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Théorie et pratique de l'évaluation des risques en sécurité maritime
versus
la sécurité et la santé des marins
Page du code ISM Nº 53 - 2e partie
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L'horrible fuel HFO 180 ou pire, le 380, le combustible marin le moins cher du marché qui brûle dans les gros moteurs Diesel sont connus depuis longtemps comme des grands responsables de la pollution atmosphérique dans les zones de concentration du trafic et dans les ports aux moments des manœuvres. Les autres combustibles dits légers comme le MDO/Gas oil utilisés au port 24h/24 et par les remorqueurs, pêcheurs et autres navires de servitude polluent aussi, mais un peu moins à ce qu'il paraît.
Contraints et forcés, dans une révision générale de la propulsion des navires, de passer à des carburants moins polluants et ne produisant moins ou plus du tout de CO2 les armateurs accompagnés de leurs fournisseurs sont légitimement perplexes, alors qu’une taxe carbone est dans l’air
Quel combustible choisir et quel sera leur coût et leur disponibilité autour du monde ?
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Tout cela accélère actuellement la recherche du moins polluant en GES, tout en restant le moins cher. Apparemment, cela va être très difficile.
Les moteurs au méthanol, à l'ammoniac ou à l'hydrogène dans des navires hybrides à propulsion électrique sont les machines de demain, tandis que le GNL, peu décarboné, restera le combustible de transition jusqu'à ce que les filières d'approvisionnement des autres combustibles vraiment décarbonés se mettent suffisamment en place pour assurer la fluidité du commerce maritime, qui lui, aura augmenté inexorablement en nombre de navires.
Le navire tout électrique sur des distances moyennes de 100’ et plus, n’est pas pour tout de suite car les projets actuels sont limités par la puissance à développer (voir le projet ELEKTRA de STENA).
Le moteur Diesel, qui fut le «graal» du transport maritime autrefois va donc se transformer.
Car c'est bien de cela qu'il s'agit, les poumons des riverains, et aussi les poumons des marins ou des passagers, dont par ailleurs, on ne parle jamais.
Je suis certain que tous les risques d'incendie/explosion ou tout simplement les risques pathologiques des nouveaux carburants, y compris l'ammoniac, seront étudiés très sérieusement car nous savons déjà les transporter en toute sécurité.
Mais qui se préoccupe de la santé du marin qui va respirer cet air plus ou moins pollué pendant la plus grande partie de sa vie professionnelle ? Et qui a déjà vu les mécaniciens avec un masque respiratoire en permanence sur la figure ?
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Bientôt, une étude de risque obligatoire sur les effets de l'air respiré dans nos compartiments machine et en général à bord du navire
On a su le faire pour l'amiante, même si on a un peu traîné les pieds. Va-t-on lancer prochainement une étude sur la toxicité de l'air dans le compartiment/machine des navires malgré une ventilation d'air conditionné énorme et permanente, en tenant compte que la pureté de cet air sera évolutive en fonction des "petites fuites" des nouveaux combustibles.
- REFERENCES
Pour le moment, pour l'étude de risques de santé dans le cadre du DUP (document unique de prévention), au niveau international en ce qui concerne la santé et la sécurité au travail, il existe depuis longtemps les normes ILO-OSH 2001 qui s'adressent plutôt aux Etats et au travail en général, tandis que les normes OHSAS 18000 venaient proposer une certification volontaire. Depuis, une norme ISO 45001 est récemment venue en concurrence avec ces dernières normes d'origine britannique.
En ce qui concerne le secteur maritime/OMI qui a ses propres risques, introuvables ailleurs, c'est la circulaire MSC-MEPC.2/Circ.3 (SOHSP- Shipboard Ocupational health and safety programme) qui s'appplique, que nous connaissons tous et qui date de 2006 déjà. La convention MLC 2006 est ensuite venue opportunément regrouper les recommandations ILO et finalement exiger une norme de protection de la santé des marins en plus de la prévention des accidents.
En un mot, pour le marins, la convention MLC rend obligatoire la circulaire OMI ci-dessus et c'est bien ainsi.
- IDENTIFICATION DES DANGERS
En ce qui concerne les risques d'accidents il existe depuis 1996 le recueil de l'OIT (ILO code of practice) sur la prévention des accidents à bord que ce soit en mer ou au port puis la règle 4.3 de la MLC 2006 : La liste des risques y est longue (18) et doit servir pour le nouveau DUP.
Il est à noter que ces risques sont répertoriés en principes directeurs B dans la MLC 2006 et ne sont donc pas obligatoires.
En ce qui concerne la santé, à part l'amiante, les bruits et les vibrations, les risques évoqués sont plus subtils et nous les avons vus en première partie de cet article.
La dernière liste proposée par les USCG (CVC WI 004-2 du 30.07 2020) sur la conformité au code ISM comprend 21 situations d'urgence, mais la santé du personnel n'y figure pas.
Mesures de réduction :
Après évaluation, découlent des mesures de réduction des risques de santé obligatoires ou souhaitées comme nous l'avons vu dans la 1ère partie de cet article. Elles peuvent être d'ordre général et de la compétence du capitaine du navire, de son stage "médical III" et comprendre :
- les visites médicales à terre (bisannuelle, pré-embarquement ou en cours de navigation) de la responsabilité de la compagnie ou du crew-provider ;
- avis médical de PURPAN ou d'une consultation vidéo avec un médecin, assurée par la compagnie ;
- un débarquement anticipé en cas de doutes ;
- une surveillance naturelle entre collègues de travail ;
- dans le cadre du SMS, de possibles notifications de fatigue chronique ;
- une demande de conseil à la compagnie (médecin de la compagnie) en cas de doute.
Autres risques oubliés dans tous les textes mais qui s'appliquent aujourd'hui.
Pour les risques psychologiques, leur analyse peut être liée à un stress permanent plus sournois : manque de sommeil normal, perte d'appétit, frustration sexuelle, anxiété pour la famille au loin, avec ses problèmes parfois sérieux et avec l'effet psychologique collatéral de l'imagination du pire et avec des conséquences sur la santé mentale.
On en parle, mais c'est tout.
- LES MESURES DE REDUCTION DES RISQUES
Pour la fatigue on recommande un management de la fatigue dûment intégré au sein du SMS.
Pour les mécaniciens ou les matelots des garages des ferries, les casques de protection des oreilles sont une obligation pas toujours respectée malheureusement.
Pour les risques liés aux gaz d'échappement, c'est bien moins assuré pour le moment, malgré les procédures de la mise en route artificiellement retardée des moteurs de véhicules par les passagers ou chauffeurs de camions.
Quant aux risques mentaux (stress puis dépression) on en est seulement au début de la réflexion, mais depuis longtemps des mesures empiriques ont été occasionnellement prises pour réduire le stress. Au fil des mois d'embarquement, capitaines et armateurs essayaient de distraire leurs membres d'équipage entre deux escales. Des espaces ludiques et autres salles de fitness sont obligatoires et qui n'a pas connu les films avant l'époque des ordinateurs, les clubs navires avec concours de cartes et loterie sur les longs courriers et même les compétitions de football entre navires en escale au temps où elles étaient longues.
Aujourd'hui, ce n'est pas facile à une époque d'escales ultracourtes, avec des équipages réduits et une mixité culturelle et où on ne parle plus que d'une culture de loisir personnelle : liaisons internet avec la famille, réception des nouvelles, pensée positive, conversation et échanges dès que possible, entretien physique nécessaire et règle de gestion du temps disponible.
Comme mesure de réduction du risque, il ne reste que la diminution des périodes d'embarquement tellement appréciée dans les liaisons courtes mais plus que jamais oubliée au long cours.
Pour les bruits, les casques (de bonne qualité) sont rendus obligatoires par la compagnie.
Pour les hydrocarbures et les gaz d'échappement des mesures de réduction ponctuelles peuvent être prises par décision de la compagnie :
- masques et gants pour une intervention sur les moteurs ou scrubbers
- procédure de démarrage retardé des moteurs imposée aux passagers motorisés, et
- ventilation maximale et masques légers filtrants lors du débarquement simultané des véhicules.
Les risques comme vibrations, effets de la fatigue ou du stress et risques mentaux
Cela relève plus du médecin de la compagnie, du médecin des gens de mer, du médecin traitant, et du marin lui-même que de la compétence du capitaine.
Cependant tout comportement anormal devra interpeler les collègues de travail qui informeront alors leur chef de service.
Au capitaine donc, la responsabilité de la visite médicale pré ou en cours d'embarquement, de l'avis radio-médical PURPAN en cours de voyage, de la demande de débarquement, et au minimum de la notification (par exemple au moyen de la fiche REX, en mode confidentiel).
Le retour d'expérience de la pandémie Covid-19 sur la santé des marins n'est encore que partiel.
Mais, on sait que les compagnies ont eu du mal à protéger leurs équipages : refus des ports pour des relèves pourtant programmées, promesses souvent fallacieuses de considérer les marins comme travailleurs clés, absence ou réduction des liaisons aériennes, tracasseries incohérentes pour la sortie à terre du marin ou la période de quarantaine au débarquement.
Résultat : beaucoup de contrats de temps d’embarquement (déjà très longs) ont été doublés et souvent plus, tandis que les marins des relèves à terre attendaient en vain.
Les navires ont eu bien du mal à gérer la pandémie sur place avec une dotation en oxygène médical dérisoire pour le Covid-19.
On ne sait pas encore chiffrer l'augmentation des cas de pathologies mentales dus à la situation du marin empêché de revenir chez lui alors que la pandémie est partout dans le monde. Qui osera faire le bilan des suicides de marins ainsi désespérés ?
Sombres perspectives
Aux dernières nouvelles un certain pourcentage de marins se détournent du métier.
On sait déjà que les prochains amendements à STCW vont relever particulièrement le niveau de recrutement, tout au moins pour les officiers et les mécaniciens et si rien ne change dans l'attractivité du métier, ce n'est pas aisé pour trouver des candidats.
Pour les armateurs la taxe carbone toute récente, l'incertitude de l'approvisionnement et du prix des nouveaux combustibles décarbonés, et en plus le manque de marins compétents, apporte une grande inquiétude en raison des navires de plus en plus sophistiqués utilisant des combustibles nouveaux certainement plus dangereux pour le navire et les membres d'équipage que l'IFO 180.
Même si les taux de fret sont très intéressants en ce moment et vont le rester en raison de la reprise économique, l'avenir n'est pas très enthousiasmant.
- COMMENT INTEGRER CES RISQUES DANS LE DOCUMENT UNIQUE DE PREVENTION ?
Liste des dangers pour la santé du marin embarqué se trouve dans MLC B 4-3.1 (les parties en caractères droits sont celles de la MLC, les caractères en italiques sont des commentaires) :
- dispositions générales et dispositions de base;
On pense à une santé suffisante pour pouvoir embarquer en tenant compte des allergies éventuelles ;
- caractéristiques structurelles du navire, y compris les moyens d'accès et les risques liés à l'amiante;
Accès au navire et aux lieux de travail et évidemment absence d'amiante ;
- machines;
lieux encombrés, bruyants, glissants, air permanent pollué ;
- effets des températures extrêmement basses ou extrêmement élevées
de toute surface avec laquelle les gens de mer peuvent être en contact ;
- effets du bruit auxquels sont soumis les gens de mer dans les postes de travail et les logements à bord
Pendant les heures de repos;
- effets des vibrations auxquels sont soumis les gens de mer dans les postes de travail et les logements à bord ;
- effets des facteurs ambiants autres que ceux visés aux alinéas e) et f) auxquels sont soumis les gens de mer dans les postes de travail et les logements à bord, y compris la fumée du tabac
Le sien et celui des autres fumeurs ;
- mesures spéciales de sécurité sur le pont et au-dessous ;
- matériel de chargement et de déchargement ;
- prévention et extinction des incendies ;
Risques en cas d'incendie (inhalation de fumées, brûlures, manque d'oxygène, chutes lors de l'intervention ;
- ancres, chaînes et câbles ;
Risques lors des manœuvres ;
- cargaisons dangereuses et lest ;
Risques liés à la cargaison IMDG;
- équipement de protection individuelle des gens de mer ;
Adéquation et état des protections individuelles ;
- travail dans des espaces confinés ;
Entrée et travail dans espaces clos ;
- effets physiques et mentaux de la fatigue ;
Strict respect des limites des heures de travail par jour et par semaine/vérifications fréquentes par la DPA ;
- effets de la dépendance envers les drogues et l'alcool ;
Politique compagnie et auto-surveillance par le Capitaine ;
- protection et prévention relatives au VIH/SIDA ;
Education de base/ rappels fréquents/ préservatifs gratuits ;
- réponse aux urgences et aux accidents ;
En tenant compte des risques lors des exercices/ entraînements de préparation.
Et on pourrait ajouter :
- Effets d'une pandémie mondiale
Contaminations à bord et en escale ;
- Risques rattachés ;
Risques lors des transits embarquements/débarquements – risques de chute ou agressions lors des sorties à terre
Cette liste devra évidemment être adaptée à la compagnie, à ses navires et à leurs activités.
EXEMPLE D'EVALUATION DES RISQUES DE SANTE
- EN CONCLUSION
Le spectre du manque d'officiers ces prochaines années, réapparaît encore plus en ce moment, car on cumule le besoin à venir de marins/techniciens de plus en plus spécialisés, que ce soit pour les combustibles nouveaux ou pour les navires de plus en plus autonomes, c'est-à-dire de plus en plus complexes, ainsi qu'en raison des effets désastreux de la condition du marin durant la pandémie.
Pour tous ceux qui trouvent que STCW est déjà trop important et difficile, ils seront surpris par les projets d'amendements STCW 2022.
Le niveau de compétence technique pour les officiers va monter très haut pour rassurer les premiers armateurs (et assureurs) de MASS (Maritime Autonomous Surface Ship) alimentés à l'ammoniac, au méthanol ou à l'hydrogène.
Et on parle même du retour du "réacteur nucléaire à sel fondu" émetteur de zéro carbone qui lui aussi nécessitera des atomiciens compétents à bord.
Tout cela va coûter cher et de plus en plus cher. Les armateurs vont-ils trouver des officiers spécialisés ou atomiciens attirés par les soldes d'aujourd'hui ?
Donc, il faut bien admettre que, même si la marine marchande française a pris un peu plus de temps pour penser «anticipation, évaluation et réduction des risques» y compris pour les risques de santé, aujourd’hui en France, nous sommes assez bien placés. Merci à notre administration de tutelle qui a su enfin bien relayer le règlement Européen et cherche quand même à nous aider dans cette démarche souvent subtile de diminution des risques au niveau tolérable où normalement, le syndrome «low-cost» ne devrait plus exister.
Il y a certainement peu de DUP qui avaient anticipé la pandémie Covid-19 et donc on devrait assister aujourd'hui à une revue mondiale de ces documents, les nouveaux DUP.
Cdt Bertrand APPERRY
AFCAN-HYDROS-IIMS-AFEXMAR
juillet 2021
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