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LIBÉRALISATION DES SERVICES PORTUAIRES : UN PARI INCERTAIN
A l'initiative de l'IDIT – Institut du Droit International des Transports – un déjeuner-débat s'est tenu au Havre le 16 octobre 2013.
Une cinquantaine de personnes ont assisté à la conférence donnée par Maitre Guillaume Brajeux, avocat à la Cour, Membre du Cabinet Holman Fenwick Willian France et par ailleurs, membre associé de l'Afcan.
Nous remercions beaucoup Maitre Brajeux de nous avoir autorisés à faire bénéficier les adhérents de l'AFCAN de son intervention. Nous reproduisons ci-dessous sa communication.
LES SERVICES PORTUAIRES A L'HEURE DE L'EUROPE.
- HISTORIQUE.
Premiers paquets portuaires.
Une ambition de longue date :
- Déc. 1997 : livre Vert de la Commission européenne.
- Mars 2000 : agenda de Lisbonne.
- Sept. 2001 : livre Blanc sur la politique européenne des transports.
Mais soldée par 2 échecs devant le Parlement européen :
- 2003 : refus du 1er paquet portuaire.
Mesures phares de ce projet :
- Auto-assistance : manutention par les chargeurs et les armateurs eux-mêmes.
- Pilotage par les capitaines eux-mêmes dans certains ports.
- Transparence des aides publiques portuaires et des comptes.
- Combattre les monopoles portuaires pour plus de compétition.
Négociations chaotiques, 32 amendements, présentation d'un texte amoindri.
Rejet le 20 novembre 2003
- 2006 : échec du 2ème paquet portuaire.
Des objectifs similaires…
- Auto-assistance généralisée.
- Compétition accrue dans les ports (accès au marché) et entre ports (financement).
- Contrôles des comptes des autorités portuaires et de la distribution des aides publiques.
pour un résultat identique.
Rejet massif le 18 janvier 2006, 532 votes contre, 120 pour, 25 abstentions.
- La Commission persévère : le 3ème paquet.
Demande de réforme toujours importante :
- Adhésion des acteurs portuaires (ESPO, ADLE etc.) à de nombreux principes défendus malgré un rejet des précédents paquets.
- Directive Service – ou Bolkestein – du 12 déc. 2006 relance le débat sur la nécessité de libéralisation des services.
Initiatives nationales insuffisantes :
- Loi du 4 juillet 2008 pour rétablir la compétitivité des ports français en Europe.
- et bilan du Sénat du 6 juillet 2011 marquant l'insuffisance de cette loi à rétablir la concurrence des ports français.
La Commission européenne reprend la main :
- 28 mars 2011: nouveau livre Blanc "vers un système de transport compétitif et économe en ressources".
- 8 septembre 2011: annonce la présentation d'un nouveau paquet pour 2013.
23 mai 2013 : la Commission européenne présente une nouvelle initiative pour l'accès au marché des services portuaires et la transparence financière.
- LES OBJECTIFS DE LA COMMISSION EUROPÉENNE.
- Objectif 1 : Concurrence.
Des flux déséquilibrés :
- Environ 1200 ports.
- 74% des marchandises transitent en Europe par voie maritime.
- 1/5 de ce volume transite par 3 ports seulement : Rotterdam, Hambourg et Anvers.
Conséquences économiques importantes :
- Congestion, ralentissement de la distribution, coûts supplémentaires.
Objectifs :
- Concurrence équitable entre les prestataires de services portuaires.
- Concurrence équitable entre les différents ports.
- 10 milliards d'euros d'ici 2030.
- Objectif 2 : Transparence.
Lourdeur bureaucratique et opacité de l'utilisation des fonds publics :
- Formalités administratives excessives restreignant l'accès aux ports.
- Manque de transparence sur les redevances portuaires et risque d'abus.
- Manque de transparence sur les financements publics des ports.
Objectifs :
- Ouverture dans la désignation des prestataires de services.
- Un service à la clientèle meilleur et simplifié.
- Contrôler le recours aux financements publics.
- Objectif 3 : Efficacité.
Des enjeux futurs de taille :
- Evolution des flux : augmentation de 50% des cargaisons traitées d'ici 2030.
- Evolutions techniques : accueil de porte-conteneurs d'une capacité de 18 000 evp.
- Capacités logistiques très variables selon les ports.
Objectifs :
- Modernisation des infrastructures, notamment intermodales.
- Meilleures informations sur les flux portuaires.
- Meilleure répartition des flux portuaires européens = distribution mieux adaptée – trajets moins congestionnés/plus efficaces – réduction du coût des transports – protection de l'environnement/qualité de vie.
- LES RÈGLES ENVISAGÉES.
- Champ d'application de la proposition de règlement COM(2013)296 final.
Au terme de l'art. 1er, les services portuaires concernés par la proposition sont les suivants :
- Soutage.
- Manutention des marchandises (à l'exception des dispositions relatives à la concurrence).
- Dragage.
- Amarrage.
- Services passagers (à l'exception des dispositions relatives à la concurrence).
- Pilotage. (ndlr : in fine, service non inclus dans le projet de Directive)
- Remorquage.
- Davantage de liberté de prestation de services.
- Accès équitable et non discriminatoire aux installations portuaires essentielles (art. 3)
- Le gestionnaire du port traite les prestations de services portuaires sur un pied d'égalité
et agit de manière transparente (art. 5).
- Obligation d'assurer une procédure de sélection non discriminatoire et transparente lorsque les prestataires sont limités (art. 7).
- Limitation de la possibilité de déclarer une activité comme étant un service public (art. 8).
- Mais dans un cadre adapté.
- Possibilité d'imposer des exigences minimales aux prestataires candidats. (qualification professionnelle, équipement, sécurité, environnement) (art 4).
- Possibilité pour le gestionnaire du port de limiter le nombre de prestataires (art. 6), si :
- les espaces portuaires sont insuffisants.
- l'absence de limitation fait obstacle à l'exécution d'un service public.
- Possibilité pour les gestionnaires ou pour les agents qu'ils missionnent de fournir eux-mêmes un service portuaire, dans les limites de l'art. 6 (art. 9).
- Exclusion de taille : non-application des dispositions sur la concurrence aux activités de manutention des marchandises et aux services passagers (art. 11).
- L'évaluation des conditions de prestation de ces services se ferait en 2016.
- Transparence financière et autonomie des ports.
Financements publics :
- Les relations financières entre les pouvoirs publics et le gestionnaire du port doivent être consignées en toute transparence dans les comptes (art. 12.1).
- Si les gestionnaires bénéficiant de financements publics fournissent eux-mêmes des services portuaires, tenue de comptes séparés pour chaque activité de service portuaire (art. 12.2).
- Mise à disposition de la Commission des données sur les aides (art.12.4).
Redevances de services et infrastructures portuaires :
- En cas de limitation du nombre de prestataires pour un même service, les redevances devront être "proportionnées à la valeur du service fourni" (art. 13)
- Liberté commerciale du gestionnaire pour la fixation des redevances d'infrastructure portuaire, bien qu'assortie de limitation (art. 14).
- De nouvelles autorités pour mener à bien la réforme.
- Création d'"autorités de contrôle indépendantes" dans chaque État (art. 17), qui coopèrent entre elles (art 18).
- Création dans chaque port d'un "Comité consultatif des utilisateurs" consulté par le gestionnaire et les prestataires sur le coût des redevances (art. 15) (Utilisateurs : exploitants de navires, propriétaires de cargaisons et autres interlocuteurs, etc.)
- Remise d'un rapport prévue dans les 3 ans et seconde vague de réforme envisagée.
- DIFFICULTÉS RELATIVES A LA MISE EN ŒUVRE PRATIQUE ET CRITIQUES.
- Compatibilité avec le principe de subsidiarité ?
- L'UE ne peut intervenir que si elle est en mesure d'agir plus efficacement que les États membres.
- Libre concurrence ou prime au dumping ?
- Risque de dégradation de la sécurité.
- La sécurité n'est plus définie comme une mission de Service public (art. 6).
- L'exemple du pilotage : l'accidentologie dans des cas de mise en concurrence (accident de 2010 à Constanza en Roumanie, etc.).
- Une mise en œuvre inadaptée dans certains ports.
- Prévalence nécessaire du Service public sur la concurrence eu égard aux spécificités locales.
Spécificité accrue des ports français.
- Nécessité pour les ports de pouvoir utiliser le double levier : droits de port + tarifs domaniaux.
- Gouvernance déjà remise en cause par la réforme de 2008 (digestion difficile).
- Double emploi du projet avec le projet de Directive sur les concessions (projet publié en 2011, applicable aux ports).
- Risque d'entraîner de nouvelles surcharges administratives contre-productives pour l'efficacité des ports.
Critiques françaises.
- Pilotes : pour la FPPM, "le pilotage a vocation à assurer la sécurité maritime et la fluidité du passage portuaire et n'a rien à faire dans ce projet de règlement".
(ndlr : in fine, service non inclus dans le projet de Directive)
- Ports : "les ports français sont opposés à la proposition de règlement".
- Dockers : hostiles, crainte de dumping social, "une libéralisation à la dérobée ne sera pas tolérée", "nous avons réussi à les bloquer et nous les bloquerons encore".
- Conseil des ministres du 10 juin 2013 : réserves exprimées par la France.
- Assemblée nationale : le 12 juin 2013, rejet de la proposition par la Commission des Affaires européennes.
Critiques transnationales.
- EMPA (Association européenne des pilotes) : prévalence nécessaire de la sécurité sur la concurrence selon l'EMPA.
- ESPO (Ports maritimes) : désapprobation du projet : "la diversité des ports rend l'encadrement de tous les ports impossible".
- UKMPG (Ports anglais) : "plus une camisole de force qu'une boite à outils".
- EBA (lamaneurs européens) : "aucun impératif économique ne justifie une telle réglementation".
- Comité économique et social européen critique le projet.
- Pays-Bas : le Parlement remet en question l'opportunité d'un tel projet.
- Belgique : réserve du Parlement (flamand) : exige moins de restriction à la liberté commerciale des ports, notamment en matière de fixation des tarifs.
- Royaume-Uni : remise en cause de la conformité du Règlement par le Parlement au regard du principe de subsidiarité.
- Italie : grande perplexité du Parlement face au manque de précision de certaines notions et interrogation quant à la nécessité d'adopter un règlement.
Mais des critiques favorables également.
- L'EuDA (Association européenne des sociétés de dragage) déclare ne pas vouloir être exclue du règlement : "Nous nous sommes battus pour la libéralisation des services portuaires, pourquoi en serait-on exclu dans notre propre continent ?"
- L'ECSA (Armateurs européens) soutient l'initiative de la Commission mais "pas l'exclusion de la manutention, du service aux passagers et du droit du travail qui ne peuvent être isolés".
- ETA (Remorqueurs européens) : "ne pas inclure la manutention et le service aux passagers est en contradiction totale avec les problèmes identifiés qui justifient l'action de la Commission".
- L'AVENIR.
- Quel calendrier ?
- 10 juin 2013 : saisine de la Commission parlementaire (TRAN/7/12830).
- 30 septembre 2013 : début des discussions du projet en Commission.
- 26 novembre 2013 environ : présentation du projet amendé.
- 3 décembre 2013 : date limite pour remise des amendements.
- Février 2014 environ : vote en Commission.
- 12 mars 2014 : date indicative de vote en session plénière.
- L'avenir : un vote compromis ?
- Election de mai 2014 : renouvellement politique de la Commission.
La couleur politique du Parlement aux élections déterminera la composition de la prochaine Commission et sa position sur la réforme.
- Janvier – juin 2014 : présidence de l'UE par la Grèce (les autorités portuaires grecques semblent favorables au projet).
- MAIS, juillet – décembre 2014 : présidence par l'Italie (opposée au projet).
- Il reste qu'une majorité qualifiée au Conseil européen est nécessaire pour que la proposition soit adoptée. Or, plusieurs États y sont hostiles.
- Si 1/3 des Parlements nationaux adopte un avis motivé contre la proposition (comme la France), la Commission européenne devra réexaminer son projet.
Rappel du processus législatif Européen
Note du signataire :
Lors de la discussion qui a suivi la présentation de Maitre Brajeux, le signataire lui a indiqué qu'il pouvait ajouter l'Afcan à la liste des opposants au projet. En effet, l'Afcan n'était pas, elle non plus, favorable à ce projet notamment concernant plus particulièrement le service de pilotage.
Claude PELTIER
Membre associé de l'AFCAN
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