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Mesure de l'impact des nouvelles réglementations : le cas des pétroliers double-coques.
Intervention du Cdt Hubert Ardillon lors du colloque MARISK - janvier 2012
Venant de passer les 15 dernières années sur des pétroliers double-coques, de type Aframax et VLCC, je parlerai des inconvénients et des avantages que j'ai ressenti sur ces navires.
Pour rester en finale sur une bonne note, je commencerai par les inconvénients :
Inconvénients :
- Une stabilité violente : Les premiers navires pétroliers doubles-coques avaient une distance métacentrique en charge très importante (Gm de l'ordre de 10 à 13 mètres), ce qui entraînait un rappel très violent en cas de roulis, donc une stabilité qui n'était pas facile à gérer. Il était nécessaire de créer de la carène liquide dans les ballasts pour diminuer la stabilité.
- Détection de gaz : Même si la détection de gaz fonctionne et est vérifiée très régulièrement, les grandes capacités de ballast sur un VLCC ne comportent au mieux que 2 détections de gaz. Comme les doubles fonds sont très cloisonnés, il n'est pas évident qu'une petite poche de gaz, qui proviendrait d'un suintement d'un cordon de soudure par exemple, soit détectée. Il faut donc des inspections plus que régulières.
- Le gaz inerte : Ce problème deviendra plus important lorsque le gaz inerte sera rendu automatique pour les capacités de ballast. Les suintements de pétrole sont et seront plutôt médiocrement détectés. Cela n'enlèvera donc pas aux bords l'obligation d'effectuer des visites de capacités. Mais elles seront inspectées moins souvent qu'auparavant, car autant il est facile et simple, en toute sécurité, de visiter une capacité de ballast sous air, autant le faire pour une capacité de ballast sous gaz inerte nécessitera de ventiler cette capacité, puis de la re-inerter. Donc des dépenses en combustible qu'il faudra bien faire passer sur la consommation globale du navire. Comment, alors que les soutes coûtent de plus en plus cher, que chaque tonne dépensée doit être justifiée, les bords (les capitaines) pourront-ils expliquer les consommations ainsi engendrées ? L'affréteur, parce qu'il sait qu'un navire ne peut naviguer sans une certaine maintenance, se refuse pourtant à payer le surcoût de soutes consommées pour celle-ci, alors, pour une inspection !
Le risque devient évident : davantage de problèmes pour envisager une inspection, donc moins d'inspection, donc moins de chance de détecter une petite fuite, un suintement, donc plus de risques. Peut-être pas d'explosion mais quid de la pollution engendrée par un rejet de ballast irisé parce qu'une fuite n'aura pas été détectée plus tôt ?
- La condition du revêtement du ballast : L'état du ballast, sa corrosion vient principalement de la qualité de la peinture et de son application au chantier de construction. Autant les premiers double-coques sur lesquels je me suis trouvé avaient des ballasts très mal peints, autant maintenant les navires qui sortent des chantiers de construction sont très bien peints de ce côté. Tant qu'il n'y a pas eu de petits chocs sur la coque (marques de remorqueurs, de défenses portuaires), sur le pont (chocs divers), sur la tôle de fond (les échouages légers mais intempestifs dans des chenaux mal ou pas dragués à la profondeur annoncée par les autorités portuaires).
Mais il faut reconnaître que parfois, mais toujours par souci d'économie de l'armateur pendant la construction, des navires sortent des chantiers avec des ballasts très mal peints. Cela se voit ensuite très vite, dès les premières inspections. Mais la reprise (le touch-up) est plus que difficile, elle est quasiment impossible à faire. Les conditions d'humidité dans les ballasts ne permettent pas de faire de la peinture correctement.
- L'efficacité de la double coque est avérée en cas d'échouement ou de collision. A petite vitesse, cela permet de sauvegarder l'intégrité de la 2ème coque, celle qui forme les capacités à cargaison.
Par contre à vitesse élevée, même si l'on peut considérer qu'un pétrolier chargé à pleine vitesse ne fait souvent pas plus de 14/15 nœuds, l'échouement sur un rocher peut faire de gros dégâts. Sur la coque, évidemment, mais aussi sur les tuyaux de ballastage et la double-coque.
Idem en cas de collision, les doubles-coques sur un pétrolier de 315 000 tonnes ne font que 4 mètres de large. En cas de collision par le travers à vitesse élevée, la coque ne suffira pas à arrêter le navire abordeur, à le ralentir oui, mais pas suffisamment pour qu'il ne frappe pas la double-coque et la déchire.
Les pétroliers double-coques réclamés avec insistance par les USA n'ont été créés que pour répondre à un accident du type Exxon Valdez. La vitesse n'était pas très élevée, et dans ce cas il parait évident que la catastrophe environnementale aurait pu être évitée avec un pétrolier de type double-coque. Mais on a vu par la suite lors d'autres accidents, différents, que la double coque pouvait aussi être irrémédiablement endommagée.
- L'eau de ballast : Et il y a aussi les problèmes rencontrés par le chargement d'eau de ballast très boueuse. Enlever la boue est un travail dur, mais surtout délicat car il peut créer des craques dans le revêtement peinture des ballasts. Le même problème existerait bien sûr sur des navires simple-coque à ballasts séparés. Problème que l'on connaissait très peu sur les anciens navires car ces citernes étaient lavées au crude et souvent à l'eau (donc en pleine mer) systématiquement pendant ou après chaque déchargement. De plus les conditions de travail et de sécurité pendant ce travail font qu'il est beaucoup plus difficile de l'effectuer dans un double-fond que dans une citerne latérale. Si c'est plus difficile, c'est donc automatiquement un travail moins fréquent, et donc un risque économique, et donc de sécurité d'emploi pour le capitaine, car c'est la quantité à charger qui est diminuée.
Avantages :
Une simplicité des opérations commerciales : les citernes de cargaison doivent contenir de la cargaison et uniquement de la cargaison (hors ballast lourd dit de mauvais temps). Les citernes de ballast ne peuvent contenir que du ballast. Le tuyautage de ballast n'a aucun lien avec celui de la cargaison. L'erreur n'est pas possible de salir par inadvertance un ballast, c'est le genre d'erreur qui ne peut être que volontaire.
En conséquence il y a moins d'opération de lavage : d'abord à l'eau car s'il n'y a pas besoin de laver les citernes pour un travail à chaud, il n'y a aucune nécessité d'effectuer un lavage à l'eau : perte de temps et surconsommation inutile.
Et il y a aussi moins d'opération de lavage au crude car il n'est plus nécessaire de laver au crude toutes les citernes à ballast sale, toutes les citernes à ballast propre, et un tiers des autres par roulement. Maintenant il est obligatoire de laver au crude la citerne cargaison qui peut servir au ballast lourd de mauvais s'il est prévu d'en avoir besoin pendant la traversée à lège, plus un tiers des autres citernes par roulement.
Moins de lavage égale moins de corrosion et moins d'usure des fonds.
L'assèchement des citernes est plus facile. En effet le double-fond autorise une chose qui ne pouvait pas se faire avant en simple coque : le puisard d'assèchement. Lorsque celui-ci est bien placé dans la citerne, il suffit d'avoir l'assiette prévue au moment de l'assèchement et de la gite pour faire en sorte que le liquide à assécher s'écoule dans le puisard. D'où une certaine facilité de la manutention.
Enfin, et surtout, ces navires n'existaient pas avant qu'ils soient imposés. Et ils ont été imposés d'office aux affréteurs et donc aux armateurs qui voulaient travailler avec les USA. Cette nouvelle règle a automatiquement entraînée la construction de navires par les chantiers. Pour les marins, cela s'est traduit par la livraison de navires neufs, double-coque certes, mais surtout neufs, et qui venaient remplacer les vieux navires simple-coque qui commençaient à sérieusement fatiguer.
Un navire neuf était de toute façon plus sécurisant qu'un navire de 15 ans, 20 ans ou plus.
Conclusion :
Maintenant il reste à voir combien de temps les navires double-coque vont rester en flotte. Les plus anciens ont maintenant plus de 15 ans. Et en fonction de leur utilisation, le type de cargaison chargée, le type de mer qu'ils ont rencontré, ils sont plus ou moins fatigués.
Le problème est maintenant de savoir s'en séparer, de les déconstruire. Avant qu'ils ne deviennent comme ceux qu'ils ont remplacés, avec en plus le danger inhérent à la double-coque, la présence de gaz non détectée et donc non ventilés qui les rendront beaucoup plus dangereux que les anciens simple-coque.
La solution pour éviter les accidents qui ne manqueront pas d'arriver un jour passe par le fait d'avoir et de conserver des navires bien inspectés et bien entretenus, donc avec des équipages compétents et des intervalles de maintenance pas trop longs, mais aussi de savoir s'en séparer avant qu'il ne soit trop tard.
Il semblerait que des pétroliers double-coque aient été envoyés aux chantiers de déconstruction après 17 ans de service. Il serait intéressant de connaître leurs conditions d'exploitation ainsi que l'état dans lequel ils étaient en arrivant dans ces chantiers.
Cdt Hubert Ardillon
Président de l'Afcan
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