Dans notre précédent article "Les prémices de l'autonomisation", appliqué au domaine de la navigation maritime, nous avons montré que les prototypes des navires autonomes étaient gérés par l'intelligence artificielle. Mais qu'est donc cette fameuse intelligence artificielle à propos de laquelle on nous abreuve de fantasmes et de fausses idées ?
Lors d'une récente interview(1), Luc Julia, l'un des grands spécialistes mondiaux de l'intelligence artificielle, se référant au concept de Descartes «cogito, ergo sum»(2), a déclaré : «L'intelligence artificielle ne pense pas, donc n'existe pas». En effet, Luc Julia, dans son dernier ouvrage L'intelligence artificielle n'existe pas, démontre qu'il n'y a pas d'intelligence artificielle (IA) qui échappe à notre contrôle, mais qu'il y a une Intelligence Augmentée qui facilite nos décisions au lieu de les prendre à notre place. Le terme d'intelligence augmentée exprime bien mieux que celui d'intelligence artificielle le fait qu'elle soit conçue pour améliorer notre intelligence plutôt que pour la remplacer. Le but n'est pas de remplacer l'intelligence humaine, ce qui de toute façon est impossible, mais de renforcer ses capacités. Il ajoute que ce sont les hommes qui gardent le sens critique et le sens commun, compte tenu de |
Le concept intelligent de détection des obstacles est le même que celui utilisé pour la construction des voiture autonomes(4). Les technologies sont un mélange de capteurs et de méthodes de guidage.
On se sert de ces capteurs pour découvrir et comprendre l'environnement immédiat de la voiture et réagir à des dangers ou situations qui ne sont pas connus du système de guidage de type GPS. Cependant, et c'est là la limite de l'Intelligence Artificielle, le système d'autonomisation de la voiture sera concentré uniquement sur la tâche pour laquelle il a été programmé. En effet, il n'a pas l'intelligence de s'adapter aux situations auxquelles il n'a pas été confronté, soit par les règles qu'on lui a données, comme le code de la route, soit par les données avec lesquelles il a été entraîné, comme des images de route, de véhicules ou de piétons. L'intelligence augmentée est un outil. Les voitures autonomes ne seront jamais complètement autonomes. Seuls les humains peuvent prendre de véritables décisions. |
Ainsi CMA CGM collabore avec la start-up française Shone afin de développer un système d'intelligence artificielle à bord des navires, dans le but de faciliter le travail des équipages en matière d'aide à la décision, d'aide au pilotage ou de sécurité maritime (cf. article sur «les prémices de l'automatisation»).
De même les armements CMA CGM, Maersk et MSC utilisent l'innovation de la start-up marseillaise Traxens spécialisée dans la traçabilité des conteneurs. Ce procédé, qui s'appuie sur l'IoT, permet, au moyen d'un boîtier de 30 cm fixé sur un conteneur, de collecter en temps réel des données nécessaires à l'amélioration de sa logistique, telles que position GPS, variations de température, humidité, intensité des chocs, ouverture et fermeture des portes. De son côté, Airbus propose aujourd'hui une solution globale en matière de surveillance maritime, avec des systèmes de gestion intelligente et des senseurs déployés depuis la côte jusqu'à l'espace. |
Ce dispositif profite des progrès réalisés en matière de digitalisation et d'intelligence artificielle. Il est conçu pour fédérer et traiter toutes les informations fournies par tous les capteurs déployés sur la côte (radars, systèmes électro-optiques, goniomètres, AIS) ainsi que ceux de moyens déportés (navires, aéronefs, drones, satellites).
Cependant, lors d'un récent colloque(5) concernant en particulier la sécurité dans les transports maritimes, a été posée la question légitime de l'intégration de l'intelligence artificielle dans le secteur très spécialisé du droit maritime. Bien que les intervenants aient exclu pour l'heure d'envisager l'exploitation des navires autonomes, (c'est-à-dire sans équipage), pour des raisons de sécurité diverses, ils ont cependant convenu que l'intelligence artificielle puisse être au service de la sécurité en mer. |
En est pour preuve, le projet PASSION (PASSerelle Intelligente pour l'Opération et la Navigation), qui a démarré en juillet 2016 et devrait aboutir courant 2019.
Ce projet, labellisé par les pôles Méditerranée et Bretagne et financé par l'ADEME, a pour objectif «de proposer à bord des navires une passerelle de navigation intelligente basée sur une architecture intégrée pour le traitement des informations du bord». Cette passerelle intégrée permettra de diminuer ainsi les risques liés à la navigation maritime et à ses impacts sur l'environnement. L'approche tout-intégrée permet d'implémenter des algorithmes de traitement de haut-niveau qui synthétiseront les informations transmises par des capteurs performants (radar FMCW…) et d'apporter une aide à la prise de décision (fusion capteurs, routage multicritère, e-positionnement, gestion des alarmes…). |
(1) | A "Europe 1" le samedi 6 avril 2019 |
(2) | «Je pense, donc je suis» (Le discours de la méthode, 1637) |
(3) | Machine inventée par Blaise Pascal en 1642 pour aider son père, surintendant et percepteur de taxes, à faire ses calculs. |
(4) | Le constructeur automobile de voitures électriques Tesla, dont le siège est situé dans la Silicone Valley, a déployé en octobre 2015 sur ses voitures Model S une mise à jour du logiciel de son système Autopilot, permettant à celles-ci de les conduire de façon quasi autonome sur les autoroutes, mais aussi de rentrer et sortir toutes seules du garage. |
(5) | Colloque «Journée d'étude Air et Mer : droit et sécurité dans les transports maritimes et aériens» organisé par l'Ecole de Droit de la Sorbonne le 15 janvier 2019. |
(6) | Laurent Alexandre, chirurgien, et énarque, cofondateur de Doctissimo, spécialiste des révolutions technologiques et de leurs enjeux. Il a aussi publié récemment en collaboration avec Jean-François Copé L'IA va-t-elle aussi tuer la démocratie. |