Sophie Galvagnon, lieutenant à la Compagnie Méridionale de Navigation, a effectué un stage à bord d'un brise-glace en mer Baltique. Elle nous a communiqué le diaporama présenté à l'ENSM du Havre sur la navigation dans la glace, dont nous publions ici des extraits, et nous l'en remercions.
L'hiver dernier, 4 277 navires ont eu besoin de l'assistance par brise-glace dans le golfe de Botnie et 10 750 en tout pour la mer Baltique.
La zone de navigation concernée comprend : la mer Baltique, le golfe de Finlande et le golfe de Botnie. (latitude maximum 65°54.8'N, surface 450 000 km2)
La formation de glace commence habituellement dans le Golfe de Botnie au cours du mois de novembre. L'extension se fait majoritairement du nord vers le sud. La couche de glace maximale est généralement atteinte entre la fin du mois de février et le début mars. La glace commence ensuite à régresser à partir de la mi-mars jusqu'à libérer le Golfe de Botnie au mois de mai.
Les hivers sont considérés comme doux et normaux lorsque la surface de glace en mer Baltique avoisine les 115 000 km2 et comme rude lorsqu'elle excède 230 000km2.
En mer Baltique les glaces les plus anciennes sont celles de première année. On ne trouve donc que de la nouvelle glace, de la glace jeune ainsi que de la glace de première année.
Le danger principal pour la navigation reste la compression des bancs de glaces qui peuvent se chevaucher et atteindre plus de 8m de hauteur.
PRÉCAUTIONS POUR LE TRÈS GRAND FROID
INSTRUMENTS NAVIGATION:
Les check-lists et autres documents liés à la navigation dans les glaces doivent être sortis.
Une attention particulière doit être prêtée aux projecteurs de glace ainsi qu'aux radars. Les antennes peuvent être recouvertes par la glace avec le risque de ne plus émettre. Il faut donc les surveiller et les libérer de la glace si nécessaire.
Les sabords doivent disposer d'un moyen de réchauffage afin d'éviter qu'ils ne gèlent. Pour la plupart des navires, ce seront des bouches de soufflage d'air chaud en haut et en bas de chaque sabord.
Le projecteur de glace doit être monté de façon à pouvoir éclairer jusqu'à 90m sur l'avant (recommandation de l'administration maritime suédoise) et il devrait, si possible, y en avoir deux. Ils sont obligatoires en cas de navigation de nuit.
BALLASTAGE:
Le navire doit avoir un tirant d'eau aussi grand que possible afin d'avoir l'ensemble hélice/safran immergé et par là même, le préserver des glaces. Pour atteindre un enfoncement optimal, on remplit habituellement les ballasts à 90% de leur capacité (ce qui laisse une marge de 10% en vue de l'expansion de l'eau lors de gel). Le gel se produit en présence de températures très basses, mais grâce aux mouvements de l'eau dans le ballast, il met beaucoup de temps à s'établir. En revanche, il peut arriver beaucoup plus vite sur les éléments de renfort, ainsi que sur les trous de sonde. Il faut surveiller, en particulier, les ballasts proches du bordé et ceux situés au dessus de la ligne de flottaison (l'effet du vent baisse la température ressentie).
Pour ce qui est de l'assiette, le navire doit toujours être sur cul, toujours dans le but de garder l'ensemble hélice/safran immergé, tout en gardant en tête que le navire doit rester aussi manœuvrant que possible.
Il faut donc trouver un compromis entre l'enfoncement de l'ensemble hélice/safran et ses conséquences sur l'effet du safran en manœuvre.
CIRCUIT INCENDIE:
Il doit être entièrement purgé, et les vannes exposées à l'air extérieur doivent être laissées légèrement ouvertes avant de rentrer dans les glaces. Si celles-ci restent fermées, elles risquent de geler et de se gripper, et par la suite de déformer le corps de vanne.
DROME:
Il est nécessaire d'ajouter un additif à l'eau des moteurs d'embarcations afin d'éviter le gel.
Il est également fortement conseillé de vider 1/3 des bouteilles d'eau (ou ballast) pour éviter une expansion pouvant mener à la rupture de leur réservoir. Certains capitaines habitués à la navigation dans les glaces préfèrent vider entièrement la réserve d'eau de manière à s'affranchir du problème.
L'huile des bossoirs doit être, soit munie d'un système de réchauffage, soit contenir un additif lui permettant de résister au gel. Les câbles doivent être correctement graissés (en plus d'assurer un meilleur usage du câble, cela crée une couche protectrice isolante).
Il est conseillé de couvrir les radeaux avec une bâche qui les protègera de la neige et du gel. C'est le moyen le plus simple et le plus répandu à bord des navires.
De même que pour les embarcations, le câble de la grue doit être graissé.
Il est très important d'effectuer des rondes journalières autour des embarcations et des radeaux afin de détecter toute anomalie mais aussi d'enlever la neige ou la glace présente.
PRISES EAU DE MER:
C'est surtout la glace « frazil » qui peut amener à poser des problèmes. Cette glace est constituée de cristaux très fins (moins d'un millimètre) en suspension et se trouve en présence d'eau avoisinant zéro degré, entre 0 et 5 m en dessous de la surface. Elle n'est pas très dense, en revanche, elle se solidifie très vite si la température baisse. Le circuit peut donc se retrouver colmaté ou les pompes grippées, ce qui peut donner lieu à un arrêt par sécurité de la propulsion.
Pour lutter contre ce phénomène, quelques mesures sont indispensables:
- garder la prise haute fermée
- la prise basse ouverte à partiellement ouverte
- la vanne de coque sortie EDM doit être quasiment fermée afin d'avoir une recirculation maximale
Il faut constamment vérifier la pression dans le circuit afin de détecter au plus vite une éventuelle obstruction.
Sur les navires de classe GLACE, il est obligatoire d'avoir un secours sur le circuit de réfrigération qui est pris sur les ballasts (latéraux, peak avant).
COMBUSTIBLE:
Il faut prévoir de grandes quantités en vue des nombreuses manœuvres, et prendre en compte l'éventualité de rester immobilisé plusieurs jours. L'administration maritime suédoise préconise une réserve de 10 jours supplémentaires.
PONTS
Le pont supérieur et les plages de manœuvre sont parmi les premières zones touchées par le gel. Si le navire dispose d'un système de réchauffage desservant également le tuyautage sur les ponts ou sur les apparaux, il faut le mettre en service. Il est nécessaire d'enlever la neige et la glace aussi souvent que possible afin d'éviter l'accumulation de poids supplémentaire, la détérioration des éléments y étant sujette et de maintenir un accès permanent sur tout les ponts extérieurs. Pour cela, des outils rudimentaires comme des grosses masses en bois ou des pelles restent parmi les plus efficaces.
Il est également très courant de protéger les treuils en les recouvrant d'une bâche. Ceci reste la protection la plus efficace, mais ralentit l'accès aux éléments en cas d'urgence.
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NAVIGATION D'UN NAVIRE SEUL DANS LA GLACE
ROUTE
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Une fois toutes les données météorologiques rassemblées et étudiées, il faut choisir une route qui contourne les glaces les plus épaisses. En général ce seront donc des routes éloignées des côtes.
Comme dans toute planification, la route tracée aura le port de départ comme origine et le port d'arrivée comme point final. Or, la route sera en réalité modifiée lors du contact avec ICE INFO qui déterminera un point de rencontre avec le brise-glace ainsi que d'éventuelles routes directionnelles à suivre pour s'y rendre.
Les routes et les points tournants donnés par le VTS traversent en général des zones libres de glace ou des zones de glaces peu épaisses. Il faut toutefois garder en tête que la situation des glaces évolue constamment et qu'une fois sur place, si elle est envahie par de la glace plus dense, on préfèrera une route différente de celle indiquée par le VTS ou les brise-glaces.
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ENTREE DANS LA GLACE
Lorsque le navire pénètre dans les glaces, il est important qu'il le fasse à faible allure de manière à ne pas endommager la structure du navire. Une fois dans les glaces, on pourra adapter l'allure en fonction de l'épaisseur de glace présente. Il faut trouver un compromis entre une allure suffisante pour arriver à briser la glace et éviter de rester bloqué, et une allure assez faible pour ne pas endommager la coque.
La pénétration dans les glaces sera d'autant plus facile lorsque l'angle d'approche avoisine les 90°. En effet, il faut éviter que le navire se fasse chasser par la glace, dévie de sa trajectoire, et se retrouve dans une position incommode pour pénétrer dans la banquise.
De toute évidence, s'il existe une faille ou une ouverture naturelle, il convient de l'emprunter.
La veille visuelle a une importance primordiale dans l'analyse de la situation et de l'état des glaces. Néanmoins, lorsque la nuit tombe, les radars sont une aide précieuse.
A l'approche des glaces, un bon réglage permet de détecter les plus petits échos afin de les éviter.
Une fois dans les glaces, il permettra parfois de détecter la trace de voies laissées par le passage d'un brise-glace, les zones de pression où les glaces se chevauchent (lesquelles sont à éviter), les zones libres de glace, ou celles avec une épaisseur plus régulière.
MANŒUVRE UNE FOIS PRIS DANS LA GLACE
Selon l'administration maritime suédoise, les navires de classe 1A et 1A super ne présentent que très rarement des dommages de coque lorsqu'ils subissent les contraintes de pression une fois prisonniers de la glace. En revanche, le risque de déformation de structure et de fissures est beaucoup plus élevé pour les autres navires. C'est pourquoi il est important d'essayer de se libérer au plus vite.
Lorsque la glace se resserre, la vitesse du navire diminue considérablement. Il est alors conseillé de tenter de trouver une zone de glace plus fragile. La barre doit passer de gauche à droite de manière à éviter que la glace ne se fige dans l'axe du navire.
Si cette méthode échoue, il faut se servir du ballastage pour faire gîter le navire et se libérer de la glace. En cas d'échec, cette méthode est appliquée lors de l'attente d'un brise-glace pour diminuer la pression s'exerçant sur la coque en cassant la glace le long du bord.
Il est également primordial de ne JAMAIS stopper pour éviter l'accumulation de glace autour du couple hélice/safran, ce qui pourrait créer des dommages affectant sérieusement la capacité de manœuvre du navire.
Si aucune de ces solutions n'aboutissent, l'assistance par brise-glace est nécessaire.
MANŒUVRE DU BRISE-GLACE POUR DELIVRER UN NAVIRE
Le but est de libérer le navire de la pression exercée par la glace. La manœuvre du brise-glace, la plus classique et la plus simple, est de passer à côté du navire prisonnier, sous le vent (entre 25 et 100m), créant ainsi un chenal parallèle au navire dans lequel la glace va dériver et par là même, libérer le navire.
Ce dernier suit ensuite le brise-glace comme faisant partie d'un convoi simple.
Il existe d'autres manœuvres moins utilisées, basées sur le même principe (frayer un chemin autour du navire bloqué pour relâcher la pression de la glace).
L'une d'entre elles, par exemple, consiste à créer autour du navire autant de cercles concentriques que nécessaire pour le libérer.
NAVIGATION EN CONVOI
L'assistance par brise-glace devient un convoi dès lors qu'au moins deux navires sont assistés en même temps. On trouve:
- des convois simples: un groupe de navires escorté par un brise-glace
- des convois complexes : un groupe de navires assisté par plusieurs brise-glaces
Un convoi complexe peut être constitué de plusieurs convois simples effectuant une même route.
Le point de rencontre en vue de la formation du convoi est établi par le capitaine du brise-glace.
Une fois les navires sur zone, le brise-glace leur transmettra les instructions à suivre lors du convoi notamment en ce qui concerne la vitesse de transit et la distance minimum à conserver entre chaque navire. Cette distance dépend de la qualité de la glace présente dans la zone de navigation. Si la glace est récente et fragile, la distance sera plus grande que si elle est plus ancienne est plus épaisse.
Le brise-glace est à l'avant du convoi, créant une voie d'accès dans la glace que les autres navires suivront. Ce chenalage se fait à une vitesse d'environ 10nds en gardant une distance moyenne de 0,5M entre chaque navire.
Lors de convois complexes, le premier brise-glace assure toujours le rôle de meneur, les autres brise-glaces empruntent la même route et permettent de casser la nouvelle couche de glace se formant sur le chenal, et de l'empêcher de se refermer.
Il arrive souvent que la voie d'accès créée par le brise-glace soit plus étroite que la largeur du navire assisté. Lorsque cette largeur diffère de quelques mètres seulement la glace cèdera quand même lors du passage du navire. Si la largeur de celui-ci est nettement supérieure à celle du brise-glace, il arrive que deux brise-glaces travaillent en parallèle afin d'élargir le chenal. Plus récemment, certains brise-glaces ont été conçus de manière à pouvoir travailler de façon oblique. On peut ainsi s'affranchir de l'aide d'un deuxième brise-glace.
Quelque soit le type de convoi, c'est le brise-glace en tête qui décide de l'ordre de passage des navires au sein du convoi. Cet ordre est établi selon 2 principes:
Les navires sont classés du moins large à l'avant, au plus large à l'arrière, de manière à empêcher le chenal de se resserrer et de rendre le passage des navires en aval possible.
Le navire situé en fin de convoi rencontrera des conditions plus difficiles que les autres, et sera donc choisi en fonction de l'expérience dans les glaces du capitaine, de la classe glace, et de la puissance de propulsion.
NAVIGATION EN REMORQUE
CIRCONSTANCES
- Navire en avarie ou en détresse: prioritaire
- Hiver 2012/2013: 115 remorquages sur 2 150 interventions soit 6.5%
INCONVÉNIENTS
- Entrave la fluidité du trafic
- Risques accrus de collision avec le brise-glace (dommages à la plage arrière du brise-glace, enfoncement de l'étrave du navire assisté)
Le remorquage est une option qui est souvent choisie en cas d'avarie sur le navire demandant assistance ou si le navire ne parvient pas à suivre le brise-glace et se retrouve plusieurs fois bloqué dans la glace au cours du transit.
Dans le premier cas, il faudra que le navire paye un supplément applicable aux urgences ou aux détresses. Le montant de ce supplément est déterminé au début de chaque hiver par l'administration maritime suédoise, qui se base sur des statistiques d'interventions d'urgence des années précédentes. Dans le deuxième cas, le remorquage est souvent pratiqué sur de plus courtes distances, dans les parties du transit où la glace est la plus épaisse. Cette assistance fait donc partie de l'assistance au transit et est comprise dans les taxes de chenalage.
Le navire assisté doit avoir remonté ou avoir sécurisé les ancres sur le pont avant que le brise-glace ne lui présente son arrière afin d'éviter tout choc entre ces dernières et la plage arrière du brise-glace. En effet, un tel choc risquerait de déchirer les défenses et le tapis en caoutchouc sur lesquels repose le navire.
Pour ce faire, le navire doit utiliser le câble de remorque, une chaine ou une amarre qui sera frappée à une des extrémités. On se sert ensuite d'un des treuils de la plage de manœuvre avant pour ramener l'ancre de plusieurs mètres vers l'arrière. Lors d'un passage dans une glace épaisse, le brise-glace est amené à monter plus haut sur la glace afin de la briser. Il en résulte un mouvement vertical de plus d'un mètre d'amplitude. Le brise-glace laisse donc une distance minimale de 2m entre son arrière et le bulbe du navire assisté afin de prévenir l'abordage. Si le ballastage ne permet pas d'immerger suffisamment le bulbe du navire assisté, le navire sera remorqué à distance.
De la même manière que pour le convoi, il sera décidé d'un canal VHF sur lequel le brise-glace donnera au navire assisté les instructions à suivre.
REMORQUAGE
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Le brise-glace vient poser son arrière en forme de V sur l'étrave du navire assisté. Lorsque le contact entre les deux navires se fait, le navire assisté a pour ordre de mettre en avant lente de manière à maintenir la position de son étrave pour le passage des câbles. Le brise-glace envoie ensuite deux câbles de remorque qui devront être capelés sur le navire assisté. Une fois les câbles capelés, le brise-glace reprend le mou et le navire assisté doit suivre les instructions (ordre de barre et machine) tout au long de l'opération.
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EFFET SAFRAN
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Le navire assisté a un effet identique à celui d'un safran sur les manœuvres du brise-glace et doit donc essayer de rester autant que possible dans son alignement lorsqu'il n'y a pas de changement de cap. Il doit exécuter les ordres de barre donnés par le brise-glace dans le cas contraire.
Si le brise-glace désire battre en arrière, il devra prévenir le navire assisté, qui devra au préalable mettre en avant demie afin d'éloigner les glaces autour du couple hélice/safran et pouvoir manœuvrer en arrière sans causer de dégâts.
Tout changement de cap est annoncé à l'avance et se fera selon les ordres du brise-glace.
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MANŒUVRE D'ACCOSTAGE
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Les principes à respecter lors de manœuvres portuaires en présence de glace sont les suivants:
Présenter l'avant ou l'arrière avec un grand angle par rapport au quai.
Avancer ou battre en arrière en faisant glisser l'avant ou l'arrière parallèlement au quai de manière à tenir à l'écart la glace et éviter qu'elle ne vienne s'accumuler entre le navire et le quai.
Une fois que la longueur du navire est claire de la glace, ramener l'avant ou l'arrière.
Il faut éviter autant que possible l'utilisation du propulseur d'étrave pour ne pas l'endommager. Si son utilisation est indispensable, il est important de surveiller qu'il ne sorte pas en surcharge.
Une fois à quai, il est important de surveiller l'évolution de la glace entre le navire et le quai. Si la glace s'accumule, elle risque d'éloigner le navire du quai (éventuellement de rompre les amarres). C'est pourquoi il est nécessaire de garder la machine parée à manœuvrer tout au long de l'escale (dans le cas où la manœuvre serait à refaire.
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