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Extraits d'un Manuel commercial et administratif du capitaine au long cours daté de 1855
Recueillis par le Cdt Marc Prébot
 

Rapport du ministre de la marine du 24 mars 1852 au Prince Président de la République :

« La vie de l'homme de mer est une vie d'exception. Renfermé entre les étroites murailles du navire qui le transporte d'un point à l'autre du globe à travers les solitudes de l'Océan, au milieu des dangers de tous genres, le marin ne peut sortir victorieux de cette lutte incessante, s'il n'obéit aveuglément aux ordres du capitaine. L'ascendant moral ne suffit pas toujours pour obtenir cette obéissance si nécessaire; il faut que la loi assure au chef des moyens de répression en rapport avec les impérieuses exigences de sa situation difficile. Il n'est pas de nation maritime qui n'ait compris cette nécessité et qui ne s'y soit soumise. A toutes les époques chez tous les peuples, les lois maritimes ont eu pour base commune des juridictions spéciales, des pénalités exceptionnelles. Aussi longtemps que la France est restée dans cette voie, la discipline strictement maintenue parmi les équipages des navires du commerce a prévenu les déplorables excès dont ces navires sont aujourd'hui si fréquemment le théâtre ».

Et pourtant à bord d'un navire de commerce, comme sur un bâtiment de l'Etat, la vie de l'équipage et des passagers dépend de l'ensemble et de la précision des manœoeuvres, de l'obéissance ponctuelle aux ordres donnés, de la soumission absolue envers celui qui commande, et la vindicte publique ne doit pas laisser impunis des actes qui compromettent la fortune et la vie des citoyens. En mer, les moindres fautes sont graves par les funestes conséquences qu'elles peuvent entraîner. Si ces fautes ne sont pas réprimées sur le champ, la punition est illusoire; elle équivaut à l'impunité, qui devient un encouragement pour l'insubordination. De là résulte l'inefficacité de poursuites judiciaires tardives devant les tribunaux ordinaires, pour des faits qui, le plus souvent, se passent à des distances lointaines, dans des parages étrangers, et presque toujours sans que l'on puisse produire des témoins au retour; pour des faits, d'ailleurs qui ne sont point prévus par le code pénal ordinaire, et que les capitaines préfèrent laisser impunis plutôt que d'entamer une affaire dont la lenteur est incompatible avec leur mission commerciale.

ART. 5. Le droit de connaître des fautes de discipline et de prononcer les peines qu'elles comportent est attribué sans appel ni recours en révision ou cassation :
  1. Aux commissaires de l'inscription maritime ;
  2. Aux commandants des bâtiments de l'Etat ;
  3. Aux consuls de France ;
  4. Aux capitaines de navires du commerce commandant sur les rades étrangères ;
  5. Aux capitaines de navires.
En l'absence de bâtiment de l'Etat et à défaut de consul, le droit de discipline appartient au plus âgé des capitaines de navire. Les capitaines au long cours auront toujours, à cet égard, la priorité sur les maîtres au cabotage. En mer, et dans les lieux où il ne se trouve aucune des autorités mentionnées ci-dessus, le capitaine du navire prononce et fait appliquer les peines de discipline, sauf à en rendre compte dans le premier port où il aborde, soit au commissaire de l'inscription maritime, soit au commandant du bâtiment de l'Etat, soit au consul.

ART. 7. Dans tous les cas, et en quelque lieu que se trouve le navire, le capitaine, maître ou patron, peut infliger les peines de discipline prévues par l'article 53 du présent décret, sans en référer préalablement à l'une des autorités énoncées en l'article 5, mais à charge par lui de leur en rendre compte dans le plus bref délai possible.

ART. 23. Le capitaine tiendra un livre spécial, dit Livre de punition, sur lequel toute faute de discipline sera mentionnée par lui ou par l'officier de quart.

ART. 52 Les peines applicables aux fautes de discipline sont :
Pour les hommes de l'équipage :
  1. La consigne à bord pendant huit jours au plus ;
  2. Le retranchement de la ration de boisson fermentée pour trois jours au plus ;
  3. La vigie sur les barres de perroquet, dans la hune sur une vergue ou au bossoir pendant une demi-heure au moins et quatre heures au plus ;
  4. La retenue de un à trente jours de solde, si l'équipage est engagé au mois, ou de deux à cinquante francs s'il est engagé à la part ;
  5. La prison pendant huit jours au plus ;
  6. L'amarrage à un bas mât sur le pont, dans l'entrepont ou dans la cale, pendant un jour au moins et trois jours au plus, à raison d'une heure au moins et de quatre heures au plus par jour ;
  7. La boucle aux pieds pendant cinq jours au plus ;
  8. Le cachot pendant cinq jours au plus. La boucle et le cachot peuvent être accompagnés du retranchement de la ration de boisson fermentée ou même de la mise au pain et à l'eau. S'il s'agît d'un homme dangereux ou en prévention de crime, la peine de la boucle ou du cachot peut être prolongée aussi longtemps que la nécessité l'exige; mais, dans ce cas, il n'y a lieu qu'au retranchement de boisson fermentée.
Pour les passagers de chambre :
  1. L'exclusion de la table au capitaine ;
  2. Les arrêts dans la chambre.
Pour les passagers d'entrepont : La privation de monter sur le pont pendant plus de deux heures par jour.
Ces peines ne pourront être appliquées pendant plus de huit jours consécutifs.

ART. 58. Sont considérées comme fautes de discipline :
  1. La désobéissance simple ;
  2. La négligence à prendre son poste, ou à s'acquitter d'un travail relatif au service du bord ;
  3. Le manque au quart, ou le défaut de vigilance pendant le quart ;
  4. L'ivresse sans désordre ;
  5. Les querelles ou disputes, sans voies de fait, entre les hommes de l'équipage ou les passagers ;
  6. L'absence du bord sans permission, quand elle n'excède pas trois jours ;
  7. le séjour illégal à terre, moins de trois jours après l'expiration d'un congé ;
  8. le manque de respect aux supérieurs ;
  9. Le fait d'avoir allumé, une première fois, des feux sans permission ou d'avoir circulé dans des lieux où cela est interdit à bord, avec des feux, une pipe ou un cigare allumés ;
  10. Le fait de s'être endormi une première fois, étant à la barre, en vigie ou au bossoir ;
  11. Enfin, et généralement, tous les faits de négligence ou de paresse qui ne constituent qu'une faute légère ou un simple manquement à l'ordre ou au service du navire, ou aux obligations stipulées dans l'acte d'engagement.
Ces fautes seront punies de l'une des peines spécifiées à l'article 52, au choix des autorités désignées par l'article 5 du présent Décret. Seront également considérées comme fautes de discipline les infractions au Décret du 9 janvier 1852 et des règlements sur la pêche côtière, qu'en raison de leur peu de gravité les commissaires de l'inscription maritime ne croiront pas devoir déférer aux poursuites du Ministère public.


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