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La flotte mondiale de navires brise-glaces en 2018

Par Monsieur Hervé Baudu, Professeur en chef de l'Enseignement maritime, membre de l'Académie de marine.
Il enseigne la Navigation et la Manœuvre à l'ENSM, site de Marseille. Il a participé au groupe de travail sur la rédaction des référentiels OMI (Model Courses) des stages de base et avancé pour les navires exploités en zones polaires, et est le rapporteur de ce groupe de travail à la session plénière HTW de l'OMI à Londres début février 2017. Il est responsable des formations à la navigation dans les glaces à l'ENSM dispensées en partie sur un simulateur dédié.
Il est l'auteur de plusieurs ouvrages, un sur la Manœuvre traduit en anglais et un autre sur les Colregs.
  1. Introduction
Dans l'histoire de la navigation arctique, il n'y aura jamais eu autant de navires de classe Glace construits que durant cette décennie. La plus grande part de cette flotte est d'une classe Glace élevée. Elle se concentre principalement sur les routes maritimes des sites d'exploitation des ressources pétrolières et gazières russes. Depuis que le président de la Russie, Vladimir Poutine a déclaré comme priorité nationale le développement de la côte Nord de l'océan Arctique, la Russie est l'Etat dont les investissements sont les plus ambitieux dans la construction d'une flotte de navires capables de naviguer toute l'année dans la banquise. Sa flotte de navires de charge à coque renforcée est déjà la plus importante du monde avec notamment l'armement russe Sovcomflot qui exploite plus d'une centaine de pétroliers, gaziers et autres navires de soutien logistique (supply). C'est aussi cet Etat qui parmi les quatre autres qui bordent cet océan boréal, gère la plus grosse flotte de brise-glaces avec plus de quatre-vingts navires déjà en exploitation, en construction ou planifiés. Le Canada vient ensuite loin derrière la Russie avec une dizaine de brise-glaces actifs alors que sa zone de souveraineté revendiquée qui borde l'océan Arctique est presque aussi grande que celle de l'ex-Union soviétique. Et enfin, les pays riverains de la mer Baltique avec la Suède et la Finlande entretiennent respectivement une dizaine de brise-glaces dédiés à la libre circulation du trafic maritime dans la partie Nord de cette mer presque fermée (figure 1).


Figure 1 : flotte mondiale de brise-glaces


La Russie est la seule nation à avoir une réelle politique de développement économique dans l'Arctique avec la construction et la planification d'une douzaine de brise-glaces de très grandes tailles dont trois nucléaires. Le Canada tout comme les Etats-Unis peinent à trouver les financements et les ambitions politiques pour remplacer et développer une flotte à la hauteur de leurs prérogatives maritimes. Les pays de la mer Baltique entretiennent une flotte de brise-glaces récente pour la Finlande, vieillissante pour la Suède et quasi-inexistante pour le Danemark.
  1. Les brise-glaces

    1. Répartition de la flotte mondiale de brise-glaces
En navigation dans les glaces, deux types de navires vont être distingués, le brise-glace et le navire à coque renforcée. Le brise-glace est un navire dont les capacités permettent de naviguer pendant toute l'année par des températures très basses et dans une épaisseur importante de glace. Ce sont la puissance motrice et les caractéristiques de la coque qui vont définir ses capacités à briser une épaisseur de glace annuelle ou pluriannuelle. Au-delà de 0,7m d'épaisseur, le navire est qualifié de brise-glace. En deçà de cette épaisseur, les navires possèdent seulement une coque renforcée notamment au niveau de la flottaison qui ne leur permettent pas de progresser sûrement dans la banquise. Leur saison de navigation se limite à la période estivale en zone polaire.
De façon logique, les pays en bordure de l'océan Arctique et de la Baltique possèdent les plus grosses flottes de brise-glaces. Toutes les autres Etats mentionnées dans le tableau de la figure 2 possèdent pour la plupart un seul navire de classe Glace nécessaire au ravitaillement de leur base de recherche, pour la très grande majorité située en Antarctique. Les trois-quarts de cette flotte sont composés de navires brise-glaces pouvant opérer toute l'année (classe A du Code polaire – voir paragraphe en fin d'article).


Figure 2 : répartition de la flotte mondiale de brise-glaces

Le renouvellement de cette flotte de brise-glaces se concentre essentiellement sur la Russie, qui à elle seule, comptabilise plus de la moitié des navires en construction. Bien qu'ayant récemment acquis trois brise-glaces de soutien logistique à la société norvégienne Trans Viking, le Canada n'a uniquement qu'un programme de six patrouilleurs arctiques de la classe «De Wolf» pour le compte de la Marine dont le premier a été lancé en septembre dernier. Le programme doit s'étaler jusqu'en 2022. Pour les autres Etats, le renouvellement de la flotte de recherche est très parcellaire et seuls quatre brise-glaces sont actuellement en construction, «RSV Nayina» pour l'Australie (figure 3), «RRC Sir David Attenborough» pour le Royaume-Uni, «Antartica 1» pour le Chili et «Xue Long 2» («Dragon des Neiges2») pour la Chine, lancé en septembre 2018 pour être opérationnel en 2019. La France, avec le tout récent Astrolabe construit par le chantier français Piriou en remplacement de son prédécesseur éponyme, a conduit avec succès la campagne de ravitaillement de la base Dumont d'Urville en Antarctique l'été austral dernier (figure 4).


Figure 3 : Brise-glace australien RSV Nayina (©Damen)
 
Figure 4 : Patrouilleur Astrolabe (Photo Hervé Baudu)

La flotte de brise-glaces peut se répartir en trois catégories ; celle affectée au service d'assistance aux navires (escorte, ouverture de chenaux, déglaçage d'une zone) ; celle dédiée aux missions de recherche scientifique et de ravitaillement logistique des bases polaires et celle qui assure la souveraineté du pays avec des patrouilleurs militaires (figure 5).


Figure 5 : répartition par catégorie de brise-glaces par pays

A cet inventaire, il doit être ajouté deux autres classes supplémentaires de brise-glaces en plein développement, celle de transport de marchandises et celle de croisière. Le seul exemplaire de brise-glace de croisière programmé actuellement est le Commandant Charcot de la compagnie française Ponant. Elle prévoit lancer pour fin 2021 un brise-glace de catégorie PC2 de 150m de long, 30 000 tonnes et d'une puissance de 42MW. Il sera capable d'atteindre le pôle Nord sans assistance (figure 6). Les navires de charges brise-glaces sont abordés dans un paragraphe supra.

 
Figure 6 : Commandant Charcot (©Stirling_design_international - Ponant)

La plus grande partie de la flotte de brise-glaces est affectée à la libre circulation des navires de commerce qui transitent dans la banquise. Ici encore, la Russie est l'Etat qui possède le plus grand nombre de brise-glaces dédiés à cette mission. La flotte de brise-glaces nucléaires est en cours de renouvellement et de pérennisation avec la construction actuelle de l'Arktica et du Siberia. Interrompue après la chute du mur de Berlin, la route maritime du Nord-Est qui dessert tous les ports de la côte arctique est de nouveau ouverte toute l'année depuis une décennie grâce à cette flotte. On compte également une flotte croissante de navires de soutien logistique à coque renforcée attachée aux zones d'exploitation des ressources gazières et pétrolières réparties essentiellement autour de la péninsule de Yamal mais également en très grand nombre sur les champs d'hydrocarbures de Sakhalin en mer d'Okhotsk, mer de l'océan Pacifique qui borde la côte Nord-Est de la Russie.
  1. Age de la flotte mondiale de brise-glaces
Fin 2017, l'âge moyen des brise-glaces est d'environ deux décennies. Ces navires dont le coût est extrêmement élevé et qui sont construits à l'unité, voire en séries très limitées, ont une durée de vie assez longue, faisant l'objet de refontes régulières pour les maintenir en état d'assurer leur service. C'est le cas de la flotte de brise-glaces américains et canadiens notamment dont les gouvernements respectifs hésitent à investir significativement faute d'avoir échelonné le renouvellement de leur flotte pourtant indispensable à leurs missions de souveraineté. Cependant, les années 2015 à 2018 représentent les années les plus productives avec une très grande majorité de constructions neuves liée à la sécurisation des zones d'exploitation énergétique russes. Les constructions planifiées à partir de 2024 correspondent essentiellement à des projets de patrouilleurs russes régulièrement décalés (figure 7).


Figure 7 : âge de la flotte mondiale de brise-glaces
  1. La flotte de brise-glaces russes
La Russie est le seul Etat à posséder des brise-glaces à propulsion nucléaire. Si officiellement six sont déclarés en service, seuls quatre sont réellement opérationnels. Basés à Mourmansk, siège de l'armement d'Etat Atomflot dont ils dépendent, ils assurent tout au long de l'année l'escorte des navires le long de la route du Nord-Est qui s'étend du détroit de Béring jusqu'au détroit de Kara séparant la Nouvelle-Zemble de la côte sibérienne. L'hiver, ils escortent les navires qui desservent tous les ports des longs estuaires qui bordent le Nord de la Russie. En périodes estivales, ils sont prépositionnés pour escorter les navires qui empruntent la route du Nord-Est. Le «50e anniversaire de la Victoire» de type Yamal (figure 9) est très régulièrement affrété par un tour operator américan Poseidon Expedition pour des croisières jusqu'au Pôle Nord. Trois nouveaux brise-glaces nucléaires d'une puissance de 60MW sont programmés pour remplacer progressivement la flotte actuelle qui devrait provisoirement se limiter à quatre navires à partir de 2024. Le premier, Arctika en cours d'achèvement à Saint-Pétersbourg, devrait être livré au mieux mi-2020 (figure 10), le second, le Sibir est en cours de construction. Le programme du Leader, également à propulsion nucléaire de 110MW n'est encore qu'au stade de projet (figure 8). Seule une lettre d'intention a été signée pour le projet Line Icebreaker ARC 123 propulsé au gaz LNG.Il est à noter que les brise-glaces nucléaires sont restreints à la navigation dans l'océan Arctique étant soumis à une température basse de l'eau de mer nécessaire au refroidissement de leurs réacteurs.

Figure 8 : prévisionnel du renouvellement de la flotte des brise-glaces russes


Figure 9 : arctic class – Yamal (photo Hervé Baudu)
 
Figure 10 : projet 22220 - Arctika (©Russian defence)

La répartition des armements russes des brise-glaces est directement liée à l'emploi géographique de ces derniers (figure 11). Une grande majorité, dont ceux à propulsion nucléaire, dépendent de l'administration d'Etat (Rosatomflot) qui a en charge l'escorte des navires le long de la route du Nord-Est. La flotte armée par Sovcomflot est essentiellement composée de supplies attachés aux terminaux d'exploitation pétroliers et gaziers de Yamal et de Sakhalin (photo 12). Les autres sont gérés par l'autorité portuaire des différents ports des estuaires qui bordent l'océan Arctique. Deux navires scientifiques de l'Académie des sciences russe complètent cette flotte. Ils sont régulièrement affrétés l'été pour des croisières touristiques (photo 13).


Figure 11 : répartition par compagnie des brise-glaces russes



Figure 12 : SCF Fedor Ushakov (© Sovcomflot)
 
Figure 13 : Akademik Ioffe (© CruiseMapper.com)

A l'exception de quelques brise-glaces basés en Baltique, dont celui dépendant de la Marine russe pour assurer un libre accès à Saint-Pétersbourg et Kalingrad, la flotte russe se concentre sur Mourmansk, la péninsule de Yamal avec les terminaux pétroliers de Varanday et de Prirazlomnaya, les terminaux gaziers de Sabetta ainsi que ceux de Sakhalin en mer d'Okhotsk (figure 14).


Figure 14 : répartition des brise-glaces sur le littoral russe

  1. Les navires de charges de classe brise-glaces
C'est l'extraction du gaz et du pétrole sibérien, notamment avec le projet Yamal, qui a conduit plusieurs compagnies à commander des pétroliers et méthaniers à coque Glace. Le mégaprojet d'usine de liquéfaction de gaz en péninsule de Yamal achevé cette année avec trois trains d'extraction commence à permettre d'exporter annuellement 5,5 millions de tonnes par ligne. Quinze navires gaziers sont spécialement conçus pour transporter le gaz en autonomie pendant l'été vers l'Asie en empruntant la NSR (Route du Nord-Est logeant le littoral russe) et vers l'Europe du Nord (Zeebrugge et Saint-Nazaire – terminal de Montoir) en hiver. Ces transporteurs de gaz de 173 000m3 d'une classe Glace élevée (ARC7 - PC3) peuvent évoluer dans 2/3 mètres d'épaisseur de banquise. Leur conception repose sur une propulsion diesel-électrique de trois pods(1) tracteurs dite Double Acting. Lorsque l'épaisseur de la banquise est inférieure à 70cm, le navire navigue en marche avant. Lorsque la glace devient plus épaisse, le navire fait demi-tour et évolue en marche arrière avec ses pods positionnés face à la glace. Ce type de navire peut être apparenté à une classe de brise-glace de grande puissance (45 MW) dédié au transport de marchandise. Le premier d'entre eux, le Christophe de Margerie de la compagnie russe Sovcomflot a réalisé un record en août 2017 en reliant la Norvège à la Corée du Sud par la NSR en 19 jours sans escorte (fig 16). Les quatorze autres navires seront répartis entre la compagnie canadienne Teekay, japonaise MOL et grecque Dynagas affrétés à long terme pour le compte de Yamal, toutes ces trois compagnies ayant un armateur chinois comme partenaire à hauteur d'environ 50% de participation (fig 17). Le coût de construction d'un tel navire est très élevé, environ 320 millions de dollars l'unité d'une série de quinze navires, soit quasiment une fois et demie le prix d'un même type de navire (Q-Flex) de taille équivalente, sans classe Glace. Les ports pris dans les glaces une bonne partie de l'année nécessitent qu'ils soient ravitaillés par des cargos spécialisés à coque renforcée qui puissent naviguer de façon autonome. La compagnie danoise Royal Arctic Line pour le Groenland (fig 15), les compagnies canadiennes Fednav et Desgagnés pour le Nord canadien arment des cargos de classe brise-glaces.

(1) Un Pod est un moteur électrique située dans une nacelle immergée qui entraîne une hélice à pales fixes et qui peut s'orienter sur 360°. C'est l'orientation de la poussée du Pod qui agit comme gouvernail.


Figure 15 : projet Royal Arctic Line (photo © Zamakona Yards)
 
Figure 16 : SCF Christophe de Margerie (© Sovcomflot)

Figure 17 : programme de construction des Double Acting LNG Tanker type Yamalmax

  1. Les navires de charges à coque renforcée
Cette flotte correspond aux navires de classe Glace dédiés au transport de vrac liquides ou solides. Comme pour la flotte de brise-glaces, ces navires dépendent de compagnies dont les ports desservis sont pris par les glaces une partie de l'année. Ils ont souvent besoin d'être escortés par un brise-glace pour ouvrir un chenal dans la banquise. C'est la compagnie russe Sovcomflot qui possède la flotte la plus importante avec plus d'une centaine de navires possédant une classe Glace ne dépassant pas généralement la classe 1A. Ce type de navires ne concerne que les lignes de ravitaillement comme la compagnie Royal Arctic Line pour le Groenland (figure 17), Desgagnés pour le Nord canadien. Très récemment les deux grandes compagnies de transport conteneurisé Maersk et CMA CGM ont mis en service plusieurs navires de classe Glace 1A sur les lignes de la mer Baltique (figures 15 et 16) afin d'assurer un service régulier entre l'Europe du Nord et le port de Saint-Pétersbourg.


Figure 18 : Maersk Vistula (© gCaptain.com)
 
Figure 19 : CMA CGM Pregolia (© FleetMon.com)

  1. Classification des navires à coque Glace
La classification des navires ayant les capacités à naviguer dans les glaces repose sur l'épaisseur de banquise qu'ils peuvent briser, le type de glaces et la période de navigation dans l'année. Deux saisons sont bien distinctes, la période estivale de débâcle des glaces et celle hivernale de glaces pérennes. L'épaisseur est liée à l'accumulation de glaces annuelles ou pluriannuelles ainsi qu'à la présence de «vieille glace de terre» en provenance des glaciers. La nomenclature des classes Glace est propre à chaque société de classification (figure 20). La plus couramment utilisée est celle de l'Association Internationale des Sociétés de Classification IACS, puis viennent ensuite celle du Bureau Veritas BV et celle de Norvège, DNV-GL. Les navires de croisière et les navires de charge non spécialement dédiés se classent plutôt dans la catégorie de navigation estivale qui correspond aux classifications allant de 1C à 1A, soit PC7. Les navires de recherche à coque renforcée ou supplies sont généralement limités à PC5, les tankers Yamal Max et les brise-glaces s'échelonnent entre PC5 et PC2, navires qui peuvent naviguer toute l'année. Seuls les brise-glaces nucléaires russes sont PC1. La classification A, B et C du Code polaire est utilisée pour le certificat associé au navire.


Figure 20 : tableau de comparaison des classes Glace


Hervé BAUDU
Professeur en chef de l'Enseignement maritime
Membre de l'Académie de marine

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