Il est souvent dit que la responsabilité des capitaines est rarement engagée. La chose n'est pas
tout à fait exacte. Même "au civil", en matière de responsabilité civile, s'il vrai que, dans la pratique, un armateur,
après un sinistre maritime, hésitera toujours à mettre en cause la responsabilité personnelle d'un
capitaine, en craignant que son action ne suscite une réprobation générale, cette attitude connaît des
exceptions, et, en tout cas, ne concerne pas les tiers étrangers à la solidarité qui lie les professionnels de
la mer.
Exceptions : dans une affaire jugée par la Cour d'appel de Rennes, le 16 septembre 1993 (Le Droit
Maritime Français 1994.144), qui concerne, il est vrai, non un capitaine mais un chef mécanicien, un
armateur avait agi en responsabilité civile contre ce dernier pour le dommage causé à la machine d'un
chalutier par un mauvais entretien, son action, reçue en première instance, étant rejetée en appel en
raison de l'absence de faute grave du mécanicien.
Action de tiers: dans l'affaire du navire Himalaya, une passagère britannique, certes
particulièrement irascible, avait personnellement mis en cause le capitaine d'un paquebot après qu'elle ait été blessée à
l'occasion de son ré-embarquement après une escale. Et le litige est allé jusqu'à la Court of Appeal
britannique, laquelle, dans un arrêt du 21 octobre 1954 a déclaré l'action de la passagère recevable, et, de
surcroît, refusé au capitaine le bénéfice de la clause d'exonération de responsabilité figurant au dos du
billet de passage (Lloyds Law Reports, 1954.2.267). En droit français, dans l'affaire de l'Ann Bewa,
soumise à la Cour d'appel d'Aix-en-Provence le 21 février 1979 (Droit Maritime Français 1980.151), c'est le
capitaine du navire, et le capitaine seul (armateur et affréteur ayant échappé à toute responsabilité pour
des raisons de procédure), qui a été condamné à indemniser les tiers lésés par l'incendie du navire, dû à
des fautes d'arrimage, et ce à hauteur de près de quatre millions de francs.
Le risque subsiste donc certainement, pour un capitaine français, de voir sa responsabilité
civile engagée, et la chose est d'autant plus grave que cette responsabilité, normalement, n'est pas assurée. Certes, il
est de principe, en droit français, que l'assureur garantit les pertes et dommages causés par les
personnes dont l'assuré est civilement responsable. Et ce principe est inscrit dans les dispositions de
l'article L. 121 2 du Code des assurances. Mais ce texte ne s'applique pas aux assurances maritimes(voir
l'article L. 111 - 1 du Code, qui énonce que " les titres 1, Il et Ill du présent livre ne concernent que les
assurances terrestres. A l'exception des articles L. 111-6, L 112-2, L 112-4 et L. 112-7, ils ne sont
applicables ni aux assurances maritimes et fluviales ni aux opérations d'assurances crédit ... "). Et aucun
texte analogue à l'article L. 121-2 du Code des assurances ne se retrouve dans les textes concernant
l'assurance maritime (loi du 3 juillet 1967, codifiée dans les articles L. 1711 et suivants du Code des
assurances). Dès lors c'est seulement par bonne volonté "commerciale" que l'assureur français d'un
armateur pourrait accepter de garantir un capitaine personnellement condamné à indemniser un chargeur
ou un capitaine. Par ailleurs, la plupart des armateurs français assurent leur responsabilité civile auprès
d'un P. & I. Club britannique. Et les Règles des Clubs ne prévoient pas la garantie de la responsabilité
personnelle des capitaines. En fait, le Club prendra sans doute souvent à sa charge la condamnation
prononcée personnellement contre le capitaine de l'un de ses membres, mais ce seulement sur décision
de son "comité", et au cas par cas.
Des observations analogues peuvent être faites sur la responsabilité pénale des capitaines.
Cette responsabilité est souvent susceptible d'être mise en jeu, soit pour délit de pollution, soit pour l'infraction
que le nouveau Code pénal qualifie d'atteintes involontaires à la personne (anciens délits de blessures ou
homicide par imprudence). Et là, bien sûr, il ne saurait être question d'assurance.
Il est donc important d'attirer l'attention des capitaines français sur le fait que, avec le passage au
troisième millénaire, le régime juridique qui leur est applicable en la matière a été fortement amélioré, qu'il
s'agisse de leur responsabilité pénale ou de leur responsabilité civile.
- S'agissant de leur responsabilité pénale, l'évolution est, toutefois, quelque peu nuancée. Car, on
constate certes un allègement général, mais d'abord une aggravation sur un point particulier.
Aggravation : la loi du 5 juillet 1983 réprimant la pollution par les hydrocarbures, était déjà
très sévère pour le capitaine. Les sanctions prévues par ce texte ont été alourdies par une loi du 3 mai 2001. C'est ainsi
que la peine de 3 mois à deux ans d'emprisonnement et d'un million de francs d'amende prévue par l'article
1er de la loi de 1983 à l'encontre du capitaine coupable de rejet volontaire d'hydrocarbures est portée à une
peine de quatre ans d'emprisonnement et de deux millions de francs d'amende. En cas de rejet
involontaire dû à une faute d'imprudence, la peine prévue (laquelle est égale à la moitié des peines
indiquées ci-dessus) est pareillement doublée.
On peut s'interroger sur la pertinence d'une telle loi qui aggrave des sanctions en elles-mêmes
déjà fort lourdes. Elle n'a guère qu'une justification : satisfaire l'ego des législateurs. Heureusement pour les
capitaines, il est à penser que les juges n'en tiendront guère compte. Ils n'ont jamais appliqué dans toute
sa rigueur la loi de 1983. Pourquoi en serait-il différemment pour la loi de 2001 ? De surcroît, dans la
plupart des cas, le capitaine mis en cause en cas de pollution involontaire pourra invoquer les dispositions
protectrices tant de la loi du 13 mai 1996 que de la loi du 10 juillet 2000 (2).
La loi du 13 mai 1996 modifie les dispositions de l'article 121 - 3 du Nouveau Code pénal. Le
texte originaire, encadrant tous les délits d'imprudence, énonçait qu'il y avait délit punissable - dans les cas
spécifiés par la loi - en cas d'imprudence, de négligence ou de manquement à une obligation de prudence
ou de sécurité prévue par la loi. Le texte nouveau prévoit qu'il n'y a délit punissable "que si l'auteur des
faits n 'a pas accompli les diligences normales, compte tenu, le cas échéant, de la nature de ses
missions, de ses compétences ainsi que du pouvoir et des moyens dont il disposait".
Adoptée à la demande des maires, présidents de conseils généraux ou régionaux, inquiets de voir
leur responsabilité mise en cause de plus en plus fréquemment pour des fautes exclusivement imputables,
selon eux, à leurs subordonnés, la loi de 1996 a valeur générale et s'applique quelle que soit la qualité de
la personne en cause, maire, directeur d'établissement public, ou simple particulier. Elle s'applique
certainement aux capitaines. Elle vise aussi tous les délits d'imprudence. Elle concerne donc, entre
autres, le délit de pollution involontaire sanctionné par l'article 8 de la loi du 5 juillet 1983 (tel que modifié
par la loi du 2 mai 2001, et devenu l'article 218-22 du Code de l'environnement). Elle concerne aussi les
infractions visées par les articles 81 et suivants du Code disciplinaire et pénal de la marine marchande,
tels l'échouement ou la perte involontaire du navire.
Sans doute, dans la plupart des cas, la mission très large dévolue aux capitaines, les pouvoirs
étendus qui sont les leurs, rendront malaisé pour un capitaine d'invoquer les dispositions nouvelles. Il reste que ces
dispositions devraient conduire les tribunaux à marquer une plus grande mansuétude à l'égard des
capitaines. En matière de pollution involontaire notamment, la loi de 1996 nous parait même propre à
interdire au juge d'appliquer tel qu'il est écrit l'article 8 de la loi de 1983.
Cet article prévoit que sera punissable, "en la personne du capitaine", tout fait de pollution
involontaire résultant d'une imprudence, négligence ou inobservation des lois et règlements. A prendre le texte à la
lettre, et en particulier les termes en la personne du capitaine, on pourrait conclure que le capitaine d'un
pétrolier, qui aurait confié la conduite de son bâtiment à un officier parfaitement qualifié, demeurerait
cependant punissable, en sa personne, de la pollution résultant d'une faute de navigation commise par cet
officier. - La chose ne sera plus possible avec la loi de 1996, le fait pour un capitaine de confier le navire à
un officier compétent devant apparaître comme une "diligence normale", telle qu'évoquée par cette loi.
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Arrimage en cale - FRET LANGUEDOC |
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Le second texte qui devrait conduire à un allègement de la responsabilité pénale
du capitaine, c'est la loi du 10 juillet 2000, insérée, elle aussi, dans l'article 121-3 du NouveauCode pénal. Ce texte
énonce que "les personnes physiques qui n'ont pas causé directement le dommage, mais qui ont créé ou contribué à
créer la situation qui a permis la réalisation du dommage ou qui n'ont pas pris les mesures permettant de l'éviter,
sont responsables pénalement s'il est établi qu'elles ont soit violé de façon manifestement délibérée une obligation
particulière de prudence ou de sécurité prévue par la loi ou le règlement, soit commis une faute caractérisée et qui
exposait autrui à un risque d'une particulière gravité qu'elles ne pouvaient ignorer".
Comme la loi du 13 mai 1996, la loi du 10 juillet 2000 a une portée
générale. Sans doute concerne-t-elle particulièrement les atteintes à la personne, comme en témoignent la
référence aux fautes exposant autrui à un risque d'une particulière gravité.
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Mais rien, dans ses termes, n'exclut son application à toute infraction ayant entraîné un dommage. Elle a d'ailleurs été très
récemment considérée par la Cour de Cassation comme susceptible de s'appliquer à un cas de pollution fluviale (Chambre criminelle
15 mai 2001, Bulletin 2001, au n°123). Elle pourrait donc pareillement être invoquée dans un cas de pollution maritime.