![]() Retour au menu Evolution de l'indice requis de compartimentage R des navires à passagers dans la Convention Solas :
de la Résolution A 265 (VIII) de 1974 aux futurs amendements «Solas 2020» (MSC 98 de Juin 2017). Quel bilan pour l'OMI ?![]()
Le risque envahissement, quelle qu'en soit la cause ou l'origine, est le risque majeur de la navigation maritime en terme de perte de vies humaines. Il est supérieur à tous les autres risques. Régulièrement des accidents et des tragédies nous le rappellent. Le seul moyen de faire face à ce risque, en dehors des aspects opérationnels et comportementaux des équipages, est la sécurité intrinsèque (architecturale) des navires, en d'autres termes, leur compartimentage et leur stabilité après avarie. Les règles probabilistes sur le compartimentage et la stabilité après avarie des navires de la Convention Solas (Chap. II-1 partie B) ont une grande qualité : on peut modifier le niveau de sécurité qu'elles déterminent en ne touchant qu'à un seul paramètre, l'indice requis de compartimentage R. Ce paramètre fondamental R qui est en gros la probabilité de survie à l'ensemble des cas d'avarie considérés suite à une collision dans un certain environnement de vagues place la barre à un certain niveau de sécurité globale. Il est représentatif de l'antagonisme «sécurité/efficacité commerciale» de tout projet de navire : un navire très sûr au point de vue du compartimentage et de la stabilité après avarie est un navire très cloisonné mais de ce fait un navire difficilement exploitable et plus cher à construire. La formulation de l'indice requis de compartimentage R est un compromis, laborieusement obtenu à l'OMI comme nous allons le voir. La formulation de R est donc très politique. L'observation de l'évolution de ce paramètre critique depuis 1974 est de facto un indicateur simple et indiscutable des progrès … ou pas du compartimentage et de la stabilité après avarie des navires à passagers. Le lecteur trouvera en annexe un rappel sur le principe des règles probabilistes. La formule de calcul de l'indice requis de compartimentage R est en général très simple, contrairement au processus de calcul conduisant à l'indice atteint de compartimentage A. Nous présentons ici les formules donnant R pour les navires à passagers, telles que rencontrées dans la Convention Solas et dans diverses études, le tout depuis 1974. Nous indiquons pour mémoire la formule de R pour les navires relevant du Code SPS (navires spéciaux : câbliers, géophysique, recherche océanographique, offshore, …) qui ont un statut intermédiaire entre navires de charge et navires à passagers. ![]() avec : N=N1+2.N2 N1 = nombre de personnes pour lesquelles il est prévu des embarcations de sauvetage N2 = nombre de personnes (y compris l'équipage) que le navire est autorisé à transporter en plus de N1 Ls est la longueur dite de compartimentage, à peu près égale à la longueur hors tout. Nous ne nous intéressons ici qu'à la partie «navires à passagers». ![]() avec : N=N1+2.N2 (mêmes notations que pour la formule de la Résolution A 265 de 1974 confer § 21) Ce programme de recherche très innovant, financé par l'Union européenne (Agence européenne de sécurité maritime) avait pour objectif d'évaluer la situation en termes de niveau de sécurité des navires à passagers, en particulier de type rouliers à passagers (ferries). R = 0.875 pour : N< 100
avec N = nombre de personnes à bord Cet ambitieux programme de recherche a de même été financé par l'Union européenne. Il a concerné la problématique de sécurité de tous les navires à passagers (croisière et ferries). Le programme a proposé 2 indices R, très proches l'un de l'autre. Le premier (linéaire en 3 tronçons) sous cette forme : R = 0.9 (pour N < 1000)
Le deuxième (courbe continue) sous la forme : ![]() Dans les deux cas N est le nombre de personnes à bord. Nous utiliserons la deuxième formulation dans l'analyse du § 3. Le programme EMSA 3, lui aussi financé par l'Union européenne, avait pour objectif une analyse exhaustive de la problématique navires à passagers. En creux, l'étude EMSA 3 devait aussi faire une critique des programmes précédents EMSA 2 et GOALDS jugés par certains intérêts trop radicaux dans leurs conclusions. ![]() N = nombre de personnes à bord La formulation ci-dessus résulte d'une étude ayant porté sur les collisions et les échouements. Elle conduit à une valeur légèrement plus sévère que celle qui ne considère que les collisions. Le Sous-comité SDC 3 a proposé en 2016 au Comité de la sécurité maritime MSC 96 une nouvelle formulation de l'indice requis de compartimentage R indiquée ci-dessous. Le MSC 96 a suggéré aux États membres de l'adopter définitivement au MSC 97. R = 0.000088.N + 0.7488 (pour N <= 1000) R = 0.0369.Ln(N + 89.048) + 0.579 (pour 1000 < N <= 6000)
Au cours du Comité de la sécurité maritime MSC 97 des résistances sont apparues. Un compromis a dû être négocié lors du Comité suivant, le 98e. Ce dernier, par la Résolution MSC 421(98) du 15 juin 2017, a adopté à la suite de ces tractations une nouvelle formule de l'indice requis de compartimentage R. Cet amendement à la Convention Solas entrera en vigueur en 2020 («Solas 2020»). R = 0.722 (pour N < 400)
On porte sur un même graphique en abscisse le nombre de personnes à bord N et en ordonnée les valeurs de l'indice requis de compartimentage R indiquées au § 2. On trace ainsi 8 courbes représentatives des fonctions R = f(N) : Nota 1 : Dans les formules donnant R de la Résolution A 265 (1974) et de «Solas 2009», il y a le paramètre longueur de subdivision (en gros la longueur du navire). Pour la Résolution A 265, une valeur fixe de Ls = 200 m a été prise. Pour «Solas 2009», le paramètre Ls est pris égal à 0 compte tenu de son influence totalement marginale dans le résultat (confer [11] en bibliographie). Nota 2 : La Résolution A 265 et «Solas 2009» distinguent pour le nombre de personnes à bord, les personnes pouvant être évacuées par embarcations (N1) des personnes étant évacuées autrement (N2). C'est une manière de donner une «prime» aux embarcations face aux autres moyens d'évacuation (confer [11] en bibliographie). L'OMI a décidé de ne prendre en compte désormais avec «Solas 2020» que le nombre brut de personnes à bord. L'OMI considère donc maintenant que les personnes évacuées en embarcations, en radeaux sous bossoirs (ou pas), en système de type toboggans ou chutes ralenties verticales (marine evacuation system ou MES) ont les mêmes chances opérationnelles en cas d'abandon. Nous laissons le lecteur juge. Afin d'évaluer correctement l'évolution de R depuis 1974, on divise en deux la zone d'abscisse N afin de créer deux fenêtres d'analyse : 1ère fenêtre : abscisse N (nombre de personnes à bord) jusqu'à 2 000 => Figure 1. Cette plage est représentative, selon la structure de la flotte actuelle, des navires à passagers de petite à moyenne capacité et de la grande majorité des navires rouliers à passagers (ferries). Le nombre de navires concerné est très grand. ![]() Figure 1 : indice requis de compartimentage R des navires à passagers ayant jusqu'à 2 000 personnes à bord 2e fenêtre : abscisse N (nombre de personnes à bord) de 2 000 à 8 000 => Figure 2. Cette fenêtre matérialise la plage des navires à passagers de moyenne à forte capacité. Cette plage est représentative, selon la structure de la flotte mondiale actuelle, des moyens à grands navires (de croisière principalement), avec quelques cas de grands navires rouliers à passagers (ferries). Le nombre de navires considéré dans cette 2e plage est moins grand que celui de la 1ère plage. ![]() Figure 2 : Indice requis de compartimentage R des navires à passagers ayant de 2 000 à 8 000 personnes à bord NB = sur la figure 1 et la figure 2, la courbe MSC 98 est confondue avec la courbe SDC 3 / MSC 96 depuis l'abscisse N = 1350 ; elles finissent aussi par se confondre avec la courbe EMSA 3 à partir de N = 5 000. ![]() naufrage du Sea Diamond à Santorin le 05/04/2007 Les études EMSA 2 (2011-2012) et GOALDS (2009-2013) financées par l'Union européenne, recommandent une augmentation très importante de la valeur de l'indice requis de compartimentage R. La formulation de R dans «Solas 2009» (entrée en vigueur le 01/01/2009) est considérée comme largement insuffisante. Ces deux grandes études ne seront pas suivies par l'OMI comme on peut le constater sur les figures 1 et 2. L'étude EMSA 3 (2013-2015) également financée par l'Union européenne, est menée dans un contexte de résistance à la demande d'augmentation du niveau de sécurité intrinsèque. EMSA 3 réduit un peu les exigences des études précédentes mais préconise toutefois la nécessité d'améliorer la situation. Le Sous-comité Ship Design & Construction SDC 3 (2016) de l'OMI transmet au Maritime Safety Committee MSC 96 (2016) un rapport recommandant l'application complète de l'étude EMSA 3. Le MSC 96 entérine. Mais au MSC 97 (qui doit valider la décision du MSC 96) des résistances apparaissent. Il va falloir faire des compromis et finalement, en juin 2017, le MSC 98 valide une nouvelle formule. Celle-ci est un peu moins exigeante en dessous de 2 000 personnes à bord et très nettement en dessous de 1 350. C'est cette formulation de l'index requis de compartimentage R qui s'appliquera aux futurs navires à partir de 2020 («Solas 2020»). Il est remarquable de noter que pour les grands navires à passagers, l'augmentation du niveau de sécurité intrinsèque entre 1974 (Résolution A 265) et 2020 (MSC 98 de 2017) est relativement faible, comme le montre la figure 2. Presqu'un demi-siècle s'est écoulé et le progrès pour les futurs grands navires post 2020 sera bien maigre. NB : si on prend Ls= 300 m et non Ls = 200 m comme choisi dans les figures 1 et 2 pour la formule de R, ce point est encore plus net. On observe (figure 1) que la résistance de certains pays s'est faite au niveau des navires à passagers conventionnels ou ferries de moins de 1 350 personnes à bord. Le compromis adopté au MSC 98 n'amène qu'une augmentation très faible du niveau de sécurité jusqu'à 800 personnes à bord (figure 1). On ne rejoint ensuite le niveau recommandé par l'étude EMSA 3 que vers 1 350 personnes à bord. Les grands perdants de la décision de l'OMI lors du MSC 98 sont donc les petits navires à passagers, ceux avec moins de 1 000 personnes à bord. C'est particulièrement net en dessous de 800 personnes. Il a été dit par certains pays à l'OMI que dessiner de tels navires au standard SDC 3 / MSC 96 (inférieur pourtant aux recommandations de EMSA 3) était impossible. Cet argument n'est techniquement guère recevable, mais il a fallu faire des concessions. L'OMI maintient donc un vieux et mauvais principe inscrit dans Solas depuis un siècle : le niveau de sécurité des navires à passagers face au risque majeur de la navigation (l'envahissement) est proportionnel à la taille du navire (nombre de personnes à bord). Ce fait est inconnu du grand public. Est-ce que dans le transport aérien le niveau de sécurité est plus faible sur un petit Airbus A 320 que sur un gros Airbus A 380 ? Le cas des rouliers à passagers (ferries) est plus complexe à analyser. La dangerosité spécifique de ces navires (confer référence [10] ) est bien connue. Au Comité de sécurité maritime MSC 98, 2 décisions concernant ces navires ont été prises: une sur la valeur de l'indice requis de compartimentage R et l'autre sur la manière de calculer l'indice atteint de compartimentage A. Pour la première décision, qui concerne en gros tous les navires à passagers de moins de 1 350 personnes à bord, la figure 1 montre clairement que le progrès introduit est bien faible comme on l'a vu plus haut. Le deuxième point est un début d'alignement de l'OMI sur l'Accord de Stockholm (Directive européenne 2003/25/CE telle qu'amendée). On rappelle que cette Directive européenne impose que les ferries opérant en Europe doivent appliquer l'Accord de Stockholm en plus du chapitre II-1 partie B de Solas («Solas 2009»). Cet accord durcit la capacité de résistance des navires rouliers à passagers aux avaries de type «water on deck» (envahissement du pont roulier principal). L'OMI, plus de 20 ans après l'Accord de Stockholm qui date de 1996, va introduire en 2020 une prise en compte du danger «water on deck»… Cette prise en compte se fera au niveau du calcul de l'index atteint de compartimentage A, en le rendant plus exigeant de quelques petits pourcents pour les avaries touchant une zone ro-ro. Des universitaires ont indiqué que cette prise en compte est insuffisante pour «égaler» l'Accord de Stockholm. Les ferries européens continueront d'être protégés par l'Accord de Stockholm et auront un indice R un peu amélioré mais sans que cela n'ait une réelle incidence puisque leur niveau de sécurité est déjà augmenté précisément par … l'Accord de Stockholm. Les ferries du reste du monde, eux, auront de la même manière un indice R un peu amélioré, mais avec une espèce d'Accord de Stockholm du pauvre. L'OMI lors du Comité de la sécurité maritime MSC 98 (juin 2017) a définitivement adopté, après des années de réflexion et de palabres, les amendements au chapitre II-1 partie B de la Convention Solas 1974 qui ont trait au compartimentage et à la stabilité après avarie des navires à passagers (conventionnels et ferries). En procédant à une augmentation de l'indice requis de compartimentage R des règles probabilistes, un certain relèvement du niveau de sécurité face au risque envahissement a été opéré. Les futurs navires à passagers (après 2020) seront un peu plus sûrs que ceux construits selon le standard précédent, à savoir les règles de «Solas 2009». Une analyse sur plus de 40 ans de la valeur de R (la première formulation de l'indice requis de compartimentage R date de 1973/1974) montre que pour les très grands navires à passagers cette amélioration est plutôt modérée, voire très modérée notamment par comparaison avec la formule de 1974. Pour les petits navires à passagers (approximativement moins de 1 350 personnes à bord et surtout moins de 800), l'amélioration est particulièrement faible. Les études indiquaient pourtant que cet important segment de la flotte passagère nécessitait une augmentation de la résistance aux avaries de coque. Le vieux principe historique, très contestable, d'une proportionnalité de la sécurité intrinsèque à la taille du navire (par son nombre de personnes à bord) a été maintenu. D'une manière générale, les conclusions des études dites «EMSA 2», «GOALDS» et «EMSA 3» financées par l'Union européenne, sur l'amélioration du compartimentage et de la stabilité après avarie des navires à passagers n'ont été que très partiellement suivies par l'OMI si l'on se base sur le nombre de navires affectés. Pour les navires rouliers à passagers (ferries), la comparaison des amendements «Solas 2020» avec l'Accord de Stockholm applicable dans les eaux européennes (Directive européenne 2003/25/CE telle qu'amendée) reste à faire de façon scientifique. [1] OMI, Resolution MSC 421(98) du 15 juin 2017 (amendements à la Convention Solas => «Solas 2020»)Annexe : Rappel succinct sur les règles probabilistes
Les règles probabilistes pour l'étude de conformité du compartimentage et de la stabilité après avarie des navires à passagers ne sont pas nouvelles. La Convention Solas 1960 était encore la Convention applicable lorsque les premières règles fondées sur le principe probabiliste sont apparues. Le texte les introduisant date en effet du début 1974, juste avant l'entrée en vigueur la même année de la nouvelle Convention Solas de 1974. Ces règles pouvaient être appliquées à titre d'équivalence aux règles basées sur les principes déterministes qui ont prévalu jusqu'en 2009. ![]()
Le risque traité par les règles probabilistes en matière de compartimentage et de stabilité après avarie est celui d'un envahissement consécutif à une collision dans un certain environnement (vagues). Le dessin du compartimentage est «libre». On ne privilégie aucun type de géométrie : celui-ci peut être transversal, longitudinal et horizontal. Le double-fond, la cloison d'abordage, l'entourage étanche des compartiments machine et la cloison de coqueron arrière demeurent prescrits de façon déterministe. On évalue le compartimentage, et donc la résistance du navire aux avaries au travers d'une analyse globale d'envahissement de un, deux, trois, quatre, voire plus compartiments réels (zones). Avec cette analyse systématique de presque tous les cas d'envahissements possibles, on calcule un index atteint de compartimentage A représentatif de l'architecture réelle du navire. Celui-ci doit être supérieur à un index requis de compartimentage R, qui est le niveau de sécurité «sociétal» jugé suffisant par l'OMI. Autant l'indice A a un caractère scientifique, autant l'indice R est éminemment «politique». On doit avoir :
![]() François-Xavier Nettersheim |