Retour au menu
Retour au menu
 
Un nouveau phénomène à maîtriser :
le roulis paramétrique


par M. Philippe GALVAGNON, Professeur en chef de l'enseignement maritime, IGEM Paris


Merci à M. J.L. GUIBERT et à l'auteur de nous autoriser à publier cet article paru dans la revue Navigation



Résumé

         L'article suivant traite du phénomène de roulis paramétrique qui s'est traduit, au cours des dernières années, par d'importantes avaries à bord des porte-conteneurs de la dernière génération. Il se propose d'apporter au lecteur une connaissance de base concernant ce phénomène. Après une brève description des avaries subies par quelques porte-conteneurs, cet article aborde d'abord ses principales causes telles que les nouvelles conceptions de coque et les variations des paramètres de stabilité, puis analyse l'aspect physique du phénomène lui-même. Pour conclure, il présente les nouveaux systèmes/innovations disponibles qui pourraient permettre aux capitaines de prendre à l'avenir des décisions plus sûres en ce qui concerne la navigation et d'éviter d'importantes avaries à la cargaison.


Introduction

         En octobre 1998, le porte-conteneurs APL China (Post Panamax) était en route de Kaohsiung vers Seattle lorsqu'il fut pris dans une violente tempête dans le Nord Pacifique. Il y fut soumis, la nuit, pendant environ 12 heures. Le capitaine réduisit alors la vitesse et s'efforça de gouverner dans une mer toujours plus grosse venant de tribord avant. Les officiers de quart témoignèrent plus tard, de paquets de mer atteignant la passerelle (30 mètres environ). Les baies extrêmes s'effondrèrent puis celles du milieu (il y avait un chargement de 1 300 conteneurs en pontée). Mais au dire des officiers expérimentés, ce qui les avait le plus marqué furent les mouvements soudains du navire au pire de la tempête. Des embardées de 30° à 40° rendaient la tenue de route impossible, les survitesses du moteur principal associées à des coups de ballast importants traduisaient des amplitudes de tangage élevées. La gîte au roulis se produisant lors du tangage extrême atteignait des angles de 40°.

         Le capitaine déclara ultérieurement que le navire était absolument incontrôlable au pire de la tempête. Le matin qui suivit permit l'évaluation des dégâts :
       400 des 1.300 conteneurs de la pontée étaient à la dérive,
400 autres avaient subi de lourdes avaries et plusieurs pendaient le long des murailles du navire retenus par leurs dispositifs de saisissage. À l'arrivée au port de Seattle, les assureurs corps et leurs experts évaluèrent le montant des avaries à $100 millions. Ce fut le montant d'indemnités versé le plus élevé concernant un porte-conteneurs.

       En janvier 2002, le porte-conteneurs Dirch Maersk subit des avaries similaires lors d'une traversée de l'Atlantique Nord (Cf. Annexe 1), suivi par d'autres navires (OOCL America, P&O Nedloyd) au cours de ces dernières années. Les capitaines faisant tous état dans leur rapport de mer de la violence et de l'amplitude inhabituelle des mouvements du navire.


M/S OOCL America
         Cette accumulation d'accidents amena donc les assureurs par l'intermédiaire des sociétés de classification à se pencher sur ce problème. Il n'existait jusqu'alors que très peu d'études du comportement dynamique des navires par mer de l'avant; celles-ci concernaient surtout le comportement de ces navires par mers de l'arrière ou de ¾ arrière auxquelles ils sont très sensibles (l'OMI avait publié en 1995 des mesures guide à l'intention des capitaines pour éviter les situations dangereuses dues à des mers de l'arrière).

       Une des conséquences directes de ces désarrimages est la croissance du nombre de conteneurs à la dérive. Selon un rapport de l'AMRIE (Alliance of Maritime Regional Interests in Europe), il pourrait y avoir jusqu'à 10 000 conteneurs tombant à la mer chaque année. Si l'on considère qu'un conteneur flotte en moyenne 3 mois avant de couler, on arrive au chiffre d'environ 2 500 conteneurs dérivant en permanence. Ils présentent un danger d'autant plus important qu'ils se trouvent au voisinage des grandes routes commerciales maritimes.


Évolution de la construction des porte-conteneurs

M/V MAERSK DUBAI 1975 M/V CMA-CGM MEDEA 2006
   Longueur 260 m       Longueur 349 m   
   Largeur 32 m       Largeur 42,8 m   
   Capacité 2456 EVPs       Capacité 9415 EVPs   
   Tirant d'eau 9,5 m       Tirant d'eau 15 m   
   Vitesse 25 nds       Vitesse 24 nds   

       Les porte-conteneurs qui dans les années 1970 avaient une capacité aux environs de 2 000 EVPs (EVP = Équivalent vingt pieds (Twenty Equivalent Unit) capacité des porte-conteneurs.) se sont développés en taille en raison de leur succès (absence de rupture de charge, meilleure protection des marchandises, intégration dans les chaînes logistiques multimodales, réduction du coût unitaire du transport) et l'on assiste actuellement à une course au gigantisme qui peut être mise en parallèle avec celle concernant les pétroliers dans les années 60. À titre d'exemple, on trouvera ci-dessous un comparatif entre deux de ces navires.


Évolution des formes d’un porte-conteneurs


M/S Maersk Dubai


M/S CMA CGM Medea

       L'évolution des formes de coque a été la plus marquante. En effet, afin de conserver une vitesse de service aux environs de 25 nœuds pour des navires de cette taille, sans obérer la consommation, il a fallu donner des formes plus fines aux œuvres vives. Il ne faut pas oublier que ces navires ont des moteurs principaux développant des puissances de l'ordre de 100 000 ch, les hélices transmettant cette puissance ont vu leur poids augmenter jusqu'à 100 t ainsi que leurs dimensions (pales plus longues) ce qui a également entraîné un surélèvement de la voûte AR afin d'éviter les problèmes liées aux vibrations cycliques des pales. La surface de la pontée représente celle de trois terrains de football. Elle est élargie afin de recevoir le plus de conteneurs possible. L'évolution de ces paramètres a plusieurs conséquences importantes du point de vue de la stabilité :

  • les porte-conteneurs ont actuellement des longueurs correspondant aux périodes des vagues que l'on trouve entre autres dans le Pacifique ou l'Atlantique Nord ;
  • ils possèdent un dévers et une quête très prononcés à l'AV et une voûte AR se prolongeant beaucoup plus vers la partie maîtresse du navire, les bordés verticaux n'occupant plus qu'une faible partie de la surface de la coque.
       Ceci a pour résultat d'entraîner une variation importante du GM moyen lorsque le flotteur se trouve alternativement sur une crête ou sur un creux. (Le GM représente indirectement la valeur du couple de redressement. Une grande variation entraîne une grande variation du couple de redressement (Cf. Annexe 2).) En effet, Le rayon métacentrique r = I/V et donc le GM varient de la façon suivante :


 
  • navire sur une crête : la surface de flottaison diminue donc le moment d'inertie de la surface diminue et par conséquent r et donc le GM diminuent ;
  • navire sur un creux : la surface de flottaison augmente donc le moment d'inertie de la surface augmente et par conséquent r et donc le GM augmentent.


Navire dans la crête d'une houle de longueur λ=L
 
Navire dans le creux d'une houle de longueur λ=L

 


       C'est la succession de ces variations de façon alternative qui, dans certaines circonstances, peuvent rentrer en synchronisme avec les trains de houle et favoriser l'apparition d'un roulis extrême qualifié de roulis paramétrique.


Phénomène physique du roulis paramétrique

       Il est à rapprocher des oscillations paramétriques des pendules. Ces oscillations sont qualifiées de paramétriques car un de leur paramètre descriptif varie au cours du temps (en l'occurrence la longueur du pendule) et est similaire à celui de la prise d'élan sur une balançoire ou celui du fonctionnement du Botafumeiro de St Jacques de Compostelle. (Dont une animation peut être visualisée sur le site : www.sciences.univ-nantes.fr/physique/perso/gtulloue/Meca/Oscillateurs/botafumeiro.html

         Regardons ce qui se passe lors d'une prise d'élan sur une balançoire, les pointillés sur la figure ci-dessus représentant le trajet du centre de gravité de l'enfant. Pourquoi peut-il se balancer seul en accroissant l'amplitude du mouvement ?

       Quand l'enfant atteint le point A, il redresse son corps d'une hauteur d et la tension de la corde est TA; il réalise un travail positif qui fournit une énergie de TAd au système.

       Lorsqu'il atteint le point B, il baisse son centre de gravité de d en s'accroupissant et réalise un travail négatif. Si la tension de la corde est TB alors le système perd une énergie TBd.

       En B sa vitesse est nulle est donc TB = mgcosθ. Mais lorsqu'il est en A, sa vitesse est maximale et la différence entre la tension et son poids égale la force centripète TAmg = mv2/L. Donc TA>TB. Le travail positif est supérieur au travail négatif et de l'énergie est transmise au système.
Si ce travail est fourni en synchronisme (ici 2 fois par période) les mouvements de l'enfant sont en résonance avec celui de la balançoire et l'amplitude augmente. C'est ce que l'on qualifie d'oscillations paramétriques.


Analyse du roulis paramétrique des navires


       Lorsque le navire est écarté de la verticale (1er quart de la période de roulis) et lorsque la stabilité augmente (passage d'un creux au milieu) le moment de redressement est plus important que le moment de redressement en eau calme et le navire à tendance à revenir plus vite à la verticale et à accumuler de l'énergie cinétique.

       À la fin du premier quart de la période de roulis, le navire repasse par la verticale et continue son mouvement de roulis de l'autre bord du fait de l'inertie.

       Pendant le 2e quart de la période de roulis, le navire rencontre une vague (crête au milieu de la coque et le moment de redressement devient inférieur au moment de redressement en eau calme, le navire va donc continuer son mouvement pour atteindre un angle de roulis plus important).

       Au cours du 3e quart de la période de roulis, le navire rencontre une vague (creux au milieu) et le moment de redressement augmente à nouveau, atteignant une valeur supérieure au moment de roulis en eau calme, le navire accélère son mouvement de redressement et lors du passage à la verticale, l'énergie cinétique accumulée (fin du 3e quart de la période de roulis) et la diminution du moment de redressement (crête au milieu) entraînent un angle de gîte plus important à la période T.

       C'est la répétition de ce phénomène qui conduit à des angles de gîte extrêmes.


Conclusion

       Pour qu'un roulis paramétrique s'établisse, il faut qu'un certain nombre de conditions soient réunies :
  • surface à la flottaison variant de manière importante ;
  • GM > 1m ;
  • dévers/voûte prononcés ;
  • amortissement de roulis faible ;
  • période des vagues rencontrées proche de la demi période naturelle de roulis ;
  • hauteur des vagues supérieure à un seuil ;
  • vagues venant d'un secteur de 2 à 3 quarts de chaque bord.

       Les chantiers de construction ainsi que les sociétés de classification et l'OMI proposent actuellement des solutions après avoir identifié ce phénomène :
  • étude lors de la construction de la probabilité d'apparition du phénomène ;
  • essai sur maquettes en bassin des carènes ;
  • augmentation de la surface des quilles anti-roulis ;
  • adaptation de ballasts anti-roulis ;
  • développement de la circulaire 707 MSC de l'OMI pour y inclure le roulis paramétrique (mesures guide à l'intention des capitaines de navire) ;
  • nouvelles consoles permettant de vérifier en temps réel si les conditions sont réunies pour que le roulis paramétrique apparaisse (Cf. Annexes 3 et 4).

       Les porte-conteneurs s'équipent désormais de ces nouveaux matériels/logiciels qui permettent au capitaine d'évaluer en temps réel s'il se trouve en situation critique et de prendre les mesures appropriées afin d'annuler ce risque.

       À l'heure où des études sont en cours pour la construction de porte-conteneurs de la prochaine génération d'une capacité de 13 300 EVPs (L = 396 m, l = 55 m) pouvant faire route à 27 nœuds, la prise en compte des mesures qui précèdent fournira sans aucun doute aux capitaines et équipages un moyen supplémentaire de maîtriser la conduite de ces nouveaux géants des mers.



                                      



Annexe 1

Dégâts sur le M/V Dirch Maersk



   



Annexe 2

Qu'est-ce que le GM?

 

       Lorsqu'un flotteur oscille, il le fait autour d'un point; le métacentre (M). Le point G est la position du centre de gravité du flotteur (navire + cargaison). Pour que ce flotteur soit stable, il faut que ce centre de gravité soit toujours situé sous le point M à une distance suffisante; c'est ce que l'on appelle le GM. Si ce centre de gravité passe au-dessus du point M, le flotteur n'est plus stable, il y a risque de chavirement.

       Un rocking-chair en est une bonne illustration. Tant que G centre de gravité de la personne et de la chaise est situé en dessous de M, si l'on bascule la chaise en AR par exemple, alors apparaît un couple de redressement (poids, réaction du sol) qui à tendance à ramener l'ensemble vers sa position d'équilibre. Si maintenant G passe au-dessus de M (la personne se met debout) et que l'on incline la chaise vers l'AR, alors apparaît un couple (poids, réaction du sol) qui à tendance à accentuer le mouvement et à renverser la chaise.

Annexe 3

Description générale du logiciel ARROW

         Le champ de saisie des paramètres du navire permet de rentrer les données de stabilité du navire et d'utiliser les valeurs calculées ou observées des périodes naturelles de roulis du navire comme base des calculs. Le paramètre Vagues permet de fixer deux trains de vagues qui rencontreront le navire de deux directions différentes et qui possèdent des périodes/longueurs ou hauteurs de houle spécifiques. Lorsqu'il y a plus d'un train de vagues, les effets d'interférence peuvent être pris en compte. Le champ d'affichage des résultats est conçu sous la forme d'un diagramme polaire où la position du vecteur vitesse indique si le navire est en situation de danger potentiel. Divers styles de traits et couleurs indiquent les zones où le navire est susceptible d'être soumis à du roulis synchrone, du roulis paramétrique ou victime d'une perte de stabilité engendrée par des groupes de vagues importants ou par un risque de planning ou de position travers à la houle. Ces effets peuvent être visualisés ensemble si les phénomènes apparaissent simultanément ou séparément par affichage spécifique.

       Le champ de saisie des paramètres de stabilité du navire et la zone d'affichage comportent quelques données telles que la hauteur métacentrique (GM), le bras de levier de redressement (GZ) pour des angles de roulis allant jusqu'à 40° et le coefficient d'inertie pour le mouvement de roulis.

Quelques affichages d'écran du logiciel ARROW sont présentés ci-dessous.


Fenêtre de saisie des données de stabilité du navire


       Le calcul de la résonance au roulis et de l'impact des vagues se base sur la période de roulis naturelle du navire qui dépend dans une large mesure des données de stabilité du navire. Cette fenêtre permet de saisir les données réelles de stabilité du navire

Roulis synchrone


       Lorsque l'on sélectionne cette présentation, ne s'affiche que l'effet de résonance par roulis synchrone. Cet effet apparaît lorsque la période de roulis naturelle du navire coïncide avec la période des vagues rencontrées. Les zones marquées par des bandes représentent les lieux où ce type de roulis peut se produire.


Résonance par roulis paramétrique


       L'affichage de la résonance par roulis paramétrique apparaît comme un segment de secteur de +/- 30° pour des mers de l'avant ou de l'arrière exclusivement et représente les zones potentielles de danger. Les couleurs ont la même signification que celles concernant le roulis synchrone. Le roulis paramétrique peut apparaître lorsque la période naturelle de roulis est la moitié de la période des vagues rencontrées.

Situations de Planning/Travers à la houle>


       La sélection de cet affichage ne fait apparaître que les phénomènes cités ci-dessus.

       Lorsque le navire se trouve sur une pente de houle prononcée par mer de l'arrière ou de ¾ arrière, le navire peut accélérer et partir au planning (surf). Lorsqu'il est dans cette situation, il arrive qu'il puisse tomber travers à la houle, ce qui lui fait courir le risque de chavirer comme conséquence des changements de caps et prise de gîte importants.

Rencontre de trains de vagues importants


       Lorsque la composante de la vitesse du navire dans la direction des trains de vagues est environ égale à la vitesse du train de vagues le navire subira l'attaque de vagues importantes et répétitives. La hauteur de ces vagues peut atteindre deux fois la hauteur observée à l'état de la mer correspondant. Dans cette situation, la réduction de stabilité associée au roulis synchrone ou paramétrique peut créer un danger de chavirement.

Tous types de résultats

       En sélectionnant cet affichage, tous les résultats des affichages précédents se superposent. Il permet de visualiser instantanément tous les effets auxquels peut être soumis le navire.



Annexe 4
Une assistance informatique


       Le risque de roulis paramétrique peut également être détecté par un système informatique. La société « Det Norske Veritas » a mis au point un logiciel de prédiction du risque de roulis paramétrique : « Active Operator Guidance ».

Ce système nécessite :
  • une installation radar, qui transmet des images radar de l’état de la mer. Le logiciel détermine alors la période, la hauteur, le gisement et la longueur d’onde des vagues ;
  • un capteur de mouvement, qui mesure les mouvements instantanés du navire ;
  • les informations données par le gyrostat, le GPS, les indicateurs d’ordre de barre et d’allure de la machine.
       En intégrant ces paramètres, ce logiciel prévient suffisamment à l’avance le chef de quart d’une probabilité de roulis paramétrique, et indique la route ou la vitesse à adopter pour écarter ce risque.

Interface du logiciel AOG






       La mise en place de ce logiciel n’est cependant pas obligatoire à bord des navires concernés par le roulis paramétrique, et encore très peu de navires en sont équipés.





Bibliographie


Y.-S. SHIN
“Criteria for Parametric Roll of Large Containerships in Longitudinal Seas”, ABS technical papers

V.-L. BELENKY
“On risk evaluation at extreme seas”, 7th International Workshop on Ship Stability. Shanghai

W. FRANCE, M. LEVADOV, T. TREAKLE, J.-R. PAULLING, K. MICHEL and C. MOORE
An investigation of Head- Sea Parametric Rolling and its Influence on Container Lashing Systems

Mikael PALMQVIST (Seaware AB)
IMO Review of the intact stability code (June 2004) SLF 47/6/6. Recordings of head-sea parametric rolling on a PCTC

Stefan KRÜGER, TU Hamburg-Harburg
“Evaluation of the cargo loss of a large container vessel due to parametric roll”

Det Norske Veritas, conducted on behalf of MAERSK Line Ltd.
“Parametric Roll Study on a 4 300 TEU Container Vessel”, Report n°2003-1162

M. CARLI
Mémoire de fin d'études C1NM, EMM Marseille. Roulis paramétrique des navires. Notes personnelles diverses.



Retour au menu
Retour au menu