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Le retour d'expérience est-il enfin rentré dans nos habitudes ?
page du code ISM Nº25
 
Traduction d'un exposé présenté au "3rd international symposium on Maritime Disaster Management"
AL KHOBAR (RAS) 8-12 Octobre 2011 par Bertrand APPERRY au nom de l'AFEXMAR (Association Française des Experts Maritimes)


  1. Historique du retour d'expérience en maritime


  2.       Nos organisations internationales travaillent durement pour améliorer le côté technique et managérial des navires et des installations portuaires pour la prévention des accidents maritimes tout en préparant notre industrie à réagir et réduire les conséquences de ces accidents. Au même moment, la recherche des personnes ou entités responsables de l'accident, s'améliore tandis que la tendance est d'appliquer le principe «pollueur/payeur».
          Apprendre à partir des accidents ou incidents dans le monde maritime est le troisième pilier de la sécurité maritime. Notre comportement normal après un accident est de rechercher naturellement «comment cela est-il arrivé ?», avant de rechercher le coupable. L'étude approfondie des accidents est ancienne, certainement plus ancienne que le naufrage du S/S TITANIC, mais finalement les résultats, le retour d'expérience, n'étaient connus que des personnes concernées. Ceci a été modifié quand nos prédécesseurs réussirent à réaliser la Convention SOLAS… Quoique la Convention SOLAS ( I/21) étrangement, ne requiert qu'un retour d'expérience…pour modifier les règles de la Convention et précise la « non recherche » de responsabilité.
          Du côté des organismes chargés de la réglementation internationale, des recommandations du BIT sur la prévention des accidents au travail, en étudiant les causes, ont lancé dans les années 70 un certain retour d'expérience incluant le facteur humain. D'autre part, l'OMI a seulement notifié dans ses résolutions que les enquêtes après un accident maritime peuvent conduire à des actions correctives en vue d'éviter que l'accident ne se reproduise. Ceci est la naissance du retour d'expérience mais seulement pour de vrais accidents sérieux (very serious maritime casualty). Aujourd'hui nous avons revu une résolution appelée «code pour les enquêtes sur les accidents et incidents maritimes» et le facteur humain y a été introduit en 1999. Finalement, nous avons actuellement une obligation et de très bons instruments pour conduire les investigations y compris la recherche d'une fatigue éventuelle dans les causes initiales de l'accident. Mais, quid du retour d'expérience ? En fait, dans le Code, le retour d'expérience est envisagé par quelques mots seulement dans les résultats de l'enquête “émettant, lorsqu'approprié, des recommandations en vue de prévenir des accidents similaires » (IMO resol A 849)
          En première conclusion, c'est toujours un retour d'expérience limité à la prévention de la répétition des mêmes événements. Ces documents ne sont donc pas suffisants et nous obligent à penser à un système de retour d'expérience qui devrait inclure, non seulement le management du retour d'expérience, mais aussi l'étude des incidents et des situations dangereuses en vue d'émettre des actions proactives.
          Au début des années 90, le groupe de travail de l'OMI sur le facteur humain étudiait déjà les effets des erreurs humaines dans quelques accidents tragiques comme le chavirement du HERALD of FREE ENTERPRISE. En utilisant les normes de qualité ISO déjà existantes, nous avons initié le fameux système de management de la sécurité : le Code ISM.

  3. Le Code ISM


  4.       Le Code ISM est un des Codes les plus intelligents élaborés par l'OMI. Il est organisé comme un système qualité destiné à la gestion de la sécurité et la prévention de la pollution dans les compagnies de navigation et à bord des navires. Dans les amendements de 2010, le chapitre 9 de ce Code appelé «Rapport et analyse des non conformités, accidents et situations dangereuses» requiert dans le sous-paragraphe 2, que «la compagnie établisse des procédures pour la mise en place d'actions correctives comprenant des mesures pour éviter la récurrence». Ceci est clairement l'application du retour d'expérience obligatoire dans le management de la sécurité.

  5. Elaboration d'un système de management du retour d'expérience


  6.       Aujourd'hui dans un système de management de la sécurité complet, un sous-système de retour d'expérience doit inclure :
    • Une enquête suite à accident et incident
    • Une investigation des presqu'accidents (situations dangereuses)
    • L'étude des suggestions du personnel pour la sécurité et la prévention de la pollution
    • L'analyse des rapports afin d'appliquer des actions correctives et préventives
    • L'établissement de statistiques au niveau de la compagnie
    • Le partage des résultats avec le reste de l'industrie
    Cependant, déjà existante dans l'industrie offshore, la diffusion des informations issues du retour d'expérience a de la peine à survivre dans l'industrie maritime ainsi que dans les autres industries.

  7. Enquête sur un accident


  8. Comme précisé dans la résolution OMI A 849,      
      «Les enquêtes sur les accidents de mer ont pour objet d'éviter que des accidents analogues ne se reproduisent. Elles permettent d'identifier les circonstances de l'accident et d'établir les causes et les facteurs à l'origine de l'accident grâce au rassemblement des renseignements nécessaires qui sont ensuite analysés afin d'en tirer des conclusions».
      En théorie, il n'est pas procédé à ces enquêtes dans le but de déterminer la responsabilité ou d'attribuer la faute. Toutefois, l'autorité menant l'enquête ne devrait pas s'abstenir de révéler toutes les causes sous prétexte que la faute ou la responsabilité pourrait être déduite des résultats.»
          Utiliser des check-lists ou formes spécifiques est la meilleure manière de conduire une enquête après un accident maritime. Ces outils sont aujourd'hui bien contrôlés et sont très complets du côté pratique. Les derniers amendements des recommandations internationales ont été l'introduction de la prise en compte de l'effet post-traumatique pour les victimes et également les témoins.

  1. Les difficultés de l'enquête officielle


  2.       Le retour d'expérience sur les enquêtes officielles par les Etats impliqués dans un accident maritime (Etat du pavillon ou Etat côtier) a montré que dans les cas de conflits avec les intérêts de l'Etat, les rapports d'enquête peuvent éviter de mettre en lumière certaines défaillances ou comportements erronés d'entités responsables dans les causes ou dans les conséquences de l'accident. Les intérêts de l'Etat peuvent être d'intérêt «divin», aussi la valeur du rapport est mise en péril ainsi que le retour d'expérience possible qu'on peut en tirer.
          Ce problème a été mis en lumière par l'Union Européenne après les deux accidents sérieux récemment analysés : il s'agit des accidents de l'ERIKA et du PRESTIGE. En conséquence, pour les Etats membres, dans le paquet ERIKA III, qui a eu quelques difficultés à naître n'est-ce-pas ?, une directive a été élaborée exigeant une complète impartialité pour l'équipe d'investigation. Entre nous, ceci sera certainement l'exigence la plus difficile à suivre particulièrement quand des intérêts politiques vont interférer.
          Heureusement, lors d'une enquête dans une compagnie de navigation, ces difficultés n'existent pas théoriquement. Cependant, si le Directeur général de la Compagnie ou la «Personne désignée» est impliqué, les résultats impartiaux et le retour d'expérience peuvent aussi être mis en péril. Nous ne pouvons pas grand-chose contre cela, c'est le côté facteur humain de la vie…excepté si un jour nous serons à même de mettre en place une entité vraiment indépendante et impartiale qui pourrait prendre les enquêtes en charge. Nous pouvons toujours rêver … mais l'OMI pourrait être cette entité !

  3. Prise en compte du facteur fatigue


  4.       Il est communément admis qu'au moins 80% des accidents sont le résultat d'erreurs humaines et certaines de ces erreurs sont des conséquences de la fatigue. L'OMI après une étude importante a élaboré une circulaire, il y a près de 10 ans, qui avait mis en lumière le problème de fatigue à bord des navires et/ou durant les opérations commerciales et son incidence dans la recherche des causes d'un accident. En complément tous ceux qui ont participé à ce travail (j'en étais au nom de l'AFCAN) se rappellent l'étude effectuée par les US Coast-Guards dans les années 2000 et qui utilisait un intéressant index de facteur fatigue (FFI). Le facteur fatigue était évalué dans tout accident et pris en compte dans les causes de l'accident, s'il dépassait un certain niveau.
          En fait, il était nécessaire d'avoir un accident pour espérer obtenir un quelconque retour d'expérience.
          Pouvons-nous essayer de gagner du retour d'expérience plus tôt, à partir de l'étude des presqu'accidents ou des observations sécurité du personnel ?

  5. Investigation des presqu'accidents


  6.       Avec, dans la compagnie, des précautions nécessaires pour éviter toute mesure de punition dans le cadre d'une «culture de non-blâme», tirer les leçons des presqu'accidents devrait aider à améliorer les performances sécurité. En effet les presqu'accidents ont les mêmes causes que les vrais… sans en avoir les conséquences ! Cependant les presqu'accidents ont un cadre vraiment personnel, ce sont presque des évènements privés et donc, si la culture sécurité du personnel n'est pas suffisamment développée, l'étude et le retour d'expérience possible risquent de rester uniquement dans le domaine personnel. Donc l'expérience acquise risque de rester encore non partagée.
          Les efforts de l'OMI pour résoudre ce problème doivent être soulignés. Un de ses efforts est l'élaboration de directives sur un programme de sécurité et d'hygiène au travail à bord des navires (SOHSP ou shipboard occupational and health safety programme) ou la notification des presqu'accidents est encouragée ainsi que la participation du personnel dans l'évaluation des dangers ou des comportements dangereux et leur gestion dans le cadre d'un système interne de management des situations dangereuses ou des observations sécurité du personnel.

  7. Suggestions du personnel


  8.       Pour le personnel, leur permettre d'émettre des suggestions, dans le cadre d'une culture sécurité suffisante, est la preuve d'une participation totale dans le développement, l'application, l'évaluation et l'amélioration continue du programme SOHSP. Les observations ou commentaires du personnel directement impliqué dans le travail sont souvent la meilleure source d'information sur les dangers pour la santé et la sécurité. Le personnel peut souvent suggérer des mesures effectives pour éradiquer ces dangers et participer à une vie quotidienne de réduction des risques. Les suggestions du personnel sont analysées d'une manière comparable à l'analyse des presqu'accidents. Les suggestions provenant des officiers, techniciens ou membres d'équipage ainsi que celles du personnel contracté, peuvent être quelque chose comme AVANT le presqu'accident et sont souvent inclus dans le concept de «gestion du changement». Le personnel de terre de la compagnie est naturellement incité à participer à ce programme interne.

  9. Analyse profonde des rapports d'accidents


  10.       Les rapports sont finalement faits sous forme de check-list et de commentaires et sont utilisées aussi bien pour les accidents que pour les presqu'accidents. Les check-lists doivent permettre à l'investigateur de récupérer toutes les informations possibles de la part des vrais victimes (ou victimes virtuelles pour les near-misses) et des témoins. Ces formes sont courantes et parfois standard mais peuvent être adaptées à la compagnie. Une des formes utilisées est la REX CARD (je l'ai lancée vers 98, elle est aujourd'hui très utilisée d'une manière internationale) qui est vraiment dédiée à l'analyse multiple à tous les niveaux de la direction et aide également à l'élaboration des statistiques.
          Cette carte d'évaluation est utilisée dans le cadre d'un système de management de la sécurité. Elle permet de démarrer l'analyse rapidement, recevoir les avis et assurer le suivi des évènements comme accident, incident, presqu'accident ou suggestions du personnel.

  11. Recherche des causes


  12.       Les méthodes de recherche des causes initiales sont aujourd'hui bien connues et peuvent déterminer des actions correctives ou proactives évidentes. Cependant des précautions doivent être prises car il est reconnu que la complète prévention de récurrence par une seule action corrective n'est pas toujours possible. Réciproquement, il y a différentes méthodes pour déterminer les causes profondes d'un problème ou évènement et peuvent conduire à des conclusions légèrement différentes. Chacun a sa «meilleure méthode» mais si la compagnie ne l'a pas définie ou n'a pas assuré la formation des enquêteurs à la méthode qu'elle a choisie, c'est la méthode bien connue des investigateurs eux-mêmes qui doit être utilisée. Je recommande toujours d'utiliser la méthode que vous connaissez parfaitement. Ceci est également vrai pour l'évaluation des risques en sécurité et en sûreté.

  13. Les dix commandements du retour d'expérience


  14. Liste des actions successives recommandées:
    1. Décrire les faits (accident, incident, near-miss) ou essayer de recevoir la description la plus complète de la suggestion ou de l'observation
    2. Rassembler le plus d'informations possible en interviewant les victimes, les témoins ou l'émetteur de la suggestion ou observation (si approprié)
    3. Identifier chaque étape de la séquence des évènements qui ont conduit au problème ou à l'évènement.
    4. Classifier les causes initiales et tout autre facteur causal en relation avec la séquence des évènements.
    5. S'il y a des causes multiples, ce qui est souvent le cas, mettre en lumière celles qui pourront être ultérieurement sélectionnées.
    6. Identifier l'efficience des actions correctives ou proactives qui vont prévenir la récurrence du problème ou de l'évènement tout en recherchant des avis de spécialistes, ou simplement ceux issus du benchmarking, et les proposer à la Direction pour commentaires et/ou approbation.
    7. Essayer, si possible d'autres méthodologies pour résoudre les problèmes comme l'évaluation des risques ou l'analyse des pannes pour une certaine confirmation
    8. Vérifier que les solutions sont effectives et empêchent la récurrence avec une chance raisonnable, qu'elles puissent être contrôlées et qu'elles rejoignent les objectifs de la compagnie et surtout n'introduisent pas d'autre causes d'accident ou d'autres problèmes.
    9. Planifier le suivi de l'implémentation des mesures décidées
    10. Préparer la communication des statistiques au pavillon et aux autres associations professionnelles éventuellement

  15. Etablissement des statistiques pour la compagnie maritime, le pavillon et au niveau de l'industrie


  16.       Les statistiques sont très intéressantes à condition qu'elles proviennent de nombreux évènements. Pour de nouvelles ou très jeunes compagnies, il y a une impossibilité d'avoir cette expérience, excepté si les associations nationales ou internationales des armateurs, dont vous faites partie, peuvent vous aider. Lorsque vous utilisez la REX CARD, les statistiques qui en découlent seront un élément important de votre évaluation des risques (obligatoire de par le code ISM). En complément, les statistiques peuvent vous aider à prendre en compte les risques provenant d'un fournisseur, d'un port ou d'un fournisseur d'équipage. Une grille comprenant la liste des éléments adaptés au type de navire et la zone de navigation est comprise dans la REX CARD et permettra une étude analytique ultérieure.

  17. Partage de l'information avec le reste de l'industrie.


  18.       Déjà bien présente dans l'industrie Offshore, la diffusion des informations issues du retour d'expérience a des difficultés à naître et exister dans le monde maritime comme dans le domaine plus général du transport. Ceci est bien triste, car les mauvaises expériences des autres sont aussi un outil bon marché pour améliorer la sécurité des services proposés par la Compagnie et le bénéfice est valable dans les deux sens!
          Ce partage des informations est gêné par les conditions de confidentialité. Cela est une difficulté réelle dans certains secteurs commerciaux où la compétition fait rage. Plusieurs possibilités ont été expérimentées comme transformer un rapport ou un retour d'expérience en quelque chose d'anonyme. Le succès n'est pas terrible même dans le secteur du transport aérien et même si nous saluons les efforts de MARS et de CHIRP, une amélioration substantielle est nécessaire.
          En matière de sûreté maritime, s'il est facile de partager les informations sur les navires, il est beaucoup moins aisé de le faire pour les ports et les installations portuaires. Nous pensons d'un côté que l'OMI va résoudre prochainement le problème en rendant l'IMO-MSAS obligatoire et de l'autre qu'elle sera aidé par les USCG avec leur programme QUALSHIP 21.

  19. La formation est nécessaire


  20.       Etant une pionnière en établissant des standards internationaux obligatoires pour la formation et la compétence de tous les marins (code STCW), l'industrie maritime est consciente que cette exploitation du retour d'expérience a besoin d'organisation et d'une formation spécifique pour les personnes impliquées. La gestion et l'exploitation du retour d'expérience n'est pas que l'affaire de gens spécialisés. Tout d'abord, le Capitaine du navire avec l'aide de l'officier de sécurité, va démarrer l'analyse de l'évènement et émettre une première ébauche du retour d'expérience ainsi acquis qu'il transmettra immédiatement s'il le juge urgent (Safety Alert System). Cette analyse sera de toute manière rappelée dans sa revue périodique du système de management appliqué à bord. Puis dans une compagnie de navigation normale, le groupe ISM Personne désignée et Officier de sûreté de la compagnie doivent être capables d'assurer les études plus formelles comprenant les avis complémentaires prévues dans la procédure REXCARD. Enfin, la revue annuelle de Direction s'assurera que la mise en place d'actions correctives ou préventives a été effectivement assurée par la « personne responsable » et que l'information a été transmise, s'il le faut, au reste de l'industrie même d'une manière anonyme.

  21. En conclusion.


  22.       Grâce au code ISM, notre industrie est enfin sur le chemin de tirer avantage du retour d'expérience obtenu après un accident ou un presqu'accident, qui n'est finalement qu'un accident évité ou encore un accident sans conséquences. Comme le retour d'expérience obtenu d'après des expériences malheureuses est maintenant bien pris en compte et utilisé, l'étude des presqu'accidents a l'avantage de fournir ce retour d'expérience d'une manière beaucoup moins «coûteuse». Cependant partager son expérience est encore à son début car personne n'est porté sur cette terre à partager ses erreurs ou ses faiblesses ! Grâce à une culture basée sur le «non blâme», nous sommes sûrs que les marins, avec l'aide de l'armateur et des instituts de formation, participeront à cette importante amélioration.

  23. références :
documents IMO :

SOLAS chapter 1
SOLAS chapter XI-1 reg 6
ISM code (as amended in 2010)
MSC circulars 849 and 884
MSC-MEPC.3/ Circ. 2 et 3
(casualty investigation code and reports)
MSC-MEPC.7/Circ.7 near misses
MSC-MEPC.2/Circ.3 SHOP
Autres documents

UNCLOS
ILO 134,142,147
ILO recommendations for accident prevention
IADC safety alert system
USCG information doc MSC 68/INF
Etc…
Cdt Bertrand APPERRY
novembre 2011
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