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Les Paquebots à voiles Club Med 1 et Club Med 2


       Dans les années quatre-vingt, les Ateliers et Chantiers du Havre (ACH) ont fait une entrée remarquée sur le marché du paquebot en mettant au point un navire qui réunissait les techniques du passé et celles de l'avenir : un bateau d'un nouveau type propulsé par des voiles entièrement automatisées. C'est en effet dans leurs bureaux d'études que sont nés les paquebots à voiles de la série des Wind. Ils seront suivis, quelques années plus tard, par les deux plus grandes unités de ce type jamais construites au monde, les fameux cinq-mâts Club Med 1 et 2.





L'aventure des ACH

       L'épopée des célèbres cap-horniers a pris fin entre 1920 et 1930. Ce fut la fin de l'ère de la voile, concurrencée par « les navires mécaniques accomplissant à moindres frais leurs rotations rapides et utilitaires à la place des longs et beaux voyages toutes voiles dehors (1) ». Beaucoup de ces voiliers disparurent dans le Pacifique ou les mers australes, les autres finirent sous le marteau des démolisseurs.

       Il a fallu attendre une soixantaine d'années et l'engouement pour les paquebots et autres yachts à voiles, pour voir s'amorcer le mouvement inverse. Au début des années 1980, alors que régnait le slogan « on n'a pas de pétrole, mais on a des idées », le développement des énergies renouvelables incita les armateurs à mettre au point des navires mus, en partie tout au moins, par la force du vent. Ce sont les Japonais qui donnèrent l'exemple en lançant deux petits pétroliers dotés de mâts dont les voiles étaient rigides mais orientables, en appoint d'une propulsion mécanique traditionnelle.


Le Windstar, premier paquebot à voiles (DR)
 
Vent de travers, bâbord amures…(DR)

       Au Havre, les ingénieurs des ACH, se mirent à étudier le sujet, car l'armement américain Windstar Sail Cruises leur avait passé commande d'un paquebot à voiles. Détail qui a son importance, leur PDG, Gilbert Fournier et leur directeur, François Faury, étaient des « voileux », pratiquant tous les deux la navigation en mer. Leur double compétence, pratique et théorique, leur permettra de répondre particulièrement bien aux exigences du cahier des charges et de concevoir un navire entièrement automatisé.

       En 1986, les ACH livreront ainsi le Wind Star, un étonnant navire de 130 mètres de long, dont les voiles, gréées sur quatre mâts, sont entièrement manœuvrées par ordinateur. Il sera suivi du Wind Song (2) en 1987 et du Wind Spirit en 1988. Dotés pour leur propulsion principale d'un moteur électrique de 1 400 kW (1 750 kW pour le dernier), ces navires sont capables d'atteindre une vitesse de plus de 13 nœuds en cumulant voiles et hélice. Ils disposent de 74 cabines pouvant accueillir 160 passagers et d'un équipage de 10 officiers, 12 membres d'équipage et 70 personnes pour l'hôtellerie.

Un projet audacieux, un armateur peu ordinaire

 
       La réussite technique des Wind a attiré très vite l'attention de Jean-Marc Poylo, un armateur havrais à la tête de la compagnie Services et Transports, dont les bureaux font face aux ACH, de l'autre côté du canal. Il a toujours rêvé d'exploiter dans sa flotte des paquebots et pense alors que son rêve peut aboutir. Doté d'une personnalité hors du commun, il a déjà une carrière étonnante. A 25 ans, directeur commercial d'un armement fluvial, il met au point le transport par eau des voitures Renault. Puis il affrète à son compte une péniche pour faire le transport des résidus d'hydrocarbures dans le port du Havre, entre la CIM et l'usine de Gonfreville-l'Orcher. A la même époque, il invente un procédé pour la prise d'échantillons de la cargaison des pétroliers à bord des navires mêmes et obtient un contrat d'exclusivité avec le port du Havre. Débutant alors un parcours extraordinaire, il crée la société « Services et Transports », pour assurer le transport de gaz entre la Corse et le continent et celui d'hydrocarbures aux Antilles, entre la Martinique et la Guadeloupe. Elle arme aussi une dizaine de petits navires transporteurs de résidus de phosphate entre Rouen et la baie de Seine. Elle met également en ligne et exploite une quinzaine de navires et de barges-hôtel destinés à l'offshore tant en Afrique et qu'en Amérique du Sud. Puis, plus tard, aura une flotte de product tankers.

       Au vu du succès de Windstar Sail Cruises, le jeune armateur envisage la construction d'un paquebot à voiles beaucoup plus grand que ceux de cette compagnie. Il va s'associer avec Gilbert Trigano, le patron du Club Méditerranée, qui s'intéresse alors de très près à la croisière (3). Et bien entendu, c'est aux ACH que Jean-Marc Poylo va passer en 1987, la commande d'un paquebot à voiles d'une capacité double de celle des Wind. Ce sera un cinq mâts et le plus grand voilier du monde. Le plus sophistiqué aussi : un royaume de robots et d'automates. Son coût sera de 550 millions de francs (100 millions de dollars) principalement obtenus grâce à l'utilisation des avantages que la loi Pons, offre aux entrepreneurs dont l'activité est susceptible de participer au développement des départements et territoires français d'outre-mer.

Le Club Med 1, voilier géant et automatisé

       Mis en service au début de l'année 1990 et baptisé Club Med 1, le voilier géant qui bat pavillon des Bahamas, aura son port d'attache aux Antilles. Basé à Fort de France en hiver, il rayonnera sur la mer des Caraïbes en proposant quatre itinéraires d'une semaine chacun, de Porto-Rico au nord, aux îles Los Roques et Tortuga au sud, en passant par Saint-Thomas, Virgin Gorda, Saint-Martin et Saint-Barthélemy, Saint-Kitts, les Saintes, Sainte-Lucie, Bequia, les Tobago Cayes, Mayereau et la Barbade. En été, il sera basé à Toulon, et promènera ses passagers à Cannes ou St Tropez, en Corse, en Italie, en Grèce ou en Turquie.

       D'une longueur de 187 mètres et d'une largeur de 20 m, le Club Med 1 a une silhouette particulièrement élégante. Son faible tirant d'eau, 5,10 mètres, lui permet de mouiller à proximité des plages et des criques, inaccessibles aux gros paquebots de croisières, ce qui facilite le débarquement de ses passagers.

       Sa propulsion met en œuvre deux moteurs électriques extrêmement silencieux de 2 500 CV chacun et l'énergie y est fournie par quatre groupes électrogènes alimentés au diesel. Deux hélices à pas variable, deux gouvernails Becker (4) indépendants et deux propulseurs transversaux facilitent sa manœuvre.

       La mâture du Club Med 1 est vraiment impressionnante : cinq mâts, d'une hauteur de 50 mètres au-dessus du pont principal, qui supportent 2 500 m² de voilure répartis en un foc, cinq voiles d'étai et une voile d'artimon. Toutes ces voiles sont montées sur des enrouleurs : leur déploiement et leur rentrée, le positionnement des bômes, le réglage de leurs écoutes et le maintien en tension des étais sont effectués par 5 centrales électro-hydrauliques et l'ensemble est géré par ordinateur depuis la passerelle. En cas d'anomalie, la rentrée des voiles s'effectue en seulement 30 secondes !

       Il existe trois modes pour leur manœuvre : manuel, automatique, semi-automatique. En manuel, c'est l'officier de quart qui l'effectue depuis la passerelle, en automatique, elle est entièrement gérée par un ordinateur. Et on y procède en semi-automatique, lorsque le vent est faible ou nul, pour mettre en exergue, dans un but commercial, l'esthétique du navire.

       Les voiles du Club Med 1 ne sont cependant pas là seulement pour « faire joli » : elles lui fournissent une réelle propulsion auxiliaire et permettent, sous de bonnes conditions de vent, de gagner 2 à 3 nœuds de vitesse. En pratique, on navigue donc, dès que possible, avec moteur et voiles combinés à une vitesse d'environ 10 nœuds Et bien que le navire n'ait pas été conçu pour cela, il lui arrive de voguer uniquement sous voiles (5).


Le Windsurf, ex-Club Med 1 (DR)
 

Mais il ne faut pas oublier que ce voilier géant reste un paquebot, certes de taille modeste par rapport à ses homologues classiques, mais qui offre comme eux à ses 440 passagers, des cabines luxueuses meublées en acajou et d'une taille tout à fait confortable : 18 mètres carrés. Réparties sur trois ponts, elles sont au standard des chambres d'un grand hôtel et disposent toutes de deux hublots donnant sur la mer.

       Pour pallier la gêne que pourrait causer la gîte, qui peut atteindre 8° lorsque les voiles sont déployées, le navire est équipé de ballasts commandés par ordinateur. Il dispose aussi de deux stabilisateurs antiroulis à ailerons, que l'on met en route dès que nécessaire.

       Enfin à l'AR et au niveau de la mer, la porte du « hall nautique » se transforme au mouillage en plate-forme sportive d'où l'on part faire du ski nautique, de la planche à voile, de la voile, de la plongée libre ou avec bouteilles. La clientèle internationale est ravie et le remplissage du bateau excellent.

Un équipage peu ordinaire

       Pour manœuvrer un navire aussi original, le commandant est assisté d'un second capitaine et de trois lieutenants chargés respectivement de la sécurité, des voiles et de la navigation. Deux officiers radio maintiennent une liaison permanente avec la terre, facilitée par l'installation de deux Satcom (6). On trouve sur le pont, le maître d'équipage, son assistant, un charpentier et douze matelots. Et l'équipe du chef mécanicien se compose de quatre officiers et cinq ouvriers encadrés par un maître machine. Il faut encore ajouter deux officiers de sûreté et deux patrons de tenders (7), ce qui conduit à un total de 37 personnes qui dépendent de l'armement Services et Transports. Tous les officiers sont de nationalité française et l'équipage est de nationalité philippine.

       Le paquebot est aussi un « village » du Club Med, dirigé un chef de village qui est responsable d'une « entreprise » de 173 personnes, se répartissant en 68 GO (8), 5 personnels du casino et 100 personnels de service, des philippins ou mauriciens. Les GO exercent les fonctions les plus diverses et les chefs de service sont responsables de la gestion, de l'économat, des sports, des spectacles, du restaurant, du personnel de cuisine, du personnel de cabine, etc. Il y a aussi un médecin et une infirmière. Selon les habitudes du Club Med, tout ce petit monde est soumis à des horaires de travail très contraignants, allant de très tôt le matin à bien tard le soir. Leur durée d'embarquement est de l'ordre d'une année. Ce personnel est bien entendu sous la responsabilité du commandant.

Le Club Med 2 à la conquête du soleil levant

       Devant le succès du Club Med 1, Jean-Marc Poylo et Gilbert Trigano vont décider de commander un second cinq mâts, avec pour objectif de s'attaquer au marché japonais de la croisière dans le Pacifique.

 

       Suivant l'exemple du Ponant, les armateurs vont opter pour une immatriculation aux îles de Wallis et Futuna, qui leur permet de bénéficier des dispositions du code du travail d'outre-mer de 1952, beaucoup moins exigeant que celui de la métropole, entre autres, parce qu'il ne leur fait pas obligation de n'employer à bord que des marins français. L'équipage du Club Med 2 sera, en conséquence, composé de 12 officiers français et 20 marins philippins. Mais le gouvernement a imposé une seconde contrainte, celle d'opérer dans les parages de la Nouvelle-Calédonie et de Wallis et Futuna.

       Les armateurs réussiront finalement à la ramener à une obligation de fréquenter les eaux calédoniennes pendant la seule période d'octobre à avril. Et ils adopteront un second port d'attache, Guam (9), une île américaine des Mariannes. C'est de là que le Club Med 2 entreprendra de s'attaquer au marché japonais.
Pour autant, le financement du projet n'a pas été complètement bouclé et sur la proposition de la société Althus Finances, les armateurs vont le finaliser par le système des quirats (8), qu'a également déjà expérimenté le Ponant. Trente-six mille quirats de 25 000 francs sont émis, qui trouveront rapidement acquéreurs. Et cette fois, le montant total de l'investissement portera sur 900 millions de francs.

       Lancé en juillet 1991, le Club Med 2 quitte le Havre en octobre 1992 pour la Nouvelle-Calédonie. Très semblable dans sa conception à son prédécesseur, il est toutefois équipé de moteurs plus puissants, 8 000 CV au lieu de 5 000, grâce auxquels il peut obtenir une vitesse de 15 nœuds. La capacité de ses deux restaurants et celle de la véranda a aussi été augmentée. Et côté loisirs, un terrain de golf de poche a été aménagé, à la grande satisfaction des clients Japonais qui apprécient un jeu adapté aux dimensions de leur île embouteillée.

       Basé à Nouméa pendant les six mois d'automne/hiver, le paquebot fera des croisières de 3, 4 ou 7 jours autour de la Nouvelle-Calédonie, entre l'île des Pins, Hienghène, l'extraordinaire plage d'Ouvéa et Port Vila, sur l'île d'Efaté. Une fois par mois il partira même à la découverte des îles peu fréquentées du nord Vanuatu (les anciennes Nouvelles-Hébrides), Espiritu Santo, Pentecôte, Ambryn et Tana, dont l'hydrographie était alors encore mal définie. Sa clientèle se partage entre japonais, australiens et calédoniens.
Pendant le reste de l'année, le Club Med 2 fera l'essai d'un programme de croisières à partir de Guam, dans l'espoir de conquérir la clientèle japonaise. L'île où débarquent chaque année des millions de touristes nippons est située à quatre heures d'avion seulement de Tokyo et le paquebot leur propose des mini-croisières (10) de 3 à 4 jours, en Micronésie autour des îles de Saipan, Rota et Tinian et des escapades de 8 jours, dans les archipels de Palau. Malheureusement cet essai va se révéler infructueux, le taux de remplissage du navire restant insuffisant.
       C'est la même raison qui fera décider la fin des croisières en Nouvelle-Calédonie. Le départ de Nouméa du Club Med 2 sera très regretté par les Calédoniens, car ils l'avaient adopté et le considéraient comme « leur paquebot ».

       Par la suite, le navire essaiera de s'implanter en Polynésie, en proposant des circuits au départ de Papeete vers les îles de Moorea, Bora-Bora, Huahine et l'atoll de Rangiroa dans les Tuamotu. Là encore et du fait d'une campagne publicitaire défaillante, ce ne fut jamais un succès financier et cela conduira Jean-Marc Poylo à ne pas renouveler le contrat qui le liait au Club Méditerranée.
Finalement, ce dernier décidera d'acheter le navire et le paquebot mettra cap à l'est vers les Caraïbes, où il va connaître le même succès que celui du Club Med 1 auparavant. Racheté par Windstar Cruises Lines, le CM1 continue d'y naviguer sous le nom de Wind Surf.

       Réalisations remarquables et véritables prouesses techniques des Ateliers et Chantiers du Havre, malheureusement disparus en 1999, les Club Med 1 et Club Med 2 seront immédiatement considérés comme des navires révolutionnaires. Plus grands paquebots à voiles du monde, mais qui offrent à leurs passagers l'intimité d'un bateau à taille humaine, ils ont su allier avec harmonie le charme du voilier et le confort du paquebot.

       Et pour le confirmer en point d'orgue, laissons la parole au sociologue Edgar Morin, qui a fait part dans son livre « Une année Sisyphe », du sentiment ressenti en 1994, au terme d'une croisière séminaire en Méditerranée qu'il avait faite à bord du Club Med 1 : « Adieu au bateau. De la Croisette, le grand voilier tout blanc semble s'immatérialiser. Pour moi tout est devenu irréel. La cabine 333, les six niveaux, le pont supérieur avec l'Odyssée, le Topkapi à l'arrière, où nous avons admiré Calvi…cette vie organisée pour nous, le luxe, la paix, la mise entre parenthèses du petit monde de Paris sur ce bateau de rêve, entre le ciel et la mer ».

René TYL
 


Sources
« Paquebots made in France », Daniel Hillion (ed. Ouest France)
Documentation personnelle
Documents publicitaires du Club Med
Articles de presse du « Havre Presse » (1992)


(1) Louis Lacroix, Les derniers grands voiliers.
(2) Ce navire a été déclaré « perte totale » en décembre 2002, après un incendie.
(3) Gilbert Trigano s'était porté candidat, en 1975, au rachat du paquebot France avant que celui-ci ne devienne Norway sous pavillon norvégien.
(4) Gouvernail articulé qui permet d'augmenter les capacités évolutives du navire.
(5) Une vitesse de 9 à 10 nœuds a été obtenue par bonnes conditions de vent (vent relatif de 80° et de 25 à 28 nœuds).
(6) Système de télécommunications par satellite.
(7)

Grosses vedettes d'une capacité d'une quarantaine de personnes pouvant « beacher » sur une plage. Elles assurent en permanence la liaison du navire au mouillage avec les plages d'escale.
(8) Gentil Organisateur par opposition au GM, Gentil Membre.
(9) Guam « America's tropical paradise » disaient les prospectus.
(10) Car les Japonais ont peu de vacances.


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