Le retour du transport des marchandises à la voile.
Dans le milieu maritime, beaucoup sont habitués à un certain confinement, c'est le cas des marins-pêcheurs à la pêche hauturière ou celui des sous-mariniers en mission, c'est aussi le cas des marins qui transportent des marchandises à la voile à la vitesse du vent. Le vent pourrait devenir le carburant de demain. Le transport maritime représente aujourd'hui 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. Avec près de 90 % des marchandises transportées par la mer, son empreinte environnementale devrait passer à 17 % d'ici 2050.
Le retour du cabotage à la voile
Les locaux sont situés sur les quais de Douarnenez, escale régulière de toute une flottille de voiliers traditionnels, avec lesquels travaille l'armement, comme :
TOWT organise des liaisons transatlantiques, de la Caraïbe à l'Europe, mais aussi des voyages au grand cabotage du Portugal à la Scandinavie, et au petit cabotage en France et en Angleterre.
Les quantités transportées sont relativement modestes, et subissent les mêmes contraintes de coût qui avaient motivé au siècle précédent l'arrêt du transport à la voile. Aussi, explique Guillaume Legrand, « notre travail est de créer une plus-value sur un produit transporté à la voile et à la valoriser sur le marché ». Les produits transportés sont estampillés du label Anemos (qui signifie « le vent » en grec ancien), marque initiée par TOWT, mentionnant qu'ils ont été transportés uniquement à la voile. L'armement doit cependant agir à plus long terme pour pérenniser son activité. Beaucoup des voiliers affétés ont des pavillons divers, panaméen pour Nordlys ou Tres Hombres, Vanuatu pour Lun II dont la société est basée à Hong Kong, ou britannique pour Grayhound. Guillaume Legrand mène un gros travail de lobbying auprès des Affaires maritimes et des Douanes pour développer le transport à la voile sous pavillon français. Les Affaires maritimes se montrent réceptives et accordent au coup par coup des permis de navigation pour un chargement précis. Cependant, pour les navires armés en NUC (Navire à utilisation collective) notamment, il reste encore à définir un cadre d'activité durable. Après les voiliers traditionnels, les premiers voiliers-cargos Mais transporter des marchandises sur ce type de bateaux, n'est pas pour TOWT, une fin en soi. «Les vieux gréements n'ont été qu'une étape, sans laquelle rien n'aurait pu être fait jusqu'ici», déclare Guillaume Legrand, «il faut désormais songer à des outils plus adaptés». Son ambition est de passer du statut d'affréteur de voiliers existants à celui d'armateur de voilier-cargo.
TOWT, qui vient de rejoindre Armateurs de France et le Cluster maritime français, signe avec le port du Havre un accord commercial qui lui accordera un tarif préférentiel au titre de la notation environnementale des navires «Environnemental Shipping Index (ESI)». L'armement bénéficiera aussi du soutien financier des certificats d'économie d'énergie (CEE) abondés par les fournisseurs d'énergie. L'opération repose sur le dispositif des CEE, via lequel les fournisseurs d'énergie ont une obligation, imposée par les pouvoirs publics, de réaliser des économies d'énergie. TOWT prévoit de mettre en service quatre cargos à voile à partir de 2022, chacun assurant un départ tous les quinze jours pour trois lignes régulières : Le Havre-New-York-Québec via Saint-Pierre-et-Miquelon, Le Havre-Veracruz-Santa Marta, et Le Havre-Abidjan. Le choix de l'escale à Saint-Pierre-et-Miquelon s'explique par le fait que ces CEE ne sont valables que pour des liaisons entre deux ports français. Sept chantiers européens ont déjà été présélectionnés avec une commande du premier navire prévue en octobre 2020. Le coût d'une unité pourrait être évalué à une douzaine de millions d'euros. Deux membres de la famille d'industriels du Nord Mulliez vont entrer au capital de la société à titre personnel. TOWT a par ailleurs affrété en mi-février la goélette De Gallant pour transporte 12 tonnes de café entre Santa Marta en Colombie et Le Havre.
Le cabinet néerlandais Dykstra, connu pour avoir lancé de très beaux voiliers de plaisance (des classes I et entre autres le Maltese Falcon), dessiné des voiliers écoles et en particulier le Rainbow Warrior III pour Greenpeace, s'est lancé en 2012 dans la conception d'un navire à propulsion mixte, voile et moteur. Ce voilier pourrait être déployé sur l'Atlantique par Fairtransport, la société des trois co-armateurs du Tres Hombres, et reprendre la route du vieux gréement, même si les «trois hommes» n'y croient plus aujourd'hui.
Des technologies de pointe Le mode de propulsion éolien est susceptible d'être adapté pour tous types de navires. Des projets innovants relatifs au navire du futur écologique fleurissent un peu partout dans le monde, avec une dominante européenne. On peut distinguer cinq types de technologie à propulsion éolienne : les voiles souples, les voiles rigides, les cerfs-volants de traction ou ailes de kite, les rotors, les turbines éoliennes. Parmi ces cinq technologies, trois se distinguent : le rotor, les ailes de kite et les ailes de voile rigides.
Dans un souci de donner un aperçu de l'efficience du potentiel de la propulsion éolienne, le cabinet de consultants CE Delft a rédigé en 2016 un rapport donnant des estimations de rendement énergétique des différentes technologies éoliennes en tant que propulsion auxiliaire. Le pourcentage d'économie est de 17 % pour le rotor (23 % dans le cas de vitesse lente VL), 18 % pour la voile rigide (24 % VL), 5 % pour le cerf-volant (9 % VL) et 2 % pour la turbine (4 % VL). La technologie du rotor, simple et économique, ainsi que celle des ailes rigides, se distinguent en termes de gain d'économie. Ces types de technologie sont plus adaptés pour de gros navires. Les rotors, ayant besoin d'espace disponible sur le pont, ne sont pas adaptés pour les porte-conteneurs. A l'inverse, le cerf-volant s'adapte très bien aux porte-conteneurs et n'a besoin que d'un espace restreint sur le pont. Mais sa mise en place reste complexe. Le constat de la conception du transport à la voile est clair : l'approche moderne et à grande échelle du transport de fret à la voile suppose des investissements considérables dans un marché encore balbutiant. Néanmoins des équipes d'architectes et d'ingénieurs planchent sur l'avenir du futur navire écologique à une échelle adaptée à un trafic mondialisé : un navire de grande capacité, couplant des gréements innovants à des motorisations économes en carburant. Convoyer des marchandises à travers l'Atlantique à la force du vent n'est plus une utopie. Deux entreprises, installées à Nantes, développent chacune un projet de cargo à voile pour le transport de fret, la société Neoline et la start-up Zéphyr et Borée. Les navires pilotes de la société Neoline Le projet Neoline est né de l'engagement d'un groupe d'officiers de la Marine marchande convaincus que les enjeux climatiques allaient conduire le monde du shipping à envisager de nouveaux modes de propulsion et que la voile est la seule solution immédiatement disponible et suffisamment puissante pour propulser des navires de charge. Au terme de quatre années d'un travail de réflexion et de conception, la société Neoline est constituée en 2015. Le président est Michel Péry, ancien commandant de rouliers et du Belem, et le directeur général Jean Zanutti, officier de la marine marchande. Le Comité de direction s'est adjoint la présence de Philippe Videau, co-fondateur de la compagnie du Ponant. Dans un premier temps, le nouvel armement prévoit de commencer par la mise en service sur l'Atlantique Nord de navires « pilotes » qui permettront une économie de la consommation de fuel. L'appel d'offres
Le financement de l'opération devrait coûter une cinquantaine de millions d'euros pour le premier cargo, dont 30 % de fonds propres et 70 % d'emprunts. La mise en chantier Un an après son appel d'offre international et la consultation de plus de 17 chantiers navals à travers le monde, Neoline a choisi la nouvelle société nantaise Neopolia pour la construction de son premier cargo à voiles. Compte tenu de la lenteur des aspects juridiques, le lancement de la construction espéré fin 2019 est remis à l'été suivant, et la mise à l'eau en 2022. Les premiers clients Visant des marchés de niche, des opérations logistiques complexes mais aussi des clients soucieux d'utiliser un moyen de transport plus vertueux pour l'environnement, Neoline s'est assurée de l'engagement de trois gros clients : Renault, pour livrer des voitures, Manitou, spécialiste des engins de manutention et Bénéteau, le constructeur de bateaux de plaisance. Manitou et Bénéteau réalisant une part importante de leur activité sur le marché nord-américain, sont intéressés par l'alternative d'une solution de transport depuis Saint-Nazaire vers Baltimore. Quant à Renault, la ligne permettra l'acheminement d'une centaine de véhicules que le groupe livre chaque année à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces navires seront exploités sur une ligne transatlantique dont la rotation est la suivante : Saint-Nazaire, Saint-Pierre-et-Miquelon, Baltimore, Halifax, de nouveau Saint-Pierre-et-Miquelon et retour à Saint-Nazaire. Les partenaires, EDF et Sogestran Le groupe familial havrais Sogestran, actif dans la logistique et le transport maritimes et fluvial, a décidé en février dernier d'entrer au capital de Neoline. Sa participation, à hauteur de 15 % du capital de la société, correspond à la levée de fonds nécessaire pour lancer la réalisation de son premier cargo à voiles. Ce faisant, le président de Sogestran, Pascal Girardet, explique sa décision «accompagner des projets locaux et novateurs qui s'inscrivent dans sa volonté de développer de nouvelles lignes maritimes plus écologiques». Sogestran a racheté en 2017 à la Compagnie nationale de navigation (CNN) sa filiale, la Compagnie Maritime Nantaise (MN) dont deux rouliers assurent le transport des éléments de la fusée Ariane 5. Le groupe pourrait ainsi apporter à Néoline son expertise dans le domaine du suivi du chantier et pour le management des futurs cargos voiliers qui seront armés sous pavillon français. Neoline a annoncé un autre partenariat, celui d'EDF. L'armement a signé en décembre dernier un accord spécifique de délivrance de Certificats d'Economie d'Energie (CEE) (voir supra). En l'occurrence, un navire Neoline permettra d'économiser 600 000 MWh sur 15 ans, soit la consommation en énergie d'une ville de 900 000 habitants pendant 10 ans, ou la production de trois éoliennes de 6 MW sur la même période. L'obtention d'un CEE est un véritable atout pour la société, puisque non seulement il permet de mesurer les gains réalisés par le navire, mais se traduit aussi par un soutien financier au projet. Une association ambitieuse : Zephyr & Borée Suivant l'exemple de Jean-Emmanuel Sauvée(2) et de Philippe Videau, fondateurs de Ponant en 1988 avec une dizaine de leurs camarades de l'Hydro de Nantes, Nils Joyeux, élève à l'Hydro du Havre, a créé en 2015, avec trois camarades dont Victor Depoers issu de la même promotion que lui, l'entreprise Zéphyr & Borée. La création de Zéphyr & Borée Nils Joyeux a passé son adolescence sur le voilier de ses parents, entre l'Europe du Nord et la Méditerranée. Passionné par le métier de marin, il entre en 2007 à l'Ecole Nationale de la Marine marchande du Havre. Après ses premières années scolaires, entrecoupées de longues périodes de navigation, il rejoint l'école de Nantes en 2014-2015 pour suivre sa cinquième année de cours. L'aventure de Zéphyr & Borée commence dans le cadre du mémoire de fin d'étude sur le thème du transport à la voile Avec son ami Victor, ils étudient alors la technique du transport à la voile et s'intéressent à toutes les technologies, du kite au rotor Flettner. Pour ce faire, ils s'associent à Aymeric Bolvin, diplômé de l'EDHEC et créent l'association Zéphyr & Borée. Le déclic Rien n'aurait été possible sans une rencontre «fondatrice» avec l'architecte naval Marc van Peteghem. Ils se rendent compte que les voiles rigides développées par VPLP sont un véritable moteur éolien qui fonctionne à toutes les allures. Cette rencontre est une révélation, ils sont convaincus qu'il est nécessaire de changer de mode de conception, non pas via un retour à la voile classique, mais qu'il faut utiliser le vent avec la même simplicité qu'un moteur, au moyen d'un système automatisé et rentable. Marc Van Peteghem partage leur enthousiasme et leur conviction quant à l'avenir de la voile dans le transport maritime. Pour Nils Joyeux, «Marc a été la pierre angulaire technique de notre projet, car il a été notre seule crédibilité pendant un certain temps». L'utilisation du vent Pour Zéphyr & Borée «la technologie des ailes est la plus adaptée pour la propulsion mixte, c'est-à-dire sur des bateaux ayant une vitesse d'exploitation fixe qui utilisent d'abord leur moteur, et le système vélique en supplément pour réduire leur consommation. Dans cette configuration, la vitesse du vent génère un vent «vitesse» de 15 nœuds constants et face au navire. Cela implique que le vent «apparent» (qui est le vent réellement perçu et utile pour propulser le navire) sera presque toujours sur l'avant du travers, le navire étant toujours au près. Les ailes sont le système de propulsion éolienne qui présente les meilleures performances au près, elles génèrent de la portance très tôt (avec des angles au vent très faibles) et très peu de traînée». Ensuite, il y a le routage. Nous travaillons avec une start-up nantaise baptisée D-Ice Engineering, à la pointe du routage météo mixte, pour les navires propulsés à la voile et au moteur. C'est une compétence très spécifique car pour une vitesse donnée, on peut y parvenir de multiples façons selon les conditions de vent : parfois 80% moteur et 20% voile, ou bien parfois 50% moteur et 50% voile etc. La vitesse induite par le moteur fait fonctionner les voiles différemment. D-Ice va fournir deux types de services. Le premier est un routage statistique qui permet d'évaluer la pertinence d'une ligne et les économies envisageables en se basant sur les statistiques de vent des années passées. Le deuxième est le routage en temps réel qui donne au navire la route à emprunter, et surtout, le cran moteur à adopter. La fusée Ariane 6 Leur brevet de capitaine en poche, Victor repart naviguer et Nils bénéficie d'un poste de chargé de recherche à l'ENSM pendant trois ans. Pendant ces années, ils vont rencontrer de nombreux chargeurs pour les convaincre de passer à la voile. Ils leur expliquent qu'ils peuvent proposer le transport au même niveau de service, à la même vitesse qu'un navire classique. Ils imaginent une multitude de projets qui sont abandonnés faute d'interlocuteurs convaincus. Quelques clients se montrent toutefois réceptifs. Ainsi, le transport du cognac et de vins de Bordeaux, ou la demande de Danone d'étudier le transport de l'eau d'Evian sur le lac Léman avec un navire propulsé à la voile et à l'hydrogène. A l'été 2017, sur la proposition de leur associé Aymeric Boivin, ils postulent au premier appel d'offres pour le transport de la fusée Ariane 6. L'appel d'offres est déclaré infructueux. A la fin de 2017, ils concourent au second appel d'offres avec le partenariat de Jifmar Offshore Service, une société spécialisée dans les petits navires d'assistance à l'offshore, avec laquelle ils créent une coentreprise baptisée Alizés. L'appel d'offres est exigeant et après une compétition en finale avec le duo Marfret CMA CGM, Alizés remporte le marché et signe le 23 septembre 2019 le contrat de transport de la fusée Ariane avec ArianeGroup. La Maritime Nantaise, qui transporte actuellement des pièces d'Ariane 5, n'a pas été retenue dans la liste restreinte. Le Canopée
La propulsion éolienne, un pari économiquement réaliste La propulsion éolienne devrait prendre tout son essor à partir des années 2030-2040, lorsque davantage de nouvelles constructions seront entrées dans la flotte et que les coûts d'investissement auront diminué, en raison d'effets d'apprentissage et d'économies d'échelle. Loin d'être anachronique, miser sur le vent comme énergie du futur, semble être un pari économiquement réaliste. Comme le conclut le cabinet ISEMAR dans son étude sur les énergies innovantes décarbonées telles que la propulsion éolienne (rotor, turbo-voiles, voiles souples ou rigides, kites), celle-ci est pleine d'avenir. Une étude du gouvernement britannique estime le marché de la propulsion éolienne à quelque deux milliards de livres (2,3 milliards d'euros) en 2050. Le cabinet indépendant CE Delft prévoit pour sa part que plus de 10 000 bateaux pourraient être équipés à l'horizon 2030. C'est tout le travail que mène l'association IWSA (International Windship Association) dont le but est de promouvoir l'utilisation de la propulsion éolienne dans le transport maritime commercial pour réduire la consommation de carburant et les émissions liées au changement climatique. Récemment à Londres, dans la Royal Institution of Naval Architects (RINA), s'est tenue une conférence consacrée à la propulsion vélique. L'enjeu : démontrer à des armateurs et affréteurs souvent sceptiques que l'assistance du vent peut permettre des économies de carburant substantielles et un transport plus propre, ce qui devient essentiel pour l'image de marque de ces compagnies auprès du grand public. Comme l'a souligné Gavin Allwright, secrétaire général de l'IWSA, organisatrice de l'événement, «Le vent, c'est une énergie infinie et gratuite et nous avons 5 000 ans de retour d'expérience dans son utilisation». (1) L'architecte naval Mark Van Peteghem est le créateur d’EMC, avec Gérard Similoswki lui-même créateur d'aviation sans frontière, Yves Marre cofondateur de l'ONG Friendship au Bangladesh et du commandant Alain Conan, membre de l'Afcan. (2) Jean-Emmanuel Sauvée a été élu président d’Armateurs de France en 2020. Sources Quand le fret remet les voiles, Et vogue le cognac, le Grayhound lévrier de Cornouailles, Ceux du Nordlys, articles du Chasse-Marée. Le retour de la voile, Tres hombres, caboteur sans moteur, article de Navires et Marine marchande. Une énergie économique et écologique : la force du vent, note de synthèse ISEMAR. Zéphyr et Borée : il y a des solutions pour décarboner le shipping, Mer et Marine. Cargos à voile : Sogestran va entrer au capital de Neoline, Mer et Marine. Nils Joyeux, fondateur de Zéphyr et Borée, article Jeune Marine. Articles La Fondation Thalassa, Le Marin, Mer et Marine.
René Tyl,
Membre de l'AFCAN |