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Les "Minimum standards" de STCW 95 sont-ils suffisants pour le nouvel environnement maritime ?
Traduction libre d'un document présenté à la conférence sur une "Navigation sûre au 21eme siècle"
à l'Université de Brême en 2001 par le Cdt Vivek Jain de l'Académie de Singapour.
Comme le suggère le titre, le but du document est de savoir jusqu'à quel point STCW95, la référence
pour la formation et l'enseignement de base des navigants, fournit réellement un cadre de formation
maritime suffisant pour le nouvel environnement maritime.
La première partie du document indique que l'évolution de nombreux aspects des conditions maritimes
et la "psychologie sociale" de l'environnement du navire peuvent miner la sécurité du navire dans des
situations de crise à la mer. Il montre comment l'environnement à bord devient de plus en plus
cosmopolite, multilingue et multiculturel. Ceci n'est pas nécessairement un problème. Cependant il
correspond avec une réduction des effectifs embarqués, des changements technologiques et les solutions
rapides adoptées par les compagnies pour armer les navires avec les qualifications minimales requises.
Les conséquences possibles d'une telle situation sont une loyauté limitée à l'égard des compagnies, peu
d'empressement à choisir de faire carrière à la mer, et tous les problèmes beaucoup plus insidieux se
rapportant à la formation et au comportement d'une équipe.
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Ensuite, il s'occupe de la tendance qui consiste à considérer que les accidents sont dûs à la malchance
ou à une catastrophe naturelle, plutôt qu'à une erreur dans la gestion et l'observation humaine. En
fait, la réalité est que la plupart des accidents sont le résultat d'une erreur humaine, quoique résultant
parfois de circonstances complexes.
Comme le dit Stenmark :
"... nous avons quelques connaissances sur les bases cognitives de l'erreur
humaine, mais nous ne savons pas grand'chose sur l'interaction des tendances individuelles à l'intérieur
de groupements complexes de personnes travaillant avec des technologies à haut risque."
Troisièmement, il montre l'importance de comprendre certains aspects de la psychologie sociale de
l'environnement du navire, qui pose des défis à la gestion par rapport à des scénarios typiques
d'organisations terrestres. L'environnement du navire, par exemple, a beaucoup de points communs avec la
conception d'une institution totale présentée par Goffman :
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"... un lieu de résidence et de travail où un nombre d'individus, coupés
de la société pour une certaine période, partagent ensemble une vie formellement organisée."
Une des conséquences principales de telles organisations est la tendance à devenir dépendant des
routines et pratiques quotidiennes familières. Bien que cela puisse être moins problématique dans
d'autres types d'institutions globales, comme des résidences pour personnes âgées, les asiles ou les
prisons, les conséquences pour les navigants sont évidentes. Le plus important est le processus
d'accoutumance dans lequel la réponse d'une personne au même stimulus a tendance à diminuer avec la
répétition. Cela veut dire qu'en pratique les individus vont subir des défaillances d'attention à des
stimuli dans leur environnement de travail. Pourvu que les routines ne soient pas menacées, la vie
continuera et le statu quo sera maintenu. Cependant, de petits changements dans l'environnement, qui
peuvent avoir de sérieuses conséquences pour la sécurité du navire, ont moins de chances d'être remarqués
que dans d'autres conditions de travail.
En outre la nature de l'autorité sur les navires marchands a une tendance certaine à être
autocratique. Comme le montrent Rodriguez et Dauer :
"... sur les navires à équipages multiculturels on trouve souvent de
fortes attitudes autoritaires qui font penser aux anciens comportements absolutistes."
Quoiqu'il soit nécessaire de bien mener l'activité à bord des navires et qu'en outre, en situation
de crises un chef décidé soit indispensable, un commandement autocratique en soi n'est pas favorable au
travail autonome et ne facilitera pas le type de travail d'équipe nécessaire à la gestion d'une crise.
Finalement les problèmes de communication résultant d'équipages multinationaux et multilingues ont
été sérieusement exacerbés par ces modifications. La communication est en soi un processus difficile
comme le souligne Pepper :
"Les participants apportent des partis pris et des hypothèses, des émotions
et de l'expérience, des façons de voir et de la dextérité dans toutes les situations de communication. Ces
différences individuelles vont colorer la réception du message, corrompre l'émission du message, et au
fond brouiller les meilleures tentatives pour présenter des exposés clairs et précis."
Dans le contexte actuel, les possibilités de perte totale de communication est sûrement un problème
sérieux. En dehors des systèmes formels de communication pour le travail, il y a les plus cachés et
peut-être les plus sérieux problèmes qui découlent du manque de développement d'un partage d'intention,
de sentiments et de bien être parmi l'équipage. L'importance de satisfaire les besoins humains de bien
être et de relations (Maslow, Alderfer) sont bien connus et n'ont pas besoin d'être développés ici. Dans
des situations de nature passagère et de grande diversité culturelle, il y a peu de chance de développer
les climats psychologiques favorables à un travail d'équipe efficace; on risque plus la formation de
coteries avec des phénomènes culturels secondaires.
L'aspect le plus insidieux de ce scénario est que les équipages ne développeront pas les
connaissances tacites de groupe essentielles pour une équipe de haute qualité. On dit souvent dans le
monde du football que les joueurs des bonnes équipes savent "d'instinct" où se trouvent leurs partenaires
dans des situations particulières de jeu. Cela est le résultat d'une interaction entre le temps et
l'acquisition de connaissances dans des situations antérieures. Les équipes très efficaces développent
une sorte d'esprit de groupe ou d'intelligence qui augmente leurs capacités au-delà de la somme des
capacités individuelles. Cela a une forte composante émotionnelle, résultant des buts communs et des
affinités passées, et soude l'équipe dans l'adversité et les conditions de crise si nécessaire.
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Tout aussi important, cependant, est le savoir tacite (Polanyi), accumulé par les communautés d'individus, qui
arrive à constituer des traditions de signification partagée et d'actions qui facilitent une réaction
rapide et efficace, souvent sans avoir à discuter longtemps.
L'importance d'un savoir de base tacite solide et bien structuré, partagé par les navigants à bord
du navire, ne peut être exagérée. C'est ce savoir de base qui aide à stimuler des actions efficaces dans
les situations de crise. Il permet à la fois une exécution sans problème des procédures, mais aussi
d'innover lorsque c'est nécessaire.
Il facilite la capacité, comme l'appelle Schon, de "Réflexion dans l'action" par laquelle on vient efficacement à
bout de situations exceptionnelles et incertaines.
Ces situations exceptionnelles et incertaines sont souvent le prélude à des situations de crise en mer.
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Dans la seconde partie du document, une étude a été faite pour savoir jusqu'à quel point les
professeurs de l'enseignement maritime et les futurs navigants (à la fois au niveau exécution et au
niveau d'encadrement) perçoivent l'importance d'une formation maritime sur la gestion du personnel, la
communication avec des équipages multilingues et multinationaux en tenant compte du stress et d'un séjour
très long en mer, et les dispositions prévues par STCW95. Le panel comprenait des candidats à un diplôme
d'encadrement, des candidats à un diplôme de niveau exécution et des enseignants maritimes.
Les questionnaires utilisés étaient à la fois du type à choix multiple et à réponses libres.
Un des résultats les plus importants a montré que les candidats à l'encadrement on noté que la
gestion du personnel à bord et la gestion du stress et des situations de crise étaient les points les
plus importants pour la préparation aux futurs postes d'encadrement. La comparaison des écarts entre la
formation et les besoins montre que la gestion du personnel à bord, la gestion du stress et des situations
de crise en mer ne sont pas suffisamment couvertes par STCW95. De la même manière les enseignants
maritimes ont aussi noté ces deux points comme très importants à la fois pour le niveau exécution que
pour le niveau encadrement des navigants. 77% ont reconnu qu'il existait un manque dans la formation
maritime. La conséquence probable étant que le personnel d'encadrement n'est pas suffisamment préparé pour
les défis que présente l'environnement maritime moderne.
Les autres résultats importants ont été :
60% des candidats au niveau d'encadrement, faisaient le choix d'une carrière à la mer alors que
seulement 34% faisaient ce choix parmi les candidats de niveau exécution. Cela montre clairement que
avec le développement de l'Asie, il y a une chute du nombre de candidats à choisir de faire carrière dans
les métiers de la mer. D'ailleurs les raisons pour choisir une carrière maritime sont essentiellement
financières en l'absence de meilleures opportunités. Cela indique clairement le besoin grandissant de
motiver ces navigants.
Dans l'étude, un résultat, qui ressort clairement, est que 57,8% des candidats suivant une formation
à une fonction d'encadrement selon STCW95 ont l'intention de quitter le métier dans les 5 à 10 ans.
Cela indique que la croissance en expérience maritime et en tradition sera arrêtée quand ces marins
expérimentés quitteront au sommet de leur carrière. C'est un scénario grave qui pourrait avoir, dans un
avenir proche, un sérieux impact sur le niveau de compétences opérationnelles à bord des navires. Il
n'est pas surprenant que la plupart de ceux qui quittent le métier de navigant optent pour des
perspectives meilleures à terre.
Interrogés sur le degré de satisfaction que leur apporte le métier de navigant, 71% des candidats à
un titre d'encadrement sont modérément satisfaits ainsi que 78% des candidats à un titre de qualification
exécution.
En conclusion, le document prouve qu'il faudra améliorer les niveaux de compétence dans la prochaine
révision de STCW(95). Il faudrait une formation obligatoire plus large à l'aptitude au commandement pour
les officiers pont et machine. Les points clef d'aptitude doivent inclure la capacité à comprendre et
gérer des équipes multiculturelles dans le contexte particulier du navire. Un tel environnement, dans le
contexte actuel qui ne cesse d'évoluer, exigera même les personnels les mieux formés. Ainsi que Rodriguez
et Dauer l'indiquent clairement :
"... la formation à la gestion et au commandement devrait être
obligatoire pour tous les Capitaines et Officiers, mais particulièrement sur les navires à équipages
multinationaux, où l'on trouve non seulement des gens de langues et de cultures différentes, mais aussi
enrôlés sous des contrats différents."
Sur bon nombre de ces navires où le personnel d'encadrement manque de telles compétences, la
situation est systématiquement mûre pour la crise du type "Python" identifiée par Seymour et Moore; une
crise qui couve lentement, s'étend doucement et finit par étrangler.
Résultats de l'étude menée sur les enseignants :
Panel :
Asie du sud : 30%
Asie du S.E.: 42%
Indochine : 15%
Philippines : 5%
Australie : 5%
Chine : 3%
Raison du choix de la carrière maritime pour les navigants présents :
91 % pour les salaires et avantages
60% pour les perspectives d'avenir
43% pour l'aventure
17% pour raisons diverses.
Importance de STCW95 selon certaines qualités au niveau des formations opérationnelles et encadrement
pour les officiers pont et machine:
|
Formation opérationnelle |
Formation à l'encadrement |
aptitude technique et opérationnelle |
95.0% |
92.5% |
gestion du personnel à bord |
82.5% |
90% |
communication avec les collègues
de diverses nationalités et cultures |
75.0% |
75.5% |
gestion du stress et des crises |
70.0% |
80.0% |
effets du séjour prolongé à la mer
(fatigue, solitude, lassitude) |
70.0% |
72.5% |
Les endroits où l'on peut réduire les écarts constatés (77%) sur la formation maritime :
Écoles maritimes : 68%, Formation à bord : 84%, Cours par correspondance : 8%, Autres :32%
Résultats de l'étude sur les candidats à l'obtention de la formation à l'encadrement (Officiers Pont et
Machine) :
Panel:
Asie du Sud : 55%
Asie du SE : 27%
Chine : 12%
Afrique : 4%
Indochine : 2%
Fonctions :
Second Capitaine + Second Mécanicien : 15%
ler Lieutenant + 3º Mécanicien : 40%
2º Lieutenant + 4º Mécanicien : 45%
Age :
20-25 : 6%
25-30 : 56%
30-35 : 20%
35-39 : 6%
40-45 : 11%
60% ont choisi ce métier de navigant.
Raisons de ce choix :
100% pour raison économique
61% pour les perspectives de carrière
28% pour l'aventure
22% pour d'autres raisons.
Degré de satisfaction :
12% sont déçus
17% sont très satisfaits
71% moyennement satisfaits
Durée envisagée dans le métier:
44% - de 5 ans
96% de 5 à 10 ans
24% + de 10 ans
Raisons conduisant à envisager de changer de métier:
88.5% pour de meilleures perspectives à terre
14.0% par déception du métier
6.0% par le manque de perspective de promotion.
Importance de certaines qualités dans la formation par rapport à la réalisation de ces qualités
selon STCW95 :
|
Importance |
Réalisation |
Écart |
aptitude technique et opérationnelle |
93.2% |
74.8% |
14.8% |
gestion du personnel à bord |
89.6% |
68.0% |
21.6% |
communication avec les collègues
de diverses nationalités et cultures |
79.0% |
71.6% |
7.4% |
gestion du stress et des crises |
89.0% |
65.8% |
23.2% |
effets du séjour prolongé à la mer
(fatigue, solitude, lassitude) |
76.2% |
59.8% |
16.4% |
Résultats de l'étude sur les candidats à l'obtention de la formation exécution :
Panel: Asie du SE: 53%, Asie du Sud: 37%, Chine 10%
Age :
15-20 : 10%
20-25 : 63%
25-30 : 22%
30-35 : 5%
66% on fait le choix du métier de navigant
Raisons de ce choix :
75.0% pour raisons économiques
58.3% pour les perspectives de carrière
50.0% pour l'aventure
8.3% pour d'autres raisons.
Durée envisagée dans le métier:
72.2% - de 5 ans
94.4% de 5 à 10 ans
72.2% + de 10 ans.
Degré de satisfaction :
15% de déçus
7% de très satisfaits
78% de moyennement satisfaits.
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