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l'influence de l'internationalisation des équipages sur la santé à la mer
Texte présenté à l'occasion des journées médicales des médecins des gens de mer.
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Lorsque voici trente et quelques années j'ai commencé à naviguer, l'époque était au tout français, l'équipage, la gestion, la propriété du navire, la langue de travail. Tout au plus, les navires accueillaient-ils quelques africains, quelques comoriens, souvent relégués dans des taches subalternes. D'autres navires, stationnaires à Madagascar ou autrefois au Vietnam, utilisaient un nombre plus important d'étrangers, mais de toute manière tous étaient francophones ou y tendaient. Qu'un nom tel que BROSTROM soit utilisé dans une enceinte telle que celle-ci était impensable. C'est un des signes de l'internationalisation qui caractérise maintenant la totalité de la flotte du Long-Cours.
Apprécier l'impact de cette internationalisation sur l'équipage nous conduira tout d'abord à comprendre un équipage, ce qu'il fait, comment il vit, toutes notions parfois assez floues vue de terre et souvent objet de bien des mythes. Nous verrons ensuite comment se vit l'international au Long-Cours et bien entendu ses implications au plan de la santé, au moins vu de ma modeste expérience.
Qu'est ce qu'un équipage ?
Un équipage est le rassemblement plus ou moins temporaire d'hommes, et presque uniquement d'hommes pour l'écrasante majorité, dont le seul et unique point commun est de venir gagner sa vie en travaillant au succès de "l'expédition maritime" selon les termes consacrés.
Cette motivation est évidemment (du moins dans votre esprit je l'espère) rétribué selon les connaissances, les niveaux hiérarchiques, mais aussi selon le pays d'origine. Le salaire doit conserver une attractivité pour une population donnée, le travail étant difficile en termes de technicité, d'isolement et de danger. Cette attractivité va du simple fait d'être nourri deux fois par jour pour un Africain aux salaires exorbitants (forcément exorbitants) des européens. C'est la perte d'attractivité qui demeure le plus grand facteur de difficulté de recrutement au niveau européen.
Cette collection de rencontre est menée par un Commandant/Capitaine/ Master/ Skipper, selon les lieux et les moments, qui légalement, est le recruteur responsable de chacun des membres de l'équipage, ce qui dans les faits dépend de la direction ou de société(s) extérieure(s). Il est néanmoins responsable dans des proportions très variables d'une partie des dépenses du bord.
Souvent il régule le niveaux des heures supplémentaires, sujet très sensible quand on sait que cela peut plus que doubler les salaires de base. De même il gère parfois en totale indépendance la nourriture du bord avec la redoutable tentation d'en capter une partie à son profit en versant dans le "marchand de soupe".
Cette accumulation de pouvoir le rend en grande partie responsable de l'esprit du bord.
Le Commandant est un humain avec ses faiblesses. Enfer ou Paradis, tout peu lui être imputé. Redoutables privilèges....
Où vit un équipage ?
Le navire n'est pas neutre dans le bien-être d'un équipage. Le terrien pense au confort évidemment, mais sa fiabilité, sa simplicité de fonctionnement, sont des facteurs majeurs du bien-être. Nous reviendrons sur la notion d'ergonomie qui reste totalement ignorée des chantiers.
L'Internationalisation commence pour nous, français, avec la disparition des navires construits en Europe. Cadeau de la mondialisation, la construction navale, se concentre dans trois pays Japon/Corée/Chine et les bureaux d'études doivent se compter sur une seule main, photocopieuses mises à part.
Une certaine standardisation des équipements et des aménagements est donc sensible. Selon les chantiers, les armateurs, la variation des critères d'isolation phonique sera sensible, et certains navires franchement bruyants. Globalement le niveau sonore à la mer (ou au port selon les types de navires) peut varier de la première classe TGV à la seconde sur autorail de campagne, mouvements et chocs compris.
D'une manière systématique, les navires ne sont pas étudiés pour permettre les déplacements de provisions ou de charges à bord et les portefaix ont de beaux jours devant eux. Les maux de dos aussi.
On peut s'interroger pour l'avenir, avec l'influence des réglementations ISPS, de la piraterie, certains n'hésitant pas à envisager des quartiers de haute sécurité, sans sabords et avec le minimum de portes verrouillées. Homme libre toujours tu chériras la mer....... Mais nombreux sont ceux qui ignorent Baudelaire et le pire est à craindre .
Coté positif, les infirmeries qui en "globish maritime" accèdent au rang d'"Hospitals", sont bien conçus et phoniquement bien isolés, ce qui n'était pas toujours le cas autrefois. Notons que nous disposons sur des bateaux de taille moyenne, de bien plus d'espace que l'équipe médecin/infirmier n'en avait sur l'escorteur d'escadre de mon service militaire, celui du Crabe-tambour.
Sur ce lieu imparfait, l'équipage entretient, répare, assure la mise en service des multiples installations commerciales du chargement au déchargement, la fourniture d'énergie, d'eau, et se déplace d'un bout du monde à l'autre, de l'hiver sombre de la Baltique au printemps des Canaries, des chaleurs étouffantes de l'équateur au blizzard nord-canadien, avec une permanence des résultats. Au tramping, nous sommes dans l'ignorance complète des destinations, sur les lignes régulières, prisonniers d'horaires contraignants, précisés des mois à l'avance, dans la totale cacophonie des lieux, des climats, des langues, des comportements. La mondialisation, nous, marins, la vivons depuis toujours. C'est notre objet, notre miel et aussi la source de cruelles désillusions.
En dehors du travail, existe une vie sociale de cette micro-société humaine isolée, qui se crée autour de l'évidente appartenance au navire. Nos expériences communes, les difficultés partagées, sont des liens puissants à cet esprit de clocher qui cimente l'équipage et le rend invincible, efficace, fier et rapidement méprisant pour tout ce qui se trouve à l'extérieur des batayoles (ce que vous persister à appeler des rambardes).
Bloc homogène ? Certainement pas. Des responsabilités différentes, des niveaux d'éducation, des cultures variées scindent l'équipage en officiers/non officiers, en bretons/pas bretons (ceci est aussi vrai pour les provençaux), ou encore en pont et machine. Alors, pensez, les nationalités.
La communication et les échanges sont les clés de la bonne entente à bord. Ils se caractérisent, par exemple, par des salutations très formelles. Pas de vague et général geste de la main, un salut personnalisé, un mot à chacun, ritualisé comme dans le comportement d'une meute. Ne pas serrer une main est une véritable gifle. Vous en êtes peu conscients, terriens. Mais aussi vous arrivez en terrain conquis, vous envahissez notre intimité, vous bouleversez nos horaires, vous nous imposez du travail supplémentaire…Combien d'entre vous disent bonjour au matelot de coupée en arrivant, combien lui disent au revoir en partant, combien ayant partagé un repas à bord ont un geste, un mot pour le cuisinier, quelle qu'ait été sa prestation. Combien d'inspections, de visites, se terminent avec un petit mot à l'équipage ? Bien peu en fait. Ici aussi, ce qui est fait au plus modeste d'entre nous, c'est à tous qu'il est fait.
Nos mondes se frictionnent, mais ne s'interpénètrent que fort peu, et trop souvent le Commandant est votre seul interlocuteur.
Si vous saviez comme souvent il est doux de retourner en mer, entre nous, pour parler de votre venue, se moquer de vos gestes et de vos paroles, se gausser de vos bévues, se lamenter sur l'absence de sorties, coincées entre horaires et autorisations tatillonnes des terriens. Peu à peu, l'enfer de l'escale se pare de merveilleux, et bien vite, on est dans l'attente de la sublime prochaine escale, de ces gens de terre qui vont venir nous voir et qui peut être enfin admireront notre navire, enfin comprendront notre travail.
Constamment entre souvenir et avenir ainsi croit et prospère la chaude ambiance, notre cocon, la matrice de nos confiances, la clé du succès.
Car un navire ne vaut que par son équipage.
Telle avarie par gros temps entraînera pour l'équipage formé et gonflé à bloc une difficulté passagère; pour le médiocre conglomérat sans âme, ce sera un naufrage sous les caméras de télévision. Un équipage sans communication sociale verra un abordage non avoué se muer en assassinat. C'est le travail fondamental du Commandant, et pour une part, du gestionnaire de créer l'équipage à partir des hommes, de faire une société, une culture avec la vingtaine d'individus divers, placés à bord par hasard. L'équipage fait marcher le bateau, le commandant fait marcher l'équipage. C'est un travail analogue à celui d'un entraîneur d'équipe de football.
Qu'a entraîné l'internationalisation des équipages ?
D'abord et principalement un blocage de la communication donc de la cohésion du bord, un déficit énorme dans la création de l'équipage efficace. Perte de confiance, ignorance des capacités réelles ou supposées des nouveaux venus, et incapacité de la juger, sauf trop tard.
A une relative scission officiers/équipages s'est substituée celle, beaucoup plus profonde, entre Français et étrangers, la présence des étrangers passant par le chômage des Français, de nos amis. Se forment alors des sous-groupes plus facilement en opposition qu'en communion et difficiles à réconcilier car de cultures différentes. La croisade contre les Albigeois a pu être considérée comme la guerre de la cuisine au beurre contre la cuisine à l'huile. Nous, à bord, devons échapper au douloureux conflit pain/riz. Cette opposition se réduira avec le temps, si, et seulement si, le gestionnaire a joué la stabilité du recrutement et a limité le nombre des nationalités. Les difficultés de fusion sont au carré, voir au cube de ce nombre.
Et la santé ?
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La seule chirurgie de guerre qu'il m'ait été donné de pratiquer l'a été sur des Coréens: la face fendue du malheureux perdant d'un duel à la disqueuse, un mécanicien cloué à une porte par un tournevis, sans compter les dents cassées et les yeux bien talés. Cet équipage pouvait il être considéré comme heureux? Je pense que la brutalité de leur civilisation n'explique pas tout le désespoir de ces mutilations.
En l'occurrence la qualité du marchand d'homme était à l'image du propriétaire du navire, lamentable. Celle du navire, de son équipage et forcément la mienne, exécrable.
Il est préférable, à mon avis de créer des carrés (des unités de vie) culturels plutôt que hiérarchiques, mais certains acceptent mal ou pas cette remise en question de la hiérarchie. De toute façon la fusion est un long travail de tous les instants.
Les bords sont à la recherche d'une langue, et ce point n'est pas qu'anecdotique.
L'utilisation d'une langue maternelle est immédiate, instinctive dans sa formulation, et sa compréhension, sujette aux plus subtiles des inflexions. C'est un outil parfait, que chacun utilise sans effort, naturellement.
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Pourtant, chacun connaît les possibilités de mauvaise compréhension et de mésentente pour des interlocuteurs parlant la même langue.
Ajoutez-y deux étages de traduction pour le passage par une langue vernaculaire, et la confusion est inéluctablement au rendez-vous.La détestable et assez méprisante habitude de certains Français de s'adresser à des Français en anglais conduit au même résultat: l'anémie de la communication, le collapsus des relations humaines.
Lors des cours d'hygiène, écoutant les multiples qualifications des douleurs, j'étais fort inquiet sur ma capacité à mener l'interrogatoire d'un malade. Comment traduire le "ça vous chatouille ou ça vous gratouille" de ce bon vieux Knock à un Coréen, un Philippin ? Il est urgent d'imposer à toutes les officines de marchands d'hommes la fourniture d'un vocabulaire permettant de parler de douleur irradiante, de pouls filant, dans la langue maternelle des marins mis à bord. Est-ce trop demander que, plutôt que ces classeurs obligatoires, (ISM oblige), détaillant l'organisation du moindre bureau à Manille ou à Zagreb, nous ayons l'équivalent du lexique de notre bon vieux médecin de papier, traduit de l'anglais en tagalog ou en serbo-croate, si possible par un médecin et non par une secrétaire stagiaire? Le RIF aurait pu en être l'occasion. C'est probablement encore trop coûteux.
Nous avons aussi constaté une dramatique diminution des niveaux de connaissances. Un de mes seconds, coréen, possédant son brevet de commandement ignorait comment les satellites tenaient en l'air. Un lieutenant indonésien mettait ses flatulences sur le compte d'une respiration trop importante, et se soignait au baume du tigre dans les narines.
Le niveau moyen français est, il est vrai, élevé. Il ne correspond d'ailleurs plus à celui des rémunérations proposées. Mais pour ce qui vous concerne, médecins d'ici, il faut bien voir qu'à l'hôpital Purpan, habitués à télé-manipuler des bacs +5, peut être pas toujours bien malins, certes, vos interlocuteurs seront bientôt au mieux des Brevets des collèges, peut être sans dommages, le bon sens étant aussi très bon médecin.
Conséquence aussi, l'allongement non négligeable des temps à bord. En moyenne autour d'un an. Source de conflits à bord, en particulier chez les Coréens, les Philippins à la vie intime beaucoup plus communautaire passant mieux l'épreuve. De plus, à bord des navires issus de la flotte française, le nombre de personnes à bord, réduit au maximum, impose des rythmes plus soutenus, acceptables pour trois mois d'embarquement mais qui ne le sont plus à un an voir plus.
Enfin l'ergonomie n'est pas la science exacte annoncée. Travaillez avec des Coréens dans un atelier, vous serez accroupis par terre. Lorsque, rompu, vous ramassez la pièce et la portez sur l'établi, ce sont eux qui viennent se percher sur l'établi. Pourtant, très peu de mal de dos chez ces asiatiques. Avant de jeter l'opprobre sur telle ou telle posture dans le document unique, regarder travailler les gens.
Quelle incidence sur les soins à bord ?
Pas d'alcoolisme, plus de suicide. Tant mieux.
Des marins au physique parfait, tous semblables… du moins sur le papier. Les visites de pré-embarquement doivent se tirer à la photocopieuse: 10/10 à chaque œil sans correction pour un homme de 51 ans, est-ce possible ? Quant il regarde une carte à la loupe est-ce crédible ? La qualité ne masque t-elle pas une vaste tromperie ? Quel service aura t-il le devoir, les moyens de vérifier ce superbe eugénisme ?
Une bonne part de notre activité consiste à envoyer des malades à terre pour consultation. En fin d'embarquement, davantage qu'au début. Fatigue ou mise à l'abri en prévision de la vie à terre sans couverture sociale?
Selon les escales, l'internationalisation des médecins suscite d'ailleurs des commentaires.
Les pays riches ne seront pas l'endroit où les marins seront les mieux traités. Alors considéré comme sous-humanité, le marin se voit dirigé vers le service de plus bas niveau tant en compétences qu'en moyens. Ceci nous a été maintes et maintes fois démontré avec l'écart flagrant de soins entre le Mexique et les États-Unis.
Certains pays font preuve d'un racisme atterrant. Je ne peux passer sous silence le triste sort de ce chef mécanicien français et roux pour son malheur, aux trois côtes cassées et présentant des fractures du nez et des os de la face, renvoyé à bord sans une aspirine par un honorable praticien nippon qui était respectueusement demeuré à 3 mètres de lui pour l'ausculter. Domo arrigato isha san!
Balayons devant notre porte: après une visite médicale au Havre, un Philippin a perforé un ulcère gastrique, arrivé à Londres 18 heures plus tard. Débarqué et renvoyé illico au Philippines, j'ai reçu les vertes appréciations de son service médical sur le peu de considération porté à son cas. Appréciation que j'ai pensé justifiée, et transmise au Diaphoirus havrais. Réponse : "Voilà bien du bruit pour un Philippin."
Le professeur Bouvet nous en a dit plus sur la tuberculose. Nous avons subi un cas sur douze navires, ce qui n'est pas une statistique, ni surtout une épidémie. Mais il ne faut pas s'étonner qu'un système dont le dogme est d'importer la pauvreté, ne finisse par importer la maladie de la pauvreté.
Plus légèrement, je remarque la fragilité de la peau des asiatiques du sud, Indonésiens et Philippins, ceci allant de pair avec beaucoup de mycoses. La pommade Nivéa, disponible chez tous les shipchandlers du monde entier, restera de ce fait le seul apport de la France à la marine de demain.
J'ai eu des Indonésiens qui présentaient jusqu'à des trous dans la cloison nasale. Après bien des discussions j'ai compris que c'était l'usage de la cocaïne qui provoquait ces dommages. A l'inverse des alcooliques ils étaient très doux et non violents. On n'apprenait pas ça aux cours d'hygiène.
A ce sujet, autre remarque, nous n'avons pas été mis en garde sur les variations physiques du genre humain. Je ne sais toujours pas comment ouvrir un oeil endolori de coréen. La méthode du médecin de papier est inefficace sur les paupières épaisses comme des doigts de ces gens du loess. Et que dire de l'épaisseur, de la ténacité de la peau d'un Africain de l'ouest sur laquelle les aiguilles se tordent.
mettre fin à un monde de frustration:
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A l'hôpital Purpan, vous intervenez sur des gens que vous ne verrez jamais, mis à part quelques vieux Commandants en recyclage. Ceci est il satisfaisant ?
Dans les quartiers, vous voyez des gens que vous ne soignerez jamais et seulement une très faible partie des équipages navigants. Cela est il bon?
A bord, je n'ai pas vu de médecin visiter un navire depuis 1979. Certains contrôles sanitaires, la vérification des états de santé si parfaits de nos étrangers, des conseils sur la tenue de l'infirmerie nous manquent certainement. Une visite ne peut être que la seule communication de la liste des médicaments du bord. Pourtant cela est habituel. Est-ce normal ?
Quelles finances permettront elles de combler ces déficits ?
Alors, je vous en prie, venez à bord, il y a tant à apprendre de ces Coréens, Malgaches, Mauriciens, Philippins, Angolais, Gabonais, Croates, Ukrainiens, Polonais et autres...
Volens nolens, vous êtes les médecins du monde. Venez à bord, chez nous, vous trouverez le monde.
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