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Pierre Bouguer, 1698-1758, père de l'architecture navale
Nous publions, avec l'aimable autorisation de M. Christian Cabellic, une première partie de l'histoire de Pierre Bouguer, dont la formule est présente dans la mémoire des capitaines français.
Pierre BOUGUER - Pastel de Jean-Baptiste PERRONNEAU
Au cours de ma carrière d'ingénieur il m'a été donné de diriger des programmes de construction de navires civils et militaires. Je dois dire que je fus servi par la passion de ce métier et le bénéfice d'une initiation reçue de la part de bons maîtres en génie maritime.
Mais, peut-être, me suis-je montré plus sensible que d'autres au souvenir, injustement estompé, d'un de nos maîtres à penser, Pierre Bouguer, un des pères de l'architecture navale. Natif du même endroit, dont le passé maritime prestigieux sourd de chaque chose, je réalisais avec bonheur que je pouvais, par delà le temps, emboîter très modestement ses pas le long des quais du Croisic quand je m'imprégnais de connaissances sur l'art de concevoir et de construire les navires.
Ainsi, voici Pierre Bouguer et sa révélation capitale du métacentre peint sous des traits qu'il m'a plu de vous faire revivre.
Parler de la stabilité des flotteurs ressemble à une antienne tant le sujet se trouve repris de nombreuses fois dans les cours d'architecture navale et les cours d'hydrographie. Le style a évolué vers la sophistication de la présentation mathématique aboutissant parfois à une dissertation sur un modèle de flotteur théorique qui tout en demeurant intellectuellement intéressant sous cet aspect a fait oublier la fraîcheur d'esprit avec laquelle nos pères de l'architecture navale conduisirent leurs réflexions et plus particulièrement pour un éminent représentant précurseur de ceux-ci, Pierre Bouguer à qui nous devons la révélation du métacentre.
Je vous invite à retrouver ce personnage, son visage oublié au travers d'une évocation biographique complétée d'une dissertation sur la méthode qui le guida pour parvenir à la formulation du concept de métacentre, découverte fondamentale et d'application universelle en ce sens qu'elle touche tous les types de navires au cours de tous les âges. Le cheminement intellectuel retracé est celui qui germa dans l'esprit du jeune Pierre Bouguer lorsqu'il arpentait les quais du Croisic avant de devenir ce savant membre éminent de l'Académie Royale des Sciences.
Pierre Bouguer présentait le grand avantage de connaître la réalité des conditions vécues par les marins, pour les avoir côtoyés dans son pays natal et pour avoir reçu de son père la formation de professeur d'hydrographie qui l'amena tôt à accompagner les élèves pilotes et les capitaines de l'école de son père dans les sorties d'initiation pratique aux manœuvres et aux exercices de navigation dans les eaux côtières du Croisic. Son expédition au Pérou le fit naviguer de longs mois au cours desquels il put régler ses démarches théoriques sur le constat des réalités.
Il connaissait aussi le milieu des charpentiers de marine pour avoir rôdé très jeune autour des chantiers du Croisic.
Ainsi Pierre Bouguer sut bien vite faire la synthèse des mentalités des métiers des uns et des autres et percevoir les aspects négatifs des mauvais usages ou des excès d'empirisme. Il perçut combien il était nécessaire d'œuvrer pour faire progresser la science du domaine naval et ainsi réduire les risques alors toujours très élevés des expéditions maritimes. Il convenait aussi de savoir mieux maîtriser l'art de construire les vaisseaux afin d'assurer le meilleur taux de réussite des réalisations eu égard aux sommes considérables engagées dans celles-ci.
Il convenait que l'exposé des résultats de ses travaux théoriques fût assorti d'exemples directement compris des hommes de la profession. Il semble à cet égard que ses travaux furent plus facilement assimilés par les marins que par les constructeurs avant que ne se développe l'usage des plans calculés apporté par le nouveau corps des ingénieurs constructeurs.
Père et précurseur de l'architecture navale non empirique, Pierre Bouguer nous a laissé un message de sagesse et pourtant des navires chavirent toujours, événements dramatiques, très souvent de non fatalité mais de sanction pour l'oubli des bonnes recommandations !
Pierre Bouguer Une vie vouée à la science
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La formulation de la loi physique exprimant la sensibilité à l'inclinaison des navires - ce que de nos jours nous appelons la stabilité - a germé lentement dans l'esprit d'un jeune professeur d'hydrographie, héritier de la chaire de son père au Croisic, après le décès de celui-ci en 1714.
Pierre Bouguer, fils de Jean et de Marie Françoise Josso, est né au Croisic le 10 février 1698. Il fut élevé au lait des mathématiques et des connaissances utiles aux marins pour préparer et accomplir leurs expéditions nautiques, ainsi que des connaissances sur la façon de concevoir et de construire les vaisseaux.
Par bonheur pour son père, Pierre se révèle doué de façon précoce pour les disciplines scientifiques. Il admire son père qui jouit des égards de la population locale en qualité de personnage savant et pour avoir combattu sur mer à Bantry et y avoir glorieusement boulet anglais. Jean Bouguer fut l'auteur d'un «Traité complet de la navigation » ouvrage réputé, édité en 1698 à PARIS. Pierre suit donc les initiations de son père avec application, initiations confortées par une scolarité brillante au collège des jésuites de Vannes.
Pierre est curieux de tout. Il aime se trouver sur les quais du Croisic pour détailler les navires venus de tous les horizons ; à basse mer il analyse les formes de leurs carènes ; à flot il soutient son regard sur le jeu de leurs oscillations et la raideur de leurs amarres sous l'effet du courant de flot ou de jusant.
Il aime se rendre au chantier de construction sur la jonchère pour savourer le parfum des bois coupés et du brai mêlé à celui du chanvre des cordages. Il admire la noblesse des charpentes assemblées adroitement par les compagnons. Il se montre curieux des tracés du maître charpentier puis repart la tête emplie à plaisir d'épures géométriques. Il aime aussi manipuler l'octant, les règles graduées et les lunettes.
A son grand contentement, en dehors des cours pratiques d'observation donnés en cet endroit par son père à ses élèves, il est autorisé à installer un petit laboratoire astronomique sur la galerie du clocher de l'église de Notre Dame de Pitié.
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Pierre aime aussi effectuer régulièrement le tour de côte de la presqu'île croisicaise, bondissant sur les rochers, s'ouvrant largement l'esprit sur l'horizon de l'océan, suivant la progression d'une voile, en compagnie de son inséparable ami Paul Maillard des Forges, qui deviendra le facétieux poète affûteur de la plume de Mademoiselle Malcrais de la Vigne qui dupera Monsieur Voltaire. Les deux jeunes compères aiment aussi aller cueillir des mûres sous la lumière du soleil de septembre teintant les vieilles pierres des murets bordant les chemins.
Toutes ces choses, ces impressions, ces perceptions sensibles façonnèrent le devenir du mental de Pierre Bouguer délibérément voué au service de la science. Ce fut dans les replis de son inconscient que se développa l'embryon de sa formulation capitale régissant les conditions d'inclinaison des navires... Les marins seraient-ils donc toujours soumis à une quelconque volonté funeste choisissant son heure pour les faire périr par le chavirement de leur navire, laissant ainsi le malheur courir les logis de nos ports ? N'existerait t-il pas un principe mécanique encore ignoré régissant les conditions d'équilibre des navires et que la bonté divine pourrait permettre de faire découvrir par la science ? Pierre se sentit inspiré de cette mission et se mit à remuer en son esprit tous les aspects que lui apportaient ses connaissances en mathématique et en mécanique aiguisées par une observation soutenue des comportements marins des bateaux du Croisic. Pierre rechercha aussi le concours des maîtres charpentiers pour procéder à des expériences sur des embarcations. Ces expériences laissaient dubitatifs ces hommes jaloux de leur art mais dont les procédés empiriques faisaient encore hélas une part beaucoup trop importante au hasard dans la réussite de leurs œuvres.
«Il sort de tems en tems de leurs Chantiers, et non de leurs ports, des navires dont l'imperfection n'est point équivoque et qui ne donnent pas même lieu à la triste consolation, de dire qu'ils se sont mal comportés en mer»(P.B.)
Pierre, par la publication de son ouvrage : «De la mâture des vaisseaux.» primé par l'Académie Royale des Sciences en 1727, fut amené à écourter à regret son établissement au Croisic comme professeur d'hydrographie. Cette charge fut alors confiée à son frère Jean qui avait aussi hérité de son père de très bonnes dispositions scientifiques.
Les brillantes qualités de notre jeune professeur devenant reconnues, il fut introduit dans le monde scientifique. En 1730 Il est nommé à la chaire d'hydrographie de la prestigieuse école du Havre avant d'être choisi par l'Académie Royale des Sciences en 1735 pour rejoindre le groupe de savants (Godin, La Condamine, Jussieu) chargé de se rendre au Pérou sur l'équateur pour mesurer en cet endroit la longueur du degré de méridien terrestre.
Il s'agissait pour la communauté scientifique de l'époque de vérifier la thèse de Monsieur Newton selon laquelle la forme de la terre présentait un aplatissement aux pôles. A cette fin, une seconde expédition fut organisée pour effectuer une même mesure d'arc de méridien à la haute latitude de la Laponie. La comparaison des deux mesures devait apporter la réponse à la question posée. Elle donnera raison à Monsieur Newton.
Voici donc notre compatriote croisicais immergé dans de longs, pénibles et laborieux travaux de triangulation et d'astronomie sur les montagnes bordant la vallée de Quito.
Soumis à des conditions climatiques rigoureuses et bien souvent immobilisé des jours durant sous l'abri précaire d'une tente contre les pluies glacées et le vent, blotti près d'un pauvre feu fournissant plus de fumée que de chaleur, Pierre compense son impossibilité d'avancer dans ses travaux de triangulation en rédigeant, en soufflant sur ses doigts gourds, le fruit de ses méditations sur la façon de concevoir et de construire les vaisseaux.
« C'est en travaillant à ce livre sur les plus hautes montagnes du Monde que je tâchois de ne pas perdre les semaines et les mois pour lesquels il falloit quelquefois acheter un seul instant de beau tems » (P.B.).
Ce travail lui permet, en ces endroits des plus hostiles et désolés de retrouver par la pensée les moments bienheureux de ses années au Croisic dont le souvenir des images et des parfums le conditionne de façon métaphysique à la révélation capitale sur l'inclinaison des carènes : La révélation du métacentre !
Pierre fut inspiré de traduire par le mot « métacentre » l'aboutissement de ses méditations en parvenant à formuler mathématiquement des principes d'essence universelle et intemporelle
car ces principes s'appliquent à tous les types de navires, quels que soient leurs tailles, leurs formes, leurs modes de construction et leurs emplois. Le métacentre transcende les techniques employées pour construire les navires à travers les âges et en tous pays.
Cette révélation du métacentre, descendue des montagnes, justifie pour Pierre Bouguer son éminente distinction au sein du collège très restreint des pères de l'Architecture Navale et pour le Croisic de s'enorgueillir légitimement de le compter au nombre de ses enfants.
Comme membre de l'Académie Royale des Sciences, Pierre Bouguer présida à de nombreux travaux scientifiques. Outre les questions touchant à l'hydrographie ainsi qu'à l'architecture navale dont il était devenu le maître réputé, Pierre contribua au progrès des connaissances sur la densité de l'air, la réfraction terrestre, la dilatation des métaux, l'astronomie... Il est l'inventeur de l'héliomètre permettant de déterminer le diamètre du soleil, il est le premier à constater la déviation que l'attraction des montagnes produit sur le pendule (anomalies de Bouguer)...
Toutes ces activités l'obligèrent, à son grand regret, à devoir résider de façon trop permanente à Paris. Il n'était pas de ceux qui se mouvaient avec aisance dans les salons mondains, comme La Condamine avec lequel il entretiendra un conflit pénible sur la primauté des résultats scientifiques retirés de l'expédition au Pérou. On lui imputait, dans la société élégante, une certaine raideur de caractère qui le désavantageait dans l'exercice des mondanités. Il parcourut une vie de célibataire assez solitaire, immergé dans ses pensées scientifiques et dans ses souvenirs nostalgiques du Croisic qui lui revenaient périodiquement comme le flux et le reflux des marées remplissant et vidant le traict.
Pierre s'éteignit pieusement le 15 août 1758 à Paris, au bout d'une vie d'activités intenses consacrées à la science mais aussi aigri et usé par son interminable conflit avec La Condamine. Il fut pleuré amèrement par son ami fidèle d'enfance Paul Maillard des Forges avec lequel il n'avait jamais cessé de correspondre.
Les travaux de Pierre Bouguer sur l'architecture navale servirent de base à Duhamel du Monceau pour la rédaction de ses cours destinés aux élèves de l'école des ingénieurs constructeurs de marine qu'il venait de créer au cours des années 1740. Cette école, plus complètement installée en 1765, fut l'ancêtre de l'école du génie maritime. Le principe premier enseigné a toujours été le respect le plus formel de toutes les règles régissant la stabilité des navires et le métacentre en constitue la loi fondamentale. L'école du génie maritime n'existe plus de nos jours, ses cours ont été repris depuis 1970 par L'ENSTA (L'Ecole Nationale Supérieure des Techniques Avancées.) à Paris.
ADDENDUM
En révélant le métacentre, Pierre Bouguer est venu apporter le complément indispensable au principe d'Archimède, pour arrêter les formes de carène d'un navire lors de sa conception, puis, au cours de toute sa vie, pour le placer dans des conditions de chargement propres à lui permettre d'écarter le risque de chavirement.
Planche du traité de Pierre Bouguer sur la construction du navire et de ses mouvements, publié en 1746.
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Pour déterminer la position initiale du métacentre g par rapport à g pour une valeur infiniment petite de q,
Pierre Bouguer s'inspira des travaux d'Archimède sur les propriétés des moments surfaciques puis de la méthode du calcul différentiel associé à une opération de sommation sur une modélisation mathématique de la carène du navire. Il formalisa ensuite le calcul de la détermination de G.
En formulation contemporaine, la valeur |
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est égale au rapport |
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avec : |
I = inertie transversale de flottaison
V = volume de carène immergée
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Christian Cabellic
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