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4ème colloque Safer Seas 2015 - BREST
    Sous le signe de la Croissance Bleue



       Après les mots d'accueil usuels du Maire de Brest, du Préfet maritime Atlantique et du Secrétaire général de la Mer, puis une longue intervention de Jean JOUZEL (Vice-président du Groupe Intergouvernemental d'experts sur l'Evolution du Climat-GIEC) – Safer Seas accueillait dans le même temps le symposium 2015 de l'Académie européenne des sciences (EURASC), donc changement climatique et développement durable, le colloque est ouvert.

Le programme de la conférence principale, tel qu'annoncé par les organisateurs, est le suivant :
Le premier thème est dédié à l'évolution des politiques et réglementations en matière de sécurité et sûreté maritime et fait, d'une part, état du panorama actuel, tout en constatant les limites ou frein à l'effectivité des normes existantes ou à venir (Session 1). Et d'autre part, l'analyse de l'évolution du contexte géostratégique, notamment en matière de sûreté, doit permettre d'identifier les nouveaux défis à relever en matière de régulation et de réponses opérationnelles (Session 2).
Le second thème est dédié aux opportunités économiques et technologiques qu'offre la sécurité maritime en matière de Croissance Bleue. Il s'organise en 3 sessions dédiées à la connaissance, la protection et à la surveillance du milieu (Session 3), les routes et navires du futur dans les zones polaires (Session 4) et enfin le développement et la gestion des activités portuaires (Session 5). »

La session 1 était divisée en deux tables rondes :

Table ronde 1 : Taille et technicité croissantes des navires de charges, porte-conteneurs et navires à passagers.

       Après une présentation d'ensemble des réglementations internationales par Frederick KENNEY, division Affaires juridiques et relations extérieures de l'OMI, la table ronde animée par Damien PERISSE, directeur chargé des affaires maritimes, Conférence des régions périphériques maritimes (CRPM) réunissait Philippe BOISSON (BV), José Manuel DIAZ PEREZ, chef du service des programmes de formation et de certification (Centre Jovellanos, Sociedad de Salvamento y Seguridad Maritima), Hubert ARDILLON (CESMA), Michel FORTIN (pilote du St-Laurent, Québec), Daniel LE DIREACH (administrateur général des affaires maritimes), Patrick RONDEAU (ADF).
On a plus parlé de porte-conteneurs que de navires de croisière, principalement de l'aspect technologique. Est-ce parce qu'en France nous avons des porte-conteneurs géants mais pas de navires de croisière à très grosse capacité de passagers ? Les limites actuelles à ne pas dépasser vont forcément être repoussées grâce à la recherche développement. Les milieux maritimes et portuaires conditionnent aussi la taille des navires, il y a donc une évolution à attendre aussi de ce côté. Le pilote du St Laurent manœuvre maintenant des navires d'une taille supérieure à la norme Seaway, « car la demande est là ». ADF insiste aussi sur cette demande.
 
On a besoin de plus gros navires. ADF remarque aussi que plus un navire est gros, moins il pollue, la tonne transportée présente un meilleur rendement CO2.
Les intervenants ont aussi insisté sur la nécessité de formation et d'entraînement des équipages embarqués sur ces navires. Formations techniques, manœuvrabilité, contraintes subies par le navire lors des opérations commerciales et en mer. Aussi, et surtout, la formation aux facteurs humains, comportement face au risque et à la situation d'urgence, principalement pour les navires à passagers. Il a également été remarqué que s'il existait une langue de travail à bord des navires marchands, il n'existait pas de langue de « touriste » à bord des navires de croisière, et que la conséquence en était un équipage très multinational. Une remarque laissée sans réponse, mais le temps imparti n'a sans doute pas permis de parler des moyens de sauvetage nécessaires à terre pour y faire face : que se passera t'il quelles seront les réactions, les mises à disposition par les États, le jour où un porte-conteneurs de 20 000 EVP entrera en collision avec un navire de croisière ayant 10 000 personnes à son bord ?

Table ronde 2 : Pollutions accidentelles et opérationnelles à partir des navires.

       Présentation du sujet par Barbara SELLIER (DG MOVE), puis animation de la table ronde par Yann RABUTEAU (Réseau ALLEGANS), table ronde qui réunissait Sophie BAHE (VIGIPOL), Cécile BELLORD (ADF), Julien HAY (Université de Bretagne Occidentale), Pauline MARCHAND (ITOPF) et Christophe ROUSSEAU (CEDRE).
On a parlé de la diminution des pollutions opérationnelles, en se félicitant que la « peur du gendarme » ait joué un rôle déterminant dans cette diminution, de la difficulté qu'ont les maires des petites communes à organiser une dépollution et à se faire indemniser. En ce qui concerne les rejets à l'atmosphère comme le traitement des eaux de ballast, il a été noté que les réglementations avançaient souvent (toujours ?) plus vite que la technique. Une remarque positive aussi sur l'équipement de plus en plus présent dans les ports français en ce qui concerne la récupération des eaux sales. Une autre remarque sur le gigantisme des navires de croisière et la nouvelle gestion à venir des déchets Marpol IV par les ports.
A la question de l'AFCAN au sujet de la seule criminalisation du capitaine, déclaré entièrement responsable de la qualité des soutes qu'on lui livre alors qu'il n'a aucun moyen de s'assurer de cette qualité au moment de la livraison, il n'y a pas eu d'autres réponses que celle d'ADF assurant que dans un tel cas les armateurs soutiendraient le capitaine.

La session 2 était, elle aussi, divisée en deux tables rondes :

Table ronde 1 : Piraterie et autres menaces non traditionnelles.

       Présentation par Barnabé WATIN-AUGOUARD (SG Mer), et table ronde dirigée par Eric FRECON (Ecole navale) avec les participations de Dominique BALTMITGERE (CMA-CGM), Thierry HOUETTE (Prorisk), Frederick KENNEY (OMI), Jean-Michel KERGOAT (Expert sûreté maritime et intelligence économique).
Bonne nouvelle, la piraterie diminue. Même si on se base sur les rapports de tentatives d'attaques envoyés par les navires marchands. Aucun navire pris en Afrique de l'Est cette année, mais il y a toujours des otages retenus. Les principales menaces, outre celles de la corne de l'Afrique (qu'il ne faut surtout pas oublier en attendant le réveil des pirates) sont la mer de Chine et le golfe de Guinée. En ce qui concerne le golfe de Guinée, la menace ayant tendance à s'étendre vers le large, donc en dehors des eaux territoriales, les solutions à apporter seraient plus faciles. Le directeur de Prorisk a fait un maigre bilan de son action à bord des navires, il faut dire qu'il n'est pas autorisé depuis suffisamment longtemps (officiellement) à mettre des gardes armés à bord. On s'est aussi félicité de la conscience des équipages qui appliquent les BMP.
Autres menaces évoquées : les trafics d'armes, de drogue et depersonnes, ainsi que les attaques terroristes contre des plateformes pétrolières ou des fermes d'éoliennes.

Table ronde 2 : Cybersécurité.

       Présentation par Anne CULLERRE (Sous-chef d'Etat Major – Cyberdéfense), et table ronde dirigée par Eric FRECON (Ecole Navale) avec les participations de Christophe CLARAMUNT (Ecole navale), Pierre KAZLESKIND (Conseiller régional Bretagne), Emil MUCCIN (US Merchant Marine Academy), Guillaume PRIGENT (Diateam), Dominique RIBAN ( ANSII), Rik Verhaegen (Commandant du port d'Anvers).
Problème crucial aussi bien à terre dans les infrastructures portuaires que sur les navires. Il a été rapporté l'envoi d'un signal d'information erroné vers un navire par-dessus le signal GPS (erreur de cap de plusieurs degrés) afin d'obliger son équipage à virer de bord. Autre souci, les facilités à entrer dans les ordinateurs d'un navire et d'y entrer des corrections erronées dans un système ECDIS. Pour les terminaux des « pertes » de conteneurs. Ainsi que le suivi (et la perte momentanée) de navires que l'on retrouve délestés de leur cargaison, ce qui peut aussi être rapproché de la lutte de trafic illégal.
A noter que les participants, tout en étant confiants sur les résultats qu'ils obtiennent, sont particulièrement conscients de l'avance prise en permanence par les pirates informatiques.
L'AFCAN a posé alors la question de l'envoi de nombreux messages avant et après chaque escale vers une multitude d'adresses. Même si le fait d'envoyer un seul gros fichier contenant toutes les informations nécessaires aux escales à venir vers un hub dans lequel chaque partie, chaque Etat pourrait venir piocher ce dont il a besoin ne suffirait pas à contrer les cyber-attaques (le hub pouvant aussi à son tour être attaqué), cela diminuerait certainement les possibilités d'informer de mauvaises personnes directement par le navire (en plus de soulager considérablement le capitaine dans la préparation des escales). Il a été répondu que des projets européens, tel Mona Lisa, avaient justement pour but de créer une plateforme d'échange d'informations pour les terminaux (pas pour les navires ?) mais qu'il fallait du temps pour le mettre en place.

Après une analyse qualitative par Hervé MOULINIER (Pôle Mer Bretagne) et quantitative par Thomas du PAYRAT (Cabinet Odyssée Développement) de la connaissance de l'environnement marin en vue de la Croissance Bleue, la session 3 s'ouvrait la 2ème journée.

Session 3 : Connaissance, surveillance et protection du milieu maritime.

       Présentation des moyens satellitaires par Hervé JEANJEAN (CNES). Table ronde animée par René GARELLO (Institut Mines-Telecom Bretagne) avec Jean-François FILIPOT (France Energies Marines), Mathias HERBERTS (Citizen Data), Vincent KERBAOL (CLS), Loïc LAISNE (AAMP), Yann LE MOAN (EMSA), Thomas STRASSER (DG MARE). De nombreuses données diverses et variées. On sait très bien détecter, surveiller les navires. Il en est de même pour les phénomènes naturels en mer (et à terre). Cela aide à sécuriser les activités maritimes et portuaires (transport, environnement). Pour la mer beaucoup d'efforts restent à faire car on connait très peu en profondeur.

Session 4 : Routes et navires du futur dans les zones extrêmes.

       Présentation par Noémie GIGUERE (Technopole Maritime du Québec) et Eric VANDENBROUCKE (Technopole Brest-Iroise Science Park). Table ronde animée par Francis ZACHARIAE (IALA) avec Anne CHOQUET (Brest Business School), Kim CROSBIE (IAATO), Michel EVEN (SHOM), Frederick KENNEY (OMI), Martin KRAMP (JCOMMOPS), Alain RICHARD (Master mariner, Québec).
On a parlé du code polaire à venir. De ses contraintes en termes de construction et de formation, mais aussi de responsabilités d'Etat (pour l'Arctique et pour l'Antarctique). Il a tout de même été rappelé que le code ne serait mis en application que pour une période de 1,5 mois par an, en ce qui concerne les passages arctiques. Les problèmes sur la connaissance des lieux, des fonds, de la détection précise de la dimension des icebergs ainsi que sur la sécurité de l'environnement et des personnes ont été évoqués.

Remarque personnelle : je n'arrive toujours pas à comprendre la compatibilité qu'il y a entre la lutte pour la conservation de l'environnement et contre le réchauffement climatique avec le fait qu'il soit envisagé de permettre à des navires de charge ou de croisière de naviguer dans ces zones. A mon avis plus on y enverra de navires et d'humains, plus on polluera (Marpol IV, V et VI).

Session 5 : Développement et gestion des activités portuaires.

       Présentation par Philippe JOSCHT (CEREMA), puis table ronde animée par Patrick ANVROIN (CPMR) avec Jean-Philippe CASANOVA (FFPM), José Maria COSTA (CAAC), Meriadec LE MOUILLOUR CCI Brest), Greta MARINI (AIVP), Timo ROSENBERG (Port de Kiel), Ulf SIWE (Projet Mona Lisa), Dinh Lan TRAN Institut des ressources et de l'environnement marin de Haiphong).
A noter que le président de l'AFCAN, s'il n'avait pas été embarqué ces jours-là, aurait participé à cette table ronde.
Outre que les ports s'adaptent au marché du transport maritime, grosseur des navires, et au changement de l'environnement immédiat des ports (zones inondables de la région et du port de Haiphong), il a été évoqué la construction d'un appontement au large de la Guyane pour palier aux profondeurs insuffisantes des fleuves locaux avec l'espoir d'en faire un hub pour les pays voisins (Brésil Suriname Guyane).
Note 1 : Difficile d'y croire, en plus des difficultés de mise en place (exposition, tenue à quai, fond vaseux). Le prix de la manutention au tarif français risque de ne pas attirer de trafics de transbordement.
Note 2 : Le MARIN du 6 novembre annonce le même rêve pour Saint-Pierre-et-Miquelon.

Deux choses toutefois à retenir de ce débat. D'abord que les ports doivent s'adapter au transport maritime mais aussi terrestre (route et fer), avec des adaptations en matière de sécurité et de sûreté, tout en restant dans un développement urbain et économique respectueux de l'environnement et de la qualité de vie. Ensuite que le projet Mona Lisa, interface port/navire, est destiné à améliorer le mouvement des navires. Par le partage des informations, on pourra sensiblement améliorer les prédictions d'arrivée et de départ des navires, augmenter, optimiser l'efficacité portuaire dans la manutention, réduire le temps de travail des navires à quai. En bref optimiser les escales des navires tout en les rendant plus sûres (safety and security). Le représentant du projet Mona Lisa sur cette optimisation, tout en reconnaissant qu'actuellement le port est le maillon faible de la chaine du transport, est confiant que son projet d'échanges d'informations entre les ports européens fera avancer les choses.
Suite à la question de l'AFCAN sur ce projet et le projet MSW (Maritime Single Window) qui doit, s'il arrive un jour à être en vigueur, diminuer de façon considérable le travail administratif du capitaine avant escale, le représentant du projet Mona Lisa déclarait que les tests actuellement en cours concernaient 13 ports européens. C'est mieux que rien, certes. Cependant l'optimisme était moins franc sur un résultat à moyen (voire long) terme lorsque j'ai pu le rencontrer en aparté à la fin des débats.

Enfin suite à une synthèse, et des remerciements à la fin de la dernière session, Safer Seas qui accueillait la Conférence des Parties Prenantes pour l'Atlantique, nous a donné la possibilité d'entendre à Océanopolis, outre Céline LIRET, directrice scientifique d'Océanopolis, Georges FARAH, Secrétaire général aux affaires maritimes du Québec qui a présenté d'une façon très enthousiaste la stratégie maritime du Québec, Sergio MIGUELEZ, ministre de la province argentine du Chubut (science, technologie et innovation productive) sur la stratégie « Pampa Azul » et Ramon Van BARNEVELD de la DG Mare.

Conclusion

La méthode employée (présentation puis question par l'animateur à chacun des membres de la table ronde) a permis de tenir l'horaire (bravo). Mais comme l'a dit un des participants, le grand nombre de sujets évoqués n'a pas permis de les traiter en profondeur et a fait un peu patchwork.

Commentaires d'un capitaine après deux jours de présence au colloque

       Constat désabusé : rien ne semble avoir changé ! Grande déception, nous sommes toujours dans l'attente de l'accident pour prendre les mesures qui s'imposent ! La Prévention n'est toujours pas à l'ordre du jour. Les mers plus sûres, ce n'est pas pour demain...
Deux exemples suffisent à démontrer la menace que fait courir sur les personnes et les océans la course folle au gigantisme.
Comment peut-on tolérer la construction de méga-paquebots dont on ne sait pas comment évacuer les six mille passagers et les trois mille hommes et femmes d'équipage en cas de naufrage imminent ! Il y eut trente morts lors de l'accident du « Costa Concordia » alors que le navire se trouvait à un jet de pierre de la terre ! Combien de morts à prévoir en cas d'incendie, d'acte de terrorisme(1) ou de collision en haute mer hors de portée des hélicoptères, voire d'échouage et naufrage dans des contrées lointaines, arctiques ou antarctiques, sans moyens de sauvetage à proximité ?
Encore heureux que ces mastodontes aient deux machines, deux hélices, deux gouvernails ou pods ! Ce qui peut favoriser dans certains cas le « safe return to port », retour au port par ses propres moyens.
Ce qui n'est pas le cas d'autres Léviathans des mers, les porte-conteneurs de dix-huit mille boîtes et plus. Un PC de vingt mille conteneurs sera lancé l'an prochain. On se gargarise à tort des mensurations exceptionnelles de ces géants : quatre cents mètres de long, près de soixante de large, etc. Impressionnante cette démesure, n'est-ce pas ? Mais hélas une seule machine de 90 000 chevaux, une seule hélice et un unique gouvernail.
Le célèbre armateur danois Maersk avait pourtant ouvert la bonne voie et compris que la sécurité imposait de doter ces navires géants de deux machines, deux hélices et deux gouvernails. Il le fit en 2013 sur le « Mac Kinney Möller » de 18 000 boîtes. Belle prudence, digne de l'adage en vigueur dans la marine de papa : trop fort n'a jamais manqué. Mais ça, c'était avant !
Hélas, les armateurs concurrents ne suivirent pas l'exemple danois plein de sagesse mais, il faut l'avouer, plus onéreux. Pour rester dans la course, la compagnie Maersk change alors d'attitude et décide que les autres navires de la série « Triple E » n'auront qu'une machine, une hélice et un gouvernail.
Que se passera-t-il quand un tel méga-PC tombera en panne de machine dans la tempête, roulant bord sur bord, perdant à chaque coup de roulis des centaines de conteneurs ? Et, si tant est qu'il y ait des moyens de remorquage à proximité, seront-ils suffisants ? Pas sûr du tout. Il faut au moins deux remorqueurs pris en patte d'oie pour maîtriser les abattées de ces colosses privés de gouverne. On se souvient des péripéties du remorquage du PC MSC Napoli. Un exemple à méditer.
Scoop : il semblerait que la compagnie des Abeilles Int. planche sur la construction de nouveaux remorqueurs au bollard pull d'au moins 250 tonnes !
Et dans tout cela, l'OMI à Londres, l'EMSA à Lisbonne, que décident-elles pour limiter cette course folle au gigantisme? Réponse : il est urgent d'attendre, wait and see...No comment !
Vraiment, les mers plus sûres, ce n'est pas pour demain !!!

(1) : A une de nos questions posées nous avons appris que certaines compagnies de paquebots ont désormais des gardes armés embarqués parmi les touristes. Une bonne initiative, peut-être pas suffisante non plus, mais qui indique quand même que la menace est prise au sérieux et en compte.

Cdts Hubert ARDILLON, Michel BOUGEARD et Christian LOUDES
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