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Communication de François Marendet sur l'ENSM
à l'Académie de marine, le 20 mai 2015


René Tyl, membre de l'AFCAN, nous fait le compte-rendu de cette communication



       L'Académie de marine a entendu le 20 mai une communication de M. François Marendet, directeur de l'École nationalesupérieure maritime, intitulée « former les marins ». M. François Marendet, diplômé de l' École polytechnique, ingénieur général des Ponts et Chaussées, est bien connu du monde portuaire pour avoir été entre autres sous-directeur des ports à l'administration centrale et directeur général du port de Nantes Saint-Nazaire. Il a été nommé directeur de l'École nationale supérieure maritime depuis novembre 2012.


Nouvelle école du Havre


       C'est relever un véritable défi que de faire une « école innovante » dont la vocation est de former des marins et des ingénieurs dans le domaine para-maritime, a déclaré d'entrée M. François Marendet.
Après avoir évoqué brièvement la longue histoire de l'enseignement maritime, il a exposé les différentes étapes qui ont marqué les débuts de l'ENSM, d'abord une période de création mouvementée, suivie d'un temps de stabilisation politique et de gouvernance, dont l'évènement important a été le projet d'établissement, et enfin la consolidation à laquelle on est maintenant arrivé, qui, au-delà de réalisations immédiates, s'appuie sur des projets innovants pour l'avenir.

La longue histoire de l'enseignement maritime

Créées par la Grande Ordonnance de 1681 du ministre Colbert, les écoles d'hydrographie ont fixé l'enseignement de l'art de naviguer. Des écoles gratuites et publiques furent créées dans de nombreux ports. La loi du 10 avril 1791 créera 34 écoles d'hydrographie gratuites. L'Ordonnance royale réorganisera les écoles d'hydrographie et fixera leur nombre à 44. Ce nombre passera de 34 en 1873 à 19 en 1881. Les arrêtés de février et mars 1919 supprimeront définitivement les écoles d'hydrographie et créeront les écoles nationales de navigation maritime dans les ports de Dunkerque, Boulogne, Le Havre, Saint-Malo, Paimpol, Lorient, Nantes, Bordeaux, Marseille, Saint-Tropez.
Sous l'occupation, le fonctionnement de l'enseignement maritime en zone occupée s'est trouvé bouleversé. L'école de Paimpol fermera en 1940 ; elle ouvrira de nouveau en 1945. L'occupation allemande et la destruction de la ville entraînèrent la fermeture de l'école du Havre. En 1949 une école provisoire sera ouverte dans des baraquements. Conjointement avec la fermeture de l'école du Havre, une école de la marine marchande s'ouvre à Paris avenue de Ségur. Elle déménagera en 1945 au n° 15 de l'avenue Foch.
Après la Libération, en 1947, une nouvelle organisation de l'enseignement maritime est instituée ; sous le nom de « professeurs de la marine marchande », le corps enseignant est divisé en trois sections, professeurs d'hydrographie, professeurs mécaniciens et professeur de technique. Le corps des professeurs deviendra en 1965 celui des « professeurs de l'enseignement maritime », annonçant la disparition du titre de professeurs d'hydrographie.
La loi du 19 mars 1958 fait évoluer les anciennes écoles d'hydrographie en Écoles nationales de la marine marchande (ENMM) en les érigeant en établissements publics à caractère administratif (EPA), dotés de l'autonomie financière.
Entre 1958 et 1967, l'Etat rationalisera son réseau d'écoles : fermeture de Paris, Bordeaux et Alger, construction de cinq écoles neuves sur les sites déjà existants de Saint-Malo, Nantes, Paimpol, Le Havre et Marseille. L'école de Paimpol fermera en 1986.
En 1967 est mise en place la « polyvalence », pédagogie véritablement novatrice, pour armer les navires automatisés de la nouvelle génération.
Plus récemment, différents rapports, sortis en 2006 et 2007 : le rapport Poseïdon (améliorer la formation aux métiers de la mer) – le rapport Laurent (repenser la formation maritime supérieure en France) – le rapport du Cluster Maritime Français, et le discours au Havre du Président de la République sur l'avenir maritime de la France du 16 juillet 2009, ont contribué à la nécessité de la création d'un enseignement supérieur maritime.

2010-2012. Une création mouvementée

Le décret du 28 septembre 2010 a officialisé la création de l'ENSM, née de la fusion des quatre ENMM, Le Havre, Marseille, Nantes et Saint-Malo. Elle sera en fonction à partir du 1er octobre.
Eudes Riblier, ancien président du directoire de SeaFrance, est nommé président du conseil d'administration provisoire de l'ENSM, et Henri Poisson, administrateur général des Affaires maritimes, directeur général sur proposition du ministre. Les quatre centres seront désignés par arrêté.
Les débuts de l'ENSM ont néanmoins été plutôt mouvementés, marqués par des discours déstabilisants. La ministre de l'Écologie, chargée de la mer, n'avait-elle pas spécifié à Dunkerque en novembre 2011 lors des Assises de l'Economie maritime, qu' « il faudra faire un choix entre les divers sites de l'école », ce qui laissait envisager la disparition de l'une ou plusieurs de ces écoles.
La mise en œuvre de l'école s'est avérée très complexe, à un moment où l'horizon de l'emploi pour les élèves se bouchait très fortement. Pour M. Marendet, un seul point positif au tableau, l'avis favorable en octobre 2011 de la Commission des titres d'ingénieur (CTI) à l'accréditation de l'ENSM à délivrer le titre d'ingénieur diplômé. La première promotion d'élèves ingénieurs sortira en 2016.

2012-2013 : Le temps de la stabilisation politique et de la gouvernance

Les débuts de l'année 2012 furent marqués par de nombreux atermoiements stratégiques, la spécialisation des sites étant en particulier loin d'être acquise.
Il faudra attendre les années 2012-2013 pour connaître une stabilisation politique et de gouvernance. Frédéric Cuvillier, nouveau ministre de tutelle, déclarera en novembre 2012 aux Assises de l'Économie maritime de Biarritz qu' « il avait trouvé une école en grande difficulté », et qu' « il voulait redonner à l'ENSM les moyens de ses ambitions », insistant sur « la complémentarité des quatre sites historiques du Havre, de Marseille, de Nantes et de Saint-Malo, cohérence oubliée l'an dernier ». Fin 2012, le directeur général est débarqué, le président, dont le décret officialisant sa nomination n'a jamais paru, donne sa démission. Ils seront remplacés par une nouvelle équipe dirigeante.
François Marendet sera nommé directeur général et Hervé Moulinier, président, et par ailleurs président du pôle mer Bretagne et membre du Conseil national de la mer et des littoraux.
La lettre de mission adressée début 2013 par le ministre au nouveau directeur général définit les quatre thèmes autour desquels il devra développer son action :
  1. Confirmer l'ENSM en tant que grande école, en maintenant le niveau d'excellence de la formation d'officier et en faisant vivre le titre d'ingénieur ;
  2. Construire une école unique sur quatre sites sur la base d'un projet d'établissement élaboré au cours du premier semestre 2013 ;
  3. Améliorer la situation financière de l'école ;
  4. Faire de l'école un établissement public de plein exercice.
Dès son arrivée, la nouvelle équipe dirigeante fera plusieurs constats dénotant les faiblesses de l'enseignement. L'école a hérité d'un corps professoral hétéroclite, composé d'un corps de professeurs de l'enseignement maritime, jadis professeurs d'hydrographie, de statut militaire, corps voué à l'extinction, et d'un corps de professeurs techniques, de statut civil, qui ne recrute plus depuis plusieurs années. Des chargés d'enseignement contractuels ou vacataires pallient le manque de recrutement. La formation continue n'existe plus.
Aucun regard hors des frontières : l'école d'Anvers accueille près de 700 élèves dont 30% sont français. Il n'existe aucun suivi des élèves. Il faudrait établir un annuaire des anciens élèves, de façon à s'appuyer sur l'expérience des anciens.
Devant la situation financière très dégradée de l'ENSM, révélée par un rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable, l'État accorde à l'établissement une dotation exceptionnelle de 1 400 000 euros. La subvention pour charge de service public sera maintenue à son niveau, et même augmentée de 800 000 euros en 2014.
Francis Vallat, président du cluster maritime, avait d'ailleurs, à l'occasion des 8èmes Assises de la mer à Biarritz en 2012, évoqué « l'état moral plus qu'inquiétant, dans une situation financière catastrophique, de l'ENSM ». Il avait aussi tenu à saluer le nouveau directeur dont « l'énergie et la compétence étaient connus de tout le monde maritime ».
Tous ces constats ont montré l'urgence d'un projet d'établissement, qui n'a jamais été conçu par la précédente équipe, malgré la demande du ministre.

Le projet d'établissement

Le projet d'établissement a finalement été voté par le Conseil d'administration le 10 décembre 2013, après avoir soulevé une polémique tant de la part de quelques élèves que de certains professeurs, mais aussi des navigants et des élus haut-normands, principaux financeurs de la future école du Havre.

Ce projet fixe un cap et donne les outils pour l'atteindre ; mais M. Marendet rappelle que c'est une responsabilité collective engageant la tutelle, le conseil d'administration, la direction, les professeurs, les élèves et anciens élèves, les professionnels du monde maritime, dans le but d'une réussite commune.

Il repose sur le partage de valeurs et sur la définition d'une vocation pour chacun des sites de l'établissement. M. Marendet relève quatre valeurs communes.
  1. Faire fructifier l'héritage des « Hydros » ;
  2. Etre un acteur de la mondialisation en toute responsabilité ;
  3. Promouvoir l'ouverture d'esprit, le respect, l'honnêteté, la loyauté, l'humilité, la polyvalence, le sens des responsabilités, la confiance en l'autre, la solidarité et la promotion sociale ;
  4. Appliquer ces valeurs au management de l'école.
Le projet de partage entre les quatre sites de l'établissement est élaboré ainsi que suit :
  • Marseille accueille les trois premières années (L1 à L3) des promotions d'élèves ingénieurs, navigants et para-maritimes ;
  • Le Havre reçoit les deux dernières années et demie (S7, M1 et M2) de la filière navigant ingénieur, ainsi qu'un mastère « logistique » et un pôle international d'enseignement maritime ;
  • Nantes accueillera les deux dernières années (M1 et M2) des ingénieurs maritimes, tandis que la filière professionnelle pont y sera maintenue, ainsi que la formation des chefs mécaniciens jusqu'en septembre 2017, (puis transfert à Saint-Malo ;
  • Saint-Malo disposera en outre d'un renforcement de la filière professionnelle machine, et d'une confirmation des formations en matière de sécurité autour du CESAME.
 

Le projet d'établissement prévoit trois directions pour l'avenir : placer la pédagogie au cœur du projet ; élaborer un projet immobilier pouvant évoluer ; se donner les moyens du développement.
  • Pour la pédagogie, il faut moderniser les procédures de recrutement des élèves et adapter le cursus aux contraintes des embarquements, faire de la filière professionnelle le moteur de l'enseignement maritime, proposer une pédagogie pour la recherche et les projets, accompagner l'évolution du corps professoral vers l'adaptation aux métiers de l'ENSM, enfin renforcer le rôle du conseil des études.
  • Pour l'immobilier, il convient de disposer de locaux pérennes, respectueux des normes, tout en veillant à diminuer ou à mutualiser les coûts de fonctionnement. Le Havre, ayant le bénéfice d'un nouvel équipement, doit devenir la vitrine de l'enseignement maritime international ; Marseille doit s'adapter à la pédagogie numérique, et Saint-Malo s'intégrer dans le pôle universitaire malouin.
  • Pour obtenir les moyens nécessaires, il faudra créer des conseils locaux de développement réunissant les acteurs du monde maritime et para-maritime, c'est-à-dire l'Etat, les collectivités territoriales, les établissements d'enseignement supérieur, les entreprises du secteur et des personnes qualifiées autour de l'ENSM et de ses projets. Il faut aussi assainir le passif hérité de la formation de l'école, développer de nouvelles ressources en formation continue, initier des partenariats publics et privés pour les équipements lourds, promouvoir l'école pour attirer des élèves français et étrangers.

2014-2015. Une consolidation pour une école unique

La consolidation de l'école doit s'appuyer sur une vie associative féconde, avec des projets d'élèves sélectionnés et aidés par un comité technique. L'école soutient ainsi dix projets présentés par les élèves, pour un montant de 20 000 euros par an, parmi lesquels le projet HYDROcontest 2014 présenté par les élèves et les professeurs de Marseille et du Havre. Ce projet, un navire semi-submersible à sustentation, a reçu le prix de l'innovation pour l'amélioration des performances, de la consommation et du confort de navigation.
La recherche de qualité est essentielle au regard des certificats et brevets délivrés dans le cadre de STCW. Elle est circonscrite aux orientations de la commission des titres d'ingénieurs (CTI).
La CTI vient d'accorder pour deux ans, en septembre 2014, une nouvelle accréditation de l'ENSM à délivrer un titre d'ingénieur en 11 semestres pour les navigants. L'école déposera une demande d'accréditation pour l'ensemble des parcours maritimes en 2015.
La démarche qualité s'appuie sur un processus de certification ISO 9001 achevé début février 2015, dont les cinq non-conformités mineures seront corrigées d'ici la prochaine visite de surveillance dans un an. Tous ces plans d'action s'inscrivent sur un tableau de bord, véritable outil de pilotage pour la direction générale et le conseil d'administration.
Il faut en outre pouvoir s'appuyer sur des équipements récents, en particulier des simulateurs de navigation. Le simulateur de navigation « full mission », financé par les armateurs, est installé sur le site de Marseille, qui dispose aussi d'un simulateur Apra/Ecdis dans le cadre de la formation anticollision, de simulateurs modélisant les installations énergétiques et propulsives de différents types de navires. Sur le site de Nantes, se trouvent plusieurs laboratoires et simulateurs, dont un avec pile à combustible.

Projets pour l'avenir

Le premier et le plus important est l'aménagement de la nouvelle école du Havre avec environ 10 000 m2 bâtis, dont 6 600 m2 de locaux d'enseignement et une capacité de 800 étudiants, permettant une complémentarité avec d'autres structures, en particulier l'enseignement supérieur. L'école est construite sur le modèle « ship in school », plus de 2 000 m2 en configuration « navire », concept innovant tant en France qu'en Europe. Le dispositif pédagogique repose sur l'installation d'un simulateur « navire », reproduisant tous les scénarios tant pont que machine, comme sur une passerelle de navire. Cet investissement futuriste, dont le coût est évalué à plus de 2 M€, permettra de mettre les élèves dans des situations de commandement complètes. Il est en outre prévu des recrutements de personnels qualifiés.
Le second projet est le développement du Centre d'abandon et de survie en mer (CESAME) situé à Saint-Malo. Le CESAME participe déjà à la formation des élèves et marins en activité en préparant aux brevets et certificats relatifs au sauvetage et à la survie en mer, tels que le CAECSR (certificat d'aptitude à l'exploitation des canots de secours rapides), le TIS (techniques individuelles de survie) ou le MES (systèmes d'évacuation maritime). C'est le seul centre en France à proposer une embarcation de type « chute libre ».
Il s'agit de compléter les formations STCW par des formations « offshore » et « éoliennes en mer » tout en développant la recherche sur le thème de la survie en mer. Une étude est poursuivie avec la région Bretagne, Saint-Malo agglomération et la ville de Saint-Malo pour une installation sur un terrain proche du CESAME quai Bouvet ; parallèlement une étude juridique et financière est engagée avec Falk, partenaire privé danois ayant une grande expérience dans ce domaine.
Le troisième projet est une refonte des cursus, que ce soit celle de la filière académique, de la filière « B » ou celle de nouvelles formations professionnelles.
Concernant le cursus académique, il y aura un seul diplôme d'ingénieur de l'ENSM avec différents parcours : un parcours navigant avec un cursus de cinq ans et demi (cursus plus long, car délivrant deux diplômes, DESMM et ingénieur ENSM), et deux parcours dans le domaine para-maritime avec un cursus de cinq ans. L'école offrira aux élèves deux nouvelles formations maritimes, « l'ecoship manager » et « l'offshore maintenance manager ». La première œuvre pour un navire écologiquement propre et économiquement efficient, tant pour la construction et l'exploitation que pour la déconstruction. La seconde vise à la gestion de projets complexes pour l'exploitation des hydrocarbures, du gaz et des énergies marines renouvelables.
La filière « B » sera réactualisée par la création de la filière OCQM/Chef 8000 kW en trois ans, avec la perspective que des élèves provenant du BTS MASEN (maintenance des systèmes électro-navals) pourraient rentrer en 3ème année du cursus - ou la mise en place de la formation des OCQM3000 kW en un an à la rentrée 2016/2017.
Parmi les nouveaux cursus, la formation en trois ans des officier chefs de quart passerelle internationaux (OCPQI), destinés à la navigation à l'offshore, à la croisière ou au yachting.
A côté de ces projets d'avenir, il est nécessaire de poursuivre la résolution des difficultés, ainsi le recrutement des enseignants, pour lesquels il faudrait développer l'attractivité du métier. Il conviendrait de définir un statut autre que des CDD de trois ans, et de garantir de salaires plus élevés.
Autre problème à résoudre, une adaptation aux lourdes contraintes budgétaires nécessitant d'accroître les ressources propres (droits d'inscription, taxe d'apprentissage, formation continue…).
Il reste aussi à entreprendre des démarches pour une plus grande ouverture sur l'international vers les autres académies maritimes européennes.
En matière de communication, davantage renseigner sur les débouchés des métiers auxquels mènent les formations de l'ENSM, tant ceux de navigant que ceux du para-maritime.
En matière pédagogique, mener une réflexion sur la modernisation de l'enseignement (numérique, projets, supports de cours et cours en anglais), faire retourner les professeurs sur les navires dans le cadre de la formation continue, demander aux armateurs d'écouter davantage les navigants, renforcer les liens avec les « jeunes » anciens, garder la polyvalence qui s'adapte au titre d'ingénieur, promouvoir les valeurs des gens de mer.

Pour conclure, M. Marendet compare l'ENSM à un navire qui ne s'est pas encore stabilisé au mouvement de la mer. Reste à garder le cap que l'on s'est fixé, à savoir tout faire pour maintenir l'école et sa spécificité, former des navigants ingénieurs.


René TYL
membre de l'AFCAN


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