Retour au menu
Retour au menu
Code I.S.M. : L'Erika et les dix commandements
(page Nº11)
 

       Passablement énervé de voir le monde maritime français rester peu intéressé par ce code qui établi rien moins qu'une nouvelle culture sécurité, j'ai entrepris depuis déjà 5 ans de publier une vulgarisation du code ISM qui ... je crois commence à porter ses fruits.

       Je vous propose ici un résumé qui a fait ses preuves auprès de mes lecteurs qu'ils soient armateurs ou marins : "Le code ISM est un outil international de prévention des accidents de mer, constitué essentiellement d'une gestion des ressources humaines liées à la sécurité et la prévention de la pollution. Dans ce but. il structure un programme de réduction des risques engendrés par les activités humaines dans la compagnie maritime tant à terre qu'à bord de chacun de ses navires "

A cet effet, pour y parvenir, il exige de la compagnie :
  1. Des objectifs de prévention clairs, définis dans une politique volontaire.
  2. Une définition des responsabilités et en particulier celle du capitaine
  3. La désignation d'une ou de plusieurs personnes à terre chargées de surveiller les aspects sécurité / prévention de la pollution de l'exploitation de chaque navire. Ces personnes assurent en outre la liaison entre la compagnie et les navires
  4. Une gestion contrôlée du personnel c'est-à-dire : recrutement, familiarisation au navire et formation continue
  5. Une définition des tâches pour tout le personnel du bord
  6. Une organisation de la préparation de l'équipage et de la compagnie à répondre à une situation d'urgence (Plan de secours-entraînement des équipes à bord et de la cellule de crise à terre)
  7. L'exploitation du retour d'expérience en matière de sécurité et de prévention de la pollution
  8. Une maintenance élaborée du navire et de son armement suivant les normes en vigueur
  9. Une gestion pertinente de l'exploitation en mode dégradé
  10. Une organisation efficace de la communication interne à terre et à bord
  11. Une gestion méthodique de la documentation
  12. Une organisation de l'auto contrôle (audits internes- revues périodiques)
       Je viens de vous dire ce qu'est le code ISM, mais, suite aux interprétations récentes des médias, il faut également vous dire ce qu'il n'est pas.

Le code ISM ce n'est surtout pas :
  • Un simple N° de téléphone rappelant le plan ORSEC d'une certaine époque !
  • Une personne désignée à terre chargée de prendre les décisions, à terre à la place, d'un capitaine en situation difficile en mer !
  • Une espèce de panacée qui d'un coup de baguette magique va éradiquer les mauvais armateurs ou les mauvais navires !
  • Un instrument d'exploitation suffisamment élaboré qui pourrait se contenter d'équipages sous-formés !


COMMENT CELA SE PASSE-T-IL SUR LE TERRAIN ?

       Si de nombreux armateurs de pavillons initiateurs du code ISM se sont mis immédiatement au travail, il n'en était pas de même sous d'autres horizons. Après de nombreux "warnings" de la part de l'OMI et des signataires des différents MOU (Memorandum Of Understanding), les armateurs, certains contraints et forcés d'autres un peu plus motivés, se sont mis en conformité en temps voulu. Le processus est aujourd'hui bien lancé, consultants et Sociétés de Classification ont fait des progrès dans la qualité, la simplicité et l'efficacité des systèmes qu'ils proposent aux armateurs.

       La date limite approche à grand pas pour le dernier groupe soit : les cargos, les porte-conteneurs, les rouliers fret et également les plates-formes de forage mobiles au large (MODU)

Tout semble se dérouler comme il le faut, cependant :

IL Y A DES ANOMALIES!

D'une part,
         En effet, si l'objectif du code était en partie l'élimination des navires sous normes ...c'est pour l'instant un peu raté ! en effet tous les navires à risque ont semble-t-il passé l'examen !!!

       Cette anomalie gêne beaucoup l'OMI, je suppose, mais certainement les bons armateurs : nous voilà revenus à la case départ en somme ! En effet, il ne faut pas se voiler la face, mathématiquement certains certificats ont été acquis de manière illégale, ou alors certains systèmes de management de la sécurité sont complètement bidons !
Pour en être arrivé là, je pose la question :
  • soit le pavillon, soit la société de certification sont incompétents ?
  • les certificats ISM sont-ils devenus aussi douteux que d'autres etc.... ?
D'autre part,
         Les sociétés de classification ont été créées en grande partie pour suppléer les carences des états dans le contrôle technique des installations. Les inspecteurs de ces sociétés sont des spécialistes de la construction navale. des moteurs de propulsion, des équipements divers des navires : le code ISM, gère le facteur humain, ce n'est plus du hardware c'est le software ! mais que sont-elles donc venues faire dans cette galère ?
       Un armateur français m'a un jour déclaré, qu'à son avis le code ISM avait été inventé pour renflouer les caisses des sociétés de Classification : boutade peut-être mais qui traduit une certaine perplexité de la part des principaux acteurs de la sécurité maritime !
       En effet, déjà choisie pour assurer la classe, la même Société de Clarification souvent met en place le SMS puis... le certifie dans la compagnie et sur les navires : en même temps juge et partie ?

Enfin une autre anomalie importante,
         Même en France, l'application du code n'est obligatoire que pour les navires de plus de 500 tx effectuant une navigation internationale : c'est-à-dire que le transport français de produits pétroliers qui part de Dunkerque pour Folkestone est assujetti mais pas celui qui quitte le port de Dunkerque avec le même fuel N°2 pour BAYONNE, par exemple, alors qu'il passera lui aussi en décembre au large de OUESSANT et de PEN-MARC'H !
       Tout ceci est incompréhensible bien sûr mais nous avons bon espoir que cette anomalie sera comblée rapidement grâce peut-être à la triste histoire de l'ERIKA.


CAUSES PROBABLES du MAUVAIS FONCTIONNEMENT du code ISM en général

  1. Relations ambiguës entre le certificateur et le certifié
    • Administration du pavillon / Armateur national : quoiqu'on en dise, l'armateur d'origine nationale et ayant son siège dans le pays aura des faveurs peut-être, des circonstances atténuantes certainement, c'est humain !

    • Société de Classification / Armateur client : malgré la plus grande honnêteté, la société de classification a devant-elle un client parfois très important. Il pourra aussi bénéficier de circonstances atténuantes au minimum et parfois plus ! là aussi c'est humain !


  2. Audits et évaluations dans le cadre du SMS
    • Les audits ISM sont intrinsèquement dirigés sur l'évaluation des ressources humaines dans le cadre du SMS.
    Ce genre de performance n'est pas à la portée de tout le monde et tous les acteurs l'ont compris, elle est l'affaire de spécialistes : force nous est de constater que la formation des auditeurs ISM est encore de nos jours insuffisante ou apparemment toujours aussi mal faite.

    N.B. Les auditeurs ont été formés par les précurseurs - il faut bien qu'il y ait un commencement - cependant leur formation de type ISO leur fait oublier trop souvent, la partie facteur humain. Les audits ISM se transforment donc en inspections, ce qui est à l'inverse du but recherché et déroute beaucoup les acteurs de ces audits : Managers et Marins ( ref CL audits ISM du RINA).


  3. Absence de certaines exigences du code ISM : étude de risques et retour d'expérience
           Ces deux items sont de nos jours parties intégrantes de notre vie à tous. Le code ISM, sans être très précis là-dessus il faut le dire, lance quand même les bases d'une telle réflexion.

    Analyse des risques : le flou du code là-dessus, peut-être voulu d'ailleurs, laisse les acteurs du transport maritime sur leur faim. Pour un marin étudier systématiquement les risques de son métier. - comme le disait si justement le Cdt de l'ERIKA, il s'agit quand même de leur propre peau ! - est presque une seconde nature. Le code en étant plus précis aurait pu exiger que CHAQUE PROCEDURE SOIT PRECEDEE D'UNE ANALYSE DE RISQUES !

    Le retour d'expérience également est une des bases de la sécurité d'aujourd'hui : analyser nos erreurs pour éviter qu'elles ne se reproduisent !

    Ceci est élémentaire, mon cher Watson, et les marins applaudissent là également lorsque le SMS met en place un tel système.


CAS de l'ERIKA : du POINT de VUE ISM, COMMENT les CHOSES AURAIENT-ELLES DU SE PASSER ?
(N.B.: L'ERIKA était certifié ISM depuis au moins le 1er juillet 98 soit 18 mois minimum)

Le code ISM est un outil de prévention des accidents de mer : a-t-il été utilisé dans ce cas?

Non je ne le pense pas, car :
  • A aucun moment, semble-t-il, le retour d'expérience n'a été utilisé ni par la compagnie, ni par le capitaine, ni par la société de classification : Le navire avait fait l'objet de demandes de réparations justifiées - ces réparations n'ont pas été faites comme il avait été demandé - la société de classification, fautive de ne pas avoir suivi les réparations comme elle l'aurait dû, avait trop facilement reporté la finition des réparations - le capitaine était au courant de cette faiblesse résiduelle d'une cloison de son navire et n'en a pas suffisamment tenu compte pour un voyage dans des conditions critiques : tempête en Manche et proche Atlantique !
  • Nous avons encore appris récemment que les sociétés de classification s'étaient rendu compte d'une faiblesse de structure sur ce type de navires sortant du même chantier : mais ce n'est plus un vice caché, que n'avaient-elles donc, toutes ensemble au sein de l'AICS , profité d'un tel retour d'expérience et sommé les propriétaires soit de mettre leurs navires à la casse soit tout simplement refusé de les classer !!
  • Il apparaît que l'aide extérieure due au capitaine dans le cadre du code ISM a été tardive ou insuffisante laissant ainsi un jeune capitaine peu expérimenté se débrouiller pratiquement tout seul avec son navire et sa cargaison en perdition dans un mer déchaînée.
 
       La cellule de crise de la compagnie est là, non pas pour décider à la place du capitaine mais pour l'aider dans l'analyse de la situation et dans la prise de décision optimum pour le navire, la vie de ses hommes et la prévention de la pollution : conseils personnels à un capitaine en situation maximale de stress, conseils de spécialistes dans tous les cas ( autres capitaines ou chefs mécaniciens de la compagnie connaissant bien le navire, Sociétés assurant la classification ou un service d'aide à la décision, chantier de réparations etc...), contact permanent avec les autorités côtières responsables du plan POLMAR / SECOURS, recherche d'une zone de refuge adéquate, recherche et contact avec les remorqueurs disponibles etc...


AIDE au CAPITAINE

       En cas d'événement modifiant gravement la stabilité initiale du navire : échouement, défaillance d'une structure (cloison, pont, coque), brèche ou cassure suite à une collision ou aune explosion, au jour d'aujourd'hui, seule une information extérieure pourra aider le capitaine dans ses décisions ! Il faut le savoir.
       En effet, si les calculs classiques de stabilité pour le chargement et le déchargement sont effectués sur le calculateur du bord, celui-ci dans l'état actuel de la technique embarquée, ne peut assurer les calculs importants des différents cas après avarie. Les avaries peuvent être tellement différentes que la compétence ou l'expérience seules du capitaine ne pourront parfois évaluer à coup sûr la meilleure décision à prendre.
       Suite à l'analyse de l'accident de l'EXXON VALDEZ, les USA ont unilatéralement imposé l'OPA ( Oil Pollution Act ) de 90. Celui-ci exige que les calculs de stabilité et de résistance après avarie soient effectués à terre par un expert. Les sociétés de classification ont ainsi élaboré des SERS ( Ship Emergency Response Service) contractuels avec des armateurs fréquentant les États-Unis. Ces services sont constitués d'experts en stabilité dans des centres de calculs armés 24h/24.
       Une liaison directe est indispensable avec le navire ( téléphone, fax, e mail ). en fonction de l'avarie et de son évolution, l'expert donne au capitaine les résultats des calculs sur sa stabilité actuelle, celle envisageable en cas de mouvements de ballast, sur la tolérabilité des probables efforts sur la structure etc....aidant ainsi le capitaine à prendre ses décisions pour le salut du navire et de sa cargaison. Pour réaliser cette aide personnalisée, les plans de structure du navire ainsi que les éléments hydrostatiques fournis par le chantier de construction, doivent être "avalés" par les ordinateurs. Si cela paraît facile pour des navires récents, cela est beaucoup moins aisé pour des navires anciens ayant changés plusieurs fois de propriétaires (plans égarés ou non à jour et...).
       Apparemment, l'ERIKA navire construit en 75 ne bénéficiait pas d'une telle aide ... qui aurait pu peut-être informer le capitaine que la gîte prise à partir de midi le 11 décembre était annonciatrice d'une cassure suffisante pour lancer, bien sûr, un appel de détresse et ...aussi de le maintenir !


Du point de vue purement ISM, QUELLES SONT DONC LES SOLUTIONS POSSIBLES pour REDUIRE AU MAXIMUM LES RISQUES D'UN TEL ACCIDENT ?

       En reprenant les causes probables, je propose : une formation adéquate des auditeurs, une nouvelle organisation des audits de certification faisant appel à la contradiction, un retour d'expérience international de la part des administrations du pavillon ou des sociétés de classification chargées du contrôle continu des navires à risques ( et des autres ensuite), une cellule d'aide nationale au capitaine en situation d'urgence (en situation de stress, la langue maternelle est parfois la seule qui passe), faire appel à de vrais spécialistes pour les enquêtes après accident, envisager dès maintenant des amendements afin d'améliorer le code ISM sans attendre l'échéance de 2002.
  1. Formation ISM :

  2. Cette formation n'existe pas encore au niveau de STCW. il y a lieu de proposer dès aujourd'hui à l'OMI, sans attendre que la convention STCW soit totalement appliquée (2002). d'élaborer cet enseignement et de l'exiger pour tous les acteurs de la sécurité du transport maritime en commençant par les navires à risques.
    Les acteurs concernés sont : les marins, les personnes désignées, les auditeurs internes et externes.

  3. Certification ISM :

  4. Audits de certification par spécialistes agréés d'une manière internationale (l'OMI par exemple) le plus tôt possible.
    Audits effectués d'une manière contradictoire c-a-d par deux spécialistes d'origine différente : un fonctionnaire du pavillon et un spécialiste indépendant ou un auditeur de la classe choisie et un indépendant. NB : Les spécialistes indépendants agréés de la même manière que les autres, seront théoriquement toujours plus libres de toute pression, car libérés de tout devoir de réserve. Ils sont à ce jour assez rares peut-être, mais un appel d'offre international devrait résoudre le problème.

  5. Retour d'Expérience International obligatoire
  6. sur les navires à risques d'abord et les autres ensuite.
    A partir d'un retour d'expérience compagnie sur la gestion de la sécurité, il serait possible de mettre en place une gestion nationale et ensuite une gestion internationale sous l'égide de l'OMI par exemple via les administrations et les sociétés certificatrices.
    Des verrous de confidentialité indispensables devraient être aisés à mettre en place.
    N.B : L'aviation civile s'y emploie actuellement de son côté.

  7. Obligation de la certification ISM étendue à la navigation nationale
  8. Cette anomalie devra être rapidement éliminée. Le peuple français ne comprendrait certainement pas dans le cas d'un accident de navire à passagers demain entre MARSEILLE et LE FRIOUL ou d'un petit pétrolier ravitailleur chargé au maximum de fioul lourd éventré sur la digue de CHERBOURG après demain !

  9. Faire appel à de vrais spécialistes
  10. lors des enquêtes administratives ou lors des enquêtes judiciaires : la profession a déjà trop souffert des spécialistes en tout !

    Donc : consulter un commandant ayant commandé le type de navire concerné et récemment retraité donc libéré de son devoir de réserve par exemple !
    Des formations ciblées d'experts maritimes avec délivrance de diplômes commencent à se faire jour dans cette profession où pouvait s'intituler expert un peu n'importe qui !
    N.B : La compétence professionnelle devrait y être évidemment reconnue

  11. Étudier des amendements au code ISM sans attendre 2002

  12. Si on ne peut plus revenir sur l'obligation de la certification ISM, il serait peut-être plus judicieux de créer 3 niveaux de certification, des mentions passables, bien et très bien si vous voulez ( ISM 3, ISM 2 et ISM 1).
    Des contraintes de durée de validité seraient imposées aux certificats jugés passables 6 mois par exemple ( contraintes toujours pénalisantes financièrement et commercialement pour l'exploitant) et une extension ou exonération de contrôles pour les meilleurs (qui effectivement n'en ont pas besoin).
    Le service SERS - national ou international alimenté comme tel- devrait être rendu obligatoire immédiatement pour les navires à risques (pétroliers, vraquiers, chimiquiers, gaziers, navires à passagers) et à échéance moyenne pour les autres.

  13. Renforcer notre présence à l'OMI
  14. soit par un étoffement de notre représentation soit par la création d'une délégation EUROPÉENNE qui regrouperait nos actuelles différentes délégations.


N.B.: Toute décision concernant l'application du code ISM ne pourrait être qu'européenne.


CONCLUSION

       Le code ISM, structure d'une nouvelle culture sécurité, est un puissant instrument de prévention des accidents maritimes : encore faut-il qu'il soit bien compris et bien appliqué sinon d'autres ERIKA se rappelleront à notre souvenir et peut-être très bientôt !

Cdt Bertrand APPERRY
29/02/2000

Ref: REGISTRO ITALIANO NAVALE Safety Management System- ships- audit check-list.
Dr DS ALDW1NCKLE Senior Principal surveyor LR: ISM Code emergency preparedness.
Articles du journal le MARIN
Arrêté du 19/12/95 du Ministère des transports - annexe : division 250 article 1.01
Résolution A 788 de l'OMI ( NOV 95) : directives pour l'application du code ISM.

Retour au menu
Retour au menu