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Le syndrome Concordia.
Page du Code ISM Nº43
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Généralités
Déjà plus de 7 ans que le Costa Concordia se déchirait un vendredi 13 janvier au soir sur le rocher Scole là-bas en Italie, alors que plus de 3200 croisiéristes passaient du « bon temps » à bord depuis le départ de Civitavecchia.
Le Cdt Francesco Schettino avait programmé le passage devant le petit de port de l'île de Giglio vers 21 h, qui est à bord l'heure où les passagers sont à table pour le dîner … dîner qui est toujours synonyme de «petite fête» à bord de tous les navires de croisière du monde.
Les équipages de tous les navires marchands du monde sont, comme leur compagnie, réglementairement toujours prêts à répondre à toute situation d'urgence (ISM § 8) et, sur un navire à passagers, cela inclus «prêt à gérer» les passagers pour leur sécurité. Gérer les passagers en situation d'urgence c'est, d'une part suivre le plan de secours du navire et d'autre part prendre soin de chaque passager qui, ne connaissant rien à la mer en général ni au navire en particulier, dans ces circonstances dramatiques prend peur pour sa vie ou celle des siens qui l'accompagnent.
Après chaque accident maritime, une enquête officielle réglementaire fait également le bilan du comportement de l'équipage et de la compagnie.
Les comportements
Au-delà de l'erreur de navigation, le comportement de notre collègue Schettino vis à vis de ses passagers a fait l'objet d'une condamnation pénale qu'il purge toujours aujourd'hui en prison à Rome.
Le comportement de la compagnie n'a pas été exemplaire non plus et c'est peu dire, elle a été, elle aussi, sanctionnée mais le seul des responsables de COSTA à connaître la prison reste le capitaine du navire.
Le comportement du reste de l'équipage a été catastrophique également et les passagers survivants interviewés par la commission d'enquête ont protesté qu'ils avaient été laissés bien seuls dans le noir et le froid à bord d'un navire en train de couler lentement même si certains membres d'équipage ont été courageux.
Courageux mais totalement incompétents, on entend cela trop fréquemment.
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Pour nous marins, 100 ans après le Titanic, notre première réflexion est : aurait-on pu être meilleur ce soir-là ?
Tous les marins du monde, leurs armateurs et les administrations en charge des contrôles de conformité (à titre préventif il est vrai), ne peuvent que se dire qu'ils n'ont pas été bons cette fois-ci encore mais aussi, que quelque chose ne va pas dans notre préparation générale à gérer les passagers dans les situations d'urgence à bord des navires, quel que soit le pavillon.
Le syndrome
Un syndrome est un «ensemble de comportements particuliers à un groupe humain ayant subi ou subissant une même situation traumatisante» (cf LAROUSSE).
Celui du Concordia est le nôtre aujourd'hui.
Que ce soit à l'OMI, qui a la charge de préparer de manière consensuelle la réglementation et des recommandations en vue de la sécurité en mer, dans les bureaux des administrations des pavillons en charge de les faire appliquer, dans les bureaux des armateurs à la croisière, à la passerelle des paquebots devant par contrat assurer la sécurité et la sûreté de chaque passager et enfin dans le cœur de chaque marin, le syndrome sévit aujourd'hui.
Oui, ce désastre commence par une manœuvre ratée qui a conduit à la perte de 32 vies humaines, mais aussi à un constat d'incompétence énorme à tous les niveaux : le capitaine, les officiers et l'équipage, la Ccompagnie et ses décideurs, la société de classification et ses experts, l'administration du pavillon Italien et ses sous-traitants «contrôleurs» (le RINA), le PARIS/MOU et ses inspecteurs du Port State Control et pourquoi pas à l'OMI elle-même qui n'ont pas su gérer la situation d'un côté et de l'autre, ont laissé le navire continuer à naviguer sans se rendre compte que sa préparation était inadéquate :
- Retard dans les décisions : tout le monde est sous le choc y compris le capitaine
- Passagers non rassemblés et évacuation non anticipée
- Passagers laissés dans l'inquiétude, sans information et sans aide organisée
- Membres d'équipage tentant de gérer les passagers visiblement sans la connaissance de ce qu'il faut faire.
- Equipage hôtelier incapable de répondre aux nombreuses questions des passagers et encore moins de montrer l'exemple dans une atmosphère de catastrophe
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- Information non maîtrisée : pendant des heures le Concordia diffuse ou communique uniquement sur un «problème de black-out en cours de résolution» et en y ajoutant l'injonction de retourner dans les cabines
- Absence de formation adéquate des membres d'équipage depuis les officiers Italiens jusqu'au plongeur Philippin des cuisines
Tout cela est pour nous proprement incroyable.
Le syndrome Concordia, qu'est-ce que c'est ?
Je ne sais si les Italiens s'en remettront un jour, mais la communauté maritime subit ce syndrome qui va «compliquer son business» pendant encore longtemps.
En effet, on construit aujourd'hui des paquebots deux fois gros comme le Concordia avec des équipements de plus en plus sophistiqués et en théorie capables de vous ramener au port en toute sécurité quelle que soit la situation d'urgence.
>Cela veut-il dire que : c'est bon cette fois-ci, on en a assez fait comme ça, on peut continuer et construire encore plus gros ?
Eh bien non, car il semble que nous continuions à nous mettre la tête dans le sable sur le facteur humain !
Le temps de l'enquête et de la réflexion passé et après s'être entendus sur des mesures techniques simples d'abord (exercice «rassemblement» avant le départ) et proactives ensuite (SRTP - safe return to port, stabilité après avarie, projet de fin de clause Grand-Père, révision de la formation des équipages…), on s'interroge tous encore sur le facteur qui a été la cause principale du désastre : le facteur humain.
The root cause of the accident is the human factor nous dit la commission d'enquête !
Le facteur humain c'est aussi, dans le cas du Concordia, l'aptitude de l'équipage à gérer les passagers dans la situation d'urgence, avec les moyens à sa disposition c'est-à-dire les moyens du bord.
Finalement, on nous reproche toujours de ne pas savoir vraiment comment se préparer convenablement à gérer une foule importante sur un navire en période de crise.
Pourtant, depuis plusieurs années, il a été mis au point un processus correct de préparation : STCW 95 avait exigé des formations spéciales pour les équipages de navires à passagers, que malheureusement pavillons et armateurs ont plus ou moins bien appliqué.
Ensuite, depuis 2010, c'est-à-dire avant la catastrophe du Concordia, notre industrie avait déjà estimé que les formations spéciales devaient certainement être améliorées, mais surtout que ces formations devaient être dispensées à tous les membres d'équipage ayant de près ou de loin une responsabilité dans la gestion des passagers en situation d'urgence et non pas la réserver aux seuls officiers. Ce qui était d'une grande logique, dont l'OMI a pris acte sans plus à cette époque, pas de consensus certainement !
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Pourquoi cela n'a-t-il donc pas été fait ?
Peut-être que la raison est toute simple, en plus du coût de la formation, on pensait que le marin moyen chargé des embarcations ou le personnel hôtelier chargé de «servir» les passagers, était de compétence trop «élémentaire» pour comprendre et gérer les réactions humaines en période d'urgence ?
On formait donc seulement les officiers en oubliant qu'en situation d'urgence, les officiers à la passerelle ou en bas dans la machine, ont certainement beaucoup à faire, justement pour gérer la situation d'urgence elle-même : incendie (combat du feu et protection des compartiments sensibles), blessés (traitement et évacuation rapide), gîte anormale (traitement des avaries), organisation des secours extérieurs (communications) etc. tout en tentant de gérer leur part dans la préparation à l'évacuation, et en oubliant que les premiers membres d'équipage en face des passagers en crise sont les personnels hôteliers qui seront nécessairement les premiers à rassurer les passagers avant que leur comportement ne se dégrade, notamment par manque d'information et de compréhension de ce qui se passe.
On reconnaît aujourd'hui que la compréhension du plan de secours et les techniques utilisées pour rassurer/calmer/comprendre les réactions des passagers sont aussi et surtout de la responsabilité de ce personnel.
Une passagère du Concordia écrira que
«Quelques membres du personnel ont aidé mais à aucun moment du naufrage nous n'avons vu le moindre gradé du bateau et je me demande encore où ils étaient et ce qu'ils faisaient en ces heures durant lesquelles nous, passagers, dûmes prendre des décisions qui n'auraient jamais dû nous incomber».
(Ref : « Le Concordia » témoignage de Marie RIBAS page 100)
Solutions proposées aujourd'hui :
Réalité des exercices et formation adéquate de tous les membres d'équipage.
Si la question de la réalité des exercices de rassemblement pour les passagers n'est pas sujette à doute, la réalité de la suite du rassemblement c'est-à-dire la simulation de l'évacuation suscite la discussion. En effet montrer au début de la croisière l'exiguïté des embarcations ou des radeaux par rapport au navire lui-même, n'est pas très pédagogique ni pour le moral ni pour la sécurité. Il semble qu'on ne puisse pas faire beaucoup plus que le film sécurité que l'on passe à l'occasion de ce «drill» ou appel aux postes d'évacuation. Que les TV du bord puissent passer le film en version adéquate représentant bien le navire lui-même est certainement une bonne chose.
En fait, la partie simulation de l'évacuation est nécessaire mais pas primordiale, par contre la qualité des vérifications effectuées durant l'épisode «rassemblement» à savoir, présence de TOUS les passagers et donc recherche éventuelle des manquants, capelage correct de toutes les brassières, montrer la présence de brassières supplémentaires dans les caissons sur le pont embarcation, expliquer l'évacuation éventuelle, inciter les passagers à regarder le film évacuation qui pourra être dans la langue du navire et sous-titré en plusieurs langues majoritaires des passagers, est certainement nécessaire.
- Formation adéquate de la totalité des membres d'équipage
Avec le retour d'expérience du Concordia via le Sous-comité ad hoc de l'OMI (HTW), on a tenté rapidement d'abord de revoir, non pas l'étendue des connaissances nécessaires pour améliorer la gestion de ces situations car elles étaient suffisantes en elles-mêmes, mais bien d'étendre la formation initiale et continue au personnel concerné par la gestion des passagers d'une part et d'autre part de revoir les recommandations sur la qualité de cette formation et son entretien dans le temps.
Par exemple, en ce moment une révision des cours types concernant ces formations spéciales est en préparation.
Ces sujets d'enseignement ne sont pas faciles du tout, gérer les foules en crise, parlez-en aux spécialistes que sont les officiers de police et dont c'est le métier.
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Il n'est pas question non plus de transformer les membres d'équipage en «psychologues d'intervention» mais bien de donner les éléments nécessaires pour gérer un être humain en crise (soi-même, les autres membres d'équipage et les passagers) dans un endroit inhabituel où «le besoin de sécurité» cher à Maslow a complètement disparu pour tout le monde.
Les formations revues et corrigées dans STCW V/2 répondent aujourd'hui à ce besoin. Reste aux armateurs à se décider à envoyer ses équipages en formation, ou plus encore, exiger la formation adéquate du candidat avant toute proposition d'embarquement.
En revanche, la qualité de la formation n'est absolument pas solutionnée : peu de formateurs compétents répondants aux critères du code STCW sont sur le marché, tout se passe comme si les anciens capitaines de navires à passagers n'avaient aucune envie de se lancer dans la formation et ainsi transmettre leurs compétences qui restent rares. Des «formations de formateurs» existent.
Donc du point de vue formation
- Une familiarisation élémentaire à réagir aux situations d'urgence a été étendue à TOUT le personnel embarqué autre que les passagers, cette familiarisation étant adaptée à leur capacité, leurs tâches et leurs responsabilités (amendements 2018 à STCW).
- La formation «gestion des foules» a été étendue aux matelots qui sont en charge des embarcations et des autres moyens d'évacuation.
- Ensuite, on a tenté d'étendre la formation gestion de crise et comportement humain à plus de personnes que celles directement responsables de la sécurité des passagers dans les situations d'urgence.
Résultats : Même si ce n'est qu'une timide tentative et sachant que les formations exigées doivent correspondre «à la capacité, les tâches et les responsabilités du personnel en général», nous estimons que c'est quand même mieux qu'avant.
En conclusion
Notre sentiment de culpabilité est certain, cependant l'être humain et en particulier le marin sait tirer un retour d'expérience de ses erreurs, c'est dans sa culture.
Aujourd'hui avec un recul normal et qu'importe le coût, nous devons mieux nous préparer à gérer toute situation d'urgence sur les navires à passagers qui, ne rêvons pas, arrivera probablement à nouveau*. Comme l'industrie de la croisière dans le cadre du syndrome Concordia nous promettons de mieux nous préparer à gérer les situations d'urgence quelles qu'elles soient, car, en plus, c'est possible et pas très cher.
* Terrible near-miss du VIKING SKY récemment
ref. |
Livre de Marie RIBAS |
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