'un personnel.

Voir le cas de l'Hebei Spirit, pétrolier au mouillage en attente de déchargement en Corée du Sud, abordé par un ponton-grue, le remorqueur n'ayant pas pu maitriser la dérive de ce ponton. Conséquence : trou dans la coque du pétrolier et importante pollution, le capitaine et son second ont été emprisonnés plusieurs mois avec deux accusations (pollution, négligence) avant d'être relaxés de toute charge.
Cdt Hubert ARDILLON
vice-président de l'AFCAN
président du CESMA
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