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Naufrage de l'ERIKA :
le rapport d'expertise demandé par le T.G.I. de Paris

 
Le 4 janvier 2000, le premier juge d'instruction au Tribunal de Grande Instance de Paris a demandé un rapport de synthèse sur le naufrage de l'ERIKA.
Nous reproduisons ici ce rapport d'expertise, publié par le mensuel "Nouvel Ouest" dans son édition de novembre 2001.
Le nombre significatif d'erreurs et approximations qu'il contient fait l'objet d'analyses sous les titres :
  Dossier juridique
Dossier accidents
:   ERIKA : suite et certainement pas fin
:   ERIKA : erreurs et approximations dans un rapport d'expert



Je soussigné Cdt. Ph. Clouet, expert maritime près la Cour d'Appel de Rennes et agréé par la Cour de Cassation, déclare avoir été commis expert dans cet événement, conjointement avec M. H. Cheneau, ingénieur général de l'armement, par ordonnance du 4 janvier 2000 de Mme D. de Talancé, avec mission de:
  • déterminer les causes du naufrage du pétrolier Érika survenu le 12 décembre 1999, au regard des règles applicables en la matière, de la pratique professionnelle et des obligations générales de sécurité, de diligence et de prudence tant en ce qui concerne les personnes que les biens.
  • préciser les personnes auxquelles incombait le respect de ces règles et obligations.
  • déterminer les auteurs des décisions et des mesures prises en relation avec le naufrage et apprécier leurs effets pour la sécurité de l'équipage, la préservation du navire et la conservation de la cargaison.
Pour ce faire, il y aura lieu notamment :
  1. d'identifier par tous moyens utiles l'ensemble des intervenants réels concernant la propriété, la direction, l'administration, la classification, l'exploitation du navire, et son affrètement.
  2. de rassembler et analyser toute la documentation le concernant notamment ses plans, sa classification, ses certificats, ses visites et inspections, notamment précédant son affrètement, de façon à donner son avis sur son bon état de navigabilité, sa conduite avant le voyage en cause et l'origine des graves avaries survenues dans les journées des 11 et 12 décembre 1999.
  3. de participer à toutes opérations concernant l'examen de l'épave et les prélèvements éventuels des échantillons.
  4. de faire intervenir le cas échéant un bureau d'études pour des calculs de structure ou d'analyse morphologique des cassures, après accord du Magistrat Instructeur.
Par ordonnance du 16 juillet 2001, Mme de Talancé constate l'indisponibilité de M. Cheneau à poursuivre la mission, pour raisons de santé, a fixé que notamment Conclusion et Synthèse des deux rapports d'étape précédemment déposés, seraient rédigées par M. Clouet demeurant seul saisi de la poursuite de la mission d'expertise.

Je soussigné Ph. Clouet, expert maritime, atteste avoir exécuté personnellement la mission d'expertise confiée par le magistrat et avoir établi le présent rapport, l'affirmant sincère et véritable.
  1. OPÉRATIONS D'EXPERTISE
  2. LE NAVIRE ET SON ÉTAT DE NAVIGABILITÉ
  3. LA COMPAGNIE RESPONSABLE DE L'EXPLOITATION ET SA CERTIFICATION PAR L'ÉTAT DU PAVILLON
  4. TOTAL PROPRIÉTAIRE DE LA CARGAISON ET INTERVENANT AU TRANSPORT
  5. LE VOYAGE, L'ÉVÉNEMENT ET LA GESTION DE LA CRISE
  6. LES AVARIES AU NAVIRE ET LE PROCESSUS DE RUPTURE
  7. CONCLUSION ET SYNTHÈSE EN RÉPONSE AUX CHEFS DE MISSION
  1. OPÉRATIONS D'EXPERTISE


  2. Les opérations d'expertise menées conjointement par les deux experts du 4 janvier 2000 au premier semestre 2001 ont consisté principalement en :

    1. Consultation et Étude de toutes les cotes de la procédure Tome 1 à Tome 38 (D 2325) en particulier :
      • les différentes auditions de Mme le 1er Juge d'Instruction.
      • les documents obtenus au titre des différentes commissions rogatoires internationales.
      • les documents nombreux et précis recueillis par le capitaine Ecale et la brigade de Gendarmerie Maritime de Paris au titre de la commission rogatoire n° 2020/99/26 délivrée le 22 décembre 1999.
      • Les analyses techniques du produit transporté (FO n° 2) faites à la demande de Mme le 1er Juge d'Instruction par le labo Lasem (M. Chaumery) (D 583 et D 1 577) et le labo de Rouen (M. Flaugnatti).
      • Les documents communiqués par les quatre experts du Tribunal de Commerce de Dunkerque, au Juge d'Instruction et insérés à la procédure.
      • Les rapports et investigations techniques conduites par le BEA-MER, l'institut IRCN, et le laboratoire LCPC.
      • Les différentes observations techniques faites entre autres par les conseils des parties civiles ou des personnes mises en examen.

    2. Différentes investigations (Cdt Clouet) sur les épaves avant et arrière de l'ÉRIKA par le navire spécialisé CSO MARIANOS courant février 2000 conjointement avec d'autres experts nommés par le Tribunal de Commerce de Dunkerque (Cdt Smith), par le B.E.A. (Cdt Halna du Fretay), par la Marine Nationale (LV Moreno),par le FIPOL (J. Bennet), par les assureurs P & I (Chilcott) et par Total (M. Luppi chef de mission). Voir premier rapport d'étape Ch. 10 ( 1 R 10) avec une série de 10 plans en annexe.


    3. Etudes techniques, faites à notre demande et ordonnées par le Magistrat, en particulier:
      • celles de M. Paulet (cote D 1581 et ss) Architecte Naval selon ordonnance du 17 avril 2000 pour:
        • déterminer le module de flexion de l'ÉRIKA,
        • évaluer les moments fléchissants subis par le navire dans les différentes situations d'avarie,
        • et confirmer le cas échéant l'analyse des causes et de la rupture du navire en flexion,
      • celle de M. Bovis (cotes D 156 et ss), directeur de la DCN Indret selon ordonnance du 17 avril 2000 pour analyser et déterminer les caractéristiques mécaniques d'échantillon en provenance de l'ÉRIKA».

    4. Entretiens, études, avis et confrontations de points de vue des experts avec le Magistrat instructeur, le capitaine Ecale et Mme Remond Gouyou.


    5. Consultation d'études faites par ailleurs, comme les rapports d'information n° 441 au Sénat (rapport de Me H. de Richemont) ou n° 2535 à l'Assemblée Nationale (rapporteur M. J.Y. Le Drian).
  • Les rapports d'étape suivants ont été déposés conjointement par les deux experts :
    • le 22 mars 2000, un premier rapport d'étape (référence 1er) (COTE D 1027)
    • le 31 mai 2000, des observations complémentaires au premier rapport (référence 1R0) au vu du 4e renvoi de la Gendarmerie et du rapport d'investigation RINA déposé à Gênes le 31 mars 2000.
    • Le 22 janvier 2001, un deuxième rapport d'étape (référence 2R) (COTE D 1788)

  • Le présent rapport de synthèse n° 3 mis en forme par le Cdt CLOUET seul, tient compte des observations der M. CHENEAU, co-expert (en particulier la trame de l'arbre des causes en annexe). Il vient compléter les avis techniques motivés des deux experts et conclure le long travail commun.


  • Les constatations, recherches, études techniques, réponses circonstanciées et précises aux différentes questions et chefs de mission de l'ordonnance du 4 janvier 2000 ont déjà pour l'essentiel été exposées dans les précédents rapports d'étape (1R/1R0/2R) aux chapitres et annexes desquels il convient de se reporter pour toutes précisions (ex 2RA5 = 2e rapport d'étape annexe 5) et (1R10 1er rapport d'étape chapitre 10).

  1. LE NAVIRE ET SON ÉTAT DE NAVIGABILITÉ


    1. Caractéristiques


    2. Les caractéristiques du navire sont données dans les pages suivantes. Les plans, l'état de sa classification RINA, de ses contrôles Vetting sont donnés plus particulièrement aux rapports 1R.2 (navire et plans en annexes) /2R.6 (état structurel du navire et classification) étude de M. Paulet 2RA5 (Étude des contraintes dans le matériau de coque entre les couples C66-70).
      ÉRIKA, navire IMO 7377854, est un pétrolier de DW 36 000 MT construit en 1975 au Japon au chantier Kasado n° 284 - simple coque - LxB= 184x28 m, d'une capacité de 11 tanks, soit 34636 m3 et d'un port en lourd de 36 285 MT,
      Équipé d'un moteur Diesel lent Sulzer de type 2SCA de 13200 CV à 155 t/mn. Il fait partie d'une série de plusieurs navires identiques dont le MARINER A qui a également été affrété au voyage par TOTAL en juin 1999 pour l'exécution du même contrat de fournitures de F0 N°2 à ENEL

    3. Classification RINA et visite spéciale à BIJELA en août 1998


    4. Le navire est classé RINA 100 A-1.1 - Nav IL:Cst(oil) ESP à partir de 08.1998.

      1. Le navire était précédemment classé par le BV de 93 à 98, date à laquelle revenait la visite spéciale faite tous les cinq ans et qui, rappelons-le, a pour objet :
        • d'établir l'état de la structure,
        • vérifier que l'intégrité de la structure est en bon état, conforme aux spécifications des règlements et qu'elle se maintiendra jusqu'à la prochaine visite spéciale sous réserve d'un bon entretien et d'une bonne conduite.
      • Les visites annuelles et intermédiaires ont pour principal objet de vérifier que l'état général est maintenu dans de bonnes conditions. Cette question a été étudiée dans le premier rapport en 1R2.

      1. La visite préalable du RINA avant transfert, appelée encore Condition Survey est faite par M. PISCHEDA en février 1998, alors que le navire est encore classé BV. Elle est très défavorable au navire. Elle fait état:
        • de très fortes corrosions observées sur le pont principal avec des réductions d'épaisseurs de tôle de 19 % à 40 % et même 68%;
        • de très fortes corrosions de tuyauteries et de cloison de Peak AVANT;
        • d'un état très dégradé du ballast bâbord WB2P avec absence de peinture, forte présence de fissures et fêlures des membrures et raidisseurs verticaux et longitudinaux, résidus anormaux de pétrole...
      • On notera que ces différents relevés et observations sont incompatibles avec le bon état de navigabilité correspondant à la cote 100 A 1 que donnait le BV au navire à cette époque.
        Cet inspecteur diligent ne reviendra plus sur ce navire et quittera le RINA. Les constatations de pertes d'épaisseur de tôles ne seront pas retrouvés six mois plus tard par le RINA lors des contrôles prévus par la visite spéciale dans les mêmes zones.
        À ce sujet, les observations de M. PADILLO prenant toutes réserves sur les mesures d'épaisseur validées par M. PATANÉ...

      1. La procédure de transfert TOCA entre les Sociétés de Classification BV et RINA a été respectée. Mais le transfert ne se fait qu'en août 1998 alors que le navire est déjà au chantier de BIJELA où il n'a pu venir qu'avec une autorisation temporaire du BV. Les travaux de reclassification coque ont été préparés par PANSHlP seul semble-t-il et exécutés dans un premier temps en l'absence de contrôle et de préconisations RINA. Les différentes analyses de lisses de cloisons situées dans la zone de cassure et faites par les labos, soit d'Indret déjà cité, soit de LCPC (cotes D 1654 à 1658) montrent au premier semestre 2000 des corrosions très anciennes des tôles et des soudures, des cassures, des diminutions ponctuelles et considérables d'épaisseur (50 % voire 70 %) (2 R6 5), et bien antérieures au naufrage. Elles n'ont pu se développer en un an et demi, de mi 1998 à 2000. Ceci confirme que la visite spéciale coque de l'été 1998 n'a pas été conduite et surveillée de façon suffisamment approfondie par le RINA et que le navire en fin de visite spéciale souffrait toujours de fortes corrosions non conformes à sa classification.


      2. M. PAULET dans son étude en annexe 5 du 2e rapport 2RA5 («solidité d'ensemble de la coque»)note que le module de flexion 1/V au départ de DUNKERQUE avec une usure globale présumée de 17 % est de 10,7 m3 au pont et de 12,6 m3 au fond. Ces valeurs sont inférieures à celles calculées par le RINA dans ses observations du 31 mars 2000. Après les avaries de pont le 11 décembre 1999, ce module de flexion passe à 9,9 m3 selon évaluation de M. PAULET. La marge de sécurité avant la rupture de la fibre haute dans les heures qui suivent est alors très faible (16 %) de telle sorte que la permanence du bon état de la charpente du navire de cette zone haute était particulièrement vitale et primordiale pour l'ÉRIKA.


      3. On peut estimer, après étude et a posteriori que le navire avant événement et avant l'appareillage de DUNKERQUE n'était pas dans le bon état de navigabilité qu'indiquaient ses certificats de classification.


    5. Rappel des Conventions Maritimes relatives à la Sécurité en mer et Avis concernant l'ÉRIKA


    6. Les Conventions Maritimes Internationales (LOAD LINES, MARPOL, SOLAS) qui ont vu le jour sous l'égide de l'OMI dans le but d'assurer la sécurité de la vie humaine et des biens en mer se sont attachées dans un premier temps aux Navires et aux Autorités du Pavillon.

      1. Convention LOAD LINES 66


        • Elle définit les principes et règles uniformes de limites autorisées par l'immersion des navires et les lignes de charge appropriées qui ne doivent être immergées à aucun moment lorsque le navire prend la mer, pendant le voyage et l'arrivée (art. 12). Cette convention définit les ponts de franc-bord, les marques certificats de franc-bord applicables selon les navires et les zones de navigation.
        • Cette notion de pont d'étanchéité et de franc-bord est la base et le socle de toute la sécurité des navires à la mer. On peut observer dès maintenant que ce principe premier a été ignoré de presque toutes les parties en cause lors de leur analyse de l'événement, faite dans l'urgence.
          Le navire a lancé une détresse initiale par tempête de SW le samedi 11 décembre 1999 à 14 h 08 locales (Tu +1 ) en route vers l'Espagne au 210 et à 6 nœuds vrais, et à mi-chemin entre Ouessant et Cap Finis-terre. Immédiatement après, à 14 h 30, le capitaine a pu prendre une route de sécurité, en fuite au 030 à 8,5 nœuds. Il a identifié alors une voie d'eau très significative dans le pont principal d'étanchéité ou de franc-bord, à l'avant, à hauteur du ballast WB 2 S (Tribord). Le navire n'a pas alors cherché à apprécier complètement et méthodiquement sa situation d'avaries en vue d'étancher ou de réduire autant que faire se peut cette voie d'eau ou au minimum de protéger au mieux des paquets de mer en vue de conserver un franc-bord de sécurité.
          Mais par ses propres manœuvres pour redresser sa gîte de 10° à tribord et continuer à faire route d'urgence vers un port de refuge, le capitaine a considérablement alourdi son navire à l'avant, l'a mis très rapidement sur le nez en immergeant alors ses limites de charge ou marques de franc-bord précisément dans la zone d'avaries et de déchirures de pont qu'il fallait protéger.
        • Par là même, la voie d'eau initiale dans le pont de franc-bord, qui est l'avarie déclenchante, n'a pas été réduite mais considérablement aggravée. Avec l'immersion irréfléchie, dangereuse et continue du pont de franc-bord, navire en route, elle est devenue catastrophique. Elle a interdit en premier lieu au navire de rallier le port de refuge choisi précipitamment mais surtout elle a provoqué une extension considérable des contraintes dans la coque et par là même des avaries qui ont progressé jusqu'à la cassure du navire en deux. Le naufrage qui en a suivi a provoqué une catastrophe maritime majeure et une pollution de très grande envergure sur les côtes Atlantique de France.
        • II est important de rappeler que ni le navire, ni la compagnie exploitante, ni l'État côtier, ni les autres intervenants au voyage maritime dont TOTAL, ne seront attachés à vérifier et à préserver les limites d'immersion ou de franc-bord du navire dans le premier temps de leur action de sauvegarde de la vie humaine et de lutte contre la pollution comme ils le devaient. Elles ont ainsi méconnu un des principes premiers de la sécurité des navires en mer.

      2. Convention MARPOL 73/78


        • Elle définit les règles applicables auxquelles doivent obéir les navires et les Autorités du pavillon pour prévenir les pollutions par hydrocarbures et substances liquides nocives ou nuisibles. C'est-à-dire :
          1. les caractéristiques des navires et des citernes de transport, les conditions de rejet à la mer liées à l'exploitation.
          2. les règles et conditions de délivrance des certificats d'inspection et de conformité des navires (IOPP et registre d'hydrocarbures), les plans de lutte de bord contre la pollution, les conditions de recherche des infractions et d'enquêtes après accidents par l'Autorité du pavillon.
          3. les dispositions relatives à la prévention de la pollution par les hydrocarbures que les navires doivent respecter du point de vue structure, matériaux et état général, équipements, systèmes, installation et procédures, transport, etc.
            C'est au titre de cette convention MARPOL que l'ÉRIKA navire de port en lourd DW supérieur à 30 000 tonnes est équipé d'une part de citernes à ballast séparé (SBT/Segregated Ballast Tank), complètement isolées des circuits de cargaison d'hydrocarbures et réservées en permanence au transport de ballast (règle 13 et suivantes) et qu'il dispose d'autre part d'un plan de lutte en cas de pollution pétrolière (règle 26) avec la procédure à suivre, la liste des Autorités à contacter immédiatement, les mesures à prendre à bord et la coordination avec les Autorités Nationales. Sur l'ÉRIKA, ce plan établi par PANSHIP en exécution de la règle 26 MARPOL date d'août 1997.
        • II est dénommé SOPEP (Shipboard Oil Pollution Emergency Plan). Il a été approuvé par le BV en 1997 puis par le RINA le 10 août 1998. D est joint in extenso en annexe 3 au 2e rapport d'étape des experts (2 RAS).
        • L'étude de l'affectation des ballasts eau de mer sur ce navire montre que les dispositions de ballastage centrale du navire sur lest ont été modifiées à plusieurs reprises dans les années précédentes.
          1. Au neuvage, la navire dispose de trois ballasts eau de mer (Peak avant et arrière de 2 032 m3 et le 3C (62-70 de 4984 m3), configuration dans laquelle il a été utilisé 22 ans, semble-t-il, jusqu'en 1997.
          2. En septembre 1997, sous contrôle et approbation du Bureau Véritas (BV) (cote D. 409), il a été mis aux normes SBT (navire à ballasts et circuits séparés des tanks de cargaison) aux chantiers de Ravenne par le précédent opérateur STAR MANAGEMENT à Miami, avec l'assistance technique de M. POLLARA.
            La configuration centrale SBT de 1997 était : 4C (58-62) de 2492 m3 + 2S/P(66-74) de 7 596 m3.
        • En août 1998, à la demande de M. SAVARÉSE, le chantier de BIJELA au MONTENEGRO a transformé au cours de la visite spéciale et sous contrôle RINA la configuration de ballastage SBT comme suit: 4P/S (52-58) de 5 659 m3 et 2P/S (66-44) de 7596m3.
          Tous les documents et plans relatifs à cette transformation importante au sens de la convention MARPOL et à son approbation par le RINA et l'État du pavillon MALTE n'ont pas été communiqués dans le cadre de la procédure d'instruction en cours et l'expertise n'a pas permis de vérifier et de conclure sur ce point, à savoir que la configuration SBT du navire était acquise conformément aux dispositions de la Convention MARPOL (travaux de transformation à BIJELA et conditions d'exploitation du navire).
          On notera que le RINA avait envisagé le 5 novembre 1999 de diminuer le port en lourd à 29190 MT, c'est-à-dire de détimbrer le navire sous la barre des 30 000 MT pour échapper aux contraintes SBT à partir du 1" janvier 2000. Cette mesure de prudence a été refusée par l'armateur TEVERE SHIPPING.
        • On observera aussi et dès maintenant que la zone initiale d'avaries au pont de franc-bord et à la cloison haute 3C/2S se situe au voisinage des couples C69/70 à Tribord. Elle est aussi celle de la déchirure puis de la rupture finale du navire. Elle concerne la tranche 2 du navire qui a toujours été utilisée en ballasts eau de mer à l'AVANT, soit avec le 3C soit ultérieurement avec les 2P/S.
          Cette zone située au milieu de l'espace de chargement entre les couples C 66-70 (sur l'avant du 3C et sur l'arrière des 2P/S latéraux) est la plus sollicitée du navire en flexion. Elle a été aussi soumise à des phénomènes importants de corrosion de tôles, dûs entre autres, aux réchauffages des tanks cargaison à proximité, aux tensions de vapeurs salines surtout en partie haute, à l'absence de peinture de protection des tôles.
          Cette zone d'avaries et de destruction localisée qui est aussi celle où la cassure du navire en deux s'est produite, apparaît donc comme une zone de faiblesse caractérisée qui vient confirmer ce qui a été dit en 2.2 sur la classification coque et l'état du navire.

      3. Convention SOLAS 74/78/88


      4. Cette convention pour la sauvegarde de la vie humaine en mer, développe en onze chapitres les catégories de navires et les règles que ces derniers doivent respecter en matière de:
        • construction, compartimentage et stabilité, machines et installations électriques (ch. 2.1),
        • construction, prévention, détection et extinction incendie (ch. 2.2), sauvetage (ch. 3), radiocommunications (ch. 4), sécurité de la navigation (ch. 5), transports de cargaison (ch. 6),
        • transport de marchandises dangereuses (ch. 7), navires nucléaires (ch. 8), gestion pour la sécurité de l'exploitation des navires (ch. 9), c'est le code ISM qui sera examiné plus loin car défini ultérieurement et mis en vigueur au 1er juillet 1998, mesures de sécurité applicables aux engins à grande vitesse NGV (ch. 10), mesures pour renforcer la sécurité (ch. 11), certificats et annexes...

      • L'ÉRIKA (hors ch. 9 examiné plus loin) respecte toutes les différentes prescriptions de cette convention. Ce qui représente un gros travail de contrôle de conformité. Le navire, à la demande de son armement TEVERE SHIPPING et de son gestionnaire technique PANSHIP, disposait au jour de l'événement de tous les certificats requis, conformément aux contrôles prévus par cette convention SOLAS.


      • L'État de MALTE, État du pavillon, a bien délivré lui-même tous les certificats du pavillon ou a donné au tant que de besoin délégation à la société de classification RINA pour délivrer en son nom et après contrôles tous les Safety Certificate et autres documents prévus. Cette question a été examinée au rapport 1R.2 sans observations particulières.


      • On peut noter que les prescriptions relatives au ch. 4, radiocommunications, étaient bien exécutées, le navire disposait :
        • d'un système de réception NAVTEX (518 kHz)
        • d'une station INMARSAT A + C
        • d'un dispositif ASN d'appel sélectif numérique par VHF, HF et MF,
        • d'un dispositif de Radiobalise de localisation par Satellite (RLS) et de veille détresse sur 2 182 kHz,
        l'ensemble adapté à sa zone de navigation. Tous ces équipements ont été mis en œuvre et ont fonctionné à l'exception toutefois de la balise de détresse (sans incidence dans l'événement)


  2. LA COMPAGNIE RESPONSABLE DE L'EXPLOITATION


  3. Cette question est développée principalement aux rapports 1R.3 (parties en cause) et 2R.3+4 (certification ISM et contrôle).

    1. Organisation de fait


      • L'exploitation de ce navire comme d'autres navires du même armateur se fait au travers d'une cascade de sociétés. TEVERE SHIPPING est l'armateur propriétaire du navire. Cette société, dont M. SAVARÉSE est actionnaire à 100 %, dispose d'un bureau à Londres pour M. SAVARÉSE seul. Ce dernier n'a jamais travaillé sur un bateau ni fréquenté un chantier comme le relève justement Me VARAUT.
        Les conditions d'achat du navire (2 millions USD), de prêt par la Bank of Scotland à M. SAVARESE, actionnaire principal de TEVERE, et les charges de Capital en « Capital Cost » ne sont pas connues et ne permettent pas de dire qui est le véritable propriétaire et le gestionnaire financier réel et de fait du navire lors de l'événement.


      • Cet armateur avait un contrat de gestion technique partielle avec PANSHIP qui se trouve qualifié d'opérateur du navire (operator) ou d'armateur gestionnaire (managing owner) dans les différents documents d'affrètement ou de mise à disposition. Ce qu'il n'est pas vraiment, car ses délégations pour les engagements de travaux techniques ou règlements de factures sont très limités. Il donnait un accord de principe en vue des commandes ou des paiements par l'armateur.
        Le contrat de service de PANSHIP est étudié et donné en annexe au rapport 1R3. Il est bien stipulé dans ce contrat d'assistance technique que «running costs » ou charges fixes d'exploitation du navire, frais d'assurance corps et P. & I., dépenses d'équipage, d'entretien, de classification et frais généraux sont avancés et payés directement par TEVERE SHIPPING.


      • Le navire était assuré « coque et machine » pour 4,8 M USD auprès de ASSITALIA par police corps n° 85 / 607157 en date du 16 octobre 1999 et addendum n° 85/607158 d'un montant complémentaire de 1,2 M USD en cas de perte totale - polices souscrites au profit de TEVERE SHIPPING et PANSHIP MANAGEMENT. Le navire est assuré en P. & I. auprès du STEAMSHIP MUTUAL par police en date du 20 février 1999 au profit de TEVERE (owners) et PANSHIP (managers).


      • Cet opérateur PANSHIP était chargé :
        • d'obtenir les agréments d'affrètement du navire par les grandes compagnies pétrolières,
        • du suivi technique et de l'entretien du navire,
        • du suivi de la classification coque et machine par le RINA et de la certification ISM, de sa propre société et de la personne désignée d'une part ; du navire d'autre part.

      • Par là-même, PANSHIP pourrait apparaître formellement comme la compagnie responsable de l'exploitation au sens des codes STCW et ISM, mais ce qu'il n'est pas non plus comme nous le verrons plus loin. Ses compétences d'exploitation restent limitées.

      • En effet:
        • pour la gestion nautique du navire, cet opérateur ne traitait pas lui-même les questions de recrutement, de compétence et de suivi des équipages Indiens (du capitaine au matelot). Ils étaient mis à disposition directement par la société HERALD MARITIME de MUM-BAI en INDE. Ces équipages étaient payés par HERALD MARITIME selon factures présentées directement à M. SAVARESE. Le fait que l'État de MALTE ait une convention d'agrément des équipages indiens ne dispense pas pour autant la compagnie exploitante de ses obligations concernant la gestion des équipages et le contrôle de la sécurité par ces équipages.
        • pour la gestion et l'exploitation commerciale du navire, l'armateur l'avait affrété à temps initialement à EUROMAR qui gérait lui-même cette question, puis à partir du 14 septembre 1999 il l'a affrété à temps à SELMONT (BAHAMAS) qui agissait non pas lui-même comme armateur disposant (disponent owner) mais via AMARSHIP à LUGANO qui agissait comme agent et comme courtier d'affrètement (précisions non connues).
        • de cette gestion compartimentée et éclatée en différentes sociétés, la seule qui semble avoir de fait une certaine maîtrise de l'exploitation et de ses différents coûts est TEVERE SHIPPING en la personne de M. SAVARESE beaucoup plus que PANSHIP en la personne désignée (le Cdt POLLARA).
        • on notera que PANSHIP émarge simplement au budget de l'ÉRIKA pour 5000 USD/mois et se qualifie lui-même de consultant et d'assistant technique. Il n'agit pas en réalité au titre de la compagnie responsable de l'exploitation tel que cela est prévu et défini par les conventions STCW et ISM. En effet:


    2. Rappel des Conventions Internationales STCW 95 et ISM 93/97


      • Après avoir défini les règles relatives aux navires, à leur étanchéité et pont de franc-bord (LOAD LINES), leur construction sûre et fiable (SOLAS), la prévention de la pollution à bord (MARPOL), les conventions internationales se sont orientées vers des conditions de gestion des navires par les hommes aussi bien à bord qu'à terre pour tout ce qui concerne la sécurité de l'exploitation des navires et la prévention de la pollution.


      • Un nouvel intervenant de poids est défini comme la clef de ce management des hommes et de la sécurité au travers d'une politique de formation et de qualification des équipages (STCW 95) et d'une politique en matière de sécurité et de protection de l'environnement (Code ISM 93):
        c'est la compagnie responsable de l'exploitation du navire dont la direction est qualifiée de pierre angulaire d'une bonne gestion de la sécurité (préambule du code ISM). Elle doit agir aux côtés des administrations des pavillons, des sociétés de classification et des organisations du secteur maritime.
        L'Administration de l'État du Pavillon impose dorénavant à cette compagnie de respecter des nouvelles règles en matière de qualification des équipages, de maintien en état du navire et de gestion de la sécurité (code ISM 93/97).

      1. Rappel du Code STCW 95
        • Ce code comprend deux parties :
          • la partie A qui énonce les dispositions obligatoires,
          • la partie B qui contient des recommandations destinées à aider les Parties à la Convention, pour la mise en œuvre.

        Prescriptions STCW relatives au Standards d'entraînements de Certification et de Veille des équipages :

        • Dans sa première version 1978, la convention STCW fixait des normes d'aptitude aux quarts. Le système de quart doit être tel que «l'efficacité des matelots de quart ne doit pas être compromise par la fatigue, de telle sorte également que lors du premier quart au commencement d'un voyage et lors des relèves ultérieures, les équipages des équipes de quarts soient suffisamment reposés et aptes à remplir leur tâche».
          Ces principes ont été repris et complétés dans la nouvelle convention STCW de 1995 qui définit les normes et standards de formation et de compétences des gens de mer / les conditions de délivrance des brevets et leur contrôle / les conditions de veille / les responsabilités hiérarchiques et celles de la compagnie.
          La Convention règle 1/1 définit qui est la compagnie exploitante :
          «le terme compagnie désigne le propriétaire du navire ou toute autre entité ou personne, telle que l'armateur gérant ou l'affréteur coque nue à laquelle le propriétaire du navire a confié la responsabilité de l'exploitation du navire et qui, en assumant sa responsabilité, a convenu de s'acquitter de toutes les tâches et obligations imposées à la compagnie par les présentes règles».
          On peut remarquer dès maintenant que cette définition de la compagnie exploitante est la même que celle qui sera retenue au chapitre 9 de la Convention SOLAS (ISM).
          La règle 1/14 «Responsabilité des Compagnies» prévoit que «chaque administration de l'État du pavillon doit exiger que chaque compagnie s'assure :
          1. que les gens de mer affectés à l'un quelconque de ses navires sont titulaires de brevets appropriés,
          2. que les gens de mer qu'elle affecte à l'un quelconque de ses navires sont familiarisés avec leurs tâches spécifiques et avec les dispositifs, les installations, le matériel, les procédures, les caractéristiques du navire, les tâches qui leur incombent à titre régulier ou en cas d'urgence.
          Cette règle est confirmée par la règle 1/4 «Procédure de contrôle» qui prévoit que «le fonctionnaire chargé du contrôle doit se limiter à vérifier que tous les gens de mer servant à bord et qui sont tenus d'être titulaires d'un brevet, possèdent bien le brevet approprié, et évaluer conformément à la section A-114 du code STCW, l'aptitude des gens de mer du navire, à respecter les normes de veille et vérifier qu 'ils sont familiarisés avec les procédures en cas d'urgence, compte tenu de leur niveau de compétences».
          La section A-1/14 «Responsabilités des Compagnies» précise que «ces dernières, capitaine et membres d'équipage sont individuellement tenus de s'assurer de la sécurité de l'exploitation du navire. À ce titre, la compagnie doit fournir au capitaine de chaque navire la procédure décrivant les politiques et les procédures à suivre en matière de veille, de sécurité, d'urgence. Procédures qu'ils doivent connaître pour la bonne exécution des tâches qui leur sont assignées».
          Ce point est précisé dans les tableaux de compétence : faire face aux situations d'urgence, détail des consignes, mesures à prendre pour la protection et la sécurité.

        • Les compétences en termes de manutention et d'arrimage de cargaison prévoient l'aptitude à évaluer la stabilité et l'assiette du navire après chargement. On observera que les documents relatifs aux conditions de chargement (tableau STCW A 2/) n'ont pas été gardés, ainsi que les calculs de stabilité.


        • Le code STCW (tableau A - 2) prévoit dans les compétences du commandant «qu'il doit être en mesure de faire face aux mesures de situation d'urgence intéressant la navigation, en particulier, tous événements relatifs à la perte d'étanchéité de la coque, pour quelque cause que ce soit, être apte à déterminer l'origine, identifier les voies d'eau, et prendre les mesures pour les maîtriser».


        • Le tableau A - 3/1 en ce qui concerne les compétences du chef mécanicien et des officiers mécaniciens de quart prévoit «la compréhension des mesures fondamentales à prendre en cas de perte partielle de flottabilité à l'état intact».


        • L'absence de comptes rendus / de concertation à bord au sein des officiers pour déterminer les procédures et les mesures à prendre pour combattre cette voie d'eau identifiée sur le pont en 2 S, montre que ces prescriptions du code STCW n'ont pas été respectées dans cet événement, tant par le commandant, le chef mécanicien que la compagnie exploitante. II en est de même pour les mesures relatives à l'entretien et aux réparations (mettre en place des méthodes sûres d'entretien et de réparations).


        • De même, les prescriptions relatives aux mesures à prendre (contrôle d'assiette et de stabilité) en cas d'envahissement de compartiment ne semblent pas avoir été mises en œuvre correctement : de telle sorte que dans cet événement, un certain nombre de règles et d'obligations du code STCW n'ont pas été observées par la compagnie exploitante et les officiers qu'elle a mis en place.


        • La fourniture DIRECTE de personnel par HERALD MARITIME ne lui transfère pas pour autant les responsabilités de gestion de personnel du ressort de la compagnie responsable de l'exploitation du navire. TEVERE SHIPPING, de fait, n'a pas mis en place les mesures adaptées pour une exploitation sûre du navire par un équipage qu'il puisse contrôler et améliorer.


        • La partie B du code STCW relative aux recommandations n'a pas été également respectée par TEVERE SHIPPING. En effet :
          Section B -1 /14 «les compagnies devraient fournir les programmes d'introduction propre à chaque navire, en vue d'aider les gens de mer nouvellement employés à se familiariser avec l'ensemble des procédures et les équipements intéressant leurs domaines de compétences».


        • Le Code STCW préconise Section B - 2/1 l'existence d'un officier formateur de la compagnie chargée de l'administration générale du programme de formation, du suivi des progrès accomplis par le futur officier. Cet officier formateur devrait être chargé de veiller en sa qualité de superviseur à ce que le registre de formation soit tenu à jour et qu'il satisfait à toutes les autres prescriptions.


        • La société TEVERE SHIPPING (compagnie exploitante?) en détachant un nouveau capitaine, alors que celui-ci ne connaissait pas auparavant le navire, a pris des risques exagérés et non conformes aux prescriptions du code STCW.


        • Pour ces différentes raisons, la compagnie exploitante TEVERE SHIPPING, même si elle a respecté formellement les qualifications du personnel embarqué, via HERALD SHIPPING, n'a pas elle-même exécuté les différentes prescriptions relatives à ses propres responsabilités de compagnie exploitante de navire, au titre du code STCW (même via PANSHIP).

      2. Dispositions de quart et de veille


      3. Les dispositions à bord sont conformes à la convention STCW et permettent d'assurer un quart de façon continue, sans fatigue anormale de l'équipage. Il n'y a aucun manquement observé dans la conduite des quarts à bord de l'ÉRIKA.


    3. Rappel des prescriptions SOLAS / et de l'annexe 9 (code ISM)


      • L'ÉRIKA navire du type pétrolier est tenu de respecter les prescriptions du code ISM à partir du 1er juillet 1998 selon résolution OMI A 848/20.


      • Un rappel des différentes prescriptions du code ISM permet de mieux cerner les conditions d'exploitation exigées.


      • Le code ISM «Code International de Gestion de la Sécurité» (International Safety Management) définit un nouveau chapitre 9 de l'annexe de la Convention SOLAS de 1947 et traite de la «gestion pour la sécurité de l'exploitation du navire et pour la prévention de la pollution».


      • Les objectifs de ce code sont d'améliorer la gestion de la sécurité, c'est-à-dire «offrir des pratiques d'exploitation et un environnement de travail sans danger, établir des mesures de sécurité contre tous les risques identifiés, améliorer constamment les compétences du personnel en matière de gestion de la sécurité et notamment le préparer aux situations d'urgence § 1.2.2 du code».


      • Pour ce faire, la règle 1 article 2 (ISM) reprend exactement la même définition de la compagnie exploitante que STCW:
        «Elle désigne le propriétaire du navire ou tout autre organisme ou personne tel que l'armateur gérant ou l'affréteur coque nue auquel l'armateur du navire a confié la responsabilité du navire et qui en assumant cette responsabilité a accepté de s'acquitter de toutes les tâches et obligations imposées par le code international de gestion de la sécurité».


      • La règle 3 précise, dans ses articles 1 et 2, que «la compagnie et le navire doivent satisfaire aux prescriptions du code ISM», c'est-à-dire que «le navire doit être exploité par une compagnie détentrice d'une attestation de conformité telle que visée à la règle 4 qui prévoit une personne désignée pour garantir la sécurité d'exploitation de chaque navire et pour assurer la liaison entre la compagnie et les personnes à bord».


      • Que la définition de la Compagnie responsable de l'exploitation soit la même dans les codes STCW 95 et ISM montre bien la continuité et la cohérence de ces différents codes, particulièrement en ce qui concerne les responsabilités de la Compagnie exploitante et de l'ÉTAT du pavillon...


      • Dans ce cadre également, l'article 6 prévoit que la compagnie doit s'assurer que le capitaine et l'équipage ont bien les qualifications requises.


      • En définitive, le système de gestion de la sécurité doit permettre: «d'établir et mettre en œuvre une politique en matière de sécurité et de protection de l'environnement, d'établir des inspections et des procédures définissant les responsabilités, les pouvoirs et les relations réciproques de l'ensemble du personnel chargé de la sécurité à bord;
        • «elle doit fournir les ressources nécessaires et un soutien approprié à terre, mettre en place une organisation et des moyens de communication entre le personnel à bord et le personnel de la compagnie à terre ;
        • «établir et définir les consignes pour les principales opérations à bord;
        • «définir les procédures d'urgence permettant défaire face à toutes les situations d'urgence susceptibles de survenir et de les décrire dans un document appelé «manuel de gestion de la sécurité» dont un exemplaire doit être conservé à bord».

      • La mise en œuvre de ce code ISM par l'État du Pavillon prévoit :
        • un certificat propre au navire confirmant qu'il respecte toutes les prescriptions,
        • une attestation de conformité délivrée à la compagnie gestionnaire après audit, de la structure de la compagnie, gestion du personnel et compétences, maintien en état de navigabilité du navire et armement, gestion documentaire, etc.
          À ce titre, PANSHIP a établi un plan d'urgence pour répondre aux prescriptions du code ISM. Il est dénommé «Shore Based Contingency Plan». Il est joint en annexe 5 à ce rapport.


    4. Le schéma de fonctionnement de PANSHIP présenté dans le rapport de l'État du Pavillon (MMA p 31) ne correspond pas à la réalité des faits.


    5. Le crewing department est en fait tenu par HERALD MARITIME. L'ingénieur du Technical department n'est pas désigné par PANSHIP.
      Les manquements observés de fait par le RINA dans son suivi de la certification ISM et exposés dans notre rapport (2 R4.2) concernent précisément et ont pour cause :
      • l'absence d'évaluation des commandants et chefs mécaniciens à chaque embarquement,
      • l'absence de situations de suivi technique du navire en fin de chaque embarquement,
      • l'absence au cours des 12 derniers mois d'audit, d'inspections techniques ou de sécurité sur de nombreux navires dont l'ÉRIKA,
      • la gestion documentaire pour laquelle 20 à 50 % du travail reste à faire,
      • l'absence de preuves que des actions correctives ont été menées pour supprimer les non conformités,
      • les insuffisances de la direction de la compagnie PANSHIP;
      En conclusion sur cette question, PANSHIP n'est pas la compagnie responsable de l'exploitation contrairement à l'approbation ISM donnée par l'État de MALTE et le RINA (par délégation).


  4. TOTAL (Raffineur, Vendeur, Chargeur du F.0. N°2 et Affréteur intervenant au Transport Maritime)


    • TOTAL intervient dans cet événement ÉRIKA à plusieurs titres :


      1. TOTAL Raffinage Distribution SA (Nanterre) (TRD), via sa raffinerie des Flandres à DUNKERQUE, est le raffineur et le producteur du fioul lourd n° 2 HTS (haute teneur en souffre) qui a été transporté et répandu dans l'événement. TOTAL TRD a fourni un certificat d'analyse du produit.
        • II est aussi le chargeur du produit sur le navire via le terminal pétrolier. Tous les documents de reconnaissance de tanks et de chargement sont établis par TOTAL Raffinage Distribution y compris le B / L «clean shipped on board ERIKA»de 30 884,471 tonnes en date du 8 décembre 1999.

      2. TOTAL International Ltd (Bermudes) achète FOB à TRD et revend Ex-Ship à Enel (Rome), c'est-à-dire selon les conditions définies par les Incoterms (International Commercial Terms). TOTAL International achète le F0 N°2 arrivé Franco bord au départ des raffineries françaises et le revend Ex-Ship à Milazzo, c'est-à-dire rendu à bord d'un navire au port de destination convenu de Milazzo (ou autres à définir à chaque voyage).
        Dans ce contrat entre TOTAL International et ENEL du 21 mai 1999 (Référence PCLZF 011), TOTAL International Ltd (Bermudes) y est domicilié chez TOTAL PETROLEUM SERVICES à LONDRES. Le contrat porte sur la vente entre 200 et 280 000 tonnes de F0 N°2 à forte teneur en souffre pour centrale thermique, en provenance des raffineries du HAVRE / LAVERA / DUNKERQUE avec livraison mensuelle sur 8 mois du 1er mai au 31 décembre 1999. Vente du produit aux conditions commerciales « ex-ship » Milazzo avec un prix moyen indexé sur le Platt's.
        • TOTAL International, restant propriétaire du produit jusqu'à la livraison et supportant les risques au cours du transport maritime, avait pris une assurance de dommages ou de « Facultés » sur les cargaisons transportées.
        • Pour l'ÉRIKA, la vente du F0 N°2 ex-ship à ENEL était de 3 815 776 USD.
        • L'indemnisation des assureurs à TOTAL International (cote D 2223)J)Our la cargaison FOB de l'ÉRIKA a été de 3 588 327 USD.

      3. TOTAL Transport Corporation (Panama) pour l'exécution du transport a affrété l'ÉRIKA « au voyage » via son courtier PETRIAN Ship Broker à Londres.
        Pour accepter un navire à l'affrètement, au chargement ou déchargement par TOTAL, il faut qu'il soit « travaillable », c'est-à-dire agréé par le service Vetting de contrôle des navires en place chez la société TOTAL FINA (Paris).
        Ce Vetting est commun à de nombreuses compagnies pétrolières et les règles strictes de sélection et d'agrément des navires dans la base SIRE (Ship Inspection Report) doivent assurer aux Compagnies Pétrolières la meilleure sécurité d'exécution de leur transport de produits pétroliers.

    • Pour l'ÉRIKA, différentes règles ont été transgressées par les Sociétés du Groupe TOTAL:


      1. Le navire ne pouvait pas être affrété :

        • comme ce navire a plus de 15 ans, son agrément par TOTAL Vetting n'est valable au maximum que 12 mois à compter de la visite et pour des affrètements de voyage uniquement. Les 12 mois courent à compter de la visite à MELLILI (21 novembre 1998) et sous réserves que l'armateur informe TOTAL de tout changement affectant le statut opérationnel du navire (Fax Vetting à Panship du 24 novembre 1998). Il n'est donc plus travaillable après le 21 novembre 1999. L'agrément Vetting donné pour 12 mois maxi fait état de l'historique et des réserves suivantes :
        • navire sur liste noire en 1993, refusé par TPS en 1994/1995, accepté par SHELL et TEXACO en 1996, refusé par BP en 1997, refusé en 1998 par TPS et SHELL. Deux détentions au titre des ports state control pour corrosion de cloisons (à ROTTERDAM, Hollande, le 11 décembre 1997) et corrosion de coque (à STAVANGER, Norvège, le 20 mai 1998). C'est donc un navire limite et peu affrété par les grandes compagnies pétrolières.
        • en 1999, il sera accepté par TEXACO/REPSOL (6 mois) EXXON/SHELL (terminal seulement), mais refusé sévèrement par BP à AUGUSTA le 21 novembre 1999.
        • la charte partie C/P SHELLVOY, voyage charter party est signée à Londres le 26 novembre 1999 (hors agrément Vetting du navire et sans que le service Vetting ait été consulté spécialement au téléphone). Elle est conclue entre SELMONT affréteur à temps et TOTAL Transport Corporation pour un chargement de 30 000 tonnes minimum à partir du 5 décembre (1 ou 2 ports) zone LE HAVRE/ANVERS. On peut noter à cette occasion que pour des raisons commerciales, semble-t-il, le service Trading de TOTAL a contourné la décision antérieure du bureau du pilotage de TOTAL. La vente initialement fixée à 30 000 tonnes maxi est devenue à tort une vente de 30 000 tonnes minimum.
          Que la cargaison ait dépassé 30 000 tonnes reste conforme à la charte partie mais non à la commande interne et initiale de TOTAL à la raffinerie de Dunkerque qui était inférieure à 30 000 tonnes. On retiendra donc que la Société TOTAL Transport a affrété un navire non agréé par la Société TOTAL FINA (service Vetting dont l'autorité et les décisions sont irrévocables) et pour un transport d'une quantité supérieure à celle fixée par le bureau du Pilotage.
          À ce sujet, il convient de noter que le surveillant David Elliot mandaté par TOTAL TPS à Dunkerque prend de très sérieuses réserves sur ce navire dont l'état général est moins que satisfaisant.

      2. L'audit d'agrément Vetting initial par TOTAL est insuffisant.

      3. PANSHIP y est qualifié de «ship operator» ce qu'il n'est pas à part entière comme nous l'avons montré plus haut, sa mission étant limitée à une assistance technique restreinte du navire, hors équipage et hors opérations.
        TOTAL FINA (Vetting) a fait un audit insuffisant de la compagnie responsable de l'exploitation du navire ÉRIKA au sens des conventions STCW et ISM qui sont explicitement citées dans le programme et le guide d'inspection Vetting à l'usage des compagnies pétrolières (Crew management 3 et Safety management 5).

      4. Le statut opérationnel du navire a changé en septembre 1999 mais TOTAL n'en a pas tenu compte.

      5. TOTAL Transport au cours de l'année 1999 a affrété l'ÉRIKA au voyage quatre fois, le 2 septembre, le 15 septembre, le 6 octobre, le 26 novembre. Pour les trois premiers voyages, EUROMAR est affréteur à temps du navire. Pour le dernier, celui du naufrage, SELMONT est affréteur à temps. Il y a là un changement significatif et important concernant le statut opérationnel du navire qui n'a pas été signalé à TOTAL par l'armateur comme cela est requis dans la lettre d'acceptation et dont TOTAL ne s'est pas soucié lorsqu'il a vu apparaître SELMONT au lieu de EUROMAR comme fréteur à temps.
        Ce changement d'opérateur commercial et d'affréteur à temps est un élément de nature à suspendre l'agrément Vetting dès le 18 septembre 1999, date de la signature de la C/P entre TEVERE et SELMONT (D1799 et 1800). Cela confirme à nouveau que TOTAL n'a pas intégré dans sa pratique d'affrètement le contrôle de la compagnie responsable de l'exploitation au sens des codes STCW et ISM, alors qu'elle est essentielle à la bonne gestion de la sécurité et à la prévention de la pollution.
        De même l'expérience maritime, la solidité financière et l'assise technique des différentes sociétés intervenant dans la gestion et l'exploitation technique et commerciale de l'ÉRIKA ne sont pas vraiment étudiés par TOTAL pour donner son agrément.

      6. Les instructions de TOTAL au commandant pour l'exécution du voyage (cotes D 2203 A 76 et cote D 2202 A 74).
        • on pourra remarquer que l'affréteur à temps SELMONT et son agent n'ont pas donné d'instructions particulières au commandant alors que cela leur revient en premier lieu, étant eux-mêmes le transporteur maritime ayant la gestion commerciale du navire.
        • par contre TOTAL qui en principe n'est pas transporteur dans cet affrètement au voyage, semble se substituer à SELMONT et agir comme tel avec ses instructions très précises au commandant notamment:
          1. comptes-rendus par télex de tout événement au chargement ou à la mer / de tout incident résultant du bris ou de panne d'un équipement du navire/de tout événement majeur tel qu'abordage, échouement, explosion, incendie, pollution. Un tél. 24 h / 24 est prévu chez Total.
          2. le transfert de cargaison de tank à tank à la mer doit faire l'objet d'un accord préalable et indispensable de TOTAL sauf en cas d'urgence et seulement pour des questions de sécurité à la mer ou d'intégrité structurelle de la coque. Tel était le cas dans l'événement de l'ÉRIKA.
          Le commandant devait alors rendre compte a posteriori et d'urgence de mouvements effectués, ce qu'il n'a pas fait dans le détail. TOTAL prévoit enfin qu'aucun ordre venant directement des chargeurs, des agents, courriers, pilotes ou quiconque, ne puisse être accepté par le commandant sans avoir requis et reçu l'accord préalable de TOTAL. Une telle subordination du commandant à TOTAL semble déborder très largement le cadre habituel des affrètements au voyage.


  5. LE VOYAGE EN CAUSE


    1. Chargement à Dunkerque


    2. Ce point est développé en 1R 4. Les éléments suivants sont soulignés :
      1. le navire continue à travailler avec les documents du précédent affréteur à temps EUROMAR SPA qui n'est rien dans ce voyage. C'est ainsi que Notice of Readiness, Statement of facts, OBQ report, ullage report, 2 Notes of protest (tout chargement et tonnage chargé) sont établis par le navire sur ce papier EUROMAR et contresignés de l'agent, du terminal, du surveillant désigné par TOTAL sans aucune observations sur ce point, ni ultérieurement par TOTAL lui-même après réception des documents.
      2. la perte des documents lors du naufrage du navire ne permet pas de retrouver la séquence de chargements des tanks et d'évoquer un chargement avec des contraintes excessives sur la poutre navire.
      3. le produit chargé selon différentes analyses est un FO n° 2 ou fuel lourd n° 2 qui, suivant spécifications françaises, fait partie de la liste non exhaustive des hydrocarbures donnée en appendice de l'annexe 1 de MARPOL 73 / 78. Tonnage chargé au B/L 30 884,471 tonnes.
        Le navire appareille droit avec un déplacement estimé de 42 229 tonnes, un tirant d'eau de 10,5 m à 0,298 m du franc-bord minimum hiver qui est de 3,24 m + 1 m selon certificat de FB.
      4. Avec une consommation journalière de 41 tonnes, les existants en soutes et combustibles (227 tonnes au départ de Dunkerque pour le moteur principal du navire et le réchauffage vapeur de la cargaison) sont très nettement insuffisants et très au-dessous des seuils de sécurité (15 % du tonnage nécessaire pour le voyage prévu vers MILAZZO même pour atteindre GIBRALTAR où un soutage est prévu par l'affréteur à temps. De plus, du très mauvais temps est annoncé pour le voyage. Un compte rendu de l'agent TOTAL à TOTAL agissant sur ses instructions indique par erreur 88 tonnes au départ. Ce point n'a pas été relevé par les intervenants au transport.

    • II y a une faute caractérisée du capitaine, de l'affréteur à temps et de TOTAL, affréteur du voyage (qui avait demandé expressément à connaître les existants et demandait à être informé de tout événement) pour avoir laissé partir le navire avec des soutes très insuffisantes. Ce qui constituait des conditions de sécurité inacceptables. Ce facteur a une incidence directe et certaine dans la gestion technique du navire qui a conduit au naufrage comme nous l'avons montré en 1R4.5.
      En effet le navire a été obligé pour rester droit au départ de DUNKERQUE, de garder près de 3 000 tonnes de ballast en 4P/S qui provoquent un enfoncement complémentaire du navire d'environ 0,70 m. Lorsqu'il a pompé le 4S (1 414 tonnes) le 11 décembre pour redresser sa gîte, le navire est venu fortement sur le nez, diminuant d'autant son franc bord dans la zone de déchirure du pont à l'avant.


    • L'ETA MILAZZO annoncé par le commandant pour une vitesse moyenne de 11,25 nœuds ne pouvait absolument pas être tenu avec les performances moyennes connues du navire, inférieures à cette vitesse, le mauvais temps annoncé en Atlantique (tempête) et le soutage prévu à Gibraltar.

    1. Le Voyage jusqu'à la détresse (heures locales françaises A = TU + 1)


      • Le navire disposait d'un système NAVTEX et y prenait les prévisions météo à 24 h, ce qui est à notre avis insuffisant car il y a d'autres possibilités de prendre des prévisions Météo à 3 jours. Le commandant qui n'avait pas pratiqué le Golfe de Gascogne en plein hiver, confirmera qu'il y a rencontré une mer exceptionnellement dure (et plus forte que jamais rencontré jusqu'ici).
      • Le 8 décembre au soir, départ de DUNKERQUE avec vent SW 7, mer forte, creux 2,5 à 4 m. Contacts normaux avec les différents CROSS de Douvres, Jobourg, Corsen, vent WSW 7, mer forte.
      • Le 10/12 passé Ouessant à 105 t/mn en route au 210 vers Finistère, grande houle W de hauteur 5 à 6 m et de longueur moyenne de 125 à 190 m, période 10 à 12 s, mer du vent très forte à grosse 5 à 7 m.
      • Le 11/12 Vent fraîchissant au fort coup de vent de WSW 9 beaufort (34-40 nœuds) et la mer devenant très grosse (9 à 14 m). Le navire fait route mais fatigue fortement : il roule et tangue lourdement en embarquant de forts paquets de mer. Le second capitaine note du pilonnement pendant son quart de 04-08 le 11. La vitesse affichée est 10,5 nœuds pour 105 tours/mn, observée 6 nœuds le 11 décembre entre 6 h et 14 h. Le glissement (slip) est très important (33,4 % observé). Le RINA évoque un glissement de 43,5% 1R0.3 à partir d'informations que nous n'avons pas retrouvées. Dans tous les cas, ces différents éléments montrent que la vitesse devait être réduite et la route éventuellement modifiée pour soulager le navire. Ce qui n'a pas été fait. Le navire à pleine charge est conduit durement dans du très mauvais temps (houle, mer et vent) et cela est un facteur des avaries.

    2. Chronologie des avaries et détresses du 11 décembre au 12 décembre 6 h 00


    3. La gendarmerie a établi une chronologie détaillée (pièce 145 de la synthèse n° 4) et jointe en annexe 2 et 3 à ce rapport. Une chronologie vérifiée par les deux experts avec la teneur des messages échangés est donnée également en 1R.7 et complétée en 2R.5 (par le compte rendu du « NAUTIC » le 11 décembre à 14 h 15). On pourra s'y reporter utilement. Il n'y a aucun élément de fait permettant d'évoquer des avaries antérieures au samedi 11 décembre en fin de matinée. Les étapes suivantes ont été distinguées :
      1. le 11 décembre en matinée et avant 14 h : avaries de coques initiales, navire en route au 210 à 105 t/mn - gîte 10° Tribord.
      2. le 11 décembre de 14 h à 14h30 : mesures de sauvegarde et demandes d'assistance immédiate du navire :
        1. par un appel de détresse envoyé automatiquement (ASN à 14 h 08 et reçu à 14 h 11 par le CROSS ÉTEL,
        2. par appel VHF au NAUTIC à portée visuelle à 1 mille par le travers tribord et au SEA CRUSADER.>
      3. le 11 décembre de 14 h 30 à 16 h 30, route de sécurité au 030 pour investigations. Puis décision et dispositions en vue de faire route vers Donges choisi comme port de refuge.
      4. le 11 décembre de 16 h 30 à 24 h 00, route vers Donges au 085, aggravation de situation
      5. le 12 décembre de 00 h à 05 h 00, ruine du navire.
      6. le 12 décembre de 05 h 00 à 08 h 00, appel de détresse, évacuation, cassure en deux et naufrage du navire.

    4. La gestion de la crise


      1. Par les intervenants au transport maritime
        • Lors de l'événement, la gestion de la crise montre que le navire et TEVERE, SELMONT, AMARSHIP, PANSHIP ne se sont pas attachés à mettre en œuvre méthodiquement les différentes prescriptions prévues par le plan d'urgence SOPEP et à réclamer les formats 1 et 2 prévus au plan SOPEP de l'ÉRIKA en exécution des prescriptions MARPOL (règle 26 en annexe 4 de ce rapport).
        • Les « initial notification », « follow up notifications », « stability and strength assessment notification » tels que prévus au plan SOPEP para. 2,3,4 n'ont été envoyés à aucun des intervenants prévus.
        • Aucune situation précise et régulière avec des éléments d'évaluations chiffrés de la situation de chacun des tanks, en vue d'une appréciation chiffrée de la voie d'eau, de la stabilité et de la résistance du navire ne sont produites par l'une de ces « compagnies » à quelque étape que ce soit des avaries et en justificatif des choix et des décisions retenues. Et cela, du samedi après-midi au dimanche 5h00.
          Des personnes ont bien été contactées dont le P&I club qui s'est autorisé à donner un accord pour que PANSHIP prévienne l'État côtier des risques de pollution le 11 décembre vers 18h50 alors que le P&I n'a aucune autorisation ou accord à donner. L'État côtier doit être prévenu dans les meilleurs délais.
        • Le suivi précis et chiffré des existants en tanks et ballast, pas à pas, est la base indispensable d'une analyse correcte de la situation du navire et de son évolution. Ce sont des éléments déterminants pour apprécier la sécurité et la conservation du navire comme les risques de pollution qui n'ont pas été rassemblés. Aucun compte rendu détaillé ou évaluation précise n'apparaît à ce sujet.

      2. Par l'État côtier, la France.
        • Ceci ressort principalement de l'instruction du Premier Ministre en date du 17 décembre 1997 aux préfets (Plans POLMAR cote D 574 et suivantes) et de l'instruction n° 320 du 28 avril 1995 du Préfet Maritime (cote D 577- Instruction Polmar).
        • La Préfecture Maritime et sa cellule Action de l'État en mer (AEM) disposent pour la mise en œuvre d'une instruction spéciale du nom d'AZTEQUE (cote D 1808) qui est semblable dans l'esprit au plan SOPEP de l'ÉRIKA (en exécution de la convention Marpol) ou au Contengency Plan de PANSHIP (en exécution du code ISM).
          Cette procédure AZTEQUE définit l'organisation de la lutte contre les menaces pour l'environnement et décrit les modes opératoires à respecter pour engager les équipes d'évaluation, mettre en demeure, donner une assistance technique au navire.
        • Elle n'a pas été mise en œuvre avant le naufrage de l'ÉRIKA car la PREMAR a estimé sans aucun contrôle de sa part que la détresse initiale, puis la décision du navire de faire route vers un port de refuge, ne constituait qu'une fausse alerte d'un navire qui avait la situation en mains. Toutefois un survol par Atlantic a été programmé pour le dimanche matin.
          Quand le risque majeur de pollution a été évoqué dans la soirée de samedi par le CROSS et par le commandant de port de SAINT-NAZAIRE, à juste titre au vu d'informations nouvelles communiquées par l'agent du navire, la PREMAR n'a pas réévalué sa position, ne serait-ce qu'en termes de connaissance et d'évaluation précise du risque de pollution ou de préparations des moyens d'assistance aux personnes.
          Elle n'a pas non plus demandé au navire ou à son agent des précisions sur ces risques de pollution et leur origine alors que le navire, le 12 décembre à 03h00 locales était à moins de 50 miles de la côte, c'est-à-dire dans la zone de juridiction directe du PREMAR en cas de pollution.
          La PREMAR découvrira ainsi le 12 décembre au petit matin que le navire réputé avoir bien la situation en mains est à l'agonie, en train de se casser en deux, l'arrière levé, le pont submergé à l'avant, prêt à sombrer, perdant en masse du fuel à la mer...


  6. LES AVARIES AU NAVIRE ET LE PROCESSUS DE RUPTURE


    1. Avaries de coque initiales (voir 1R9 et 2R5.2) et gîte de 10° Tribord le 11 décembre à 14h 00.
      • Déchirure du pont en 2S au C69-70, et au voisinage immédiat une déchirure de la cloison longitudinale 3C/2S en partie haute (tôles de même type 10 et 12 mm, renforcées par des lisses de 280x19 mm espacées de 0,785 m et supportes tous les 3,75 m. Déchirures survenues le 11 décembre avant 12h00.
      • Les trois déchirures et les trois ondulations des tôles de pont en 2S sont typiques d'un endommagement de la fibre haute de la poutre navire par traction et compression dues à la flexion alternée dans une grande houle et sous très fort taux de contraintes. La brèche équivalente dans le pont de franc-bord estimée au minimum à 0,18 m2 représente un trou équivalent de 0,5 m de diamètre environ. Le chef MANI (cote D 86) évoque une brèche de 15 cm de large x 3 m de long. Voir observations complémentaires 1 RO.
      • La voie d'eau par le pont à l'avant en 2S a provoqué l'embarquement de 1 800 tonnes d'eau en ballast 2S.
      • La déchirure (haute) de la cloison 3C/2S a provoqué un transfert d'environ 767 m3 de FO du 3C vers le 2S.
      • Le navire est en assiette sur nez ou négative de -1,33 m et le franc bord avant à hauteur de la déchirure de pont réduit à 3 m.
      • Il n'y a aucun élément de fait permettant d'envisager d'une part une brèche du bordé de coque en WB2S sous la flottaison et donc une communication à la mer (RINA) et une déchirure en pied de cloison 3C/2S comme cela a pu être évoqué à tort à notre avis. Les observations complémentaires 1RO des experts développent ce point.

    • L'étude des travaux de réparation faits à BIJELA au cours de la visite spéciale 2R6 montre que les remplacements de tôles de pont n'ont pas été effectués conformément aux échantillonnages de 16 mm prévus aux plans (coupe au maître) mais avec des tôles de 12 mm notamment en 2 zones (4,7x3,8 m) et (0,95x1,15 m) à cheval sur la cloison 3C/2S entre les C 67-70 qui est précisément sur la zone de déchirures de pont et de cloison initiales. Voir plan et facture en page suivante. Il s'agit là d'un défaut grave de réparation du chantier et de surveillance du RINA en relation directe et certaine avec le naufrage.


    • La rigidité d'un élément tôle obéit à la loi du Cube de l'épaisseur de cette tôle. En d'autres termes, cette rigidité à la flexion diminuée localement de 58 % a constitué alors une cause d'amorce de flambage caractérisée et très importante.


    • Par ailleurs, les têtes de membrures échantillonnées en 10,5 mm ont été remplacées en C67,68,71,72,73 en 10 mm, ce qui est un écart non significatif et minime. L'étude de M. Paulet (2RA5.2) montre que les contraintes en 3C et 2S sont maximum en pied et en tête de cloison longitudinale 3C/2S où elles dépassent 200 Mpa.
      Or, en pied de cloison, les épaisseurs de tôles sont de 12 mm, plus importantes qu'en tête (10 mm). On cassera donc de façon privilégiée en tête de cloison longitudinales. On touche là également du doigt un possible défaut structurel de dimensionnement des cloisons longitudinales en partie haute qui peut expliquer des avaries du même type dans cette même tranche 2 et observées dans les années précédentes sur des navires du même type selon rapport IACS.
      Toutefois ces facteurs d'endommagement structurel et à l'origine des premières avaries (pont et cloison haute) ne suffisaient pas à eux seuls à mettre en danger le navire et à provoquer sa ruine et sa cassure en deux.


    1. 14h00 à 14h30 : mesures de sauvegarde


      • Appels de détresse et compte rendu à la personne désignée : perte de pétrole à la mer, forte gîte Tribord et déchirure de coque envisagée (message au NAUTIC).


      • Les dispositions prises d'urgence par le commandant sont bonnes : réduire la gîte par déballastage partiel du 4S, demi-tour lent en route de fuite au 030, réduire les tours moteur à 090, ce qui permet au navire d'investiguer les dommages et d'estimer qu'une assistance immédiate n'est plus requise. Le navire est redressé et, mer de l'ARRIÈRE, n'embarque plus de paquets de mer sur le pont. Mais l'avarie traitée par le commandant est une gîte à tribord alors que le navire a une brèche majeure dans son pont d'étanchéité à l'avant.
        Il est significatif de n'avoir aucun message positionnant exactement les brèches.


      • À partir de cette heure, le commandant tient systématiquement un double langage :
        il donne des éléments d'appréciation importants à la personne désignée M. POLLARA et à TOTAL, qu'il n'indique pas à l'État Côtier, la France. En particulier, la perte à la mer de pétrole, la pollution, les fissurations du pont.

    2. 14h30 à 16h30 : dispositions vers Donges


      • Durant deux heures, le commandant prend une route de sécurité au 030 pour contrôler le navire et le disposer pour gagner un port de refuge. En route de fuite mer et houle de l'ARRIÈRE au 030 et à 075 t/mn, le navire n'embarque plus par sa brèche de pont et les cassures de pont n'évoluent pas. La personne désignée M. POLLARA prend connaissance du message du SEA CRUSADER à 15 h 10 et réussit à contacter le commandant vers 16 h 12. L'absence de mise en œuvre méthodique et résolue du Plan SOPEP (Ship Oil Pollution Emergency Plan), prévu pour cette situation, tant par le navire que par la personne désignée de PANSHIP, a privé alors tous les intervenants (navire, PANSHIP, RINA, autorités françaises de l'État Côtier, TOTAL) des éléments d'appréciation indispensables et essentiels à la simple compréhension de la situation et de l'avarie rencontrée.
        Ce plan SOPEP donné intégralement en annexe 3 du 2e rapport (2RAP3) devait être mis en œuvre au titre des situations d'urgence n° 3 / 7/8 prévues : soupçon de fuite d'hydrocarbures/déchirure de coque/gîte excessive. Il ne l'a pas été.
        Les formats 1 / notification initiale et format 2 / éléments d'évaluation de stabilité et de résistance du navire devaient être établis et envoyés à tous les intervenants au cours de cette période.


      • Le non-respect de ces dispositions essentielles prévues en exécution particulière des conventions MARPOL et ISM est un facteur déterminant du naufrage et de la pollution de très grande envergure qui s'en est suivie. Elle a conduit à la décision dangereuse et précipitée du navire, en accord avec la personne désignée et sans lien avec les autres intervenants prévus, dont l'État côtier, de rallier d'urgence et en route au 085 un port de refuge dans des conditions de sécurité du navire totalement insuffisantes (brèches dans le pont principal d'étanchéité à l'avant, non protégées même très grossièrement, et assiette sur nez du 2 m environ allant progressant). Elle sera en finale de - 5m avec un alourdissement à l'avant de 7 400 tonnes.


      • L'analyse de la situation montre que le commandant du navire et la personne désignée traitent une question de gîte anormale corrigée par des mouvements de ballast alors qu'il est manifeste que le navire a d'abord et avant tout une voie d'eau très importante à l'avant par le pont d'étanchéité : voie d'eau qui n'est pas résorbée. Il n'y pas d'éléments permettant de dire que la voie d'eau, sa position précise, son débit (900 tonnes/heure estimé) et son exposition à la mer aient été étudiés correctement pour trouver les dispositions de sécurité optimum à prendre.
        Ceci tend à montrer que les compétences des officiers et principalement du commandant et du chef mécanicien ne semblent pas correspondre à leurs brevets.
        En effet, ces situations d'urgence, les connaissances et aptitudes nécessaires, ainsi que les critères d'évaluation, sont explicitement prévus au code STCW pour l'attribution des brevets.
        De plus, la compagnie responsable de l'exploitation doit également vérifier que son personnel a bien les compétences et l'expérience nécessaire pour faire face à ces situations d'urgence explicitement prévues.
        La route de sécurité prise au 030, et la vitesse réduite à 075 tours/mn pendant ces deux heures montrent que cette configuration de sécurité était sûre et permettait de bien attendre pour étudier les meilleures dispositions de sécurité et voir venir. Elle permettait de rallier Brest ou la rade de Douarnenez (14 h environ) sans extension des avaries et dans les meilleurs délais (voir rapport 1 R8).
        Au cours de cette période, l'équilibrage des W2 S et 26 a rempli de près de 1 300 tonnes le Ballast 2P auparavant vide et bien étanche. Il aurait pu être évité. Ceci a participé à l'alourdissement ultérieur à l'AVANT.


      • Les Autorités françaises (PREMAR) ne voyant pas venir le compte rendu de situation annoncé par le commandant n'ont pas pris les dispositions indispensables pour connaître, comme ils en ont l'obligation, la situation exacte des avaries et l'évolution de ce navire en vue de décider du port de refuge pour la meilleure sauvegarde de la vie humaine et la prévention de la pollution. En particulier la PREMAR, immédiatement informée de cette détresse par le CROSS, a jugé alors prématurément et sans aucun contrôle qu'il s'agissait d'une fausse alerte d'un navire qui continuait sa route vers l'Espagne...


      • Il ressort des entretiens au sein des différentes cellules de la PREMAR (OSEM et COM) que l'évaluation de la situation à 15h30 et ultérieurement jusqu'à la nuit est :
        • que le navire ne rencontre pas de problèmes particuliers,
        • qu'il n'y pas d'urgence en termes de sécurité du navire, de l'équipage, ni en termes de pollution éventuelle.

    3. 16h30 à 2h00 : route de refuge vers Donges / alourdissement et processus de rupture par flexion


      • La personne désignée par le code ISM, M. POLLARA, a précisé que toutes les mesures ont été prises conformément au manuel ISM de PANSHIP (Shore Base Contingency Plan) et qu'à trois reprises, vers 16h00, 20h00, 24h00, le commandant estimait que tout était sous contrôle. Ceci n'est pas exact. Loin de là.
        L'absence de comptes rendus détaillés du commandant tels que prévus aux formats 1 et 2 déjà cités montrent que les éléments indispensables et déterminants de vérification, de compréhension et de contrôle de la situation n'ont pas été rassemblés méthodiquement et systématiquement par le navire et la compagnie responsable de l'exploitation.
        Les Autorités de contrôle du navire n'ont pas donné un avis utile au commandant et n'ont pas exercé leurs obligations telles que prévues au code ISM.


      • Au cours de cette période (voir rapports 1R9.8 et 2R8) le navire en route au 085 à 90 tours/mn va s'alourdir considérablement de plus de 500 tonnes à l'AVANT alors qu'il a déjà été allégé à l'ARRIÈRE de 1400 tonnes (4S), ce qui est considérable et destructeur. Cela s'est produit par la voie d'eau sur le pont en 2S et par la brèche en partie haute de la cloison 2S / 3C, les manœuvres de ballast (en 2P) et la brèche entre 2S et 3S. Ce poids considérable sur l'AVANT, qui pouvait et devait être évité, provoque un enfoncement moyen complémentaire du navire de 1,8 m et une assiette de nez de - 3,37 m sur la situation de 16 h 30. Cette situation a été étudiée à la demande des deux experts par M. Paulet, architecte naval (2RA5.4).
        Il montre dans ces conditions que les contraintes en tête de muraille (tôles carreau) et au bouchain dépassent les limites acceptables de fatigue de la structure : 200 Mpa.
        Le processus de rupture est alors engagé en conséquence des manœuvres non appropriées du navire. II est inéluctable et de nature à entraîner une spirale de destruction d'autant que le navire présente par ailleurs de fortes corrosions de tôles et raidisseurs.
        La destruction de la structure par flexion dans le plan longitudinal concerne toutes les liaisons de lisses et de têtes de membrures au tôles de pont/de fonds/de cloison.


      • L'étude très précieuse de M. Paulet met également bien en valeur que la marge de sécurité de l'ÉRIKA relative à la solidité du navire et destinée à couvrir les aléas entre le «Navire neuf/charge normale» et le « Navire usagé / surcharge dans la configuration de l'événement » est sans doute supérieur à 17 % mais inférieure à 46 %. La comparaison de M. Paulet avec deux navires semblables (PROBITAS et MERIOM STAR) montre également que ceux-ci ont une marge de sécurité supplémentaire de près de 40 % qui leur aurait permis d'éviter une rupture des fonds comme sur l'ÉRIKA.


      • Cette étape de destruction du navire en conséquence directe et certaine des dispositions dangereuses prises par le navire pour rallier un port de refuge mal choisi est mise en évidence par les constatations faites en début de nuit par le navire :
        • nouvelle gîte à Tribord / Déchirures de bordé en 3S et communication de ce tank à la mer avec aggravation de la pollution par le FO qui s'échappe maintenant de plusieurs cuves 3C et 3S au moins,
        • violentes embardées du navire au cours desquelles le navire devient ingouvernable,
        • pourtant ni la route, ni la vitesse (9 nœuds) ne seront modifiées et aucun compte rendu d'aggravation ne sera envoyé à l'État côtier en particulier.

    4. 00h00 à 06h00: ruine du navire


      • Les poids embarqués à l'avant sont de plus de 7 400 tonnes. L'assiette négative est de - 5 m et l'enfoncement moyen du navire de 12,2 m (voir 1R9.8).


      • La ruine se fait par pertes de liaisons entres les éléments longitudinaux (lisses, cloisons entre tanks et bordés) et les principaux éléments transversaux (des couples C 66 à 73). Ce mode de destruction et de dislocation des anneaux transversaux est confirmé par l'arrachement d'une surface très importantes du bordé à l'arrière du 2 S (carreau) vers 05h30 et d'un morceau de membrure et de bordé vers 06h00 (morceau baptisé La Pérouse).
        Ce second arrachement montre que le processus de cassure du navire en deux par rupture de la fibre basse du navire est bien engagé par le navire et irréversible. Dans cette situation également, aucune disposition n'est prise pour essayer d'adapter la route, réduire la vitesse et donner des comptes rendus.
        La reconstitution des éléments de coque déchirés et perdus en ballasts 2P/S a été faite avec un logiciel graphique au cours des investigations TOTAL en février 2000. Le plan de reconstitution joint en page suivante établi spécialement à ma demande par retournement de l'épave AVANT et introduction de 10° de flexion longitudinale et 10° de torsion transversale donne une idée de la destruction considérable du navire en tranche 2 au moment de la rupture.
        Cette destruction du navire a été extrêmement sévère et de grande extension, voir rapport 1 R1O et plans en annexe. Un navire qui se brise, souffre et le fait savoir par des craquements, des embardées incontrôlables, des pertes de tôles ou d'éléments de structure. Le commandant n'y a pas prêté l'attention nécessaire, ni même envisagé que son navire puisse se casser.


      • M. Paulet a pu estimer par le calcul que la destruction et le naufrage du navire proviennent pour :
        • 17% de l'usure structurelle du navire par usure et corrosion antérieure à l'appareillage de DUNKERQUE de la tranche de ballast avant 3C et 2P/S. La découverte du remplacement de tôles de pont de 16 mm par d'autres de 12 mm vient en addition de cette usure.
        • 8% de l'avarie initiale (destruction le 11 décembre matin du pont en 2S et de la cloison haute 3C/2S vers C 66-70).
        • 16 % alourdissement considérable de l'avant, navire en route (survenu par la voie d'eau dans le pont et associé aux manœuvres de ballast et à l'absence de soutes normales à l'arrière) du 11 décembre après-midi au 12 décembre à 05 h 00.


  7. CONCLUSION ET SYNTHESE


  8. Il convient de se reporter aux précédentes conclusions des rapports 1r, 1R0, 2r.

    1. Le navire lors de son appareillage de DUNKERQUE pour son voyage qui le conduira au naufrage, n'est pas en bon état de navigabilité du fait principalement :
      • du mauvais état de la structure résultant des travaux qui n'ont ni été menés correctement par le chantier et le représentant de l'armement, ni surveillés convenablement par le RINA lors de la visite spéciale coque du navire à BIJELA en août 98.
        • Échantillonnage de tôles non respectés sur le pont dans les zones de cassure, corrosions de grande ampleur et non réparées principalement en tranche ballast avant (2P/S et 3C pendant 22 ans)
        • 5 brèches au bouchain tribord en 2S non signalées dans sa classification,
        • Evidence des dispositions SBT 4 P/S et 2 P/S non acquise.
      • de procédures d'inspection visuelle insuffisantes lors de la dernière visite du RINA à AUGUSTA en novembre 1999. Aucune évidence que les hauts des ballasts 2 (3800 m3) aient été inspectés malgré réserves du Commandant à ce sujet.
      • du mauvais arrimage des soutes, ballasts et cargaison : soutes AR du navire très au-dessous du seuil minimum de sécurité, obligeant à garder 3 000 t de ballast en 4 et rendant délicat, voire impossible, tout redressement d'assiette en cas d'avarie à l'avant (comme c'est le cas ici).


    2. La Compagnie responsable de l'exploitation du navire "ERIKA" n'existe pas réellement
    3. et de ce fait ne répond pas aux obligations des codes STCW et ISM, du fait principalement :

      • que l'armateur, M. SAVARESE / TEVERE SHIPPING a mis en place une structure de gestion du navire très éclatée et cloisonnée qui ne répond pas aux obligations et tâches définies par ces Conventions.
      • que le RINA agissant pour le compte de l'État de MALTE, État du pavillon, a fait un audit insuffisant de PANSHIP, qualifié d'opérateur du navire, pour lui donner sa certification ISM initiale, (qui rappelons-le, approuve le management des hommes en vue d'une gestion sûre de la sécurité et de la prévention des pollutions) alors que la gestion, le contrôle des compétences des équipages apparaissent être principalement du ressort de HERALD MARITIME à MUMBAI et que l'État du pavillon ne s'en est pas soucié, pas plus d'ailleurs que de la structure et des compétences maritimes réelles de TEVERE SHIPPING pour déterminer qui est la compagnie responsable de l'exploitation du navire, seule à pouvoir être certifiée ISM.
      • que le RINA constatant des manquements répétés, des dysfonctionnements et défauts significatifs ultérieurs de PANSHIP dans ces différents domaines, et pour cause, en a rendu compte ajuste titre à son mandant, l'État de Pavillon, MALTE, qui est passé outre et a maintenu à tort la certification ISM de PANSHIP malgré avis défavorable du RINA.


    4. TOTAL n'a pas respecté les procédures prévues entre les différentes sociétés du groupe TOTAL:


      • pour maintenir ou suspendre l'agrément Vetting de l'ÉRIKA qui peut-être considéré caduc avec le changement de statut opérationnel du navire le 18 septembre 1999 (Affrètement à temps SELMONT, succédant à EUROMAR) ;
      • pour affréter le navire pour un voyage prévu à partir du 5 décembre alors que son agrément Vetting est de douze mois et s'arrête le 21 novembre. Le Vetting suivant qu'elle aurait dû effectuer au plus tard le 21 novembre lui aurait alors permis simplement de vérifier conjointement avec BP que le navire devait être refusé. Vetting BP du 21 novembre 1999 qui, rappelons-le, est très négatif et relève des insuffisances du navire nombreuses et graves ;
      • pour le charger à 30 000t mini au lieu de 30 000t maxi.
      • TOTAL, qui n'est pas en principe le transporteur maritime, donne au commandant des instructions très serrées, précises, et dignes d'un transporteur.
        Il demande à être informé de tout incident et événement et n'accepte aucun ordre extérieur au commandant sans son accord express. Toutefois, informé des graves avaries de l'ÉRIKA, il n'a pas agi en conséquence pour obtenir les comptes rendus précis, circonstanciés prévus dans ses instructions et pour connaître la situation réelle et complète du navire et de la cargaison.
      • Seules de telles informations lui permettaient d'évaluer techniquement la situation et les risques de pollution en vue d'agir et de conseiller utilement PANSHIP via la personne désignée, le capitaine, l'État côtier et dans le cas présent le CEDRE, organisme spécialisé dans la lutte contre la pollution ; CEDRE qui a un contrat privilégié avec TOTAL et qui n'a pas été bien informé au départ par ce dernier.


    5. L'événement initial survenu en hiver, en Atlantique Nord, au cours d'une tempête d'Ouest et en fin de semaine, est une voie d'eau importante par le pont en 2S qui ne mettait pas immédiatement le navire et son équipage en perdition. LA CASSURE DU PONT RESTE LA CAUSE DÉTERMINANTE de ce sinistre.


    6. Mais le non respect par les différents intervenants : le commandant, la Compagnie exploitante, la personne désignée, en lien avec TOTAL, le RINA et l'État côtier entre autres, des différents plans et procédures d'urgence prévues, spécialement pour évaluer et maîtriser ces situations critiques, n'a pas permis de maintenir le navire et sa cargaison saufs.
      Le naufrage et la pollution majeure qui ont suivi n'avaient pas de caractère inéluctable. C'est l'accumulation de multiples facteurs aggravants qui les ont ensuite provoqués.

      • Que le commandant et PANSHIP aient choisi:
        • de tenir un double langage, particulièrement trompeur vis-à-vis de l'État côtier ;
        • de faire route vers un port de refuge sans prospecter au préalable les procédures indispensables d'investigation MARPOL et de sécurité ISM prévues spécialement ;
        • et en conséquence, d'avoir immergé par ses propres manœuvres irréfléchies et dangereuses une brèche dans le pont d'étanchéité et de franc bord (Load Lines) (brèche, voie d'eau et début de pollution nettement identifiées) constituent les facteurs aggravants et déterminants du naufrage et de la pollution majeure qui en ont suivi.
        Cet échec franc et complet de toutes les procédures MARPOL et ISM a provoqué une aggravation considérable des avaries au navire et de la pollution du littoral côtier. Il montre a posteriori combien ces procédures ISM restent justifiées et salutaires pour bien apprécier la situation et permettre à tous les intervenants de prendre en temps utile les décisions de sauvegarde qui conviennent.
        Il montre enfin que le respect des règles et conventions pour la sécurité de la vie humaine et la prévention de la pollution LOAD LINES, MARPOL, SOLAS, STCW, ISM, passe par une véritable compagnie responsable de l'exploitation du navire qui en l'occurrence n'existait pas pour l'ÉRIKA.

      • Les avaries coque initiales et leur progression jusqu'au naufrage résultent physiquement de l'accumulation successive :
        • d'usure structurelle excessive par corrosion spécialement dans la tranche 2 utilisée en ballasts avant (3C puis 2S/P),
        • d'une destruction accidentelle de cloison et de pont en tranche 3C/2S dans une zone fortement affaiblie par des réparations non conformes (C68/70),
        • de manœuvres dangereuses du navire qui, en voulant rallier prématurément un port de refuge, sans avoir évalué correctement ses avaries de pont pourtant bien visibles, a provoqué un alourdissement déterminant, excessif et localisé à l'avant.
        Cet alourdissement a provoqué dans le matériau des contraintes destructrices du navire par flexions alternées à la houle (cavalement en longitudinal et embardées violentes en transversal) jusqu'à la ruine du navire et sa cassure en deux sans que sa route et sa vitesse soient modifiées.
        Sur toute cette période de route de refuge, le commandant n'a jamais envisagé que le bateau puisse en conséquence se casser.

    7. L'État côtier et particulièrement sa cellule A.E.M. (Action de l'État en Mer) n'a pas lui-même pris en œuvre ses propres procédures d'urgence, de contrôle et d'intervention qu'il a prévues spécialement pour ces cas d'avaries ou de risques de pollution majeure comme ici. II a estimé par ses intervenants et sans éléments de faits sérieux et contrôlés que la détresse initiale (immédiatement relayée par le CROSS Étel, ainsi que les situations suivantes, il faut le rappeler) était une fausse alerte.


    8. Il n'a ni suivi attentivement la situation précise des avaries au navire, ni évalué les mesures correctrices prises pour affirmer que le navire continuait à avoir la situation en mains, ni cherché enfin à prévenir la pollution même quand des rumeurs persistantes de fuites et de pollution à la mer lui sont revenues par le CROSS et par le Commandant du port de Sainte-Nazaire le samedi 11 décembre au soir.
      Toute la nuit du 11 décembre, il a porté son attention et mis en demeure un cargo lège le MARIA K qui présentait infiniment moins de risques et était pris en charge directement par le port de SAINT-NAZAIRE.
      • Le commandant du Port de SAINT-NAZAIRE a fait très justement observer et en temps utile que l'ÉRIKA dans sa situation d'avaries (gîte, assiette, brèches et pollution de FO) ne pouvait être accueilli en Loire.
        L'État côtier a alors tardé à trouver et mettre en œuvre dans ces conditions une solution d'intervention pour ce navire polluant et en avaries graves. L'évaluation des risques de pollution et le suivi des situations critique, en cas d'événements multiples, n'est pas acquis ici par l'État côtier.

    9. En page suivante, figure une esquisse de l'arbre des causes élaborée par M. Cheneau, co-expert,

    10. qui permet de passer historiquement d'événement en événement en attachant à chacun d'eux une série de causes et/ou d'actes conformes ou non.

    11. Je soussigné, Philippe CLOUET, expert maritime,

    12. atteste avoir exécuté personnellement la mission d'expertise confiée par Mme de Talancé, premier juge d'instruction au TGI de Paris, dans son ordonnance du 4 janvier 2000 et avoir personnellement établi le présent rapport, l'affirmant sincère et véritable.


À LORIENT,
le 21 septembre 2001
Cdt Ph. CLOUET


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