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Noyé dans une mer de paperasse
Extrait de "The Sea" n°180 mars/avril 2006
 

La déferlante de communications, de manuels, de procédures, de rapports et de checklists, qui tombe régulièrement sur les marins, est enfin reconnue par quelques compagnies progressistes, déclare Michael Grey.


       Il y a eu récemment de bonnes nouvelles: un opérateur de pétroliers a réalisé que ses commandants étaient si saturés par les travaux de paperasse qu'il a décidé d'augmenter son personnel en ajoutant un officier dont le travail est essentiellement d'aider le capitaine dans les travaux de secrétariat. Un autre major pétrolier ajoutait un officier de pont ce qui ramenait au temps anciens où il y avait un commandant, un second capitaine et trois lieutenants, pour la simple raison que la charge de travail l'exige (notamment dans les ports avec toutes les inspections).

       Il est peut-être possible que le message arrive à passer, que les créateurs de règlements, les compagnies maritimes, les autorités diverses et autres ne peuvent continuer à donner de plus en plus de responsabilités aux gens du bord sans augmenter le nombre de personnes pour s'en occuper.

       Récemment dans "Alert" dans la rubrique facteur humain, un capitaine exposait le problème. Il s'inquiétait du temps qu'il devait passer à son bureau à se consacrer a la paperasserie "essentielle", alors qu'il aurait du s'occuper de son navire. Il constatait qu'il lui était difficile de s'arracher à quelque problème bureaucratique clairement marqué "urgent" pour monter à la passerelle discuter avec l'officier de quart et s'assurer par lui-même que tout allait bien. Comment former correctement ses officiers si ils l'ont toujours vu penché sur un ordinateur ou caché derrière un casier à courrier débordant. Comment être alors un capitaine.

       Ces points sont importants. Un commandant plus âgé se rappelle les longues traversées du Pacifique, ou à part le message quotidien "tout va bien" et les quelques messages de correction d'ETA, la seule communication (qui était bien sûr le travail du Radio) était l'envoi des observations météo toutes les 6 heures. Aujourd'hui il commande un grand porte conteneurs, les communications satellite crachent les mèl dans son bureau à tout instant et à foison, tandis que les bureaux à terre ont découvert les délices du téléphone satellite et l'appellent constamment.

       Ils ignorent totalement les décalages horaires et le fait que les marins, tout comme les gens de terre, dorment la nuit, mais il faut leur répondre immédiatement. Tout comme ceux qui sont connectés au Système Bureau à terre, qui transmettent toutes les circulaires qui ne concernent pas directement le navire, tous les mèl qui sont transférés par des individus zélés voulant démontrer leur énergie, ainsi que les spams, tout cela arrive comme un tourbillon. Il faut tout lire de peur que le message vital modifiant la rotation du navire échappe dans tout le fatras des papiers.

       Une grande partie des documents qui arrivent à bord concerne des règlements, des recommandations ou quelque chose de très "officiel"; la quantité de celles-ci va parfois à l'encontre du but recherché. Pire encore, l'existence de ces communications, de ces manuels, procédures, rapports et checklists sera soumise à un examen détaillé par l'inspecteur lorsque le navire arrivera au port. Il recherchera avec insistance les déficiences et ce sera un point noir contre le navire lorsqu'il les trouvera.

       Dans les "Nautical Institute's Captain's Column" le Commandant Henk Huininck suggère qu'il y a une sorte de "mentalité des checklists" qui se développe rapidement dans l'industrie, et qu'il faudrait que cela soit maîtrisé et que le nombre et l'étendue en soient rigoureusement réduits.

       Il pourrait être entendu. Quelque mois plus tôt un rapport d'accident à bord d'un ferry ro-ro l'a réellement montré avec une checklist d'environ une douzaine de points devant être vérifiés avant l'arrivée au port. Environ dix de ces points étaient parfaitement pointés, mais les trois derniers ne l'étaient pas. La raison de cette omission était évidente, le navire était arrivé plus tôt que prévu au port, avant que les derniers points de la checklist d'arrivée aient été contrôlés le navire était rentré dans le quai. Les marins ne doivent s'imaginer qu'ils sont les seuls à être submergés par la paperasse. Toutes les autres professions s'en plaignent aussi : enseignants, docteurs, plombiers, installateurs de gaz, fermiers. C'est un signe des temps qu'une grande part de cette paperasse soit par nature un moyen de défense, éluder la responsabilité, transférer le blâme potentiel.

       Peut-on le supprimer? Qu'en est-il du bureau sans papier ? Ce n'est qu'une vue de l'esprit, avec toute la "paperasse" apparaissant à la place sur l'écran. La bureaucratie est là et le restera, et la paperasse électronique ou non se développera pour satisfaire aux nombre de personnes s'en occupant. Il y a, cependant, des systèmes pleins de promesses qui aident à "gérer" tout cela, et certains d'entre eux parviennent à bord. C'est utile que l'avalanche de papiers soit enfin reconnue par des compagnies maritimes plus progressistes, et que quelques bras supplémentaires soient utilisés pour sortir de là ceux qui sont ensevelis dessous.

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