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Code I.S.M. :
La sécurité de fonctionnement dans l'industrie maritime

page Nº18
 

Cet article devrait paraître dans la revue "Génie Logiciel" en fin d'année et correspond à une présentation Power Point effectuée par notre collègue Bertrand APPERRY lors du colloque "Sûreté de fonctionnement et transport" organisé par l'INRETS (Institut National de Recherche sur les Transports et leur Sécurité) qui a eu lieu à l'École Nationale Supérieure des Télécommunications à PARIS le 18 mai 2006.



Avant propos

       Pour des raisons essentiellement de définitions, je parlerai de "sécurité de fonctionnement" au lieu de "sûreté de fonctionnement" car depuis la mise en place des mesures consécutives aux attentats du 11 septembre 2001, le terme de sûreté est utilisé en transport maritime uniquement dans le sens de protection des personnes et des biens.

       D'autre part je m'attacherai à présenter ici l'aspect pratique des choses.


Introduction

       Le transport maritime assure à lui seul près de 90% du trafic mondial en volume avec plus de 75 000 navires. Rien qu'en France, le maritime français c'est 2,5% de l'économie française et 40% de nos échanges en volume !

       Par contre la marine de commerce française ce n'est qu'environ 220 navires … nous sommes à la 29ème place mondiale ! Il faut reconnaître cependant qu'en ce moment tout est fait pour retrouver une meilleure place (Création d'un nouveau pavillon bis français : le RIF en janvier 2006).

       Notre grand chantier naval, cependant, construit toujours des navires de grande qualité… commandés par des armateurs étrangers qui ont depuis longtemps pris en compte l'assurance de la sécurité du fonctionnement futur du navire quel qu'il soit.

       Comme les autres modes de transport, l'industrie maritime est préoccupée par la sécurité de ses activités et, en corollaire, des conséquences de ses défaillances.

       Le transport maritime est aussi une activité à risque souvent confrontée à des situations extrêmes et souvent imprévues.

       Pour assurer la sécurité des personnes, des biens et la protection de l'environnement marin, mais aussi la rentabilité d'un tel investissement, une sécurité de fonctionnement des moyens de transport et de manutention est bien sûr indispensable.

       La sûreté de fonctionnement des navires et des installations portuaires est, comme pour les autres, basée sur la conception d'abord, la construction et ensuite l'exploitation.

       L'exploitation est effectuée aujourd'hui via un système de management de la sécurité qui est sensé assurer une sécurité de fonctionnement en tentant de contrôler le facteur humain. De plus ce système inclut d'une manière obligatoire la protection de l'environnement et le management de la sûreté.

NB : Conception/construction et exploitation obéissent à des exigences internationales ; le management de la qualité est, en théorie, du domaine volontaire. Tous ces systèmes de management utilisent des logiciels de gestion très simples qui évitent une paperasse que le marin exècre !


Conception du navire

         Contrairement aux autres moyens de transports majeurs, on ne construit pas de série de navires … depuis la fin de la dernière guerre. Je m'explique : La spécification (cahier des charges) peut être la même … mais croyez moi … suivant le chantier naval, l'ingénieur responsable de la construction et … l'équipe chargée par l'armateur de suivre la construction… le navire fini sera différent ! Chaque navire de commerce est donc finalement pratiquement unique tant dans sa conception que dans la qualité de sa construction.

       Le chantier et l'armateur se mettent d'accord sur une spécification qui assure la conformité aux exigences internationales et nationales (si ces dernières existent). Ensuite, une société de classification, compétente en matière de construction, de stabilité et de sécurité vérifie cette conformité de conception (spécification, plans) aux normes citées plus haut ainsi qu'à ses propres critères et agit alors souvent au nom du gouvernement du futur pavillon du navire … , gouvernement qui n'a malheureusement pratiquement jamais les moyens de le faire tout seul !
       Dès la conception, la sécurité du fonctionnement du futur navire est prise en compte : normes de conception du navire et de ses équipements, redondance des appareils, assurance d'une sécurité minimum en cas de défaillance, embryon de fonctionnement en mode dégradé.
Il s'agit de : NB : Ces normes, sensées assurer une certaine sécurité de fonctionnement, sont élaborées généralement….à la suite d'accidents maritimes ….de préférence spectaculaires… en pollution (AMOCO CADIZ - ERIKA) ou en pertes de vies humaines (TITANIC - HERALD OF FREE ENTERPRISE) etc.… Notre industrie, c'est vrai, a toujours été très réactive…. la pro activité est encore timide, mais ça vient enfin !

De plus, suivant son rang dans l'échelle mondiale, son expérience, sa notoriété… et son portefeuille…. l'armateur peut préciser des exigences complémentaires et suivre leur application. En gros, grâce à sa propre équipe d' " étude et construction " :        Plus précisément, durant toute sa vie (entre 20 et 30 ans) la sécurité de fonctionnement du navire se fera via le système de gestion de la sécurité en place dans la compagnie et sur le navire.
       Cette gestion de la sécurité est obligatoire pour tous les navires pratiquant à l'international : le référentiel est le code ISM (International Safety Management) qui impose une maintenance élaborée mais aussi "une identification du matériel et des systèmes techniques dont la panne soudaine, pourrait entraîner des situations dangereuses. Le système de gestion de la sécurité doit prévoir des mesures spécifiques pour renforcer leur fiabilité".
       Nous sommes là en plein dans la "sécurité de fonctionnement" !
       Cette exigence est prise en compte dès la conception du navire et donc pour se mettre en conformité:        Des mesures de renforcement de fiabilité sont donc proposées dès la conception et il est sage aujourd'hui de prévoir un paragraphe dans la spécification destinée au chantier afin qu'il prenne en compte (à son compte) certaines de ces mesures : redondance, alimentation de secours etc.…)
NB : Parfois les résultats de l'analyse du risque sont bizarrement interprétés : tandis que l'analyse élémentaire détermine aisément qu'il faut une redondance à la propulsion, beaucoup de navires sont encore construits avec un ou deux moteurs mais avec une seule hélice et un seul gouvernail ! Sans propulsion, le capitaine du navire est comme un nain dans une immensité soudainement très hostile, alors que pour quelques dollars de plus on aurait pu ….suivre tout simplement l'analyse de risque !
       Il faut être honnête, la tendance actuelle est quand même de construire des navires avec une propulsion et une gouverne complètement redondante….heureusement pour nous, pour nos côtes et… nos assureurs !


Construction du navire

       Contrairement peut-être aux autres moyens de transport, la construction d'un navire (unique, ou presque, en lui-même) est faite sous la surveillance du futur propriétaire … qui peut quand même confier cela à un sous-traitant (encore les sociétés de classification !) ou confier cela à sa propre équipe… qui sera naturellement l'équipage qui utilisera le navire ensuite à ses débuts !

       Il s'agit en fait d'un travail de "surveyor": vérification que les dispositions de la spécification sont suivies et faites selon les normes de qualité conjointement définies!

       Beaucoup d'armateurs ont compris les avantages à mettre le futur état-major à suivre la construction du navire de A à Z. Qu'on le veuille ou non, le marin a encore cette espèce de liaison quasi charnelle avec "son" navire ; n'oubliez pas qu'il va vivre à bord jour et nuit , 24 heures sur 24, pendant de longs mois… il mettra donc toute sa compétence dans le suivi ! Quelque part il s'agit de sa propre peau d'abord et ensuite de sa tranquillité (un bon navire rend le marin heureux - proverbe breton !).

       D'autre part, une fois construit et essayé, l'armateur a un équipage tout prêt à l'utiliser… pas besoin de voyages d'essais ou d'endurance ici : le navire est tout de suite opérationnel !

       Cela peut paraître cher, cependant l'expérience prouve que finalement l'armateur sera gagnant, les marins savent reconnaître un navire qui a été bien construit notamment parce qu'il a été bien suivi par de vrais professionnels tout au long de sa conception et de sa construction.


Maintenance

         Dans le cadre du système de gestion de la sécurité, la maintenance du navire en service et de ses équipements sera ensuite planifiée, enregistrée, vérifiée et évaluée en interne et enfin certifiée conforme et effective par le gouvernement du pavillon ou son représentant. Un programme de maintenance est donc préparé dès la conception et suivi ensuite tout au long de la vie du navire en tenant compte:
  • De la criticité de l'appareil ou du système
  • Des recommandations du constructeur de l'appareil
  • Des opérations ou lignes effectuées par le navire (pays tropicaux, pays froids)
  • Des retours d'expérience acquis au sein de la compagnie
       On y ajoute les essais périodiques des appareils en secours (redondance) ou des systèmes peu fréquemment utilisés (équipements de secours).

NB : Le retour d'expérience à un niveau national ou international à du mal à se mettre en place ; il semble que la concurrence soit un frein énorme à cet aspect de l'amélioration continue partagée.
Dans le cadre de la maintenance, d'autres problèmes importants apparaissent et son parfois difficiles à régler :

Gestion du facteur humain

         La sécurité de fonctionnement d'un navire ne sera efficace que si on prend en compte celui qui va l'utiliser au jour le jour, c'est à dire l'homme. A l'origine de près de 80% des accidents, le facteur humain est pris en compte dans l'industrie maritime comme ailleurs et les spécifications suivantes sont appliquées:
  • Redondance : toutes les fonctions clés à bord du navire ont une suppléance. Les suppléants ont la même formation que les leaders.
  • …mais pas la même expérience : aussi la formation continue et la revalidation des compétences sont organisées à bord comme à terre.
  • D'autres mesures de "sûreté de fonctionnement" sont incluses dans le Système de Management de la Sécurité : management des passages de quart ou responsabilités (suites), exercices et entraînements, procédures et check-lists, audits internes et auto évaluation (revues de capitaine et de direction)- management des échanges avec les pilotes de port etc.….
La difficulté est grande car les conditions de travail du marin sont particulières:        Le risque facteur humain pour la sécurité de fonctionnement est de plus en plus pris en compte : dépression, comportement. Les mesures d'amélioration sont trop timides et provoquent ….un manque crucial de marins pour les années à venir!
Il n'y a malheureusement pas de solutions miracle…et le niveau de qualité des marins baisse dangereusement !!!


Éléments non gérables

       La mer, si belle si bleue, peut devenir terrible et nous rappeler brutalement sa puissance. Les vieux marins, qu'ils soient de commerce ou de plaisance, vous le diront : on ne la maîtrise jamais, on ne fait que la "négocier" !

       La "sécurité de fonctionnement" repose aussi sur cette "humilité" du Capitaine devant la mer quelque soit la qualité, la technicité et la robustesse de "son" navire !


En conclusion

       Dans le transport maritime comme ailleurs, les techniques modernes d'évaluation des risques prenant en compte le facteur humain doivent être suivies quel qu'en soit le prix. Les apprentis sorciers, qui s'asseyent sur ces résultats et ne font ensuite que ce qu'ils veulent, n'ont plus de place dans notre monde du XXIème siècle.

       La sécurité de fonctionnement des navires sera ensuite l'assurance de la sécurité du transport de ces produits aujourd'hui indispensables mais qui peuvent devenir terribles pour notre environnement : si l'AMOCO CADIZ ou l'ERIKA avaient été plus sûr (construction et maintenance) nous ne serions pas aujourd'hui à rechercher quelque coupable / bouc émissaire avec force expertises et procès qui finalement ne résoudront bien sûr rien du tout.

 
Cdt B. APPERRY
Président de l'Association Française des Experts Maritimes

* Les commandes de transports de gaz naturel explosent en ce moment. Les dernières commandes pour le gaz du QATAR concernent 6 gaziers de 265 000 M3 – moitié chez DAEWOO, moitié chez SAMSUNG - où la redondance de propulsion et de gouverne est bien assurée (2 moteurs diesel lents, deux hélices, deux gouvernails !).



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