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OMI : 100ème session du Comité juridique (LEG 100)

 

       La 100ème session du Comité LEG de l'OMI s'est tenue à Londres du 15 au 19 avril 2013. L'ordre du jour comprenait divers points d'un caractère essentiellement juridique, cependant nous ne rendons compte ici que de la partie qui intéresse directement l'AFCAN, à savoir un projet de Directives destinées à aider les capitaines dans le cas d'infraction pénale grave commise à bord. Les délégués de la Représentation Permanente de la France à l'OMI ont tenu à remercier l'AFCAN de sa présence, montrant leur intérêt pour toutes les remarques, suggestions et commentaires que celle-ci était amenée à formuler.

La délégation française était composée de :
  • S.E. Mme Odile Roussel, représentante permanente de la France auprès de l'OMI, et de Mr Charles Henri de Barsac, représentant permanent adjoint,
  • Mr Thomas Biju-Duval, diplomate, spécialiste du droit de la mer au ministère des Affaires étrangères,
  • Mr Fabien Joret, juriste à la mission de la flotte de commerce,
  • René Tyl, captain, conseiller, membre de l'AFCAN.

Séance plénière d'ouverture

Préambule

       La séance du 15 avril a été consacrée en majeure partie à l'examen du point 7 de l'ordre du jour, document présentant un projet de Directives relatif « au rassemblement et la sauvegarde des éléments de preuve après l'allégation qu'une infraction pénale grave aurait été commise à bord du navire, ou après la notification qu'une personne est portée manquante à bord d'une part et au soutien moral et médical des victimes d'autre part ».
       Au préalable le président du Comité a rappelé que l'Assemblée, lors de sa 27ème session avait adopté la résolution A.1058 (27) concernant ce sujet. L'Assemblée avait noté que de telles orientations, bien que facultatives, aideraient les armateurs et les capitaines de navire à coopérer avec les autorités compétentes chargées de mener les enquêtes, contribueraient à renforcer l'efficacité des enquêtes pénales en cas d'infraction pénale grave ou de personne portée disparue à bord, et accéléreraient la coopération et la coordination entre les autorités chargées de mener les enquêtes, conformément au droit international. Par cette résolution, elle invitait les États Membres à soumettre au Comité juridique des propositions pour que ce dernier puisse examiner les questions soulevées dans la résolution.
       Lors du précédent Comité juridique (LEG 99), la délégation du Royaume-Uni avait présenté un projet de Directives fondé sur celles du MSC en vue de faciliter la conduite d'enquêtes sur les délits de piraterie et de vol à main armée à l'encontre des navires, et avait invité le Comité à ajouter un résultat sur les orientations à suivre après l'allégation qu'une infraction pénale aurait été commise en mer. A la demande du Comité, le Royaume-Uni a mené, pendant l'intersession, des travaux avec les délégations intéressées, basés sur les Directives existantes du MSC et adaptés pour viser les questions particulières concernant d'autres infractions pénales présumées en mer et contenant des éléments d'orientations sur les mesures à prendre au cas où une personne serait portée manquante à bord et sur le soutien moral et médical des victimes.

Examen du point 7 de l'ordre du jour

Le document présenté au Comité était soumis par le Royaume-Uni, l'Association internationale de croisière (CLIA), la Fédération internationale des capitaines de navires (IFSMA), qui d'ailleurs à aucun moment, n'a demandé l'avis des associations nationales de capitaines la composant, et l'Association internationale de la police des ports et des aéroports.
Ce texte se composait des paragraphes suivants :
  • Coopération entre États ;
  • Rôle du capitaine ;
  • Personnes disparues ;
  • Allégations de crime ;
  • Communications ;
  • Soin moral et médical des victimes.
Les auteurs du document laissaient en outre ouvertes plusieurs questions de fond relatives à la compétence de l'État côtier :
  • l'interdiction pour les personnes déjà condamnées pour crime grave de monter à bord,
  • la possibilité pour le capitaine de confisquer des objets ou de mener des interrogatoires sans d'abord contacter des agences d'enquête,
  • la possibilité de définir précisément la liste des crimes visés,
  • l'inclusion dans le texte de la disposition sur l'absence de responsabilité du capitaine.
       D'une façon générale, le document a reçu un accueil de principe favorable de la part de centaines de nations et diverses ONG présentes. Dès l'abord, le Comité a retenu que les Directives devraient être aussi brèves et précises que possible, car elles seraient utilisées par des personnes qui ne connaîtraient pas bien ces questions et qu'elles devraient indiquer dès le début que le capitaine devrait demander rapidement un avis aux services de police. La CLIA, appuyée par l'IFSMA, a fait observer qu'il était important que les Directives traitent de la période qui s'écoule entre le moment où une infraction pénale est commise et celui où l'enquêteur monte à bord.
       Le Comité a ensuite examiné les questions de fond soulevées par le Royaume-Uni, la CLIA et l'IFSMA (cf. supra), au sujet desquelles les points de vue suivants ont été exprimés :

  1. La reconnaissance de la compétence des États côtiers

  2. Pour beaucoup d'États dont la France, la question de la compétence étant complexe, il serait important d'aligner les dispositions des Directives sur celles de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS). Pour d'autres, il faudrait en priorité encourager la coopération entre les États intéressés qui peuvent avoir des compétences concurrentes.

  3. L'interdiction de monter à bord pour les personnes déjà condamnées pour agression sexuelle

  4. Pour l'AFCAN, comment empêcher ces personnes d'embarquer, et qui serait responsable si une telle personne se retrouvait quand même à bord ? Il y aurait lieu soit de clarifier cette question, soit de la supprimer, tant la réponse paraît évidente. Tenant compte de l'avis de l'AFCAN, la France a signifié que ce propos ne devait pas être maintenu dans le document.
    Pour les États Membres, il serait impossible de mettre en œuvre une telle interdiction, pouvant constituer une atteinte aux droits de l'homme, et il faudrait laisser la compagnie en décider.

  5. Le droit du capitaine de confisquer des éléments de preuve ou de mener des entretiens sans avoir prévenu les autorités de police

  6.        Concernant la confiscation des éléments de preuve, l'AFCAN avance la nécessité de régler cette question, chaque État (pavillon, côtier, victime) pouvant avoir un point de vue différent. Quant à la question de ne pas avoir commencé par prévenir les autorités adéquates, pour l'AFCAN le capitaine ne peut pas être mis en faute. La France s'est exprimée sur ces points en déclarant que le capitaine devrait avoir un pouvoir très important.
    De l'avis des États Membres, le capitaine devrait avoir le pouvoir de prendre toutes les mesures légitimes, en agissant en concertation avec les services de police. Pour d'autres, il lui faudrait peut-être prendre contact avec les États du pavillon. A ce sujet, l'AFCAN a remarqué qu'il n'était pas fait mention du CSO dans ce texte, et avait suggéré à la délégation française que l'appel pourrait être fait par le capitaine vers le CSO ; celui-ci aurait alors la charge de prévenir les autorités compétentes (État du pavillon, État côtier, et État de la victime).

  7. L'opportunité de définir une liste des infractions pénales

  8. Pour la majorité des États Membres, il n'est pas nécessaire d'inclure une liste des infractions pénales dans les Directives, ni d'y définir l'infraction pénale.

  9. L'inclusion dans le texte de la disposition sur l'absence de responsabilité du capitaine

  10. La question était de savoir si le capitaine et l'équipage étaient responsables des éventuelles insuffisances de la sauvegarde des éléments de preuve. Dans l'ensemble les États Membres sont convenus que le capitaine et l'équipage ne devraient pas être responsables car ils ne sont pas formés à la conduite des enquêtes. Néanmoins certains, dont la France, ont fait remarquer que des limites devraient être instaurées, en particulier dans le cas de destruction volontaire des éléments de preuve.
       Compte tenu de l'importance du sujet et des nombreuses questions soulevées par les États Membres, le Comité a décidé de constituer un Groupe de travail, le seul de la session LEG, auquel il a confié le mandat d'élaborer plus avant le projet de Directives en question.

Rapport du Groupe de travail

       Le Groupe de travail s'est réuni du 15 au 17 avril sous la présidence de Mme Katy Ware (Royaume-Uni). Il était composé des représentants de 34 États Membres et des représentants de 5 ONG (ICS-IFSMA-CLIA-ITF-Nautical Institute). La délégation française était représentée par Fabien Joret et René Tyl. L'IFSMA était représentée par Mr Charles Boyle, « barrister », directeur du service juridique de Nautilus UK (1)». A noter que le représentant du Nautical Institute était le captain François Laffoucrière, pilote du Havre, docteur en droit.
Les débats ont été longs et fructueux, portant tant sur le fond que sur la forme. La France dont les critiques et suggestions ont été appréciées par la présidente du Groupe, a eu tout loisir de s'exprimer sur le projet de Directives.

Parmi les principales décisions du Groupe, on notera :
  • la modification du titre du projet de Directives : « sauvegarde et recueil des éléments de preuve » au lieu de « rassemblement et sauvegarde des éléments de preuve », compte tenu du fait que le capitaine, les officiers et l'équipage d'un navire ne sont ni des officiers chargés de faire respecter le droit pénal, ni des professionnels des enquêtes sur les lieux du crime ;
  • la suppression du terme « victime » dans le paragraphe concernant le soutien moral et médical des victimes, les personnes affectées par une infraction pénale grave pouvant préférer ne pas être désignées comme victimes, et celles concernées par une telle infraction et ayant besoin de soutien moral et médical étant aussi témoins de cette infraction.
Le Groupe a passé en revue le projet de résolution, constatant qu'il faisait référence au texte de la résolution A.1058(27), et tenu compte des points de vue exprimés en plénière concernant l'interdiction d'embarquer en tant que membre de l'équipage ou passager aux personnes ayant fait l'objet de condamnation pour agression sexuelle.
Le Groupe a entrepris une analyse détaillée du projet de texte des Directives, faisant remarquer en particulier que les Directives ne devraient pas être interprétées comme établissant une quelconque responsabilité, pénale ou autre, du capitaine, des officiers, ou de l'équipage lors de la préservation et/ou de la manipulation des éléments de preuve ou des indices connexes. Il a aussi décidé de ne pas inclure de liste des infractions dans le projet de Directives, insérant à la place un texte général sous la rubrique « infractions pénales graves qu'il faut notifier ».
Concernant les appendices, le Groupe a estimé que le texte de la circulaire MSC.1/Circ.1404 élaboré pour faciliter la conduite des enquêtes sur les délits de piraterie et de vol à main armé à l'encontre des navires pouvait être utilisé par les capitaines en même temps que les avis donnés par les autorités compétentes.
En conséquence, le Groupe a demandé au Comité d'approuver le nouveau titre du projet de Directives, le projet de Directives et le projet de résolution connexe aux Directives.

Séance plénière de clôture

       Le rapport du Groupe de travail, présenté par Mme Katy Ware, a été examiné en séance plénière le 18 avril. La majorité des États membres, dont la France, les Iles Cook, les Iles Marshall, la Nouvelle Zélande, la Suède, la Grèce, le Panama, les Bahamas, le Venezuela, l'Australie, la Turquie, le Danemark, ont félicité la présidente pour son excellent travail, et ont déclaré que le texte devrait être adopté dans son intégralité et transmis à l'Assemblée sous forme d'une Résolution.
La France, par l'intervention de Mme Roussel, a proposé dans le paragraphe consacré au « rôle du capitaine », que ce soit l'État du pavillon, plutôt que le capitaine, qui notifie l'allégation aux États intéressés, et souhaité que son observation soit prise en compte. Le Panama a demandé que dans le paragraphe concernant la coopération entre États et parties intéressées, il soit fait référence à la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS).
Le Comité a pour autant jugé que le texte constituait un compromis délicat qu'il ne fallait pas modifier. Il a approuvé le rapport du Groupe de travail dans son ensemble, et décidé que le projet de Directives serait renvoyé à l'Assemblée pour adoption à sa 28ème session.

Projet de résolution de l'Assemblée

       Le projet de résolution de l'Assemblée approuvé par le Comité stipule entre autre que :
« L'Assemblée prie instamment les Gouvernements Membres de prendre connaissance des Directives jointes en annexe, et de recommander aux propriétaires de navires, aux exploitants de navires et aux capitaines de navires :
  • d'aider à rassembler et à sauvegarder les éléments de preuve après l'allégation qu'une infraction pénale aurait été commise à bord d'un navire ou après la notification qu'une personne manque à bord, en notant que la compétence en matière pénale devrait être exercée conformément au droit international, et
  • d'apporter un soutien moral et médical aux victimes ».

Projet de Directives

relatives à la sauvegarde et au recueil des éléments de preuve après l'allégation qu'une infraction pénale grave aurait été commise à bord d'un navire ou après la notification qu'une personne manque à bord et au soutien moral et médical des personnes concernées.

En introduction, il est rappelé en particulier que :
  • les Directives ont pour principal objet d'aider les capitaines entre le moment où il est notifié ou découvert qu'une infraction pénale grave a pu être commise et celui où les services de police ou autres enquêteurs spécialisés dans les enquêtes interviennent sur les lieux mêmes d'un délit.
  • le capitaine n'est pas un enquêteur spécialisé dans les enquêtes sur place et n'agit pas en qualité d'agent chargé de veiller au respect du droit pénal lorsqu'il applique les présentes Directives.
  • enquêter sur des infractions pénales graves commises en mer pose des problèmes particuliers en raison des différentes entités susceptibles d'intervenir, notamment les États du pavillon, mais aussi les États côtiers, les États du port et les États dont les personnes se trouvant à bord sont ressortissantes.
Le projet de Directives comporte plusieurs paragraphes dont l'essentiel est résumé infra :
  • infractions pénales graves : décès ou disparition suspecte, délit entraînant des lésions corporelles graves, agression sexuelle, comportement mettant en danger la sécurité du navire ou bien la perte d'une somme d'argent élevée ou de biens de valeur.
  • coopération et la coordination entre États et parties intéressées : celles-ci devraient être assurées d'une manière conforme au droit international.
  • personnes portées disparues : si la personne portée disparue n'est pas retrouvée, il faudrait suivre les procédures pertinentes d'urgence à bord du navire et en informer l'organisme de recherche et de sauvetage compétent (manuel IAMSAR). Au cas où la personne a disparu en raison d'un délit pénal, il faudrait suivre les indications des autres sections des Directives.
  • soutien moral et médical : toutes les personnes victimes d'une infraction pénale grave présumée méritent que l'on prenne leurs allégations au sérieux et devraient bénéficier d'un soutien moral et médical selon les circonstances. Dans le cas d'agressions sexuelles et d'agressions physiques graves : respect de la décision des personnes concernées de faire part de leurs allégations, soutien de ces personnes, protection contre toute nouvelle agression. Dans le cas de tentative ou de menace de suicide, le capitaine devrait tenter de protéger la personne concernée et la traiter avec sollicitude et respect. Il devrait demander avis soit auprès du personnel médical s'il est présent à bord, soit au travers d'une consultation médicale par radio ou auprès de tout autre personnel médical disponible par le biais de l'État du pavillon ou d'autres autorités. Si la personne concernée doit être débarquée, le capitaine devrait coordonner une telle mesure avec l'État du pavillon, l'État côtier et/ou l'État du port selon ce qu'il convient.
En conclusion, il nous a paru opportun de citer in extenso le paragraphe concernant le rôle du capitaine :
  • « Le rôle primordial du capitaine, qui consiste à assurer la sécurité des passagers et de l'équipage, devrait primer sur d'éventuelles préoccupations relatives à la sauvegarde ou au recueil des éléments de preuve.
  • En cas d'allégation d'une infraction pénale grave qui aurait été commise à bord d'un navire, le capitaine devrait, dès que possible, faire part de l'allégation à l'État du pavillon. Il devrait signaler aussi l'allégation aux États intéressés et aux parties en cause, y compris les services de police.
  • Il est admis que le capitaine n'est pas un professionnel des enquêtes sur les lieux du crime et que l'équipage et les moyens de sauvegarder et de recueillir les éléments de preuve pourraient être limités selon le type de navire.
  • Le capitaine devrait s'assurer qu'il est dûment pris soin des personnes concernées et prendre des mesures pour sauvegarder les éléments de preuve en suivant l'avis des personnes compétentes, y compris les services de police.
  • Le capitaine devrait s'efforcer d'isoler les lieux de l'infraction pénale en question dès que possible, avec comme principal objectif que des enquêteurs professionnels puissent faire leur travail. La meilleure solution pour sauvegarder les éléments de preuve consiste à sceller les lieux et à interdire à quiconque d'y pénétrer. Ainsi, si un incident a lieu dans une cabine, la meilleure solution consisterait à en verrouiller la porte, à placer la clé dans un lieu sûr et à afficher des avis indiquant que l'accès à cette cabine est interdit.
  • Si un incident se produit en un lieu qui ne peut être scellé, le capitaine devrait s'efforcer de recueillir les éléments de preuve en suivant les instructions qui peuvent être données par l'administration de l'État du pavillon, ou à défaut par les instructions données par les services de police. Tout en reconnaissant que le recueil des éléments de preuve ne sera probablement effectué que dans des circonstances restreintes et exceptionnelles, le capitaine pourrait appliquer en pareil cas les techniques et procédures décrites en appendice.
  • A la suite d'une allégation relative à une infraction pénale grave, et en vertu de l'autorité qu'il exerce à bord du navire, le capitaine devrait établir une liste des personnes pouvant fournir des informations et les inviter à consigner leurs souvenirs des faits dans le formulaire joint en appendice. Toute personne peut refuser de décrire son souvenir des faits. Dans la mesure du possible, le capitaine devrait tenter d'obtenir des renseignements précis sur les personnes susceptibles d'avoir des informations sur un délit allégué ou sur une personne portée disparue, de manière que des officiers de police ou autres enquêteurs professionnels puissent se mettre en rapport avec elles.
René TYL
Membre de l'AFCAN
(1) : British trade union representing shipmasters, officers and cadets serving on merchant ships.


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