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Étude comparative sur la fonction de la personne désignée ISM (la DPA)
dans une compagnie de navigation en fonction de ses opérations internationales

Page du code ISM Nº 58

Introduction

La compréhension du rôle de la personne désignée ISM dans la structure d'une compagnie de navigation est toujours source d'interprétations diverses, ce qui ne facilite pas notre environnement de travail que l'on soit capitaine de navire, directeur général d'une compagnie maritime, grande ou petite, expert prodiguant du conseil auprès des compagnies ou encore agent de l'administration du pavillon ou d'une organisation certificatrice agréée par cette même administration (RO).

Une étude pour clarifier semble donc nécessaire. Nous étudierons le statut de la personne désignée tel que décrit dans le code ISM et les circulaires d'application consécutives édictées par les comités compétents de l'OMI et qui s'appliquent aux navires dits SOLAS (+ de 500 GT et pratiquant une navigation internationale) et celui tel que décrit dans les autres codes existants s'appliquant à des navires plus petits dits « non SOLAS », soit :
  1. Responsabilité de la DPA dans le code ISM et la littérature correspondante
  2. Responsabilité de la DP dans le DSM Code au Royaume Uni (Domestic Passenger Ships Management/ DSM)
  3. Responsabilité de la DP dans le Workboat code 2019 au Royaume-Uni (navires de charge supérieur à 500 GT)
Première constatation : Une organisation, des objectifs et une mise en œuvre similaires mais néanmoins avec des DIFFERENCES notables dans les responsabilités de la DPA entre les deux codes.

  1. Rôle particulier de la personne désignée dans le code ISM
  2. Suggérée en Grande-Bretagne dès 1986 après la perte du Gainville dans une « Merchant Navy Notice 1188 » dans un objectif de « good ship management practice in safe ship operations », puis entérinée telle quelle dans la résolution 741 - acte de naissance du code ISM - la personne désignée à terre avait, dès le départ, la responsabilité de surveillance des aspects techniques et sécurité des opérations des navires de la compagnie afin d'apporter l'appui des services à terre en cas de besoin tout en donnant des instructions claires au capitaine afin d'assurer une bonne communication entre le navire et les services à terre.
    Il s'agissait déjà d'une fonction complètement nouvelle qui sortait du classique :
capitaine d'armement responsable sécurité compagnie capitaine
    Cette recommandation du pavillon avait apparemment été peu suivie, c'est ce que dit le rapport du tribunal de Londres dans sa décision du 24 juillet 1987 sous la signature de Mr Justice SHEEN, car les armateurs britanniques et en particulier ceux du Heald of Free Enterprise (HOFE) qu'il jugeait, estimaient qu'ils étaient déjà en conformité en oubliant l'absence d'instructions claires pour la sécurité des opérations dans cette compagnie.

    En fait, à aucun moment, il ne s'agissait de confier à la personne désignée la responsabilité de la sécurité des opérations des navires qui restait entre les mains des officiers du bord sous le commandement du capitaine en suivant les instructions de la compagnie et donc de ses directeurs transversaux, comme dans toutes les compagnies du monde. Les termes employés sont précis : il s'agit de surveiller (oversee) d'une manière continue (monitoring) les aspects sécurité et protection de la pollution des opérations des navires.

    Le code ISM créé quelques années après, a repris pratiquement les termes de la Notice 1188 en commençant par une liaison sûre avec le plus haut niveau décisionnel, le monitoring (surveillance) pour les aspects sécurité et prévention de la pollution des opérations de chaque navire et en y ajoutant l'assurance du soutien adéquat au navire en ressources/aide des services à terre. Cet étrange « monitoring » qui contient un aspect de surveillance continue, a aussitôt provoqué de nombreuses discussions techniques surtout chez les Anglo-saxons qui en étaient pourtant les « inventeurs » et cela certainement parce que cette notion de « surveillance » était assez nouvelle dans une si vieille industrie largement dominée par ces mêmes Anglo-saxons.

    Comment va-t-on créer ce contrôle permanent des activités des navires dans une démarche proactive ? Les différents rapports effectués en cours de voyage ne suffiront donc plus (démarche typiquement réactive) ! Il fallait donc inventer quelque chose de totalement nouveau.

    C'était effectivement le cas et changeait finalement le « statut de semi-liberté » dont jouissait le navire (et son capitaine) loin de ses bases.
On s'attaquait donc à des traditions presque antédiluviennes, vous comprenez certainement que ce code ISM tout neuf allait avoir du « vent-de-bout » du côté des capitaines anciens mais aussi auprès des sempiternels capitaines d'armement qui avaient traditionnellement, et jalousement, la partie sécurité sous leur responsabilité.

Selon le raisonnement de l'OMI, les armateurs allaient y trouver intérêt en créant ainsi une personne à terre en charge de contrôler les aspects sécurité, même à distance, des opérations du navire.

Mais en lisant un peu mieux le texte du code, ils se sont rapidement aperçus que suite aux conclusions du rapport de l'accident du HOFE, leurs responsabilités étaient à présent mises en avant (tous les paragraphes du code commencent par "la compagnie devrait") tout en précisant encore le rôle primordial du capitaine mais pas que ... *
    Dès la sortie du code, l'ICS avait aussitôt publié des « guidelines » comme elle en a la bonne habitude, et pour elle, qui avait grandement participé au groupe de travail, la chose était entendue : "The task of implementing and maintaining the SMS is a line management responsibility. Verification and monitoring activities should be carried out by a person independent of the responsibility for implementation" **

    C'était tout simplement le concept de l'entreprise moderne : tenter d'éviter dans les aspects santé et sécurité au travail, les défaillances dans la chaîne décisionnelle en assurant un monitoring indépendant le long de cette chaîne.

    Pour l'OMI, la chose était donc entendue, mais pour les autres ?

    En effet il reste une poignée d'irréductibles qui refusent ce concept et continuent à considérer que la DPA est responsable de la sécurité via sa responsabilité d'implémentation du SMS : En fonction du concept ci-dessus cette interprétation n'a aucun sens aujourd'hui.

    En conclusion partielle, bien comprise, la fonction de personne désignée a du sens bien que dans les tendances du XXIe siècle et même si une confusion persiste, elle reste marginale et ne peut être que le résultat d'un concept archaïque de management des entreprises, effrayées d'une apparente perte de pouvoir mais aussi d'une incroyable peur de voir une surveillance indépendante s'installer à leurs côtés.

    Nous en parlons depuis longtemps et il serait exagéré de s'étendre à nouveau sur ce point.

    Ne s'appliquant qu'aux navires SOLAS, le code oubliait donc les navires plus petits et réglementation oblige, ceux restant dans des liaisons de cabotage (voir la page du code ISM N°56, Afcan Informations N°134)

    Ce genre d'oubli ne pouvait satisfaire l'industrie maritime, et une réglementation comparable ne pouvait qu'être créée afin de garder tout le sens du pourquoi du code : améliorer le management de la sécurité dans les compagnies et leurs navires. N'avait-on pas prévu tout cela ? Relisez le paragraphe 1.3 du code : les prescriptions du code peuvent être appliquées à tous les navires.

    Peut-être considéré comme inatteignable par une partie de la profession, le code ISM a un peu maigri dans des tentatives d'application à des navires plus petits ne pratiquant pas la navigation internationale.

    Comme souvent, nos amis Anglo-saxons ont été les premiers à réagir en commençant par les petits navires à passagers assurant les liaisons ou les promenades le long des côtes.

  1. Rôle de la personne désignée dans le DSM code (Domestic safety management)
  2. Lorsque la MCA (UK) a publié en 2001 son code pour Domestic Passenger Ship (revu en 2017 et appelé DSM - Domestic Safety Management) présenté comme une sorte de code ISM pour petits navires transportant plus de 12 passagers le long des côtes, le rôle de la personne désignée est apparu modifié. Ref : MSN 1869 (amend 1) et MGN 536 directives correspondantes pour l'application (amend 3).

    La principale différence concerne l'organisation de la compagnie avec la responsabilité de la ou des personnes désignées en ce qui concerne la santé et la sécurité.

    En fait, si l'on organise à chaque fois la sécurité selon un canevas logique du code ISM adapté, ici apparaît la santé qui est complètement absente du code ISM lui-même.

    Pour ceux qui ont un peu l'habitude des systèmes de management, la santé du marin reste un tabou car elle est liée très souvent à la fatigue alors que dans les causes des accidents, le facteur fatigue apparaît très souvent sinon à chaque fois.

    Que les Britanniques aient exigé une personne désignée pour gérer cela, sans trop de détails toutefois, est assez significatif. Le siècle actuel sera certainement celui où on découvrira comment mesurer la fatigue sans pour cela avoir des électrodes sur la tête de l'officier de quart. (ref: projet MARTHA).

    Rôle de la DPA dans le cas du DSM :
Appelée DP (Designated Person) les responsabilités ressemblent à celles de la DPA du code ISM : « monitoring of safe operation of ships » avec la responsabilité de l'application des exigences de santé et sécurité au travail contenu dans les règles de 1997 existantes (Health & Safety at works).

Comme on peut le voir, le secteur santé en fait partie. Et cela c'est bien nouveau, ce que l'OMI n'a pas pu faire, l'administration britannique l'a fait.

Inclure la santé du marin dans un système de management mérite une étude spécifique au-delà de ce que l'OMI a déjà fait et qui ne concerne que la prévention de la fatigue par différents instruments :
La circulaire MSC.1/Circ.1598- STCW VIII/1, la résolution sur les effectifs et en final, l'OIT dans la MLC 2006 sur la durée du travail et le repos effectif à bord.
    NB : Evoquer la santé surtout après une pandémie où les marins embarqués ont été traités pire que des lépreux n'est pas simple. Le terrain était déjà jugé brûlant pour les armateurs depuis toujours et la pandémie n'a rien arrangé même si les armateurs dans ce cas-là n'y sont pas pour grand-chose.

    Afin de gérer la fatigue du marin et après des études pratiques genre Martha ou Horizon, il est aujourd'hui recommandé au sein du SMS de la compagnie de mettre en place, en annexe, un FRMS (fatigue risk management system) que l'on verrait beaucoup plus sur des long-courriers que sur des vedettes à passagers en eaux plus calmes. Mais pour contredire cela, la fatigue du marin est souvent concentrée sur des navires petits et gros, en liaisons courtes où, finalement le seul moyen que l'on ait trouvé est de diminuer les heures de travail de ceux qui dépassaient allègrement souvent les 80 heures/semaine.

    Cependant, gérer la santé du marin sur le seul plan de la fatigue ne serait pas suffisant même si la fatigue reste l'élément primordial dans la prévention des accidents.

    La santé tout court du marin est basée sur une aptitude à la navigation assez générale et réexaminée que tous les 2 ans alors que la vie nous prouve tous les jours que la santé du marin n'est pas meilleure que celle du terrien et qu'elle peut décliner subitement et dépasser largement les compétences du capitaine, de son Médical III et de la pharmacie succincte du bord.

    Il n'y a pas beaucoup de solutions au milieu de l'océan mais beaucoup plus en rotations courtes et rapides et il serait souhaitable que le SMS mette en avant, de manière obligatoire, par exemple dans un manuel de familiarisation au navire ou via une procédure particulière, que le marin mal à l'aise ou anormalement fatigué s'en ouvre à son capitaine pour se faire remplacer d'abord et assurer ensuite une consultation auprès d'un médecin ou dans un hôpital proche.

    En conclusion partielle, on voit que la DP ici joue le même rôle que la DPA mais d'une manière plus pratique. On pourrait penser que pour des vedettes à passagers assurant des petits voyages souvent à vocation touristique, on aurait pu diminuer un peu plus un système de management que les long-courriers estiment déjà exagéré. Il n'en est rien car il faut savoir que si l'administration (y compris britannique) délègue assez facilement ses responsabilités de contrôle aux RO, il n'en est pas de même pour les navires à passagers. C'est la peur de l'impact des conséquences d'un accident de NAVPAX toujours meurtrier sur des petits navires transportant jusqu'à des centaines de passagers plus ou moins jeunes, tout simplement.

    Enfin, vous aurez remarqué que les Britanniques qui voulaient (sans succès) absolument insérer santé et sécurité dans le code ISM (dans le sens protection de la santé et prévention des accidents), ont persisté en l'exigeant pour leurs propres navires le long de leurs côtes, ce qui a du sens.

  1. Rôle de la personne désignée dans le « mini-code ISM »
  2. Lorsque la MCA a publié en 2009 son code pour Large yachts (qui en est à sa 3e édition aujourd'hui) dans lequel une annexe proposait un système de management pour des navires en-dessous de 500 GT, une autre interprétation du rôle de la personne désignée à terre est apparue.
    NB : Dernièrement cette annexe est parue dans un autre ouvrage appelé : the Workboat Code (ed 2 amend 1).


    Cette répétition du code pour navire de charge de moins de 500 GT est assez significative. En effet les parcs éoliens ou hydroliens se multipliant assez rapidement tout autour des Îles britanniques et ailleurs, il devenait urgent de se préparer à une arrivée non pas uniquement de navires d'installation, mais surtout de navires de maintenance offshore qui opéreront en permanence sur les lieux.

    En annexe 7 de ce code on trouve des directives pour la mise en place d'un système de management à bord de ces « navires de travail » inférieurs à 500 GT auparavant placé à la suite du code pour les grands yachts commerciaux.

    Cela manquait c'est vrai, mais, surprise, une autre définition du rôle de la ou des personnes désignées apparaît.

    En effet, la fonction si particulière de monitoring présente dans les deux versions précédentes disparaît et des notions de responsabilité de santé et sécurité apparaissent pour la ou les personnes désignées (DP).

    Tout se passe comme si on avait simplifié un système de surveillance de deuxième niveau assez sophistiqué mais très sûr, par une responsabilité banale et pour ainsi dire ordinaire d'un responsable en charge de la santé et de la sécurité au sein de la compagnie.

    Même si le mini-code ISM ne le précise pas, il s'agit pour parler pratiquement de la « protection de la santé » d'une part et « prévention des accidents » d'autre part comme la règle 4.3 de la MLC 2006 l'a superbement montré.

    Les marins sont d'ailleurs théoriquement en bonne santé à l'embarquement et tout doit être fait ensuite pour leur éviter des atteintes à leur santé au travail en partant des risques inhérents au travail à bord, jusqu'à la santé mentale.

    NB : les risques liés, au temps passé à bord en quasi-confinement loin de sa famille en passant par les risques liés à la fatigue et au stress auxquels se sont ajoutés récemment les conséquences de la pandémie Covid 19.
En pratique, pour ce genre de petits navires l'organigramme est plus simple mais le « monitoring » d'une personne, à part des directeurs intermédiaires, n'existant plus, on se retrouve à l'époque d'avant ISM. Plus de garde-fou en cas de blocage à ces niveaux comme dans le cas du HOFE, plus de by-pass salvateur !

Nous sommes un peu étonnés de voir cela de la part des Britanniques qui ont inventé la fameuse DPA. Pourquoi ? Parce qu'un navire inférieur à 500 GT est trop petit. Mais pourtant, pour des vedettes à passager encore plus petites, on l'exige, allez comprendre ! Parce que c'est impossible ? Non, ce n'est peut-être pas facile, comme par exemple dans les petites compagnies familiales, mais on y arrive quand même. En effet une personne indépendante des responsabilités purement marines (sécurité des opérations ou maintenance) avec une formation adéquate et de l'expérience peut assurer la fonction de DPA
    même si son indépendance est un peu à la limite de la réglementation … il suffira d'ajouter dans le SMS que les audits internes sont assurés par un expert indépendant et la boucle est bouclée.

    L'organigramme classique ISM d'une compagnie de navigation utilisant des petits navires de moins de 500 GT et qui ne sont pas des navires à passagers, change un peu avec cette nouvelle définition du rôle de DP.

    En conclusion partielle, ce mini ISM est simple et facile à appliquer tout en assurant les éléments indispensables d'un « good ship management » réalisant pour ces petits cargos, ce pourquoi le code ISM a été inventé : la prévention des accidents.
    On peut se demander pourquoi il n'est pas plus répandu. **

En conclusion



La réglementation européenne via le règlement 336/2006 et la directive 45/2009 a aussi pris en compte les navires à passagers de plus de 24 m n'effectuant pas de navigation internationale et il ne reste donc que le cas des petits navires de charge pratiquant une navigation uniquement nationale et les vedettes à passagers de longueur inférieure à 24 mètres.

Aux dernières nouvelles pour ne pas être en reste par rapport aux britanniques, la commission européenne envisagerait à brève échéance une application de l'ISM ou d'un système équivalent, qui serait applicable à tous les bateaux à passagers (rappel navire à passagers : navire transportant plus de 12 passagers) suivant la considération N°8 du règlement 336/2006.

On ne sait pas grand-chose de ce que font les Japonais, mais le naufrage récent d'un bateau d'excursion avec la perte de 26 personnes va probablement rebattre les cartes dans ce pays.

Cette nouvelle exigence européenne, qui pourrait être applicable avant 2027, est de taille et fera grand bruit le long de nos côtes. Pensez au nombre de vedettes traîne-touristes tout autour des côtes en Europe.

*
Certains armateurs avaient craint la disparition du « capitaine bouc-émissaire » si confortable pour eux ! La suite leur a donné tort. Mais on attend toujours un « jugement d'après ISM » où la cellule de prison serait occupée par le directeur de la compagnie qui aurait volontairement ignoré le laxisme sécurité de son entreprise largement en dehors des clous. Lord Justice Sheen aurait dit au patron de P&O propriétaire de Townsend Thoresen « Je ne peux pas vous mettre en prison, car la loi n'existe pas, mais croyez-moi, je le regrette. »
**
Les USA, suite au désastre du Conception, envisagent d'exiger un système de management ISM pour les petits navires à passagers même inférieurs à 100 Tx.
Les Philippines ont aussi un « national management system » pour leurs innombrables petits ferries/roros qui assurent les liaisons avec leurs 7 000 îles, mais apparemment pas pour les petits cargos.
Cdt Bertrand APPERRY
Expert maritime,
Membre de l'AFCAN
bertrand.apperry@orange.fr
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