Retour au menu
Retour au menu
Le retour du transport des marchandises à la voile.


Dans le milieu maritime, beaucoup sont habitués à un certain confinement, c'est le cas des marins-pêcheurs à la pêche hauturière ou celui des sous-mariniers en mission, c'est aussi le cas des marins qui transportent des marchandises à la voile à la vitesse du vent.

Le vent pourrait devenir le carburant de demain.

Le transport maritime représente aujourd'hui 3 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) mondiales. Avec près de 90 % des marchandises transportées par la mer, son empreinte environnementale devrait passer à 17 % d'ici 2050.
 
On constate un nombre croissant de réglementations locales et internationales venant renforcer les exigences en matière de lutte contre les GES. L'OMI a mis en place un calendrier réglementaire de plus en plus strict visant à limiter ces émissions et à verdir le shipping. Son objectif est clair : atteindre une réduction de 50 % des GES imputables au secteur d'ici 2050.
Mais parallèlement à ces évolutions réglementaires mondiales, à ces révolutions technologiques en matière de carburants, une autre révolution, bien plus surprenante, celle-là, est en train de toucher le transport maritime : le retour de la voile, comme mode de propulsion pour le transport maritime de marchandises.
La propulsion éolienne présente l'avantage d'être illimitée, non polluante, économe en énergie. Aussi, face à une montée en puissance du transport maritime et à l'augmentation corrélative des émissions de GES, le mode de propulsion éolien ne serait-il pas susceptible d'être adapté pour tous types de navires afin de leurs émissions polluantes ?
De Morlaix à la Gironde en passant par Douarnenez et Nantes des visionnaires travaillent sur une flotte moderne de cargos à voile. Ils inventent le transport de demain. Si le moteur diesel a supplanté la grande majorité de l'ensemble des moyens de propulsion, la voile a perduré dans la course au large la plaisance et l'exploitation des navires de patrimoine.


Le retour du cabotage à la voile


Tres Hombres
 
Nordlys
 
Lun II
 
De Gallant
Depuis quelques années, des voiliers traditionnels ont repris le transport de marchandises, avec des motivations et des approches bien différentes. Tous ont cependant un dénominateur commun, qui explique leur présence à Douarnenez : leur affréteur, la société TOWT (Trans Océanique Wind Transport) spécialisée dans le transport de marchandises à la voile. Elle affrète des vieux gréements, offrant ainsi une alternative écologique au transport conventionnel : économie de CO2 et zéro émission de soufre, grâce à la propulsion vélique. Créé en 2011 par Guillaume Legrand, diplômé de sciences politiques et ancien trader à la City, l'entreprise transporte pour le compte de tiers ou pour son propre compte, café, cacao, bière, vin, huile d'olive, rhum ou encore épices.
Les locaux sont situés sur les quais de Douarnenez, escale régulière de toute une flottille de voiliers traditionnels, avec lesquels travaille l'armement, comme :
  • le Tres Hombres, un ancien mouilleur de mines allemand de 32 mètres, rénové et gréé en brick-goélette par trois jeunes Néerlandais, Jorne, Arjen et Andréas, pour effectuer du transport. Soutenu par la société Fairtransport shipping, il dispose de 315 mètres carrés de voilure et peut charger 35 tonnes de fret ;
  • le Nordlys, ancien bateau de pêche en bois construit en 1873 sur l'île de Wight, acquis pour un euro et reconverti par les mêmes jeunes hollandais pour le commerce des marchandises à la voile. D'une longueur de 20 mètres, il dispose d'une surface de voilure de 290 m2, et peut charger 30 t de marchandises ;
  • le Lun II, ancien ketch de pêche norvégien, construit en 1914, dont le transport reste l'activité première. Chaque année, il traverse l'Atlantique, chargé de rhum et de café, et cabote le long des côtes européennes ;
  • le Corentin, de l'association le Lougre de l'Odet, cabote entre l'Iroise et la Gironde, chargé à l'aller de produits des Cornouailles, et de vin au retour ;
  • le Grayhound, construit en 2012 sur le modèle des grands lougres des contrebandiers et des douaniers de Cornouailles. Gréé de 400 m2 de voilure, il accueille des passagers à la découverte des côtes de Cornouailles, des Scilly et de la Bretagne, tout en leur faisant découvrir le transport de marchandises à la voile, principalement du vin français dans un sens et bières anglaises dans l'autre ;
  • le De Gallant, un voilier « haring logger » de 36,20 mètres de long, construit en 1916 aux Pays-Bas, utilisé pour la pêche aux harengs. Restauré en 1987 par une association de formation de jeunes d'Amsterdam, il a navigué à partir de 1993 en mer du Nord, en Baltique et en Manche, embarquant des passagers, et servant également de voilier de formation. Il transporte actuellement des cargaisons pour TOWT, et a notamment embarqué en 2018 dix fûts du cognac de la Maison Camus à destination des Caraïbes. Il dispose d'une surface de voilure de 415 m2 de voilure, d'une capacité de 19 personnes et de 35 tonnes de chargement.
TOWT organise des liaisons transatlantiques, de la Caraïbe à l'Europe, mais aussi des voyages au grand cabotage du Portugal à la Scandinavie, et au petit cabotage en France et en Angleterre.
Les quantités transportées sont relativement modestes, et subissent les mêmes contraintes de coût qui avaient motivé au siècle précédent l'arrêt du transport à la voile. Aussi, explique Guillaume Legrand, « notre travail est de créer une plus-value sur un produit transporté à la voile et à la valoriser sur le marché ». Les produits transportés sont estampillés du label Anemos (qui signifie « le vent » en grec ancien), marque initiée par TOWT, mentionnant qu'ils ont été transportés uniquement à la voile.
L'armement doit cependant agir à plus long terme pour pérenniser son activité. Beaucoup des voiliers affétés ont des pavillons divers, panaméen pour Nordlys ou Tres Hombres, Vanuatu pour Lun II dont la société est basée à Hong Kong, ou britannique pour Grayhound. Guillaume Legrand mène un gros travail de lobbying auprès des Affaires maritimes et des Douanes pour développer le transport à la voile sous pavillon français. Les Affaires maritimes se montrent réceptives et accordent au coup par coup des permis de navigation pour un chargement précis. Cependant, pour les navires armés en NUC (Navire à utilisation collective) notamment, il reste encore à définir un cadre d'activité durable.


Après les voiliers traditionnels, les premiers voiliers-cargos

Mais transporter des marchandises sur ce type de bateaux, n'est pas pour TOWT, une fin en soi. «Les vieux gréements n'ont été qu'une étape, sans laquelle rien n'aurait pu être fait jusqu'ici», déclare Guillaume Legrand, «il faut désormais songer à des outils plus adaptés». Son ambition est de passer du statut d'affréteur de voiliers existants à celui d'armateur de voilier-cargo.
 
Le grand projet de TOWT est de lancer fin 2021 un trois mâts cargo de 70 mètres dont la capacité avoisinera les 1 000 tonnes, doté de toutes les techniques modernes de routage, qui naviguera à 10 nœuds de vitesse de croisière. Un système de propulsion à hydrogène, fonctionnant uniquement pour les manœuvres portuaires, alimentera un moteur électrique. Des batteries chargées par l'énergie produite grâce aux mouvements de l'hélice permettront d'assurer l'ensemble des besoins du bord. Armé par un équipage de huit personnes, ce trois mâts pourra effectuer trois trajets transatlantiques par an.
Selon TOWT, ce premier cargo voilier évitera, sur trente années d'exploitation, l'émission d'un million de tonnes de C02. Baptisé Anemos, un projet de ce futur voilier est conçu par le cabinet d'architecture nantais H&T.
En 2020 la compagnie maritime de Douarnenez monte un projet de transport de café avec le port du Havre.
Le premier port français pour l'importation de café vert par porte-conteneurs s'apprête en effet à accueillir des voiliers-cargos pour transporter par palettes la graine sud-américaine. L'enjeu est de réaliser 50 escales par an avec des voiliers-cargos pouvant transporter 1 000 tonnes de café sur palettes.
TOWT, qui vient de rejoindre Armateurs de France et le Cluster maritime français, signe avec le port du Havre un accord commercial qui lui accordera un tarif préférentiel au titre de la notation environnementale des navires «Environnemental Shipping Index (ESI)».
L'armement bénéficiera aussi du soutien financier des certificats d'économie d'énergie (CEE) abondés par les fournisseurs d'énergie. L'opération repose sur le dispositif des CEE, via lequel les fournisseurs d'énergie ont une obligation, imposée par les pouvoirs publics, de réaliser des économies d'énergie. TOWT prévoit de mettre en service quatre cargos à voile à partir de 2022, chacun assurant un départ tous les quinze jours pour trois lignes régulières : Le Havre-New-York-Québec via Saint-Pierre-et-Miquelon, Le Havre-Veracruz-Santa Marta, et Le Havre-Abidjan. Le choix de l'escale à Saint-Pierre-et-Miquelon s'explique par le fait que ces CEE ne sont valables que pour des liaisons entre deux ports français. Sept chantiers européens ont déjà été présélectionnés avec une commande du premier navire prévue en octobre 2020. Le coût d'une unité pourrait être évalué à une douzaine de millions d'euros. Deux membres de la famille d'industriels du Nord Mulliez vont entrer au capital de la société à titre personnel. TOWT a par ailleurs affrété en mi-février la goélette De Gallant pour transporte 12 tonnes de café entre Santa Marta en Colombie et Le Havre.

 
En 2010, l'énergéticien Olivier Barreau a l'idée de développer une entreprise de production de café torréfié et de chocolat, dont les matières premières seraient transportées à la voile depuis la zone Caraïbes vers la Bretagne. La brûlerie de café est créée en 2013 à Morlaix et la chocolaterie deux plus tard. La société prend le nom de Grain de Sail.
La conception d'un voilier-cargo est menée simultanément. Elle aboutit à un monocoque en aluminium de 22,9 mètres, gréé en goélette à deux mâts, capable de transporter 35 tonnes palettisées. Son coût est évalué à 1,7 million d'euros.
Confiée au chantier Aluminium de Couéron près de Nantes, la construction du futur voilier, baptisé Grain de Sail débute le 25 octobre 2018.
Sa mise à l'eau doit avoir lieu en juin 2020 et la première transatlantique débuter en septembre. Grain de Sail battra pavillon tricolore et sera armé par quatre marins.
Il est prévu de partir avec environ 20 000 bouteilles de vin à destination de New-York, de descendre ensuite en République Dominicaine pour prendre du café et surtout du cacao avant de rentrer à Morlaix en fin d'année.

Le cabinet néerlandais Dykstra, connu pour avoir lancé de très beaux voiliers de plaisance (des classes I et entre autres le Maltese Falcon), dessiné des voiliers écoles et en particulier le Rainbow Warrior III pour Greenpeace, s'est lancé en 2012 dans la conception d'un navire à propulsion mixte, voile et moteur. Ce voilier pourrait être déployé sur l'Atlantique par Fairtransport, la société des trois co-armateurs du Tres Hombres, et reprendre la route du vieux gréement, même si les «trois hommes» n'y croient plus aujourd'hui.
 
Baptisé Ecoliner, ce voilier de 138 mètres de long et 18 mètres de large, sera équipé d'un gréement Dynarig : la manœuvre des immenses phares carrés, portés par des mâts orientables, est automatisée et pilotée par des ordinateurs. Ce voilier hybride, qui alliera 4 000 mètres carrés de voilure à une propulsion diesel-électrique de 3 000 kilowatts, pourra emporter 8 000 tonnes de chargement, soit le contenu de 476 conteneurs équivalent 20 pieds (EVP). Les études préliminaires promettent une réduction des émissions de gaz à effet de serre de plus de 50 pour cent.
Estimé à 20 millions d'euros, les concepteurs ne cachent pas que le prix élevé du voilier devrait être amorti par le fait que pendant ses 30 ans d'existence, il réduira considérablement les coûts du carburant. Cependant la question n'est pas résolue de savoir si les coûts d'amortissement et de fonctionnement du navire ne resteront pas supérieurs à celui des taux de fret, notamment pour des marchandises de vrac de faible valeur.
Si le projet Ecoliner existe sur le papier, il n'a toutefois toujours pas trouvé les investisseurs qui rendront possible sa construction.

 
Dans le même esprit, Eole Marine Colportage (EMC) un département de l'ONG internationale Watever, a conçu ces dernières années un projet de caboteur à voiles destiné à la navigation en Polynésie française. Le gréement, deux mâts-ailes d'une quarantaine de mètres de haut totalisant une surface de 275 m2, est une innovation propre au cabinet VPLP représenté par Marc van Peteghem(1). Ce système est couplé à deux moteurs hybrides diesel/électriques.
Avec leurs 80 mètres de long pour 17 mètres de large et 3 mètres de tirant d'eau, les trois coques de ce cargo mixte (fret et passagers) de 1 000 tonnes à vide peuvent rendre de nombreux services à des populations disséminées dans des géographies isolées des grandes routes maritimes et souvent difficiles d'accès.
Le projet, présenté au CESC de Polynésie française, intéresse la communauté portuaire désireuse de mettre en place un système de communication entre les Iles Sous le vent qui permettrait notamment d'économiser entre 30 et 60 pour cent de carburant.

Des technologies de pointe

Le mode de propulsion éolien est susceptible d'être adapté pour tous types de navires. Des projets innovants relatifs au navire du futur écologique fleurissent un peu partout dans le monde, avec une dominante européenne.
On peut distinguer cinq types de technologie à propulsion éolienne : les voiles souples, les voiles rigides, les cerfs-volants de traction ou ailes de kite, les rotors, les turbines éoliennes. Parmi ces cinq technologies, trois se distinguent : le rotor, les ailes de kite et les ailes de voile rigides.
  • La technologie du rotor, inventée au XXe siècle par l'Allemand Flettner, consiste à installer sur le navire des mâts rotors convertissant en
 
poussée horizontale la force du vent capturée dans ces grands tubes verticaux. On peut citer comme réalisation l'E-Ship 1, navire de 130 mètres de long, mis en service en 2008, chargé de transporter des éléments d'éolienne, le premier à ouvrir la voie pour un renouveau de la propulsion vélique dans les navires modernes, le ferry au gaz finlandais Viking Grace, le roulier Estraden affrété par P&O en mer du Nord et le transporteur de produits raffinés Maersk Pelican. Les résultats sont plutôt probants dès lors que les conditions de vent sont favorables, les économies de carburant pouvant atteindre 20%.
Un second système, plus connu en France, est la propulsion éolienne à profil aspiré, inspirée par la Turbovoile. Le principe, basé sur l'aspiration de la couche limite d'un profil d'aile afin d'en augmenter la portance, étudié dans le domaine aéronautique depuis longtemps, a été développé dans le domaine naval sous l'impulsion du commandant Cousteau qui en a doté son navire l'Alcyon dans les années 80. Les économies de carburant pourraient être de 30 % .
 
  • Les cerfs-volants ou ailes de kite, généralement situées à l'avant du navire, volent en altitude où le vent est plus fort qu'en surface. Le groupe Airbus, via sa start-up Airseas, va installer en 2021 sur le gros roulier Ville de Bordeaux de Louis Dreyfus Armateurs une aile de kite de 500 m2 automatisée (Seawing). Un simple interrupteur devrait lancer et récupérer le cerf-volant qui se déploiera et se repliera de manière autonome, un véritable enjeu dans ces phases délicates où le risque de destruction de l'aile est élevé. Dans la même veine, CMA CGM s'est associée à la société Beyond the seas d'Yves Parlier pour l'installation d'une voile de 1 600 m2 à bord d'un porte-conteneurs. Selon leurs concepteurs, le gain de consommation de carburant serait de 20 % aux allures portantes.
 
  • Les ailes de voile rigides ou semi-rigides ont déjà été installées sur le navire de croisière Ponant en lieu et place de ses voiles d'origine pour une phase d'expérimentation. Ces voile appelées Solidsail ont été développées par les Chantiers de l'Atlantique.
   
De son côté, l'architecte naval Marc Van Peteghem du cabinet VPLP, célèbre depuis la victoire de la coupe America en 2010 d'un trimaran à ailes rigides, s'est associé à la CNIM pour développer et fabriquer un système innovant d'aile rigide appelée Oceanwing. Cette voile autoportée et rotative sur 360° a été testée et validée sur le catamaran Energy Observer, voilier démonstrateur des techniques décarbonées.
Le gréement est autoporté, arisable et entièrement automatisé.
 
           Les ailes Oceanwings équiperont le futur Canopée de Zéphyr et Borée (voir infra).

Dans un souci de donner un aperçu de l'efficience du potentiel de la propulsion éolienne, le cabinet de consultants CE Delft a rédigé en 2016 un rapport donnant des estimations de rendement énergétique des différentes technologies éoliennes en tant que propulsion auxiliaire. Le pourcentage d'économie est de 17 % pour le rotor (23 % dans le cas de vitesse lente VL), 18 % pour la voile rigide (24 % VL), 5 % pour le cerf-volant (9 % VL) et 2 % pour la turbine (4 % VL).
La technologie du rotor, simple et économique, ainsi que celle des ailes rigides, se distinguent en termes de gain d'économie. Ces types de technologie sont plus adaptés pour de gros navires. Les rotors, ayant besoin d'espace disponible sur le pont, ne sont pas adaptés pour les porte-conteneurs. A l'inverse, le cerf-volant s'adapte très bien aux porte-conteneurs et n'a besoin que d'un espace restreint sur le pont. Mais sa mise en place reste complexe.

Le constat de la conception du transport à la voile est clair : l'approche moderne et à grande échelle du transport de fret à la voile suppose des investissements considérables dans un marché encore balbutiant. Néanmoins des équipes d'architectes et d'ingénieurs planchent sur l'avenir du futur navire écologique à une échelle adaptée à un trafic mondialisé : un navire de grande capacité, couplant des gréements innovants à des motorisations économes en carburant.
Convoyer des marchandises à travers l'Atlantique à la force du vent n'est plus une utopie. Deux entreprises, installées à Nantes, développent chacune un projet de cargo à voile pour le transport de fret, la société Neoline et la start-up Zéphyr et Borée.

Les navires pilotes de la société Neoline

Le projet Neoline est né de l'engagement d'un groupe d'officiers de la Marine marchande convaincus que les enjeux climatiques allaient conduire le monde du shipping à envisager de nouveaux modes de propulsion et que la voile est la seule solution immédiatement disponible et suffisamment puissante pour propulser des navires de charge. Au terme de quatre années d'un travail de réflexion et de conception, la société Neoline est constituée en 2015. Le président est Michel Péry, ancien commandant de rouliers et du Belem, et le directeur général Jean Zanutti, officier de la marine marchande. Le Comité de direction s'est adjoint la présence de Philippe Videau, co-fondateur de la compagnie du Ponant.
Dans un premier temps, le nouvel armement prévoit de commencer par la mise en service sur l'Atlantique Nord de navires « pilotes » qui permettront une économie de la consommation de fuel.

L'appel d'offres

 
Pour concrétiser son ambition, Neoline lance dès septembre 2018 un appel d'offres pour la construction de deux premiers navires, avec pour objectif une mise en service fin 2021. Ces navires, les Neoliners, conçus par le Bureau Mauric, doivent mesurer 136 mètres de long pour 24,2 mètres de large, avec un tirant d'eau maximal de 6 mètres au port et 14 mètres au large (en raison du déploiement de grands ailerons sous la coque). Ils seront dotés d'un gréement en duplex totalisant 4 200 m2 de voilure, qui permettra d'obtenir une vitesse de 11 nœuds. Ces mâts pourront être rabattus sur l'arrière afin de réduire le tirant d'air de 67 mètres en navigation à 41 mètres, hauteur compatible avec le passage sous les grands ponts.
Les navires disposeront d'une propulsion classique, un diesel-générateur de 3 200 kW, et un moteur électrique de propulsion de 900 kW qui servira en cas d'absence de vent ou aux manœuvres portuaires.
Mais à elle seule la propulsion vélique doit permettre de réduire de 80 à 90 % les besoins énergétiques du Neoliner par rapport à un cargo classique.
Armés par 14 membres d'équipage dont un état-major français de cinq officiers, et pouvant accueillir 12 passagers, ils seront immatriculés au RIF.
Affichant un port en lourd de 5 000 tonnes, Ils sont conçus pour transporter tout type de marchandises, notamment du fret lourd, du roulant, des colis hors normes et aussi des conteneurs, avec une capacité de 286 EVP. Ils auront une grande rampe à l'arrière et trois zones de chargement dont deux grands ponts rouliers de 1 500 mètres linéaires (500 voitures).
Le financement de l'opération devrait coûter une cinquantaine de millions d'euros pour le premier cargo, dont 30 % de fonds propres et 70 % d'emprunts.

La mise en chantier

Un an après son appel d'offre international et la consultation de plus de 17 chantiers navals à travers le monde, Neoline a choisi la nouvelle société nantaise Neopolia pour la construction de son premier cargo à voiles. Compte tenu de la lenteur des aspects juridiques, le lancement de la construction espéré fin 2019 est remis à l'été suivant, et la mise à l'eau en 2022.

Les premiers clients

Visant des marchés de niche, des opérations logistiques complexes mais aussi des clients soucieux d'utiliser un moyen de transport plus vertueux pour l'environnement, Neoline s'est assurée de l'engagement de trois gros clients : Renault, pour livrer des voitures, Manitou, spécialiste des engins de manutention et Bénéteau, le constructeur de bateaux de plaisance.
Manitou et Bénéteau réalisant une part importante de leur activité sur le marché nord-américain, sont intéressés par l'alternative d'une solution de transport depuis Saint-Nazaire vers Baltimore. Quant à Renault, la ligne permettra l'acheminement d'une centaine de véhicules que le groupe livre chaque année à Saint-Pierre-et-Miquelon. Ces navires seront exploités sur une ligne transatlantique dont la rotation est la suivante : Saint-Nazaire, Saint-Pierre-et-Miquelon, Baltimore, Halifax, de nouveau Saint-Pierre-et-Miquelon et retour à Saint-Nazaire.

Les partenaires, EDF et Sogestran

Le groupe familial havrais Sogestran, actif dans la logistique et le transport maritimes et fluvial, a décidé en février dernier d'entrer au capital de Neoline. Sa participation, à hauteur de 15 % du capital de la société, correspond à la levée de fonds nécessaire pour lancer la réalisation de son premier cargo à voiles. Ce faisant, le président de Sogestran, Pascal Girardet, explique sa décision «accompagner des projets locaux et novateurs qui s'inscrivent dans sa volonté de développer de nouvelles lignes maritimes plus écologiques».
Sogestran a racheté en 2017 à la Compagnie nationale de navigation (CNN) sa filiale, la Compagnie Maritime Nantaise (MN) dont deux rouliers assurent le transport des éléments de la fusée Ariane 5.
Le groupe pourrait ainsi apporter à Néoline son expertise dans le domaine du suivi du chantier et pour le management des futurs cargos voiliers qui seront armés sous pavillon français.

Neoline a annoncé un autre partenariat, celui d'EDF. L'armement a signé en décembre dernier un accord spécifique de délivrance de Certificats d'Economie d'Energie (CEE) (voir supra).
En l'occurrence, un navire Neoline permettra d'économiser 600 000 MWh sur 15 ans, soit la consommation en énergie d'une ville de 900 000 habitants pendant 10 ans, ou la production de trois éoliennes de 6 MW sur la même période.
L'obtention d'un CEE est un véritable atout pour la société, puisque non seulement il permet de mesurer les gains réalisés par le navire, mais se traduit aussi par un soutien financier au projet.

Une association ambitieuse : Zephyr & Borée

Suivant l'exemple de Jean-Emmanuel Sauvée(2) et de Philippe Videau, fondateurs de Ponant en 1988 avec une dizaine de leurs camarades de l'Hydro de Nantes, Nils Joyeux, élève à l'Hydro du Havre, a créé en 2015, avec trois camarades dont Victor Depoers issu de la même promotion que lui, l'entreprise Zéphyr & Borée.

La création de Zéphyr & Borée

Nils Joyeux a passé son adolescence sur le voilier de ses parents, entre l'Europe du Nord et la Méditerranée. Passionné par le métier de marin, il entre en 2007 à l'Ecole Nationale de la Marine marchande du Havre. Après ses premières années scolaires, entrecoupées de longues périodes de navigation, il rejoint l'école de Nantes en 2014-2015 pour suivre sa cinquième année de cours.
L'aventure de Zéphyr & Borée commence dans le cadre du mémoire de fin d'étude sur le thème du transport à la voile Avec son ami Victor, ils étudient alors la technique du transport à la voile et s'intéressent à toutes les technologies, du kite au rotor Flettner. Pour ce faire, ils s'associent à Aymeric Bolvin, diplômé de l'EDHEC et créent l'association Zéphyr & Borée.

Le déclic

Rien n'aurait été possible sans une rencontre «fondatrice» avec l'architecte naval Marc van Peteghem. Ils se rendent compte que les voiles rigides développées par VPLP sont un véritable moteur éolien qui fonctionne à toutes les allures. Cette rencontre est une révélation, ils sont convaincus qu'il est nécessaire de changer de mode de conception, non pas via un retour à la voile classique, mais qu'il faut utiliser le vent avec la même simplicité qu'un moteur, au moyen d'un système automatisé et rentable.
Marc Van Peteghem partage leur enthousiasme et leur conviction quant à l'avenir de la voile dans le transport maritime. Pour Nils Joyeux, «Marc a été la pierre angulaire technique de notre projet, car il a été notre seule crédibilité pendant un certain temps».

L'utilisation du vent

Pour Zéphyr & Borée «la technologie des ailes est la plus adaptée pour la propulsion mixte, c'est-à-dire sur des bateaux ayant une vitesse d'exploitation fixe qui utilisent d'abord leur moteur, et le système vélique en supplément pour réduire leur consommation. Dans cette configuration, la vitesse du vent génère un vent «vitesse» de 15 nœuds constants et face au navire. Cela implique que le vent «apparent» (qui est le vent réellement perçu et utile pour propulser le navire) sera presque toujours sur l'avant du travers, le navire étant toujours au près. Les ailes sont le système de propulsion éolienne qui présente les meilleures performances au près, elles génèrent de la portance très tôt (avec des angles au vent très faibles) et très peu de traînée».
Ensuite, il y a le routage. Nous travaillons avec une start-up nantaise baptisée D-Ice Engineering, à la pointe du routage météo mixte, pour les navires propulsés à la voile et au moteur. C'est une compétence très spécifique car pour une vitesse donnée, on peut y parvenir de multiples façons selon les conditions de vent : parfois 80% moteur et 20% voile, ou bien parfois 50% moteur et 50% voile etc. La vitesse induite par le moteur fait fonctionner les voiles différemment.
D-Ice va fournir deux types de services. Le premier est un routage statistique qui permet d'évaluer la pertinence d'une ligne et les économies envisageables en se basant sur les statistiques de vent des années passées. Le deuxième est le routage en temps réel qui donne au navire la route à emprunter, et surtout, le cran moteur à adopter.

La fusée Ariane 6

Leur brevet de capitaine en poche, Victor repart naviguer et Nils bénéficie d'un poste de chargé de recherche à l'ENSM pendant trois ans.
Pendant ces années, ils vont rencontrer de nombreux chargeurs pour les convaincre de passer à la voile. Ils leur expliquent qu'ils peuvent proposer le transport au même niveau de service, à la même vitesse qu'un navire classique. Ils imaginent une multitude de projets qui sont abandonnés faute d'interlocuteurs convaincus.
Quelques clients se montrent toutefois réceptifs. Ainsi, le transport du cognac et de vins de Bordeaux, ou la demande de Danone d'étudier le transport de l'eau d'Evian sur le lac Léman avec un navire propulsé à la voile et à l'hydrogène. A l'été 2017, sur la proposition de leur associé Aymeric Boivin, ils postulent au premier appel d'offres pour le transport de la fusée Ariane 6. L'appel d'offres est déclaré infructueux. A la fin de 2017, ils concourent au second appel d'offres avec le partenariat de Jifmar Offshore Service, une société spécialisée dans les petits navires d'assistance à l'offshore, avec laquelle ils créent une coentreprise baptisée Alizés.
L'appel d'offres est exigeant et après une compétition en finale avec le duo Marfret CMA CGM, Alizés remporte le marché et signe le 23 septembre 2019 le contrat de transport de la fusée Ariane avec ArianeGroup. La Maritime Nantaise, qui transporte actuellement des pièces d'Ariane 5, n'a pas été retenue dans la liste restreinte.

Le Canopée


 
Le nouveau navire, baptisé Canopée et dessiné par le cabinet d'architecture navale VLP, va mesurer 121 mètres de long pour 23 mètres de large et un tirant d'eau de 5 mètres. A côté d'une propulsion duale de quatre moteurs diesel/ GNL de 2 300 kW sur deux lignes d'arbre, le navire va également recevoir quatre ailes verticales articulées dotées de 1 450 m2 de voiles amenant son tirant d'air à 51 mètres.
Ces ailes rigides Oceanwings ont été développées par VLP. Le gréement est autoporté, arisable et entièrement automatisé. Rotatif à 360°, il permet d'adapter l'incidence de l'aile quelle que soit l'allure du bateau. Le réglage de la cambrure et du vrillage permet, quant à lui, de régler la puissance. Dans le cas de Canopée, les voiles fonctionneront toujours au près grâce au vent apparent auquel s'ajoutera le vent vrai. Ce qui permettra d'atteindre une vitesse de croisière maximale de 16,5 nœuds et d'obtenir une économie de 30 % de carburant.
Un appel d'offres a été lancé afin de choisir le chantier naval qui saura construire ce bateau inédit. Le navire doit être mis à l'eau début 2022.
La première rotation est prévue à la fin du premier semestre 2022. Le navire chargera à Brême, Rotterdam et Bordeaux pour Pariacabo, le port du centre spatial guyanais de Kourou.
En attendant la mise en service de Canopée, la Maritime Nantaise reste en contrat avec ArianeGroup jusqu'en 2022 avec option possible jusqu'en 2024.
Armé par Alizés le nouveau navire sera immatriculé au RIF et aura un équipage de 15 marins.
Nils Joyeux, interviewé récemment par Jeune Marine, a déclaré «que de la réussite de ce navire dépend un peu l'avenir de la propulsion vélique sur les cargos, aussi nous n'avons pas le droit d'échouer».

La propulsion éolienne, un pari économiquement réaliste

La propulsion éolienne devrait prendre tout son essor à partir des années 2030-2040, lorsque davantage de nouvelles constructions seront entrées dans la flotte et que les coûts d'investissement auront diminué, en raison d'effets d'apprentissage et d'économies d'échelle.
Loin d'être anachronique, miser sur le vent comme énergie du futur, semble être un pari économiquement réaliste.
Comme le conclut le cabinet ISEMAR dans son étude sur les énergies innovantes décarbonées telles que la propulsion éolienne (rotor, turbo-voiles, voiles souples ou rigides, kites), celle-ci est pleine d'avenir. Une étude du gouvernement britannique estime le marché de la propulsion éolienne à quelque deux milliards de livres (2,3 milliards d'euros) en 2050. Le cabinet indépendant CE Delft prévoit pour sa part que plus de 10 000 bateaux pourraient être équipés à l'horizon 2030.
C'est tout le travail que mène l'association IWSA (International Windship Association) dont le but est de promouvoir l'utilisation de la propulsion éolienne dans le transport maritime commercial pour réduire la consommation de carburant et les émissions liées au changement climatique.
Récemment à Londres, dans la Royal Institution of Naval Architects (RINA), s'est tenue une conférence consacrée à la propulsion vélique. L'enjeu : démontrer à des armateurs et affréteurs souvent sceptiques que l'assistance du vent peut permettre des économies de carburant substantielles et un transport plus propre, ce qui devient essentiel pour l'image de marque de ces compagnies auprès du grand public.
Comme l'a souligné Gavin Allwright, secrétaire général de l'IWSA, organisatrice de l'événement, «Le vent, c'est une énergie infinie et gratuite et nous avons 5 000 ans de retour d'expérience dans son utilisation».

(1) L'architecte naval Mark Van Peteghem est le créateur d’EMC, avec Gérard Similoswki lui-même créateur d'aviation sans frontière, Yves Marre cofondateur de l'ONG Friendship au Bangladesh et du commandant Alain Conan, membre de l'Afcan.
(2) Jean-Emmanuel Sauvée a été élu président d’Armateurs de France en 2020.


Sources
Quand le fret remet les voiles, Et vogue le cognac, le Grayhound lévrier de Cornouailles, Ceux du Nordlys, articles du Chasse-Marée.
Le retour de la voile, Tres hombres, caboteur sans moteur, article de Navires et Marine marchande.
Une énergie économique et écologique : la force du vent, note de synthèse ISEMAR.
Zéphyr et Borée : il y a des solutions pour décarboner le shipping, Mer et Marine.
Cargos à voile : Sogestran va entrer au capital de Neoline, Mer et Marine.
Nils Joyeux, fondateur de Zéphyr et Borée, article Jeune Marine.
Articles La Fondation Thalassa, Le Marin, Mer et Marine.
René Tyl,
Membre de l'AFCAN
Retour au menu
Retour au menu