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2e Congrès de l'urgence médico-psychologique des gens de mer
Le Havre le 12 avril 2024


Les commandants HARDY et ARDILLON ont représenté l'AFCAN au 2e Congrès du CRAPEM (Centre ressource d'aide psychologique en mer). Celui-ci se tenait dans les locaux de l'ENSM du Havre, l'après-midi du vendredi 12 et la matinée du samedi 13 avril. Cette première partie concerne les sessions plénières du vendredi 12 avril après-midi.

D'abord quelques mots de bienvenue de M. de BEAUREGARD, directeur du site du Havre, et de Mme JEGO, CRAPEM.

Première partie

Evaluation et prise en charge à bord : du secret partagé à la guidance des soins.

Spécificité du secret partagé en milieu isolé – Dr DELBROUCK

Le secret professionnel a été institué dans l'intérêt des patients, il s'impose à tout soignant dans les conditions établies par la loi.
C'est la base de la relation de confiance soignant/soigné.
Il est régi par l'article L 1110-4 du code de la Santé publique : Cependant peut-on parler de secret partagé lorsque les informations sont confiées par le patient à l'ensemble d'une équipe ? Le code précise que : « deux ou plusieurs professionnels de santé peuvent toutefois, sauf opposition de la personne dûment avertie, échanger des informations relatives à une même personne ».
Donc deux conditions : accord du patient ET tous les soignants sont impliqués dans le soin.
Le capitaine est responsable des soins, il y a éventuellement délégation à un officier en charge. Mais il doit (ou doivent) respecter le secret médical. A ce titre, il est fait mention qu'au débarquement du patient, les enregistrements des soins qui auraient pu être pratiqués doivent être remis au patient ou être détruits. En aucun cas des comptes-rendus de consultations ne doivent être conservés à bord.



Guidance : outil de soins et de prévention – Mme DURAND

Exemples des missions de sauvegarde de la vie humaine (SVH) :
  1. Avant la mission

  2. Bilan sur la qualité et l'accessibilité des ressources et la création d'un lien de confiance à travers :
    • Consultation à la demande du médecin et/ou du commandement : expertise
    • Echanges et conseils informels sur les problématiques actuelles et/ou futures
    • Sensibilisation à l'ESPT avant départ en mission SVH
    • Consultation personnelle
    • Information transmise sur l'astreinte téléphonique du SLPA d'affectation et/ou des SLPA de proximité en fonction des missions

  3. Pendant la mission

  4. Renforcement des ressources et de la confiance par la disponibilité et le soutien :
    • Conseils en distanciel auprès des commandants/corps médicaux
    • Co-analyse des problématiques posées : aide à penser, prise de hauteur
    • Accompagnement des (para)médicaux lors des pratiques de defusing à bord
    • Co-préparation des débriefings psychologiques suite à un évènement grave
    • Si absence de personnel médical, guidance du commandement
    • Conseil sur la récupération de l'équipage au retour de mission

  5. Après la mission
  6. Prévention des potentielles complications et/ou prise en charge afin de préserver la santé psychique des marins :
    • Consultation à la demande du commandement
    • Consultation à la demande du médecin
    • Débriefing collectif et/ou individuel
    • Suivi à visée thérapeutique
    • Echanges informels et suivis avec le commandement et le corps médical

    Positionnement et limites du psychologue :
    • Consultant mais pas sauveur
    • Disponible/accessible mais pas obligatoire
    • Aiguillage/éclairage mais pas décideur
    • Question de l'instrumentalisation et du rôle de substitution
    • Aide à la prise de conscience et au renforcement des ressources individuelles/collectives : automatisation, responsabilisation
    • La nécessaire distance du psychologue par rapport aux situations pour aider à prendre de la hauteur et conseiller objectivement.

Télémédecine maritime : de la formation à la guidance – Dr DEHOURS

Le responsable des soins à bord fait un bilan des fonctions vitales (neuro/conscience – respiratoire – circulatoire), un interrogatoire (antécédent, traitement, allergie, histoire de la maladie ou circonstances de l'accident), la vérification des constantes vitales (tension, pouls, température, etc.), un examen (clinique pour un malade, lésionnel pour un blessé). Puis appel du CCMM pour un diagnostic entrainant conseil, décision et prescriptions.
  1. Intervention en peri-trauma :
  2. Nécessité d'une évaluation de « l'ambiance à bord » 4 types de situation :
    1. Equipage complet impliqué :
      • L'équipage implique de penser à la culture du métier
      • Connaissance de la dynamique à bord et des facteurs risques
      • Adaptation au milieu hostile
      • Guidance du responsable des soins
      • Organisation de l'intervention immédiate
    2. Partie de l'équipage impliquée :
      • Evaluation individuelle
      • Contraintes de temps
      • Renfort des processus de résiliences professionnelles versus débarquement
    3. Décompensation psychotique à bord
      • Centrage sur l'EVASAN du marin
      • Nécessité d'un accompagnement de l'équipage en peri-trauma et en immédiat
    4. Décès à bord
      • Souvent lien une fois le corps débarqué – processus dissociatif adaptatif.

  3. Intervention en immédiat :
    1. Avantages
      • Souvent, préparation en amont
      • Lien CCMM-CRAPEM-SCMM-CUMP
    2. Nécessités d'appréhender les spécificités du navire
      • Organisation hiérarchique et des soins à bord (sur-traumatisme, des casquettes multiples)
      • Contraintes de temps (évaluation avant une traversée transocéanique)
      • Multi culturalité à bord (respect du rituel religieux avant les « psys »)
    3. L'intervention doit permettre un espace de transition
      • En particulier quand le temps pour retourner à terre a été long (nécessité d'un sas pour ne « plus avoir à faire face »
      • Vigilance aux procédures médico-légales et judiciaires
      • Peut-être cependant différée dans certaines situations (douche, etc.)

  4. Intervention en post-immédiat : consultations individuelles
    1. Pro-activé
      • Culture de métier versus absence de reconnaissance sociale
      • Normalisation de l'évènement de mer
    2. Vigilance à l'isolement à terre
      • Hypothèse de l'absence de support du groupe – plus particulièrement au commerce et en fin de carrière à la pêche
    3. Le scénario du pire
    4. La formation médicale (actuellement de trois niveaux sur 14, 53 et 99 heures de formation) va être revue et intégrera une formation en psychiatrie, un contrat sera passé avec le CRAPEM pour cela.

Intérêt des psychologues à bord – M. DAVID-MARCHAND
Après avoir narré quelques interventions, en respectant le secret bien évidemment, il rappelle que le psychologue doit aussi avoir un rôle auprès du capitaine du navire.
Bien entendu, il peut agir en tant que télé-conseiller vers les capitaines des navires n'ayant pas de personnel médical à bord.

Le groupe équipage : support ou contrainte – Mme JEGO
En cas de mauvaise nouvelle à bord, l'équipage peut être support ou bien contrainte (cas d'un décès). En ce qui concerne le harcèlement, le milieu isolé qu'est le navire est un facteur de risque. Il y a une double dangerosité : le harcèlement en lui-même et l'isolement du groupe équipage entrainant l'effondrement de la résilience groupale ainsi que le sentiment de dangerosité permanent.

Conclusion
A chaque temps son évaluation, il faut des personnes impliquées ET des ressources groupales à bord et sociales à terre.
Nécessité d'appréhender les spécificités de la culture du métier, et souvent sa marginalisation sociale.
Vigilance quand le groupe support devient contrainte.

Vers le développement d'une CUMP maritime – Dr DUCROCQ
CUMP : Cellule d'Urgence Médico-Psychologique
Les CUMP ont une place reconnue dans le système de santé français, un ancrage clair malgré les évolutions récentes du paysage de la psycho-traumatologie, avec une bonne assise scientifique, et inscrites comme un volet à part dans les plans de secours type ORSAN (Organisation de la réponse du système de santé en situations sanitaires exceptionnelles).

Facteurs psycho-sociaux de vulnérabilité :
Nature du travail, conditions de vie, durée d'embarquement, éloignement, promiscuité, bruit, langue, travail posté, activité répétitive, faible pouvoir décisionnel.

Exposition à des évènements potentiellement traumatiques :
Intentionnalité humaine (piraterie, agressions), accidentelle, traumatismes vicariants (sauvetage en mer, migrants), poids de la responsabilité éthique, morale et pénale.
En milieu maritime, il y a déjà les CROSS, le CCMM, le SCMM (Samu de Coordination Médicale Maritime). Un CUMP en milieu maritime devrait utiliser le CRAPEM.

Prévalence du TSPT chez les sauveteurs en mer – Mme BENOIT, CRAPEM
TSPT : Trouble de Stress Post-Traumatique
ESPT : Etat de Stress Post-Traumatique
La prévalence ESPT est de 1,9% dans la population générale, de 20% chez les marins et de 4,5% chez les secouristes bénévoles.

Hypothèse de départ :
Les sauveteurs embarqués de la SNSM associent risques maritimes et risques liés à leur activité de secouriste.

Facteurs de risques :
Le système d'alerte via une application mobile, une mobilisation rapide, l'imprévisibilité, le milieu hostile de l'action.

Facteurs protecteurs :
La vie d'équipage au sein de la station (échanges entre pairs et exercices réguliers), la place du patron (coordinateur et présence au retour des interventions).

La psychoéducation et la formation comme outils de prévention à la SNSM :
  • Existant : formation initiale de secourisme, formation détresse psychique
  • Travaillé : réalisation d'un module e-learning souffrance psychique et évènement traumatique
  • En projet : formation à destination des patrons sur le repérage de la souffrance psychique et sur l'accompagnement des équipages suite à un évènement traumatique.
Enjeux psychologiques des missions de sauvegarde de la vie humaine dans le Pas-de-Calais – EV1 ABECASSIS,
Service de psychologie de la Marine, Cherbourg

L'impact psycho-traumatique des missions aveugles :
Ce sont des concepts encore débattus mais il y a consensus sur l'incidence, similaire à l'implication directe. Des tableaux cliniques d'intensité proche mais d'allure différente, due à des modalités d'exposition variées (facteurs de risque et de protection).
Prévention, préparation et communication sont des mesures mises en œuvre ayant des effets bénéfiques puisque moins de marins reçus en souffrance.

Cette mission est singulière, car elle concentre tous les facteurs de risque :
Mission récente, croissance très forte et continue, transformation permanente des modalités de réponse, encadrement politique, juridique et administratif en construction, résonance politique et médiatique très forte, injonctions parfois contradictoires, moyens limités, environnement concentrant déjà de nombreuses problématiques (géographie), des marins jeunes à qui l'on demande polyvalence, rusticité et esprit d'initiative, sentiment de tension entre acteurs sensés coopérer, pression de la société civile générant un manque de reconnaissance et de l'insécurité (responsabilité pénale), exposition visuelle et/ou sonore à des scènes potentiellement traumatogènes (enfants, refus de prise en charge, films WhatsApp), régénération difficile (rythme opérationnel, escales, double équipage).
 

Les facteurs protecteurs :
Sens de la mission, préparation opérationnelle, cohésion du groupe.

Impact des missions aveugles sur les équipages des bateaux :
  • Intervention concrètes impliquant une mobilisation physique et mentale absolue
  • Décisions fondées sur des informations directement perceptibles
  • Contact avec les personnes secourues (gratification / détresse)
  • Potentielle exposition à la mort.
Impact des missions aveugles sur les CROSS et sémaphores :
  • Exposition sonore (voire vidéo) à la détresse
  • Sollicitations pressantes et parfois agressives
  • Difficulté à se forger une idée claire de la situation
  • Professionnels de la gestion de la panique, procédures à dérouler
  • Peu ou pas de retour sur les actions coordonnées réussies.
Suite aux derniers retours d'expérience, les efforts sont à poursuivre :
  • Maintenir le travail de communication (interne et externe)
  • Formation et préparation, c'est la meilleure rentabilité d'investissement et améliore l'efficacité. C'est également une double protection contre les traumas potentiels, les missions sont mieux vécues
  • Favoriser le partage et le retour d'expérience pour une traçabilité ultérieure
  • La question de la sélection / volontariat
Suite aux derniers retours d'expérience, ce qui fonctionne déjà :
  • La limitation du nombre de personnes exposées
  • Avoir un compte-rendu le plus rapidement possible
  • L'attention portée au collectif qui est le premier espace de projection des difficultés.
Gestion d'un décès à bord – Dr COUDREUSE
La mort en mer, c'est l'errance des âmes, des âmes sans repos, entre la vie et la « vraie mort ». Pour ceux qui restent à terre, c'est aussi la quête des corps naufragés sur la grève.
Entre 2000 et 2019, selon une étude sur 78 compagnies de croisière, cela représente 623 décès à bord, dont 89% de passagers.
Selon le BEA Mer, il y a eu 25 morts ou disparus en 2023, 11 accidents mortels au travail maritime (pour la France) à la pêche et 1 au commerce en 2021.
Plus le problème des migrants.

Un exemple récent :
Appel au CCMM d'un voilier en route transatlantique avec un marin présentant une douleur thoracique. D'abord gestion en premiers soins, mais suivant la dotation plaisance. Rappel 30 minutes plus tard pour un arrêt cardio-respiratoire, et mise en œuvre de réanimation de base pendant 45 minutes. Puis décision d'arrêt de la réanimation par le médecin du CCMM, le patient est considéré décédé.
Mais il reste trois jours de mer.
Cela nécessite une considération psychologique pour l'équipage survivant par le CRAPEM. Egalement la gestion et la conservation du corps, enveloppé dans une voile et placé dans l'annexe remorquée. Prévision de l'accueil de l'équipage aux Açores par des relais locaux et représentant du ministère des Affaires étrangères français.
Cela nécessite également la gestion des familles à terre en France, trouver et prévenir la famille.

La gestion d'un décès à bord est de dimensions multiples avec des réponses diverses.
Dimensions médicale, psychologique, médico-légale. Il faut tracer et compiler tous les éléments autour du décès, conserver le corps ainsi que les indices et preuves, s'il y a un médecin de bord, est-il médecin légiste ?, le capitaine est officier d'état civil et de police judiciaire, qui fait le constat et le certificat de décès ?
Les réponses varient suivant la taille du navire (capacité à conserver le corps : chambre froide, mortuaire, housses mortuaires) et son caractère professionnel (quelle dotation est à bord, quelles formations ont reçues les autres membres d'équipage), la position du navire (temps de traversée avant l'arrivée à terre, possibilité d'évacuer rapidement le corps), la présence ou non d'un médecin à bord (si oui, le certificat de décès est fait à bord, on est en gestion interne).

Dimension psychologique : la « famille équipage »
Selon la capacité ou non à isoler le corps, il peut y avoir promiscuité avec le défunt, d'où un impact important sur le vécu de la situation. Conservation du corps dans une chambre froide : problème alimentaire. Lorsque le navire arrive à terre, il faut un suivi avant l'arrivée afin de s'assurer de la capacité à extraire le corps afin de protéger l'équipage d'un retour éventuel à bord. Il y a aussi un impact sur les « secouristes » du bord et sur le responsable des soins, que ce soit maladie ou accident.

La gestion d'un décès à bord, c'est donc une réponse au cas par cas, avec un fort potentiel psychologique, à prendre en compte à tous les niveaux : de l'équipage bien sûr et à l'ensemble de la chaîne des intervenants, y compris les sauveteurs embarqués ou hélitreuillés, les personnels des CROSS et les équipes médicales à terre.

Il y a donc un important besoin de formation et de préparation, comme de débriefing voire de defusing. Le defusing est une technique de prise en charge dans les premières heures qui suivent des personnes qui viennent de vivre un traumatisme psychique. Le débriefing se fait plus tard, quand la pression est retombée.
Cdt Frédéric HARDY
Cdt Hubert ARDILLON


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