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Les clauses "Grand-père" sont-elles sur le point d'être annulées ?
Traduction libre par le Cdt Ph. Sussac d'un commentaire d'IHS Fairplay (22 décembre 2017).
 

Les bizarrement nommées clauses "Grand-père" ont été introduites dans SOLAS et MARPOL pour éviter que les navires existants aient à se conformer à de nouveaux amendements ou règles qui impliqueraient des modifications majeures de construction ou d'équipements. La justification est qu'il serait déraisonnable d'attendre d'un armateur qu'il finance des modifications coûteuses à sa flotte chaque fois que des règles sont ajoutées ou modifiées.
La démarche peut sembler honnête, mais de graves préoccupations ont été signifiées suite à une large utilisation de cette clause, qui couvre pratiquement tout depuis le transport, les engins de sauvetage ou des modifications majeures, et son application inappropriée par certains pavillons.
Les vieux navires sont à l'origine de la plupart des accidents à la mer, et leur permettre de naviguer avec des systèmes ou équipements obsolètes est évidemment un problème. Par exemple, le dernier rapport d'enquête sur le naufrage de l'El Faro (pavillon US) en 2015, a montré que les canots de sauvetage ouverts, conformes à SOLAS 1960, étaient inadéquats pour une évacuation dans les conditions d'ouragan.
La campagne de sécurité norvégienne de la Skagerrak Safety Foundation a montré combien la clause avait causé de fortes différences entre les nouveaux et les anciens navires de croisière concernant la conformité avec de nouveaux amendements ou règles de sécurité.
La clause "Grand-père" rend possible des modifications mineures sur les systèmes de sécurité, moins coûteuses que des remplacements par de nouveaux modèles plus sûrs. Dans certains cas, des armateurs ont pu conserver des navires de nombreuses années sans améliorations significatives. De plus, de nouvelles règles appliquées aux navires neufs sans amélioration des anciens peut ralentir la tendance à l'amélioration de la sécurité. Jan Harsem, co-fondateur de la Skagerrak Foundation, a déclaré au colloque Safety at Sea : «La politique du gouvernement norvégien est très conservatrice et les nouvelles lois sont toujours basées sur des standards minimums OMI, et il y a toujours un délai pour une application sur les navires anciens. Nous désirons voir les navires anciens se mettre en conformité aux normes nouvelles plus rapidement. Le scénario idéal serait que la clause "Grand-père" ne soit pas là».

Du neuf pour du vieux.

Il n'y a pas de règle générale obligeant les navires en service à se mettre en conformité avec les nouvelles prescriptions OMI, y compris les engins de sauvetage ou la lutte contre l'incendie. Au lieu de cela, quand des prescriptions sont ajoutées ou amendées dans SOLAS et MARPOL, il est explicitement indiqué si les nouveautés s'appliquent ou non aux navires existants.
Des règles s'appliquant aux navires neufs ou existants comprennent SOLAS II-2, qui couvre la construction pour les aspects de protection, détection et extinction d'incendie. A la suite de l'accident de l'Herald of Free Entreprise (1987) et du Scandinavian Star (1990), des changements à SOLAS ont été ajoutés en 1994 pour améliorer la survie des ro-ro passagers, basés sur des standards de stabilité appliqués aux navires neufs.
D'autres amendements ont été adoptés en 1992 pour améliorer la sécurité incendie des navires à passagers existants, y compris les navires de croisière, pour des obligations de détection de fumées, d'alarme et de systèmes sprinkler.
Cependant, une grande partie des règles ne s'applique qu'aux navires neufs, dont la quille a été posée après que ces règles soient entrées en vigueur : c'est la clause "Grand-père".
Là où cette clause peut s'appliquer, les États membres de l'OMI doivent décider au cas par cas (règle par règle), si et comment ils s'y conformeront. Par exemple, un navire peut être exempté d'une règle pour toute sa vie, il peut y avoir un temps de grâce pour une mise en conformité, ou peut-être des systèmes d'amélioration alternatifs de sécurité ou de diminution de la pollution.

Considérations économiques.

L'argument pour conserver les navires avec cette clause fait appel à des considérations économiques ou pratiques. Beaucoup pensent qu'il est financièrement inacceptable d'exiger que toute une flotte soit équipée de systèmes améliorés à chaque nouvelle règle, spécialement s'ils sont récents.
Retour en 2014, le problème est apparu quand l'ICS (International chamber of shipping) a demandé application de la clause en vue d'exempter les armateurs de l'obligation d'investir dans les premiers systèmes de traitement des eaux de ballast, selon la convention BWMC, du fait qu'ils pourraient se retrouver non conformes plus tard.
Des modifications importantes de structure, comme la création de cloisons supplémentaires en cale, peuvent être très coûteuses et arrêter un navire plusieurs mois.
De plus, de nombreuses règles correspondent à des progrès technologiques et, donc, ne s'appliquent qu'aux navires nouveaux. Adrian Mundin, directeur système à la UK Chamber of shipping a déclaré à Safety at sea «Il faut accepter le fait que certaines législations correspondent à de nouvelles technologies et ne peuvent s'appliquer qu'aux navires nouveaux. Un petit navire existant a pu naviguer en toute sécurité pendant des décennies. Le fait que le paysage règlementaire ait changé où que, du jour au lendemain, il y ait une nouvelle règle ne rend pas soudain une exploitation dangereuse».
Une partie du problème est, en considérant l'application de la clause, la balance entre les considérations de sécurité, commerciales et pratiques. Des États ont été critiqués pour avoir cédé à des pressions de la profession et avoir privilégié une approche minimum.
Allan Graveson, secrétaire national de Nautilus International, a déclaré à Safety at sea : «l'OMI est dominée par des États qui veulent attirer vers leur pavillon, ce qui veut dire avoir le moins de règles et de taxation sur les armateurs. Il y a presque concurrence pour ne pas avoir de règles, il n'est dans l'intérêt d'aucun pays de "sortir la tête" et de rendre la clause plus stricte ou de la supprimer avec pour résultat une perte de tonnage dans le registre».
Des États actifs essaient d'avoir de meilleurs objectifs et de dépasser les standards minimums. «La UK MCA surveille assez attentivement comment on peut arriver à des stades règlementaires plus élevés, avec des méthodes alternatives acceptables pour atteindre les mêmes buts de sécurité» déclare Mundin.
L'OMI recommande que les gouvernements nationaux consultent ses instructions pour appliquer la clause (MSC I – Circ 765, de 1996) pour essayer d'éviter des carences dans les standards de sécurité ou anti-pollution entre les navires nouveaux ou anciens. Ces instructions orientées vers la construction demandent que les États membres réévaluent le statut de la clause régulièrement - cinq ans en général - pour s'assurer que les navires existants sont amenés à un niveau acceptable en évitant des lacunes trop importantes. Citation :«Bien que les mesures puissent être différentes que celles des navires neufs, dans l'idéal cela devrait, à longue échéance, parvenir à un niveau équivalent pour les navires neufs ou existants».
Les instructions donnent une liste d'aspects à considérer pour équiper les navires existants :
  • Le coût de la mesure, sa nécessité, et son efficacité.
  • La disponibilité des équipements demandés.
  • La possibilité de la mesure.
  • La charge des procédures législatives ou administratives de l'État membre.
  • L'inconvénient de modifier des conventions trop souvent ou trop tôt.
  • Le temps de mise en place.
  • La facilité de mise en place.
  • Le sérieux de la mesure, ou
  • S'il serait plus approprié d'appliquer des règles nécessaires pour une amélioration.

Certains sont en progrès.

D'autres désirent amener la profession à une plus grande rigueur ou même à oublier la clause pour aller au-delà de SOLAS ou MARPOL, pour aligner les standards des navires existants sur les neufs.
Harsen veut que le gouvernement norvégien abandonne son approche actuelle conservatrice : «S'il n'est pas encore possible de se débarrasser de cette clause à l'international, nous devrions déclarer que si des navires veulent le registre norvégien ou celui d'un pays de la région scandinave, ils devront se conformer à des normes supérieures aux normes minima que constitue la SOLAS. Les plus hautes normes seront nécessaires, que votre navire ait été construit en 1960 ou en 2017, et encore, pour tous les pavillons, pas seulement ceux de Norvège, Danemark ou Suède», dit-il. Il veut voir la mise en place de dates limites strictes pour que les normes de sécurité soient obligatoires pour tous, y compris les navires existants, dans ces délais. «Les navires anciens devraient être améliorés plus rapidement qu'actuellement. Le système que nous avons n'est pas assez bon».
Là où des États autorisent des exemptions permanentes pour certaines règles, peut-être qu'une approche mieux évaluée du risque devrait être adoptée pour tenir compte du risque de pollution ou de sécurité et de l'impact économique de l'armateur.
«Il ne devrait pas y avoir application possible de la clause pour des équipements de sécurité peu onéreux» déclare Graveson. «Quand de nouvelles règles apparaissent, il faut acheter les nouveaux équipements et faire les changements. On peut leur donner un délai de grâce, peut-être que cinq ans serait raisonnable». Quand des modifications majeures sont nécessaires, Graveson croit que les armateurs devraient considérer le taux durée/retour économique de l'investissement avant de faire les modifications. «Par exemple, pour un navire construit il y a cinq ans et conforme aux normes à l'époque, nous pouvons lui permettre d'être exploité pendant encore dix ans avant qu'il soit sous le projecteur».

Les clauses "Grand-père" sont un caractère dominant de la règlementation, mais la compréhension et la manière de les appliquer restent opaques. Les instructions de l'OMI sur le sujet n'ont pas été mises à jour depuis plus de 20 ans, mais l'organisation a déclaré être ouverte à toute proposition pour une amélioration si des États membres veulent en suggérer.

Cdt Ph. SUSSAC,
Membre de l'AFCAN.


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