Cet arrêt d'appel est cassé par la chambre sociale de la Cour de cassation sur les 3 points en litige
ObservationsCompte tenu des traditions historiques et des fonctions commerciales anciennes des capitaines de navire, l'article 104 du code du travail maritime, datant de 1926, prévoyait que les dispositions des articles 24 à 30 du même code du travail maritime ne sont pas applicables au capitaine. Étaient ainsi exclues toutes les dispositions relatives à la durée du travail, les limites de la durée quotidienne et hebdomadaire de travail, les heures supplémentaires, les limites des journées annuelles en mer à la pêche, le repos hebdomadaire, les repos compensateurs des heures supplémentaires, jusqu'à la possibilité d'astreinte à terre. Pourtant, les capitaines de navire sont des salariés, officiers de marine marchande. Ils ne sont pas assimilables aux cadres dirigeants tout au plus aux cadres autonomes, tels que définis par loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000. Cette loi a pris en compte la diversité et la spécificité des cadres, en créant trois catégories distinctes (P.H. ANTONMATTEI, «Les cadres et les 35 heures : la règle de trois», Dr. soc. 1999-996, «Les cadres et les 35 heures : de la règle de trois à la règle de quatre !», Dr. soc. 2000-159). Ce dispositif juridique ancien conduisait à assimiler le capitaine de navire à un cadre dirigeant, mandataire social, ce qu'il n'est pas, aussi bien au commerce, qu'à la pêche ou à la plaisance (ancien art. L 212-15-1 C. Tr.). Ce capitaine de navire, responsable de la navigation et commandant du bord, ressemble beaucoup plus aux cadres autonomes, ouvrant éventuellement la porte à une convention de forfait annuel de 218 jours d'embarquement, dans le cadre d'une convention collective.Depuis cette loi de 2000, l'article 104 CTM initial était incompatible avec les dispositions générales du code du travail, applicables aux entreprises d'armement maritime. Le législateur n'a pas pu l'ignorer. L'article 49, alinéa 3 de la loi n° 2006-10 du 5 janvier 2006 a modifié cet article 104, devenu article L. 5544-33 du code des transports : le cadre de la durée du travail des capitaines de navire est fixé par le décret n° 2007-1843 du 26 décembre 2007. La période de transition fut longue, car la jurisprudence fut réticente à banaliser le capitaine de navire et le secteur maritime. C'est sur le fondement de la Convention n° 180 de l'OIT de 1996, ratifiée par la France en 2004, que la Cour de cassation assure l'encadrement du temps de travail du capitaine. Il faut en remercier la gabare Notre-Dame de Rumengol, classée monument historique. La cour d'appel de Rennes avait également retenu la faute grave du capitaine, ainsi que sa responsabilité personnelle dans l'atteinte à l'image de l'association employeur. Sur tous ces points l'arrêt d'appel est cassé.
- De la durée du travail du capitaine. La méthode retenue par la Cour de cassation montre la poursuite de la spécificité maritime du droit de la durée du travail, en matière de durée du travail au moins. Cette spécificité s'exprime maintenant dans l'invraisemblable catalogue de l'article L. 5544-1 du code des transports. La loi n° 2000-37 du 19 janvier 2000 sonnait le décès par inadaptation de l'article 104 CTM. Les cours d'appel, saisies de cette question, avaient prolongé la tradition «L'article 104 CTM rend inapplicables aux capitaines les dispositions des article 24 à 30 du même code et notamment l'article 26 relatif aux heures supplémentaires» (CA Rennes, 2è Ch. Com. 20 février 2002, Laumaillé et CFDT c/ SA Navale Française, navire Pointe du Cormoran, DMF 2002-433 - CA Caen, ch. Réunies, 17 mars 2006, Navire Pointe du Cormoran, n° 04-02384, M. Laumaillé et syndicat CFDT c/ Sté Navale Française, DMF 2007, n° 678, pp. 151-153). Au pilotage à Dunkerque, l'accord particulier du 1er juin 1998 prévoit en son article XIII la rémunération supplémentaire des heures supplémentaires, le repos compensateur des heures supplémentaires, l'article XIV fait référence aux jours fériés travaillés, l'article XV évoque les périodes de repos. Cet accord particulier ne fait aucune référence au repos hebdomadaire. Dès lors, les pilotes, tous capitaines n'y ont pas droit (CA Douai, 1è ch., 27 mai 2002, M. Lebegue c/ Station de pilotage syndicat des pilotes de Dunkerque, DMF 2003, pp. 31-40, nos observations «Au pilotage, tous capitaines. Tous cadres dirigeants ?» - Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-40380, DMF 2008, n° 692, pp. 422-426). Les diverses cours d'appel de Caen, de Douai, de Rennes, n'ont pas osé entreprendre l'analyse du décès de l'article 104, par incompatibilité avec les réformes générales du code du travail, applicables aux entreprises d'armement maritime. Ces arrêts d'appel sont pourtant partiellement à l'origine de cette transformation par voie législative. « Les modalités d'application au capitaine des articles 24 à 30 du Code du travail maritime, c'est-à-dire la durée du travail, sont déterminées par décret » (art. 104 CTM, modifié par L. n° 2006-10, 5 janvier 2006, art. 49-III, JORF 6-1-2006). La Cour de cassation ne l'a pas fait non plus, tant que le pourvoi lui en laissé l'occasion. «Selon l'article L. 742-1 du code du travail, le contrat d'engagement ainsi que les conditions de travail des marins à bord des navires sont régis par des lois particulières ; l'article 104 du code du travail maritime énonce que les dispositions des articles 24 à 30 de ce même code relatifs à la réglementation du travail, et notamment au repos hebdomadaire, ne sont pas applicables au capitaine (Cass. soc., 11 juillet 2007, n° 06-40380, M. Bossart c/ Syndicat Professionnel des pilotes du Port de Dunkerque, DMF 2008, n° 692, pp. 422-426, nos observations «Les capitaines de navire ont-ils droit au repos hebdomadaire ?» - v. Cass. soc., 17 décembre 2008, n° 06-21533, Navire Capo Rosso, Sté Someca Transport, DMF 2009, n° 704, pp. 513-519, nos observations «Une nouvelle fois, un officier manquant»). Se posait la question de savoir quelle portée fallait-il donner au rappel de l'autonomie du travail maritime, fondé sur l'article L 742-1 du code du travail, dans la mesure où cet article ancien ouvrait vers une autonomie apparente, tout à fait dépassée. La Cour de cassation n'était pas entrée dans les entrelacs des rapports entre le code du travail et le code du travail maritime, inséré aujourd'hui dans le code des transports (art. L. 5544-1 C. Transp.). Le décret d'application de la loi du 5 janvier 2006 est enfin intervenu. L'article 5 du décret n° 2007-1843 du 26 décembre 2007 pris pour l'application des articles 25-2, 28 et 104 du code du travail maritime, (JORF 29-12-2007) précise que les articles 24 à 30 du code du travail maritime sont applicables au capitaine sous réserve des dispositions du présent article. Lorsque, pour les besoins de la sécurité ou de la sûreté de la navigation maritime, le capitaine décide de déroger, en ce qui le concerne et à titre exceptionnel, aux durées maximales de travail ou aux durées minimales de repos fixées par le décret du 31 mars 2005 susvisé, il mentionne sa décision sur le journal de bord et en précise le motif, Il en informe l'armateur (art. 5 al. 2). Il est intéressant de regarder les textes visés par ce décret : la Convention n° 180 de l'OIT de 1996, publiée par décret n° 2004-1216 du 8 novembre 2004, la Directive n° 1999/63/CE du Conseil du 21 juin 1999 concernant l'accord relatif à l'organisation du temps de travail des gens de mer, la Directive n° 2000/34/CE du 22 juin 2000 du Parlement européen et du Conseil modifiant la Directive n° 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, le code du travail maritime, le décret n° 83-793 du 6 septembre 1983 modifié, le décret n° 2005-305 du 31 mars 2005 relatif à la durée du travail des gens de mer. Le code du travail n'est pas visé. Seule la Directive 2000/34 du 22 juin 2000 est un texte général, nullement strictement maritime. Le décret du 31 mars 2005 vise lui la Directive n° 2003/88/CE du Parlement et du Conseil du 4 novembre 2003 concernant certains aspects de l'aménagement du temps de travail, qui a remplacé la Directive 2000/34. Mais le contrat du capitaine du navire Notre-Dame de Rumengol avait été rompu en septembre 2004, avant la loi du 5 janvier 2006, qui transpose la Directive 1999/63 du 21 juin 1999, qui reprend dans le cadre d'un accord collectif européen les dispositions de la Convention 180 de l'OIT, et le décret du 26 décembre 2007. Dès lors la cour d'appel de Rennes n'avait-elle pas raison de se référer au droit antérieur, dans lequel le temps de travail du capitaine n'était pas encadré ? Le capitaine de navire est peut-être un cadre autonome, au sens du code du travail, mais il ne peut justifier d'une convention collective définissant précisément cette catégorie. Cet argument interroge le statut de NUC, de navire à usage collectif, géré par une association sans but lucratif, échappant au droit commercial et aux conventions collectives étendues de la marine marchande. L'association semble soumise à la convention collective nationale de l'animation socio-culturelle, étendue par arrêté ministériel, mentionnée sur ses bulletins de salaire. Étrangement, la cour d'appel semble considérer que cette convention collective ne saurait être appliquée à un marin (sur la situation d'un éducateur spécialisé, d'une association de sauvegarde de l'enfance, également marin, capitaine du voilier, v. Cass. soc., 28 novembre 2002, navire Le Gloazenn, DMF 2003, pp. 847-853). Le contrat d'engagement prévoyait un travail selon l'affrètement du navire, ce qui fut sans limites lors des fêtes de Brest et Douarnenez. Il ne prévoyait aucune convention de forfait en heures ou en jours, ce que la convention collective applicable devait permettre, à l'époque. Mais en l'absence d'une telle convention collective, aucun forfait n'était envisageable, sauf celui de capitaine légalement « corvéable » de la tradition maritime. La qualité des moyens et arguments, développés dans le pourvoi en cassation, conduit à un revirement de jurisprudence. La ratification le 27 avril 2004 de la Convention n° 180 de l'OIT du 22 octobre 1996 sur la durée du travail des gens de mer et les effectifs des navires, est décisive. Encore fallait-il admettre que ses articles 3 à 5 sont en droit interne d'application directe. Dès lors, la durée du travail pour les gens de mer, comme pour les autres travailleurs, est en principe de huit heures par jour avec un jour de repos par semaine, plus le repos correspondant aux jours fériés. - Sur l'application directe des conventions internationales. Selon l'article 55 de la Constitution de 1958, les traités régulièrement ratifiés ont une valeur supra-législative. Il peut en résulter un contrôle effectué par le juge quant à la compatibilité des dispositions nationales et d'une convention internationale ratifiée. Ainsi le contrat de travail dit «Nouvelle Embauche», pour les entreprises de moins de 20 salariés, créé par l'ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005 a-t-il été déclaré contraire à la Convention 158 de l'OIT de 1982 relative au licenciement, ratifiée par la France en 1990 (Comité d'experts pour l'application des conventions et recommandations, OIT, Genève, 14 novembre 2007 et Cass. soc. 1er juillet 2008, n° 07-44.124, Samzun c/ Linda de Wee et a. – J.M. Servais, «L'application par la France de la Convention n° 158 de l'OIT», RDT, Dalloz, 2008, n° 3, pp. 197-201). Par contre, les dispositions de la loi n° 2008-789, 20 août 2008, portant rénovation de la démocratie sociale et réforme du temps de travail ont été considérées comme en conformité avec les Conventions n° 98 et n° 135 de l'OIT relatives à la liberté syndicale et au droit syndical (Cass. soc., 14 avril 2010, n° 09-60426 et 09-60429, SDMO Industries, RDT 2010, n° 5, pp. 276-284, rapport J.M. Béraud, JCP-S 2010, 1264 n. B. Gauriau). Encore faut-il que ces dispositions des conventions internationales ratifiées soient incorporées en droit national ou se voient reconnaître une applicabilité directe. Cette vertu «self executing» nécessite une précision de la norme (A. Jeammaud, «Sur l'applicabilité en France des conventions internationales de travail», Dr. soc. 1986, pp. 399-405). Les premières illustrations ont concernées la Convention 81 de 1947, relative à l'inspection du travail (Cass. crim., 22 juillet 1981, Van Wolleghem, Bull. crim., n° 237), puis la Convention 158 de 1982 relative au licenciement (Cass. soc., 29 mars 2006, Dr. soc., 2006, 641, concernant la durée d'une période de préavis et la Convention 158 de l'OIT sur le licenciement – P. Rodière, «L'influence du droit communautaire et du droit international», Dr. soc. 2008, 95). La Convention 180 de l'OIT impose la fixation soit du nombre maximum d'heures de travail qui ne devra pas être dépassé dans une période donnée, soit du nombre minimum d'heures de repos qui devra être accordé dans une période donnée (art. 3). La norme de durée du travail pour les gens de mer, comme pour les autres travailleurs, est de huit heures avec un jour de repos par semaine, plus le repos correspondant aux jours fériés. Cela n'empêche pas que les États puissent prévoir l'adoption des dispositions légales ou conventionnelles, fixant les horaires normaux de travail sur une base qui ne soit pas moins favorable que ladite norme (art. 4). L'article 5 fixe un nombre maximal d'heures de travail (14 heures par période de 24 heures - 72 heures par période de sept jours) ou le nombre minimal d'heures de repos (dix heures par période de 24 heures - 77 heures par période de sept jours). Lorsque la Convention 180 est entrée en application, que le comité d'experts du BIT a commencé à examiner les premiers rapports des États l'ayant ratifié, les experts furent très étonnés de l'ampleur des temps de travail admis pour les marins, même s'il est rare qu'ils travaillent 70 heures par semaine, même si des congés compensent fréquemment les périodes passées à bord. A défaut de conventions collectives conclu dans le cadre de la législation nationale, l'article 4 est d'application directe selon la Cour de cassation : la norme de durée de travail est de huit heures par jour, avec un jour de repos par semaine et les repos des jours fériés. Aucune exception n'est prévue pour le capitaine, de sorte que la ratification de la Convention 180 a mis fin à l'application des anciennes dispositions de l'article 104 CTM. Quant au repos hebdomadaire, lorsqu'il n'a pu être donné à sa date normale, il doit être remplacé par un repos de 24 heures accordé soit au cours du voyage dans un port d'escale avec l'accord du marin intéressé, soit à l'issue de l'embarquement ; les heures supplémentaires sont alors décomptées sur une période de 6 jours consécutifs (art. 2, décret n° 2007-1843, 26 décembre 2007). Lors des fêtes de Douarnenez, le 20 juillet 2004, le capitaine n'a pas utilisé l'emplacement réservé, alors que la Maison des vins de Bordeaux avait affrété le navire, en vue d'une remise de médailles. Le navire, bord à bord, en quatrième position au bout de la jetée du Rosmeur avait une position gênante et dangereuse, ne permettant pas d'accueillir les invités dans de bonnes conditions. Cette annulation a même été répercutée dans la revue «Le Chasse Marée», ce qui était susceptible de ternir l'image de marque du navire et de l'association. Celle-ci n'a pas réagi fin juillet ou courant août. Le 7 septembre, le capitaine, qui a beaucoup travaillé, est absent, un matelot est en congé. Le 9 septembre, la directrice de l'association intervient à bord avec un huissier et un serrurier. Selon la cour d'appel de Rennes, le journal de bord et le journal de la machine sont incomplets, interrompus les 28 août. Il élude la cérémonie annulée le 20 juillet et la visite de l'inspecteur du travail maritime du 31 juillet. Le décret du 19 juin 1969 prévoit que le journal de mer doit comporter, outre les indications météorologiques et nautiques d'usage, la relation de tous les évènements importants concernant le navire et la navigation entreprise. Les inscriptions en sont opérées jour par jour et sans blanc et sont signées chaque jour par le capitaine. Le pourvoi reproche à la cour d'appel de confondre journal de mer, tenu pendant la navigation, et journal de bord, mais aussi de reconnaître une faute grave, alors que la première n'a pas été sanctionnée rapidement, que la seconde n'est pas essentielle, puisque le navire ne navigue plus à partir du 13 septembre, que le contrat d'engagement arrive à échéance fin septembre. Ces arguments sont retenus par la Cour de cassation : «La cour d'appel devait rechercher si les fautes retenues, commises le 20 juillet et le 7 septembre 2004 notamment, rendaient impossible le maintien du salarié dans l'entreprise jusqu'au terme du contrat prévu le 30 septembre 2004, alors que le navire avait cessé toute activité depuis le 13 septembre 2004». La faute grave doit rendre impossible le maintien du salarié dans l'entreprise, même provisoirement pendant le délai de préavis par exemple (Cass. soc., 22 octobre 1991, D 1992, 189, n. J.P. Karaquillo, incompétence pédagogique d'un enseignant – Cass. soc., 16 juin 1998, Dr. soc. 1999, 949, n. J. Savatier). La faute grave est définie par ses conséquences, de manière tautologique, ce qui conduit à rechercher dans le grand catalogue de la jurisprudence les solutions semblables ou équivalentes, compte tenu des fonctions et l'ancienneté du salarié, des caractéristiques de l'entreprise. Cet arrêt est sur ce point d'un grand classicisme. La cour d'appel de Rennes avait retenu la demande de l'employeur et condamné le capitaine à 500 euros de dommages et intérêts vis-à-vis de l'association, en raison d'une atteinte à son image, c'est-à-dire sa réputation d'armateur sans but lucratif. Sur ce point, à nouveau, cet arrêt est cassé «La responsabilité du salarié n'est engagée envers son employeur qu'en cas de faute lourde». Le capitaine est ici traité comme un salarié ordinaire, un salarié subordonné, exécutant les ordres et consignes de son employeur. Il n'est pas irresponsable, mais bénéficie d'une immunité relative, sauf faute lourde (E. ROBERT, Subordination et responsabilité civile : quelle immunité pour le salarié ?, thèse, droit, Nantes, 2008). La faute lourde est une faute quasi-intentionnelle, caractérisée par une intention de nuire (Cass. soc., 27 novembre 1958, D 1959, 20 n. R. Lindon, RTD Civ. 1959, 753, obs. J. Carbonnier - G. Couturier, «Responsabilité civile et relations individuelles de travail», Dr. soc. 1988, 407 – Cass. soc. 19 novembre 2002, Dr. soc., 2003, 168, quant aux déficits de caisse). Concernant le capitaine de navire, il convient de distinguer sa responsabilité civile contractuelle vis-à-vis de son employeur, limitée à la faute lourde, et sa responsabilité civile délictuelle vis-à-vis des tiers. S'il est un préposé de son commettant, il n'est sans doute pas un préposé comme les autres, mais un salarié autonome, «responsable», comme d'autres. La jurisprudence de la Cour de cassation a de grandes difficultés à se fixer depuis de longues années (M. Fabre-Magnan, Droit des obligations, 2- Responsabilité civile et quasi-contrats, PUF, Paris, coll. Thémis, 2è éd., 2010). L'assemblée plénière de la Cour de cassation avait confirmé l'immunité du préposé dans le cadre de ses fonctions (Cass. Ass. Plén., 25 février 2000, Costedoat, Bull. Ass. Plén., n° 2, D 2000-673 n. Ph. Brun, JCP 2000-II-10295 concl. R. Kessous, n. M. Billiau, RTD civ. 2000-582 obs. P. Jourdain). Il s'agissait d'un pilote d'hélicoptère dont le largage d'herbicide fut emporté par le vent. N'engage pas sa responsabilité à l'égard des tiers, le préposé qui agit sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son commettant. Dans la limite de ses fonctions, le préposé ne risque ni une action directe des victimes, ni une action récursoire de son commettant. Il semble bénéficier d'une forte immunité civile, ce qui laisse place à d‘éventuelles sanctions disciplinaires, puisqu'il est sous l'autorité de son employeur (P. Bonassies, «Aspects nouveaux de la responsabilité du capitaine», DMF 2002, p. 3 et s.). La Cour de cassation a complété sa jurisprudence en se référant à la situation du salarié autonome, qu'il convient de distinguer du salarié vraiment, ou totalement subordonné. Un médecin anesthésiste est un salarié autonome, doté d'une indépendance professionnelle intangible dans l'exercice de son art ; dès lors, même dans l'exercice de ses fonctions, il encourt une responsabilité personnelle, laissant place à l'action subrogatoire de son commettant (Cass. civ. 1ère, 13 novembre 2002, Bull. civ. I, n° 263). La première chambre civile de la Cour de cassation n'a pas prolongée cette jurisprudence vis-à-vis d'un médecin salarié et d'une sage-femme (Cass. civ. 1ère, 9 novembre 2004, JCP 2005-II-10120 – Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2007, D. 2008, 509). Ces salariés qui agissent sans excéder les limites de leurs missions, imparties par l'employeur, n'engagent pas leur responsabilité à l'égard des tiers (P. Bonassies et Chr. Scapel, Droit Maritime, LGDJ, 2è éd., 2010, n° 296 bis, pp. 212-213). Telle n'est pas la position de la chambre criminelle de la Cour de cassation. La responsabilité personnelle du préposé est engagée en cas de condamnation pénale pour une faute intentionnelle (Cass. Ass. Plén. 14 décembre 2001, D 2002, 1317, obs. D. Mazeaud, RTDCiv. 2002, 109, obs. P. Jourdain). Un cadre du Stade de France, titulaire d'une délégation de pouvoirs en matière de santé, de sécurité et d'organisation du travail sur le chantier, est un salarié responsable (Cass. crim. 28 mars 2006, n° 05-82975, JCP 2006-G-II-10188 n. J. Mouly, RTDCiv. 2007, 135 obs. P. Jourdain, DMF juin 2007, n° hors série, n° 37, obs. P. Bonassies). Il est l'auteur d'une faute qualifiée en matière de sécurité, il «engage sa responsabilité civile à l'égard du tiers victime de l'infraction, celle-ci fût-elle commise dans l'exercice de ses fonctions». La seconde chambre civile de la Cour de cassation retient aussi la responsabilité personnelle du préposé en cas de faute intentionnelle ou d'infraction pénale (Cass. civ 2è, 21 février 2008, n° 06-21182, JCP-G 2008-I-186 - Cass. civ. 2è, 20 décembre 2007, n° 07-1340 3, RTDCiv. 2008, 315 obs. P. Jourdain, D 2008, 1248 n. J. Mouly). Le capitaine est certainement un salarié «autonome». D'autre part, l'interprétation de la loi du 3 janvier 1969, sur l'armement et les ventes maritimes, classe le capitaine dans le personnel d'exploitation de l'armement. Il est inclus dans les préposés maritimes dont l'armateur est responsable (art. 3), avec une situation spécifique du fait de ses fonctions de commandement (art. 5). En cas de dommage à un tiers, le capitaine répond de toutes fautes commises dans l'exercice de ses fonctions, ce qui peut conduire à une responsabilité solidaire de l'armateur et du capitaine. Selon la cour d'appel de Rennes, «Conformément aux principes énoncés à l'article 5 de la loi du 3 janvier 1969, la faute caractérisée de négligence commise par X... dans l'exercice de ses fonctions de capitaine du navire, engage sa responsabilité civile personnelle vis-à-vis des proches de la victime, non ayants droit au sens de l'art. L 454-1 CSS». Le capitaine tirait de sa fonction et de sa qualité de représentant de l'armateur à bord, investi d'une délégation générale en matière de sécurité, le pouvoir de faire remédier à la défectuosité du matériel et tenait, en outre, de sa qualité de préposé, l'obligation d'informer l'armement de la non-conformité du dispositif de protection, ce qu'il n'a pas fait, ce qui démontre qu'il n'a pas agi dans l'exercice normal de ses attributions. La Cour de cassation retient la responsabilité du capitaine, mais substitue les motifs ; elle intervient dans le cas normal de ses fonctions. Le capitaine, auteur d'une faute qualifiée au sens de l'article 121-3, alinéa 4, du code pénal, engage, en application de l'article 5 de la loi n° 69-8 du 3 janvier 1969, sa responsabilité civile à l'égard du tiers victime de l'infraction, cette faute fût-elle commise dans l'exercice de ses fonctions (Cass. crim., 13 mars 2007, n° 06-85422, chalutier La Normande, DMF 2007, 881 - P. Chaumette ; «Du capitaine responsable de la préservation du navire, de sa cargaison et de la sécurité des personnes se trouvant à bord», Annuaire de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes, T. XXVI, 2008, pp. 411-437). Cet arrêt confirme une jurisprudence constante. Est personnellement responsable le capitaine qui a commis une faute caractérisée exposant la victime à un risque d'une particulière gravité qu'il ne pouvait ignorer (Cass. Crim. 20 septembre 2005, navire Angélique-Émilie, DMF 2006 pp. 584-595, nos observations «Accident du travail maritime et responsabilité pénale» - Cass. crim. 13 mars 2007, cargo Marmara, DMF 2007, n° 686, pp. 893-907 n. A. Montas). Le capitaine de navire n'est pas un salarié ordinaire, un exécutant, un simple préposé, il est un salarié ou préposé «responsable», car chargé de la sécurité du travail. La contrepartie de la responsabilité personnelle des salariés «responsables» devrait être, à notre sens, un statut leur permettant d'arrêter un travail dangereux, un chantier, une navigation, un vol, dès lors que les conditions de sécurité ne sont pas assurées comme il le souhaite. Le capitaine de navire risque un «effet de ciseaux», une responsabilité personnelle et une pression permanente, surveillée, contrôlée, en vue d'une meilleure exploitation du navire. Dans les armements professionnels, cette tension conduit à des carrières raccourcies en navigation, elles stressent et usent. Dans les autres compagnies, elles font du capitaine un bouc émissaire, responsable, mais insolvable. Sur le plan civil, une assurance professionnelle se révèle indispensable.
Pr. Patrick CHAUMETTE
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