Avant-propos
Tous les officiers de la Marine Marchande connaissent bien le code ISM qui règle aujourd'hui toutes leurs activités professionnelles à bord des navires. Mais les plus intéressés, amis ou ennemis, connaissent-ils vraiment son histoire, alors qu'il a atteint aujourd'hui ses 25 ans, un âge où il n'y a peut-être plus rien à y découvrir ?
Après avoir rappelé son origine nous allons tenter d'analyser les deux piliers les plus mystérieux de cet outil de management fantastique qui sont : la personne désignée avec ses attributions de lien fiable vers la direction, la surveillance des opérations des navires liées à la sécurité/protection de l'environnement, l'assurance d'un soutien nécessaire aux navires (ISM § 4) et le processus de notification: la compagnie doit être mise au courant de tout.
Acte de naissance du code ISM (International Safety Management code)
Né par la volonté des Britanniques à la suite de ce qui fut leur plus terrible expérience d'accident maritime depuis le Titanic, le chavirement du «Herald of Free Enterprise» (HOFE) en mars 1987 à la sortie de Zeebrugge. Ayant chaviré à peine sorti du port, près de 150 passagers et 38 membres d'équipage se sont noyés dans l'eau glacée de la mer du Nord.
Au procès pour homicide involontaire, le juge, l'Honorable Mr Barry SHEEN, n'a pas été tendre, «the board of directors must accept a heavy responsibility for their lamentable lack of directions. Individually and collectively they lacked a sense of responsibility. Failures of the management emerged in the evidence and they are symptomatic of the malaise which infected the company». Cette fois encore il s'agissait d'une accumulation d'erreurs humaines qui auraient pu être traitées en amont et auraient ainsi évité l'accident.
Déjà embryonnaire à cette époque, le code sera renforcé ensuite à l'OMI en vue de mettre un peu d'ordre dans les habitudes de management du navire et en revoyant tous les aspects sécurité des opérations dans un cadre d'autogestion naturelle. Le navire, son équipage et les services à terre suivent à présent les exigences d'un système de management moderne propre à la compagnie dans lequel une
personne désignée à terre (DPA) assure une liaison fiable avec le plus haut niveau de la direction, une surveillance à distance des opérations des navires et s'assure également du soutien nécessaire de la direction au navire et en particulier à son capitaine.
Organisation de la compagnie selon le code ISM
Il s'agit d'appliquer une politique basée sur des objectifs de prévention des accidents s'organisant autour d'une analyse des risques et de tentatives de réduction de ces risques et des conséquences possibles pour les personnes, les navires, leur cargaison et l'environnement marin.
Finalement que ce soient les opérations classiques du navire ou la préparation à répondre aux situations d'urgence, le rappel des responsabilités du capitaine et les compétences de l'équipage ou encore la maintenance, les vérifications internes et la gestion de la documentation, il n'y avait rien de nouveau, sauf cette invention de la personne désignée à terre chargée de surveiller les aspects sécurité de la vie du navire, et en plus, cette organisation de la notification vers les plus hauts sommets de la hiérarchie de la compagnie maritime dans les conditions bien particulières du retour d'information. Enfin, les demandes ou courriers des bords ne doivent pas être ignorés (comme à bord du HOFE) mais bien pris en compte dans toute la mesure du possible.
Quand on connaît les causes principales de l'accident du HOFE comme le manque de communication entre le navire et les services à terre, le code ISM d'une part évite la non-communication entre le navire et la direction de la compagnie et d'autre part crée une surveillance à distance du management du navire.
Pourquoi donc ces deux exigences du code devraient nous interpeller aujourd'hui ?
En fait ce sont les principales nouveautés du code ISM : d'un côté un système parallèle de management avec une personne désignée à terre pour surveiller
la sécurité de l'expédition maritime, par ailleurs confiée à un capitaine suivant l'usage, et de l'autre un processus de
notification effective vers la direction et de
rectification très élaboré, ces deux systèmes étant interactifs.
Tentative d'explication simple :
Le suivi des opérations du navire et la notification vers la direction des ennuis quotidiens à bord posaient rarement de problèmes tant que la confiance régnait entre le capitaine du navire et son capitaine d'armement ou le directeur commercial, comme entre le chef mécanicien et son directeur technique. C'est justement cette perte de confiance qui a conduit le capitaine du HOFE à prendre des risques démesurés, tandis que les notifications d'incidents pouvant mettre la sécurité du navire en jeu restaient ignorées de la direction à terre. Le code a donc créé une structure, un système pour éviter ces défaillances dans le cadre d'un objectif de prévention.
Mais il faut rester conscient qu'il ne peut s'agir que d'un système de secours, en parallèle si on veut, et qui assure la transmission au cas où le système de communication classique et ordinaire ne fonctionnerait pas. C'est un by-pass, une suppléance de communication (backup). Il faut, quoiqu'il arrive, assurer entre les personnes à bord et à terre, une communication efficace ou plutôt, une liaison privilégiée franche dans tous les cas entre le navire et la terre, une belle amélioration quand on pense à l'équipage du Bow Mariner (28 février 2004) ou celui du Costa Concordia(13 janvier 2012), deux accidents terribles qui ont à nouveau mis en lumière ce défaut de communication.
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Tentative d'analyse de fonctionnement optimum de ce système de suppléance
Dans le domaine maritime, la
surveillance des opérations ne peut se faire pour l'instant que via le capitaine lui-même qui conserve un droit presque total sur son navire. Tout repose donc encore sur l'attitude et le comportement du capitaine. Finalement, s'il survient des faiblesses de ce côté-là, on revient à la case départ, sauf à changer le capitaine à temps.
La deuxième partie du système est une tentative de réduction de risque : assurer
un lien entre l'ensemble de l'équipage et la personne désignée au cas où le système de communication normal ne fonctionnerait pas. Ainsi à bord le numéro de téléphone, l'adresse courriel de la personne désignée, sont affichés en grand dans les différents carrés ou lieux de réunion.
A utiliser donc en cas de nécessité seulement.
NB : Bien entendu, une information suffisante aura été communiquée aux membres d'équipage, officiers compris, pour affirmer le côté neutre de la communication (pas de sanction).
Pour ce qui est des opérations critiques du navire comme la navigation en eaux resserrées ou en manœuvre, les procédures de communication entre les acteurs (BRM) qui agissent sur la
gestion des ressources humaines (STCW 2010 ou amendements de Manille) sont seulement en cours d'application à l'heure actuelle. On peut dire qu'on est dans le
réactif longuement réfléchi dans ce métier. *
Depuis la mise en œuvre du code ISM, une nouvelle obligation est venue renforcer cette possibilité de procédure (monitoring) : la MLC 2006 exige que la législation du pavillon couvre les prescriptions relatives à l'inspection, à la notification et à la correction des situations dangereuses dans le cadre de la prévention des accidents du travail via un comité de sécurité à bord (CDS) constitué par le capitaine et les représentants de l'équipage. Ces comités doivent avoir au minimum un avis à donner sur le programme de prévention des accidents et certainement sur la notification correspondante vers la compagnie et donc vers la personne désignée par l'ISM. Mais il y a nombre d'autres liens entre le code ISM et la MLC.
Le chapitre 9 du code ISM (notification) et son lien avec le chapitre 12 (vérifications internes).
Même relativement court, ce chapitre conditionne ce que nous appelons couramment retour d'information ou "notification".
Comme nous l'avons vu précédemment cette exigence fait aussi partie de cette communication verticale navire/compagnie en vue cette fois d'analyser les incidents y compris les near-misses - ou quasi-accidents - afin de prendre des mesures correctives et/ou proactives pour renforcer la sécurité et la prévention de la pollution. Il est clair dans le texte que c'est à la compagnie de trouver les mesures correctives et de vérifier leur application. Cela n'a pas toujours été bien compris malheureusement et de plus, la mise en place d'un tel système de compte-rendu ("reporting") et de rectification des non-conformités n'est pas simple du tout.
L'audit interne est fait pour que la société trouve elle-même les solutions de rectification selon sa propre culture. Les auditeurs du pavillon qui assurent la certification nécessaire de la compagnie et du navire, à part le côté administratif nécessairement limité, ne peuvent connaître les meilleures solutions dans toutes les activités de l'industrie maritime. Certaines compagnies attendaient les audits externes pour réagir, complètement à l'envers finalement.
Il a donc fallu que l'OMI édite rapidement (dès 1995) la résolution A 788 afin de rappeler aux administrations qu'elles devaient «éviter de créer des solutions normatives qui pourraient être en décalage avec celles qui conviennent le mieux à la compagnie et à ses navires».
Aujourd'hui cette résolution en est à sa 4e mouture (Résolution A 1118 du 10 janvier 2018) mais malheureusement, en général, l'intervention des auditeurs de certification des pavillons n'a pas beaucoup évolué.
Aujourd'hui, on trouve quand même une évolution correcte de l'autogestion des non-conformités dans les compagnies, notamment parce que l'organisation du circuit interne de décision s'est améliorée grâce aux circulaires OMI/MSC-MEPC .7 de 2007 et 2008.
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Le Marine Safety Committee est en effet intervenu pour clarifier le circuit entier «non- conformité - notification à la direction - décision d'action corrective - suivi de l'action et fermeture de la non-conformité».
Grâce à la circulaire MSC-MEPC.7/circ.8 mise à jour de 2013 (une circulaire n'est qu'une recommandation), le comité a préconisé en complément de la personne désignée, la nomination d'
une personne au niveau direction, responsable du suivi des actions correctives et de leur fermeture, ce qui correspond d'ailleurs à l'exigence du § 12.7 du code ISM.
Pourquoi l'introduction d'un nouvel acteur dans ce processus ?
Parce que si la procédure «
montée vers le plus haut niveau de direction» était apparemment assez bien comprise, la suite des actions était moins bien appréhendée et la rectification des non-conformités se perdait dans des dédales administratifs sans pour autant savoir qui était vraiment responsable,
tout à fait le résultat inverse de ce que le code ISM tentait de résoudre.
NB : Le chapitre 12.7 du code est logique et bien clair : «
il appartient au personnel d'encadrement responsable du secteur concerné de prendre sans retard les mesures correctives pour remédier aux défectuosités constatées» ce qui correspond également aux actions correctives prévues au chapitre 9 du code et rappelé ci-dessus.
Conclusion
Oui, le code ISM est un système très connu mais on ne peut comprendre ses parties les plus subtiles qu'en connaissant son origine et son histoire.
Premièrement, dans le code ISM, la voie d'information "Personne désignée" vers le plus haut niveau de la direction est une voie parallèle au cas où les voies classiques ne fonctionneraient pas. Donc elle ne fait pas double emploi, elle doit fonctionner en permanence par un monitoring constant.
Deuxièmement, la rectification des irrégularités reste entre les mains de la direction concernée tandis que la structure ISM assure la surveillance.
Pour pouvoir assurer ce contrôle, la personne désignée doit donc être constamment informée de tout et doit donc être en copie de toute communication dans les deux sens : irrégularités et actions correctives, commandes et courrier des navires y compris les demandes de travaux d'arrêt technique et leur réalisation.
Ce qui revient à dire que la DPA ne doit pas être considéré comme un simple superintendant.
* Heureusement que nos collègues de l'aviation commerciale ont réagi plus rapidement après l'accident de Tenerife en mars 1977 (collision de 2 Boeing 747, près de 600 morts, d'un coup). Le CRM (Cockpit Ressource Management) est en vigueur depuis plus de 30 ans dans leur industrie.
Révision 2019
Cdt Bertrand APPERRY
expert maritime AFEXMAR/IIMS spécialisé ISM/ISPS
bertrand.apperry@orange.fr