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Sous le charme de MNEMOSYNE
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Elle est là, figure de proue centenaire, trônant telle une Déesse, parmi quelques pâles
consœurs sur un mur du superbe Musée Maritime d'Aland à Mariehamn (Finlande). Reine
déchue après 40 années de bons et loyaux service à la mer. Elle n'a pas pour autant démérité
mais pour lui épargner les derniers outrages du temps, la direction du musée a préféré la
débarquer et lui refaire une beauté. Qu'elle est belle cette retraitée restaurée, peinturlurée à
souhait. On ne voit qu'elle en pénétrant dans le musée. Sa doublure, à poste à la proue, sous le
bout-dehors du quatre mâts barque "Pommern" tout proche, n'a pas si fière allure et ne possède
pas son glorieux passé. Tout au plus elle connaît Stockholm et Turku qu'elle visite tous les dix ans
pour caréner la vieille coque rivetée.
Mnémosyne, elle se souvient des Golden Days , au bon vieux temps où elle dominait une
étrave en lame de couteau, fendant à 14 noeuds les longues houles des mers du grand Sud (337
milles en 24 heures une fois lors d'un voyage, ça décoiffe même une Déesse !..) Cette coureuse
d'océans a bonne mémoire, n'est-elle pas la Déesse de la Mémoire dans la mythologie Grecque
et mère des Muses !
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Elle se souvient parfaitement de sa naissance ou plutôt de son lancement dans les chantiers
John Reid & Co sur la Clyde à Glasgow en 1903 sous le nom de "MNEME" (abrégé de
Mnémosyne) pour le compte du célèbre armateur Allemand Wencke Söhne de Hambourg.
Elle commença sa carrière par quatre longs voyages jusqu'au Chili pour charger le salpêtre
du désert d'Atacama. 80 jours en moyenne pour s'y rendre au départ de Lizard Point. Trois mois et
demi au retour ! Les mouillages sur rade foraine d'Iquique, de Tocopilla n'ont plus de secrets pour
elle avec une vingtaine de jours de chargement des 4.000 tonnes de nitrate.
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Changement de propriétaire en 1907 au décès de B.Wencke Söhne. Le nouvel armement Reederei-A-G von 1896
la revendra à son retour de San Pedro (Californie - USA) via le Chili. Le fameux armateur Carl
Laeisz fils de Ferdinand le fondateur de la "Flying P-Line", s'en portera acquéreur. Dans ce
transfert de propriété le "MNEME" deviendra "POMMERN" selon la tradition en vigueur dans cette
compagnie qui voulait que le nom de chaque navire commençât par "P". Le POMMERN vint
grossir la flotte constitué des quatre-mâts barques, PAMIR dont on connaît la fin tragique, le
PASSAT, le PEKING, PRIWALL et PADUA. Sans oublier les deux super voiliers à cinq mâts
POTOSI et PREUSSEN qui faisait la fierté de cet armement avec leurs 8.000 tonnes de port en
lourd. Seul l'armement Français Bordes pouvait rivaliser avec cet allemand de Hambourg.
Sous ses nouvelles couleurs, le POMMERN continua ses navettes Europe-Chili passant 20
fois le mythique Cap Horn (10 allers et 10 retours).
Puis vint la Grande Guerre, le POMMERN trouva refuge sur rade de Valparaiso où il
séjourna 6 années durant, équipage au complet ; 56 autres grands voiliers allemands furent
désarmés dans ce port attendant la fin des hostilités ! Retour du "POMMERN" en Europe en
1921 avec sa cargaison de nitrate tant attendue et un équipage à bout de nerfs après 6 années
passées loin de la mère patrie !
La flotte de Cap Horniers Allemands fut divisée et éparpillée au titre de dommages de
guerre vers différentes nations victorieuses. Le "POMMERN" resta désarmé deux années à
Delfzijl son dernier port de déchargement ! La propulsion à vapeur naissante et la production de
salpêtre synthétique en Norvège, n'incitaient pas alors les armateurs au long cours à acheter
des grands voiliers, même en seconde main à un prix bradé. Pourtant un armateur croyait
encore aux Grands Voiliers, il était Finlandais et s'appelait Gustaf Erikson.
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Il acheta le "POMMERN" en 1923 et continua les navettes vers le Chili pendant deux ans
avant de le placer sur le commerce du grain dans des voyages autour du monde : départ
d'Europe sur ballast vers le golfe de Spencer dans le sud de l'Australie via le Cap de Bonne
Espérance et retour de Port Victoria vers l' Europe via le Horn avec 4.000 tonnes de grain en
sacs !
Pour Gustaf ERIKSON la navigation à voiles était toute sa vie. Il commença comme
mousse sur un caboteur en mer Baltique à transporter du bois. Puis il voulut aller voir au delà de
l'horizon, en Mer du Nord d'abord. Matelot à 17 ans il passa ses examens de la Marine
Marchande et devint capitaine d'un petit schooner à 19 ! Il passa ensuite sur des navires de
3.000 tonneaux. Il devint armateur en achetant un vieux voilier Russe de plus de 30 ans, durant
la guerre de 14-18, comme son pays était neutre, il continua ses acquisitions de navires et
commerça en toute tranquillité. Il s'enrichit du fait de la hausse énorme des taux de fret et
augmenta sa flotte de grands voiliers malgré le marasme frappant le shipping dans les années
20 en achetant des navires à des prix très bas.
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Au début de la seconde guerre mondiale il possédait une flotte de onze quatre-mâts
barques : MOSHULU 5.300 t DW, PASSAT 4.700t, LAWHILL 4.600 t, PAMIR 4.500 t,
OLIVEBANK 4.400 t, HERZOGIN CECILIE 4.350 t, POMMERN 4.050 t, VIKING 4.000 t,
ARCHIBALD RUSSEL 3.950 t, L'AVENIR 3.650t, PONAPE 3.500 t. Impressionnant, sans
compter huit trois-mâts barques et cinq petits vapeurs ! Il est à noter que les navires gardèrent
leurs noms en passant sous pavillon finlandais. G.Erikson était superstitieux sans doute ?
C'étaient de magnifiques grands voiliers mais de vieux navires qui supportaient mieux les
passages du Horn d'Ouest en Est chargés de grains, faisant tous la course du blé. A l'arrivée en
Europe ces clippers étaient loués par leurs armateurs pour servir aussi de magasins flottants au
fur et à mesure de la vente de tout ou partie de leurs cargaisons. Ce qui permit à notre armateur
Finlandais d'exploiter au mieux sa flotte et de faire fortune tout en vivant modestement dans sa
bonne ville de Mariehamn. On rapporte qu'il gérait son imposante flotte avec son fils aîné et
seulement un secrétaire, un comptable et trois dactylos !
La Finlande dû hélas se ranger aux côtés de l'Allemagne durant la seconde guerre
mondiale, de nombreux voiliers de G.Erikson furent coulés ou saisis par les alliés. En 1947 seuls
les PASSAT et VIKING naviguaient encore, le POMMERN étant désarmé à Mariehamn où il
arriva le 28 Août 1939, quelques jours avant le déclenchement des hostilités, après son dernier
voyage au grain qui le conduisit de Port Victoria à Falmouth en 117 jours puis Hull.
En étudiant le palmarès du valeureux POMMERN on est séduit non seulement par sa
finesse de ligne et ses records de vitesse sur de longues distances dans des eaux réputées peu
hospitalières, tel que 72 jours pour aller de Hambourg à Valparaiso sur ballast en Octobre
/Décembre mais aussi par ses transits les plus longs, 128 jours pour un Bruges-Taltal au Chili,
soit près du double en hiver austral. Ou encore un Tacoma-Port Natal en Afrique du Sud de 144
jours chargé de bois ! On imagine les difficultés rencontrées pour doubler le Cap Horn et la
dureté et dangerosité de ce grand métier pour tout l'équipage. On ne peut qu'éprouver un Grand
Respect pour ces Cap Horniers .
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Mnémosyne se souvient de chacun de ces hommes qui foulèrent son pont, qui grimpaient
dans la mâture par tous les temps, la caressant au passage en allant sur le bout-dehors. Elle se
remémore non seulement les bons mais aussi les mauvais moments notamment quand un
matelot passait par-dessus bord lorsqu'une vague traîtresse déferlait sur le pont par grosse mer
de l'arrière dans les Cinquantièmes Hurlants, ce qui arriva peu souvent fort heureusement.
Le POMMERN fut chanceux car elle a su en prendre soin et c'est avec plaisir que nous lui dédions
ce poème d'un poète anglais, un Tall Ships' Lover :
Those splendid ships, each with her grace and her glory
Her memory of old songs or comrade story
Still in my mind, the image of life'need
Beauty in hardest action, Beauty indeed.
Longue et heureuse retraite à MNEMOSYNE et au POMMERN
Cdt Michel Bougeard
PS: Remerciements à Jerker Ôrjans auteur du superbe livre "The book of the
POMMERN", à Börje Etholens, fils de Arne Etholens matelot et excellent photographe à bord du
POMMERN qui ont accepté que nous publions les photos d'époque qui illustrent cet article.
"L'âge d'or de la voile" de Louis Lacroix, Capitaine au Long Cours Cap Hornier fut aussi
une aide précieuse pour la rédaction de "Sous le charme Mnémosyne".
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