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ENERGY OBSERVER, le premier navire à hydrogène autour du monde

Initié en 2013, le projet Energy Observer a un objectif simple : promouvoir l'utilisation d'énergies renouvelables à travers le monde. Mis à l'eau le 14 avril dernier à Saint-Malo, le navire équipé à la pointe des dernières technologies énergétiques a commencé un périple de six ans autour du monde, en commençant par Paris, Boulogne et Cherbourg.
«Il n'y a pas une solution miracle pour lutter contre le réchauffement climatique : il y a des solutions, nous devons apprendre à les faire fonctionner entre elles. C'est ce que nous faisons avec Energy Observer : faire collaborer les énergies de la nature, mais aussi de notre société, en réunissant autour de ce bateau le savoir- faire des entreprises, des laboratoires, des start-up et des institutions».
Victorien Erussard, capitaine de l'Energy Observer
 

Un catamaran prestigieux

A l'origine, un catamaran long de 24,38 mètres, Energy Observer, qui a été rallongé quatre fois, et mesure aujourd'hui 30,50 mètres de long pour 12,80 mètres de large. Après une carrière de compétiteur hors pair, il s'apprête à renaître pour ouvrir une nouvelle voie, celle de la navigation autonome à l'hydrogène.
Energy Observer est un ancien bateau de course reconditionné : construit au Canada en 1983 par l'architecte naval Nigel Irens, sous la supervision du navigateur Mike Birch, il est alors le plus grand catamaran du monde et a marqué de manière décisive l'évolution des multicoques. Baptisé Formule TAG pour «Technique d'avant-garde», il est le premier voilier à franchir en 1984 la barre symbolique des 500 milles en 24 heures et remporte ensuite en 1985 la Monaco-New-York. Mais c'est sous le nom d'Enza New Zealand qu'il connaîtra ses plus belles années, remportant en 1994 le Trophée Jules Verne, sur lequel il fut recordman autour du monde, avec Sir Peter Blake à la barre. L'aventure de la course au large de ce prestigieux catamaran se termine en 2010 dans l'Atlantique Nord lors d'une sortie d'entraînement pour une nouvelle tentative à l'assaut du Trophée Jules Verne. Le bateau chavire et est remorqué jusqu'à Brest où il reste à quai pendant deux ans. En 2013, le navigateur Frédéric Dahirel récupère le bateau dans l'intention d'en faire le premier catamaran électro-éolien français. Ne pouvant poursuivre la réalisation de son projet, il prend contact avec Victorien Erussard, son ancien co-équipier de la Transat Jacques Fabre 2007. Celui-ci lui suggère une approche multi sources intégrant aussi le solaire et l'hydrogène. Il en parle à Nicolas Hulot, parrain de tous ses bateaux, qui, emballé par cette idée de mixité énergétique, y voit un symbole emblématique de la transition énergétique.
Reste à trouver un partenaire expérimenté et solide pour relever ce défi technologique. Victorien Erussard connaissait le CEA et avait découvert au salon nautique 2009 son voilier Zéro CO2. En février 2015, il rencontre Françoise Lambert directrice du CEA-Liten (Laboratoire d'innovations pour les technologies des énergies nouvelles). Très intéressée par son projet qui s'inscrit parfaitement dans la stratégie du CEA de valorisation de l'hydrogène dans la mobilité écologique, sa collaboration aura un rôle clé.
Energy Observer compte aussi deux partenaires principaux, les groupes AccorHotels et Thélem Assurances, fortement mobilisés pour la transition énergétique. Soutiennent également le projet, les entreprises Delanchy, Air Liquide, Delta Dore et Prysmian Group.
Dès lors, les travaux de transformation du catamaran mythique en symbole de transition énergétique peuvent commencer.

Une architecture énergétique unique au monde

Pendant deux ans, le navire est totalement transformé à Saint-Malo. Il n'en fallait pas moins pour mettre au point une architecture unique au monde entièrement tournée vers l'autonomie et la sobriété énergétique. Deux ans de travail acharné pour une soixantaine de personnes, navigateurs, architectes, ingénieurs, chercheurs du CEA-Liten. Coût de l'opération : plus de cinq millions d'euros.
Le challenge était de faire fonctionner ensemble, et en tenant compte de toutes les contraintes d'un emploi sur un bateau (encombrement, poids et résistance des matériaux, systèmes dans un environnement marin), différents types d'énergie renouvelable.

Le concept d'Energy Observer

Le navire est basé sur un concept multi-sources intégrant :
  • 130 m2 de panneaux photovoltaïques de 21 kWc (puissance maximale d'un dispositif),
  • 2 éoliennes à axe vertical (1kWc),
  • 1 aile de traction de 50 m, cerf-volant de type kite,
  • 2 moteurs électriques (2 x 41 kW) pour la propulsion (2 000 t/m) convertibles en hydro-générateurs,
  • 1 pile à combustible générant de l'électricité,
  • des compresseurs d'hydrogène de 30 à 350 bars dans les réservoirs,
  • 1 électrolyseur (4 Nm3/h d'hydrogène à 30 bars),
  • des batteries pour stocker l'électricité.
Concrètement, les énergies solaire et éolienne rechargent des batteries alimentant un réseau de 24 V pour la vie à bord, les équipements de contrôle-commande et sécurité et un réseau de 400 V pour la gestion de la propulsion et aussi l'électrolyse permettant de produire à bord de l'hydrogène et compresser cette molécule, stockée dans des réservoirs.
Pour prolonger son autonomie, Energy Observer utilise également une pile à combustible fonctionnant à l'hydrogène, dont le principe de fonctionnement est assez simple. Il suffit de disposer d'eau (H2O) qui, via une électrolyse, se décompose en oxygène (O2) et en hydrogène (H2). Le premier est relâché dans l'atmosphère et le second, conservé sous forme gazeuse pour préserver son excédent d'énergie, est compressé et stocké dans 8 réservoirs de 322 litres pouvant contenir 62 kg d'H2, équivalent à 230 litres d'essence. Celui-ci est ensuite réutilisé par une pile à combustible qui génère la réaction chimique inverse, c'est-à-dire qu'elle produit de l'énergie électrique et thermique en associant hydrogène et oxygène. Il en résulte également de l'eau chaude, exploitée dans le circuit sanitaire du bord.
Pour l'électrolyse, Energy Observer utilise de l'eau de mer qui passe d'abord dans un dessalinisateur à osmose d'une capacité de 105 litres par heure. Ce système, comme l'électrolyseur et le système de compression, est alimenté par les batteries.

Le principe de fonctionnement d'Energy Observer

Grâce au couplage des énergies renouvelables (solaire, éolien, courants marins) et leur stockage, via le vecteur hydrogène et les batteries lithium-ion, Energy Observer est en mesure de naviguer en toute autonomie.
En mode «navigation», l'énergie solaire générée par les panneaux photovoltaïques est immédiatement consommée pour la propulsion.
En cas de chute momentanée de la production (temps couvert), les batteries prennent le relais pour alimenter les moteurs.
En cas d'interruption longue (pendant la nuit par exemple), la pile à combustible produit l'électricité à partir des réservoirs d'hydrogène.
En appoint, les éoliennes et l'aile de traction fournissent une assistance à la navigation et produisent indirectement de l'électricité lorsque les moteurs électriques fonctionnent comme des hydrogénérateurs.
En mode «recharge», lors des escales ou lorsque le bateau navigue lentement, l'architecture énergétique se tourne vers le stockage. La production photovoltaïque est redirigée vers les batteries ou vers l'électrolyseur produisant l'hydrogène.

Passer du laboratoire à la réalité

Avril 2017 : le bateau est mis à l'eau. Auparavant, durant presque trois mois, une équipe d'une dizaine d'ingénieurs et de techniciens s'est affairée dans les entrailles du bateau pour assembler toute cette architecture énergétique en vue de la première escale à Paris en juillet. Ils ont testé de nouveau toutes les performances de la batterie, la productivité des panneaux et tous les autres composants en conditions réelles, même si elles avaient été validées en laboratoire.
Juillet 2017 : l'Energy Observer entame son aventure énergétique par un premier voyage le long des côtes de France jusqu'à Monaco, pour tester ses capacités, avant de se lancer dans un tour autour du monde qui durera six ans. Le navire fera 101 escales dans 50 pays afin de présenter le projet et «prouver qu'un futur plus respectueux de l'Homme et de son environnement est possible».

Les hommes-clés de l'Energy Observer : des hommes de conviction

Le capitaine Victorien Erussard
Originaire de Saint-Malo, Victorien Erussard, 35 ans, est depuis toujours fasciné par les trimarans de course au large. Son palmarès est éloquent, 10 années de course au large, une Route du Rhum, 4 Transats Jacques Fabre, trois podiums, trois titres de champion de France en F18 et un exploit, la traversée de l'Atlantique sans gouvernail pendant la Transat Québec-Saint-Malo, après avoir percuté une baleine.
Ses exploits ne l'ont pas empêché de poursuivre ses études d'officier de la marine marchande. Il obtient en 1999 à l'école de Saint-Malo le brevet professionnel maritime de conduite et exploitation des navires de pêche, et en 2004 le diplôme d'officier polyvalent de 2ème classe de la marine marchande. Elève à Britanny Ferries, à Emeraude Lines et sur le Diamant de la compagnie du Ponant, il sera second capitaine d'un sablier breton, après avoir été capitaine d'un yacht de luxe. Avec le projet Energy Observer dont il devient chef de projet associé en 2013, Victorien aborde un nouveau domaine, celui de la mise au point d'un navire utilisant les énergies renouvelables et les toutes dernières technologies.

Le chef de l'expédition Jérôme Delafosse
Scaphandrier professionnel, photographe de presse et d'expéditions, réalisateur de documentaires et auteur de romans vendus à travers le monde, Jérôme Delafosse participe aux fouilles archéologiques du palais englouti de Cléopâtre en Alexandrie et plonge sans cage avec les grands requins blancs d'Afrique du sud, et à 1000 mètres en sous-marin pour filmer les abysses. En 2006, il devient l'un des visages emblématiques des Nouveaux Explorateurs sur Canal + et Travel Channel, émission pour laquelle il parcourt les océans et les fleuves mythiques, et part à la rencontre des peuples de l'eau afin d'en faire découvrir les cultures et sensibiliser le public aux questions environnementales.
Désireux de s'investir pleinement dans la protection des océans, il s'y consacre exclusivement aujourd'hui, d'abord avec les Requins de la Colère, documentaire évènement sur la sauvegarde des requins, diffusé sur Canal +. En 2013, il rejoint l'équipe d'Energy Observer, dont le projet «lui donne une occasion unique de mener une action positive, en promouvant les solutions propres à travers cet excellent démonstrateur qu'est Energy Observer».

Voyage test et escale à Cherbourg

Parti de Saint-Malo le 29 juin, l'Energy Observer a célébré sa première escale et son baptême à Paris le 5 juillet où il est resté à quai une dizaine de jours.
 
A Saint-Malo le Premier ministre Edouard Philippe et le ministre de la Transition écologique Nicolas Hulot ont embarqué pour une courte navigation. Le premier ministre a déclaré dans son point de presse qu'il appréciait les technologies expérimentales de ce navire futuriste, qui sont des solutions crédibles bien qu'elles ne soient pas encore finalisées. De son côté, Nicolas Hulot a encouragé Victorien Erussard à tester «le mix énergétique en intégrant l'hydrogène». La délégation ministérielle était accompagnée de la marraine du bateau, Florence Lambert, directrice du CEA-Liten.
Après une escale à Boulogne-sur-Mer du 22 au 30 juillet, et un arrêt technique à Saint-Malo, le grand catamaran s'est arrêté à Cherbourg où il est arrivé au petit matin du samedi 26 août. Il s'est amarré sur un appontement de Port Chantereyne, magnifique port de plaisance en eaux profondes bien abrité.
L'Energy Observer est resté à quai toute la semaine, répondant à l'invitation du président du conseil départemental de la Manche qui avait découvert le projet lors du dernier salon nautique de Paris. La transition énergétique est au cœur des politiques du département, que ce soit le développement de l'éolien en mer dont l'usine de pales en construction en est une concrétisation, ou la réalisation d'un premier assemblage de turbines pour le premier parc hydrolien marin français du raz Blanchard au large de Cherbourg.
Amarré devant la «plage verte», le bateau n'était évidemment pas ouvert à la visite, mais un village avait été installé à proximité, avec une exposition et des outils de réalité virtuelle pour en découvrir les innovations. Plus de 5 000 visiteurs ont été dénombrés, ce qui montre l'intérêt des Cherbourgeois pour les énergies renouvelables, au-delà de la simple curiosité.
Le point d'orgue a été la présentation du projet aux Cherbourgeois le samedi 2 septembre par Victorien Erussard et Jérôme Delafosse.
Energy Observer a largué les amarres à la marée du matin du lundi 4 septembre. Il fera escale à Nantes du 9 au 17 septembre et sera amarré au Parc des Chantiers, zone devenue le quartier de la création et de l'innovation.
Cette escale s'inscrit pleinement dans la politique environnementale et innovante de la Métropole, suite au «Grand débat sur la transition énergétique» et surtout après le lancement du premier «Navibus à hydrogène» en juillet.
Ses prochaines escales seront : Bordeaux (26 septembre / 3 octobre) – Toulon (18 au 26 novembre) – Marseille (2 au 10 décembre) – Monaco (fin décembre 2017).
Après la France, il sillonnera la Méditerranée en 2018, l'Europe du Nord en 2019, les Amériques en 2020, l'Océanie et l'Asie en 2021 et l'Asie et l'Afrique en 2022.
Souhaitons à ce navire plein d'espoir de réussir pleinement sa mission auprès des hommes.

Post-scriptum

A un moment où les éléments se déchaînent dans le monde de façon dramatique, cyclones, typhons, incendies, inondations, coulées de boues, tremblements de terre, saluons les initiatives du monde maritime pour lutter contre le réchauffement climatique. Energy Observer n'est pas le premier bateau à chercher à naviguer aux énergies renouvelables. Entre 2010 et 2012, le catamaran suisse de 35 mètres de long, Planet Solar,a fait le tour du monde grâce à ses 500 m2 de panneaux photovoltaïques et plus de 300 kg de batteries. Cinq ans plus tard, cédé à la fondation Race for Water, qui vise à lutter contre la pollution des mers, et baptisé du même nom, il a été modifié et fonctionne désormais grâce à un mélange énergétique dont les sources sont le solaire, l'hydrogène et un kite de traction. Parti de Lorient le 9 avril pour un tour du monde de cinq ans, l'objectif de cette nouvelle mission scientifique et environnementale est de dresser un premier bilan global de de la pollution plastique des océans.
N'oublions pas aussi le projet ambitieux, Plastic Odyssey, du jeune officier de la marine marchande Simon Bernard : faire le tour du monde sur un catamaran fonctionnant grâce à un carburant constitué uniquement à partir des plastiques, carburant produisant beaucoup moins d'émissions de CO2 que les carburants fossiles.
Les projets de navires utilisant un mode de propulsion éolienne et électrothermique ne manquent pas non plus. Citons le projet d'Eole Marine Colportage (EMC), qui travaille à l'élaboration d'un navire de charge à propulsion éolienne associée à une propulsion électrothermique pour relier les îles de la Polynésie française. Le gréement, deux mâts de type aile pour une surface de 275 m2, est une innovation propre au cabinet VPLP, représenté par l'architecte naval de réputation internationale Marc Van Peteghem. Ce système est couplé à deux moteurs hybrides diesel/électrique qui offrent une économie de 30 à 40 % par rapport à un cargo classique.
Le projet, présenté en 2016 au Conseil économique, social et culturel de Polynésie française, a reçu de nombreux encouragements de l'assemblée de maires et d'élus. Il intéresse particulièrement un armateur de Papeete qui envisage la mise à l'eau d'un navire de fret, transport de passagers assis, en interinsulaire, et enfin, transport de passagers en cabines, de type croisière.
Saluons aussi le succès de la start-up nantaise Zéphyr et Borée qui a reçu le Prix du public dans le cadre de The Bridge, à bord du Queen Mary 2, pour son projet de cargo à voile. Son cofondateur, Nils Joyeux, ancien officier de la marine marchande (ENSM 2008-2015), et son équipe, un architecte naval, un commercial et une chercheuse formée à l'ENSM, travaillent à la conception d'un cargo à voiles-ailes articulées et rétractables couplées à une propulsion mécanique hybride, dont le bilan carbone sera réduit de 70%. Pour la construction, la start-up s'est assurée le concours du grand cabinet d'architecte naval VPLP, d'une société d'ingénierie maritime et d'un consortium de grandes écoles. Reste que le développement économique du projet ne peut voir le jour qu'à travers l'aide de partenaires qu'il faut s'efforcer de convaincre.

René TYL
Membre de l'AFCAN

Sources:
Documents du CEA
Visite du « village »
Dialogue avec Victorien Erussard
Articles de la Presse de la Manche
Mer et Marine
Le Marin
La Dépêche de Tahiti
Marine et Océans
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