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Gestion des risques : les espaces clos continuent à tuer
La page du code N°42
Introduction
La dangerosité potentielle des espaces clos ou confinés d'un navire n'est pas nouvelle. Les accidents, malheureusement, perdurent. Comme dans l'industrie en général des mesures de prévention ont pourtant été prises il y a longtemps dans le cadre du SMS des compagnies de navigation et plus récemment, incluses dans le DUP de chaque navire.
Les mesures préconisées (Directives OMI et OIT) sont connues semble-t-il y compris l'amendement 2014 à la SOLAS exigeant des exercices d'entrée et d'évacuation d'un espace clos tous les 2 mois.
Accidents récents (Extrait du rapport AG AFEXMAR 2018)
Encore et toujours des accidents d'experts ou techniciens d'intervention de l'équipage à bord des navires :
Rappelez-vous, je vous avais parlé de notre collègue JB CERUTTI à Brest l'an dernier, ce genre d'accident continue y compris sur les petits bateaux : intoxication mortelle au CO2 ou au CO (Menton 23 mai 2018 compartiment moteur d'un yacht, techniciens incendie en opération de visite du système extinction incendie)
NB : IIMS nous signale que rien qu'en Grande-Bretagne en 20 ans 19 plaisanciers sont morts et 24 autres ont été hospitalisés pour inhalation de CO.
Une pétition est en cours en Grande-Bretagne (milieu de l'expertise maritime) pour exiger des détecteurs de CO et CO2 dans les espaces clos. Encore trop cher pour les armateurs certainement et pendant ce temps, à l'OMI on regarde ailleurs.
D'autre part, le rapport de l'accident du SCOT BERLIN à Malte est paru. L'électricien est mort dans le local propulseur car aucune analyse de risque ni précaution «entrée dans un espace clos» n'ont été prises pour l'intervention. Ce local n'était pas considéré (à tort) comme un espace clos dans le SMS. L'électricien intervenait seul après avoir aspergé le moteur électrique d'un produit chimique séchant après une inondation du moteur électrique du propulseur via le trou d'homme non étanche du peak avant. L'alimentation du secteur était coupée pour éviter des courts-circuits et en conséquence, il n'y avait aucune ventilation.
Donc ici : pas de mesures de niveau d'oxygène ni de gaz toxique et pas de précautions ni surveillance et encore moins de permis.
En première conclusion, le navire était opérationnel avec un SMC en bonne et due forme approuvé et certifié et qu'il s'agisse de CO ou de CO2 ou d'autres gaz toxiques, le manque d'oxygène est la cause principale de ces décès.
Références réglementaires
Etant donné le nombre d'accidents, la réglementation pour notre industrie a été élaborée, publiée et amendée d'une manière très professionnelle, à savoir :
- Résolution A 1050 de 2011 qui remplace la résolution A 864
- Amendements de 2014 à la SOLAS exigeant un exercice «entrée dans un espace clos et sauvetage correspondant» tous les 2 mois sur chaque navire.
- La MLC 2006 dans la Norme A4.3 d'abord puis dans l'application des directives ILO pour la prévention des accidents à bord §10 via la MLC 2006 (principe directeur B 4.3.1.)
- En parallèle, le programme SOHSP de l'OMI rendu obligatoire par la MLC
D'autre part, le code ISM et le DUP exigent d'identifier et évaluer tous les risques et les mesures de réduction du risque correspondantes.
Application courante
En général dans un SMS nous préconisons que la compagnie rédige une procédure «entrée dans un espace clos» valable pour tous ses navires et ajoute un exercice bimensuel correspondant, dans son programme de formation continue. L'exercice comprend toutes les opérations et les mesures de niveau de gaz ainsi qu'une simulation de l'évacuation d'une personne, consciente ou non, du local et le traitement médical consécutif y compris EVASAN.
NB : dans certains cas pour des navires trop différents (risques bien différents) la compagnie peut confier la rédaction de la procédure au capitaine du navire mais elle doit bien sûr la valider (principe du code ISM).
La résolution A 1050
Elle a remplacé la résolution A 864 ; elle est aussi bien structurée et complète que la précédente. La prévention des risques y est claire et la liste des mesures à prendre suffisamment compréhensible. Cette résolution, pour les raisons ci-dessus, a toujours été bien travaillée par les meilleurs spécialistes du monde.
On peut en déduire les mesures suivantes:
- La familiarisation au navire (obligatoire pour tout membre d'équipage) comprend la liste des espaces clos et les instructions concernant toute intervention y compris les plus simples et ne présentant à priori pas de danger
- Un permis d'entrée en espace clos est obligatoire (ci-contre)
- Aucune intervention en solitaire n'est autorisée
- En cas d'incident, le surveillant ne peut intervenir sans qu'il ait trouvé un autre surveillant.
- Les interventions dans espaces clos devront de préférence être effectuées pendant les heures de travail afin de disposer du maximum de personnes à proximité
- Les exercices correspondants doivent concerner tout l'équipage.
- Avec la fréquence bimensuelle, le tour des espaces clos du navire devrait aisément être fait.
- Les fiches de sécurité pour chaque espace clos devraient être vérifiées à chaque fois.
- Un étalonnage des appareils de mesure est nécessaire tous les ans (dans un programme plus général de maintenance)
- Il appartient au responsable QHSE ou à la DPA de veiller à la qualité de la procédure et des check-lists correspondantes et à leur application (sa responsabilité est engagée)
- Il appartient ensuite au capitaine du navire et au délégué du CDS d'analyser le respect de la procédure «Permis d'accès» et aux auditeurs internes ISM de vérifier les enregistrements correspondants
NB : L'utilisation de la check-list donnée par la résolution A 1050 à titre d'exemple peut paraître trop compliquée.
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Personnellement, j'ai essayé de la simplifier sans vraiment y parvenir. Un permis d'entrée en espace clos (ci-joint) proposé par nos amis Canadiens ressemblant à une check-list ordinaire semble peut-être plus simple à utiliser.
En conclusion
Où se trouvent les responsabilités ?
Sans entrer dans les détails de l'enquête de l'accident de Malte, il est sûr que la première chose qui saute aux yeux est la non identification de ce local comme espace clos. En effet, le manque d'oxygène est la cause principale des décès en espace confinés qui peut avoir de nombreuses causes, y compris dans des espaces n'ayant pas contenu de liquides. L'oxyde de carbone qui remplace l'oxygène peut être généré de multiples façons, entre autres ne serait-ce que par l'oxydation des cloisons en acier (cofferdam) ou encore des opérations de maintenance avec des produits carburés (cas du SCOT BERLIN).
Nos conseils
Dans le cadre du DUP et du § 7 du code ISM, nous recommandons :
- que tous les espaces n'ayant pas de présence humaine permanente doivent être identifiés comme espace clos
- qu'une procédure d'entrée comprenant la vérification de la teneur en oxygène et autres gaz possibles des accès et du cœur du local existe et soit appliquée
- que le matériel de test soit maintenu opérationnel
- que la procédure prévoit une surveillance de l'intervenant
- que cette procédure soit connue de tous et réellement appliquée (pas de possibilité de passer outre une quelconque mesure même en circonstances exceptionnelles)
L'actualité nous rappelle malheureusement que rien n'est acquis au sujet de ce risque qui a déjà tué tant de marins.
En plus de la surveillance ci-dessus effectuée par les acteurs du SMS, la notion de ce risque devra encore être répétée et encore répétée sans relâche aux marins débutants ou en cours de revalidation de leurs certificats.
Si apparemment la dangerosité des espaces clos n'est pas encore complètement rentrée dans notre culture sécurité, il ne faut surtout pas se décourager… on y arrivera un jour.
Cdt Bertrand APPERRY
membre de l'AFCAN,
de l'AFEXMAR, de l'IIMS
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