Retour au menu
Retour au menu
Maman, les petits bateaux...


Lors de notre dernière assemblée générale, il fut une fois de plus regretté les approximations voire la complète ignorance de nombreux intervenants sur les médias et ailleurs à propos de la navigation maritime et des navires de commerce. Nous avons donc décidé de proposer des articles sur des sujets techniques dans les pages d' AFCAN Informations plus habitué à l'aride réglementation afin d'apporter, sinon la contradiction, au moins notre point de vue sur les réalités pratiques de notre métier et de ses évolutions en cours.
Ces articles destinés à un public plus large que nos seuls adhérents, seront peut-être considérés comme simplistes par certains, voire enfonceur de portes ouvertes, mais vu la totale méconnaissance, parfois mise au service de la plus complète mauvaise foi, il faut reprendre nombre de principes de base, d'où l'utilisation pour ces articles du titre de la comptine enfantine sensée expliquer la « marche » des navires.
Nous tenterons de n'utiliser que des unités légales et compréhensibles sans en référer aux terraindfout et autre piscinolinpik dont se gargarisent tant de vulgarisateurs qui ne démontrent en l'espèce que leur propre méconnaissance du système métrique.

DU NAVIRE

Au cours de l'an dernier il nous fut demandé de participer à une émission abordant l'avenir des navires. Notre contribution fut d'apprendre au présentateur qu'un navire n'est que le fruit de ce qu'il transporte. Par la suite, des techniques variées permettent d'offrir un outil le plus efficace possible pour ce transport.
On peut penser que la première utilisation d'un flotteur fut le transport par l'eau du bois de chauffage/éclairage et la découverte par son utilisateur de la facilité de déplacement et la souplesse de son emploi. Quiconque a traîné du fagot pour un barbecue en forêt me comprendra. Par la suite on passera au radeau, au tronc creusé ou à l'outre tendue permettant les déplacements de personnes ou de biens sur des distances de plus en plus grandes. L'invention de l'agriculture a sédentarisé des populations et à rendu encore plus nécessaire le déplacement de charges. Certains se sont spécialisés dans cette fonction, ce sont nos ancêtres mariniers et marins. En certains lieux on a trouvé pratique la construction de flotteurs, leur chargement , l'entreposage des charges. Ainsi sont nés les ports et de nouvelles opportunités de cargaison générées par la construction des navires, des entrepôts.

Mais quel intérêt présente le transport nautique pour un tel succès ?
Le point principal est l'économie d'énergie pour se mouvoir à la surface d'un liquide qui « porte » la charge. Le déplacement est gêné par la viscosité de l'eau (douce ou salée) mais aux faibles vitesses considérées l'effet est modique. Une autre difficulté est l'écoulement naturel du liquide (un courant) lié à l'inclinaison de sa surface. Sur certaines rivières l'art nautique est impossible du moins par période. Il en est de même pour les mers. Mais l'expérience permet l'utilisation de la variabilité d'un courant.
Ensuite on parvient facilement à des masses transportées bien plus importantes que par charroi ou simple portage, la limite étant l'art de la construction navale de l'époque et la hauteur d'eau disponible sous le flotteur, notion là-aussi variable par période. D'où la naissance de connaissances spécifiques et l'intensification de la spécialisation du métier.
La limite évidente du procédé est l'utilisation d'une surface liquide, donc le choix d'un itinéraire spécifique.
Depuis l'origine des civilisations le transport a aussi été le fait des piétons, puis des animaux. Mais il est évident que la charge unitaire de l'homme ou de l'animal sur de longues distances reste limitée. On retrouve pour l'homme une masse de 25-30 kg, celle de l'amphore... ou du jerrican. Une caravane nécessite des centaines de chameaux. On retrouve une notion d'économie, les porteurs devant être rétribués, au moins en nourriture.

On connaît assez bien les réseaux commerciaux de la période Celte (et probablement antérieure) par la découverte des tombes de richesses conséquentes collées aux cours d'eau de l'Asie Mineure à l'Angleterre. On en sait peu sur les transports par radeaux de joncs des minerais de cuivre de la péninsule arabique à l'Indus à la même époque sinon qu'il existait.
Le transport de biens à valeur variable génère une plus-value qui est souvent la condition de la prospérité (souvent insolente) d'une population. Cet effet est certes aussi vrai pour les villes caravanières mais jamais avec l'ampleur constatée dans les ports. La recherche, le besoin de cette prospérité conduisent à la création d'un objet : c'est le navire.
Voici donc notre transporteur, dégagé des chemins boueux, des cols au franchissement exclusivement estival, des rançonnages divers de la crapule au douanier, mais surtout économe en énergie. Cette caractéristique lui a permis d'utiliser pendant plus de 4 000 ans l'énergie renouvelable du vent et aussi celle de l'aviron, plus problématique mais de toute façon avec des effectifs sans commune mesure avec ceux du portage.
L'augmentation des quantités de marchandises, la multiplication de celles-ci vont entraîner le grossissement des navires à système de propulsion constant. On peut ainsi comparer la Santa Maria de Colomb et un des derniers grands voiliers :



  Santa Maria (1492) France II (1911)
Port en lourd 233 Tonnes 9 000 Tonnes
Surface de voilure 466 m2 8 200 m2
Voiles majeures 5 32
Equipage 60 52
Vitesse maximum 5 Nds 17 Nds
Longueur 23 m 142 m
Largeur 7,9 m 20 m
Creux 3,8 m 9,2 m
Tirant d'eau 3 m 7,6 m

On peut constater :
  • Un rapport Surface de voilure/Tonnage qui passe de 2 m2/T à 0,9 m2/T et une vitesse de 5 à 17 nds.
  • Un rapport longueur/largeur évoluant de 3 à 7. L'augmentation de la taille du navire s'applique davantage à sa longueur qu'à sa largeur. L'amélioration de la pénétration dans l'eau va permettre d'augmenter la vitesse avec une propulsion au rendement et à la taille limitée. Pour un navire de 7 000 t on constate 6 000 m2 de voilure pesant 8t, 7 300 m de fils d'acier d'haubanage, 42 000m de filin de manœuvre, 1 200 poulies... Un très gros investissement dont l'usure est rapide et la manœuvre difficile et gourmande en main d'œuvre très spécialisée.


Ces grands navires utilisaient une énergie gratuite et renouvelable. Néanmoins leur disparition était inéluctable par manque de rendement. Le propre du vent est de souffler de manière aléatoire sauf en des lieux très limités : les voyages étaient d'une durée, d'un parcours indéterminé. Ces éléments limitent le transport et la prévision de rentabilité. Si vous parvenez à payer la construction et les frais courants d'un navire sur trois ans en prévoyant 12 voyages et que vous n'en effectuer que 11, le compte n'y est plus. De même si vous en exécutez 13, c'est alors la cargaison qui risque de manquer donc pas de rétribution supplémentaire ou alors bien plus faible.
A titre d'exemple, dans des conditions qui se rapprochent du monde actuel, prenons le QUEVILLY, navire pétrolier à 12 citernes et de 4 500m2 de voilure construit en 1898 pour le trafic entre Philadelphie et Rouen. Ce navire de 105 m de long, de 13,90 m de large portait 3 300 t de pétrole raffiné. Il fut toujours considéré comme un bon marcheur et effectua des retours chargés de Philadelphie au Havre en 14-15-16 jours et des allers en 25j. La moyenne des 7 premières rotations fut de 37 j à l'aller et 21 j au retour Les navires citernes à vapeur réalisaient les traversées en 16 à 18 j. Les voyages AR en moins de 50 jours ou les années à plus de 5 voyages étaient primés .Mais il y eu un aller à 103j. On décida en 1909 d 'installer deux diesels de 300 CV. Les voyages s'effectuèrent à moins de 60 j les moteurs utilisés par vent contraire ou calme. Par contre, au portant, le navire perdait de la vitesse et les retours montaient à 17 j limitant l'amortissement de l'opération. Des techniques actuelles auraient permis une meilleure utilisation de la propulsion mécanique.


Les banquiers n'aiment pas l'incertitude. Et ce d'autant plus que la navigation à la voile comporte des risques liés aux conditions de vent ne permettant plus à un navire d'obtenir une poussée suffisante en direction et en force pour se soustraire à un danger. La tempête ou le calme plat sont des calamitésaux conséquences assez semblables pour le navigant. Les bourrasques fatales sont dans tous les esprits. Les calmes plats au cours desquels un navire est drossé à la côte comme le France II à Nouméa en 1922 sont moins connus. Les derniers navires munis d'avirons de galère n'ont disparu qu'autour de 1850.
A terme les navires intégralement vapeur se révéleront moins coûteux et plus prévisibles, ne serait-ce qu'en terme de distances parcourues. Il est amusant de noter que ce n'est qu'avec l’arrivée de la vapeur qu'apparaissent les notions de distances et de vitesses moyenne. Jusqu'alors on ne comptait qu'en jours de mer de port à port (Le tour du monde en quatre-vingt jours).
Un navire est donc un flotteur apte à transporter toute cargaison grâce à une poussée par tonne de charge réduite, d'autant plus que le flotteur est long et de forme adaptée et la vitesse faible.

DE LA POUSSÉE

Historiquement, la poussée d'un flotteur s'est effectuée par perche en appui sur le fond, par pagaie ou aviron et par la voile. Ces trois moyens subsistent pour de petites embarcations adaptées à leurs milieux d'évolution, seuls ou en complément. Ce sont des moyens qui apportent l'autonomie du déplacement. Il y a le halage par des hommes ou des animaux, maintenant des tracteurs, ou le touage toujours utilisé en eaux intérieures. Le remorquage ou le poussage de barge(s) de taille et de nombre conséquent est largement développé en eaux intérieures mais aussi en haute mer. Tous ces moyens sont caractérisés par des vitesses modérées de déplacement.
Lorsque la poussée croît la vitesse augmente mais pas de manière proportionnelle, il faut quadrupler la poussée pour doubler la vitesse.
Le XIXe siècle fut celui du charbon. La disparition des forêts européennes et asiatiques a forcé à l'utilisation du charbon de terre au détriment du charbon de bois. Dans un premier temps pour les usages de chauffage (haut-fourneaux, évaporation des saumures, fours à chaux ou à poteries.) Puis l'invention de la force motrice de la vapeur se fit plus efficace, plus utilisable par des navires, on passa de la roue à aube à l'hélice et dans les années 1860 tout était en place pour une généralisation et un mûrissement des techniques afin d'assurer la fiabilité et surtout la rentabilité des investissements.

On admet en première approximation qu'en moyenne il faut autour de 95 KW (130 CV) pour fournir 1 tonne de traction. Ce chiffre est évidemment sujet à variation selon le dessin de l'hélice, de la carène et les conditions d'enfoncement, de vitesse du navire.

On constate une augmentation constante des puissances installées pour des navires de tailles équivalentes. Au cours du siècle le tonnage et la vitesse croissent, la puissance installée suit ces augmentations. Néanmoins, à vitesse constante, le tonnage du navire (son déplacement à pleine charge) n'agit pas proportionnellement sur la puissance. Le navire de plus en plus gros nécessite de moins en moins de puissance à la tonne transportée.

1942 Liberty ship
Pétrolier T2
11 000 t
16 000 t
1 900 KW (2 600 CV)
4500 KW (6 100 CV)
12 Nds
15 Nds
1955 8 300 t MM
Centaure
13 800 t
66 390 t
6 100 KW (8 300 CV)
15 400 KW (21 000CV)
16 Nds
16,5 Nds
1971 Zambèze MM
Brumaire
26 500 t
280 000 t
16 900 KW (23 000 CV)
23 800 KW (32 400 CV)
21 Nds
16,5 Nds

Commence alors dans tous les domaines, une explosion des puissances due aux tailles et aux vitesses croissantes qui affectent toute la société occidentale. Navires, avions, automobiles, mais pas seulement. La débauche énergétique permet tout, de l'amélioration des soins des hôpitaux, aux feux de bois dans des hôtels climatisés. Cette débauche est le fruit d'une énergie peu coûteuse (gratuite ?), facile d'emploi, de transport, à la densité énergétique (quantité d'énergie contenue dans une unité de masse) intéressante, et à l'amélioration des systèmes chargés de transformer cette énergie en mouvement, en termes de fiabilité, de compacité et de rendement. On atteint des sommets de puissance unitaire autour de l'an 2000 sans que des à-coups sur les prix du pétrole ne paraissent influer « la course au progrès »



Les prix ont enfin raison des plus optimistes. Ceci est l'émergence d'une nouvelle priorité de contrôle des effluents gazeux et de limitation des rejets de CO2.
Et nous en sommes maintenant à une situation d'économies administrativement contrôlées aiguillonnées par des campagnes médiatiques à l'emporte-pièce qui entraînent des solutions plus ou moins boiteuses, à l'utilisation et aux résultats mitigés. Ces solutions « miracles » sont intéressantes comme la preuve de l'agilité de l'intelligence humaine et, comme un signe de la vitalité des intervenants du transport maritime. Passionnants aussi sont les excès de certains qui prêtent davantage au rire.
Ce sont ces nombreuses pistes que nous tenterons d'expliquer en les présentant dans le contexte du navigant.


Cdt J.P. Côte

Retour au menu
Retour au menu