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"Déballastage - NADA III"
Tribunal de Grande Instance de BREST, le mardi 4 juin :
Procès, avec le vocabulaire employé, comme si vous y étiez !
NADA III, un vraquier transportant généralement du ciment, appartenant à la Société INDIAN SEATRADE,
faisant route de AVEIRO vers DUNKERQUE, a été surpris par un avion des douanes de NANTES alors qu'il
polluait au nord du rail de Ouessant, dans les eaux territoriales, au nord de l'ILE VIERGE.
Pavillon Saint Vincent et Grenadines, commandant Égyptien de 57 ans.
Procès :
Seul le capitaine était appelé à comparaître. Il n'était pas présent et avait fait savoir par son
avocat (pas présent non plus) et ce par fax le jour même, qu'il avait fait droit à requête et demandait
un report.
Colère du juge qui n'admettait pas d'être ainsi pris en otage, d'autant que le prévenu était
convoqué depuis le mois de mars. Les témoins étaient présents. Le procureur a fait remarquer qu'un report
coûtait de l'argent inutilement au contribuable.
Le juge décide de procéder à l'audition des témoins. Le procès aura lieu, le prévenu aura toujours le
moyen de faire appel.
Les témoins :
- Agent des douanes, à la direction des gardes-côtes de Nantes - pilote de l'avion.
- Le copilote - agent des douanes.
- L'inspecteur du corps technique des affaires maritimes de Dunkerque.
Était présente aussi une interprète d'anglais au cas où des documents devraient être traduits.
Partie civile :
Syndicat mixte des Côtes bretonnes Armor et Finistère - VIGIPOL - représentant 92 communes du Cap
Fréhel à Brest - ayant pour avocat Maître Maurice BRIAND par ailleurs député-maire de GUINGAMP.
Notes prises par votre serviteur
Le juge :
Le juge rapporte les faits, les textes de loi concernés : 2/11/73 et 17/02/78
Les faits remontent au 3 mars 2002. L'avion des douanes a repéré une pollution, l'avion a remonté
le sillage d'une longueur de 35 nautiques. Le Cross Corsen est contacté par l'avion qui a appelé le
navire en lui demandant de faire route sur Brest, ce qui a été refusé et l'a sommé de se rendre à
Dunkerque. A Dunkerque sera procédé à une visite de la machine et des documents de bord. On constatera
que le nettoyage des "débris" a eu lieu au Gabon, que le navire s'est débarrassé de ses débris de façon
légale au Gabon.
On constatera à l'audition du Commandant et du Chef mécanicien et d'après les calculs qu'il manque
8 m³ de déchets.
Le Commandant et le Chef mécanicien nient le "dégazage" et suggèrent qu'il peut s'agir d'une fuite
d'huile du safran. Mais il y a doute car cette panne n'aurait pas pollué sur 35 milles et aurait été
signalée aux autorités de Dunkerque.
Le navire est dans un état d'entretien médiocre.
Témoin Nºl à la barre et questions du juge :
Pilote des douanes, officier aérien régional à Nantes, garde côtes de Nantes, commandant de bord.
Patrouille de surveillance aérienne régulière..., le 4 mars a remonté cette nappe de 35 nautiques
jusqu'au navire NADA III, pris des photos, a dressé un P.V., a averti PREMAR et Ouessant Trafic.
Plusieurs passages autour du navire. Au deuxième passage les rejets sont arrêtés.
le Juge : Peut-on confondre sillage et pollution?
Le témoin : Entre remous de sillage et pollution il y a moins d'un mille, on peut facilement comparer
avec le sillage des autres navires. Un sillage ne laisse pas une trace de 35 milles !
Je suis officier aérien depuis 8 ans et j'ai déjà été témoin d'autres "dégazages" et j'ai fait des
exercices Européens avec d'autres aéronefs.
Le Juge :La France ne reconnaît pas la preuve de la pollution
d'après une photo par satellite.
Le témoin : Je n'ai aucun doute, c'est clair et net : on pense que ce sont des hydrocarbures d'après la
couleur argentée.
Le Juge :Il eut été préférable d'avoir des prélèvements.
Le témoin : Nous sommes dans un avion ! La visualisation a eu lieu à 08h07 U.T.
Le Juge :Pouvait-on faire des prélèvements ?
Le témoin : Il eut fallu un navire d'État à proximité.
- S'il n'y a pas eu de mesure conservatoire, c'est que le Cross Corsen n'a pas pu.
- On voit bien sur les photos qu'il s'arrête de dégazer.
- Si on avait envoyé une vedette des douanes de Brest, on n'aurait pas pu prouver que cela appartenait
au NADA III car le navire se serait arrêté en dehors des traces de pollution.
- Cela ne peut être vu que d'avion.
- Nous sommes 4 fonctionnaires assermentés à bord.
Douanier Nº2 , de la base de LANN BIHOUE :
même déclaration ... ; c'était une pollution récente, en concentration,
selon la largeur et ses reflets argentés. 35 nautiques, c'est important, il n'y a aucun doute, la mer
était peu agitée.
Les photos ont été prises sous un bon angle, avec un bon éclairage. Dès qu'il nous a vus il a stoppé la
pollution.
Il y a des navires qui nous donnent de fausses positions alors qu'on est au-dessus !
Le Juge :Peut-on faire des prélèvements à bord et les comparer avec
ceux pris en mer ?
Le témoin : Les prélèvements, Premar avait envoyé une fois un commando pour prélèvement mais le
Commandant ne les avait pas acceptés.
Avocat de VIGIPOL :
Cette nappe arrivera forcément à la côte quelque part... cela ne fait pas du bien ni à la flore ni
à la faune maritime !
Inspecteur du centre de sécurité de DUNKERQUE,
officier du corps technique et administratif des affaires maritimes :
Inspecté le navire NADA III à la demande des autorités du Finistère.
- Le navire était attendu à DUNKERQUE pour un chargement. En fait nous nous sommes rendus à bord
avec une vedette alors qu'il était au mouillage.
- Inspection identique à celle d'un M.O.U., particulièrement ciblée sur le problème de pollution.
- Le navire avait déjà eu une inspection par l'État du pavillon au Portugal
- depuis février 98, il a eu 7 contrôles, a été détenu 4 fois dont 3 fois pour défaillance grave
- ceci a été trouvé sur la base de données
- A Aveiro il avait été demandé de nettoyer la machine.
- Avec le Chef Mécanicien, nous avons constaté que la machine avait été nettoyée, il n'y avait
plus trace d'huile ou de graisse et ce jusqu'à l'extrémité arrière de la cale machine qui était
bien sèche.
- Dégazage est un mauvais terme, il s'agit plutôt d'un déballastage.
- Un navire à combustion interne a des fuites de graissage et la production de déchets est
quantifiable.
- Marpol peut quantifier. J'ai fait un calcul à partir du dernier port de déchargement des caisses :
Moteur de 600OCV, consommation de FO : 23 T, la production des déchets en fonction de la
consommation est supérieure à 10 m³ avec un coefficient favorable au navire. J'ai fait le bilan
des caisses, décantation, caisses boues, etc., et ce, contradictoirement avec 1e Chef Mécanicien.
Les caisses n'étaient pas identifiées par des plaques, c'est signe de mauvais entretien, mais ne
veut pas dire que cela cache quelque chose délibérément.
- Il avait déchargé ses déchets à COTONOU. En fonction du nombre de jours de mer, c'est à-dire 2
mois à la mer il aurait du avoir 13.8 m³. En fait on n'a retrouvé que 5.3 m³. Reste 8.5 m³ dont
l'explication n'a pu être fournie. De plus j'ai constaté une anomalie sur une vanne de l'appareil
de filtrage (il y avait un fil de fer de blocage). Le Chef Mécanicien m'a dit qu'il n'utilisait
pas cet appareil !
- On aurait donc rejeté à la mer sans passer par le système de filtrage.
- J'ai travaillé au CROSS GRIS NEZ, je suis un ancien capitaine de navire.
- Le matériel photographique des douanes fait foi et permet de déclarer le délit.
- Les photos ne font aucun doute, pas de trace sur l'avant du navire et il n'y avait pas d'autres
navires.
... Les ports ne sont pas toujours équipés
... il y a un coût financier à décharger les résidus...
Le Juge :
On peut comparer le phénomène avec le lisier et son épandage, les
installations de traitement et les amendes. Combien cela coûte-t-il de décharger légalement ? Et combien
cela coûte-t-il si je suis pris à frauder ? Je vois le vice-président de l'association des capitaines
dans la salle qui a envie de répondre !
Votre serviteur :
Cela peut coûter 1500 FRF la tonne mais à Cotonou on peut vendre les résidus !
Inspecteur :
Il n'y a pas d'équivoque, la couleur montre bien que c'est un hydrocarbure. 35
nautiques cela représente 2 heures de route libre pendant lesquelles la vanne aurait été ouverte, la
nappe était serrée.
Le Juge :
On a parlé de défectuosité du safran, le Chef Mécanicien a avancé ce
problème ??
Inspecteur :
Si ce problème était exact, il y aurait eu une maintenance déplorable du navire, une
consommation importante d'huile, cela lui coûterait cher !
Avocat de VIGIPOL, Syndicat mixte de protection du littoral - Établissement public. Partie civile :
Faudra-t-il dans l'avenir mettre un mouchard sur les navires ? Il y a toujours des combines
sur les navires et des by-pass pour shunter les contrôles.
Les dégazages, même si individuellement ils ne sont pas d'un grand tonnage, entraînent par leur
nombre un tonnage important, et créent un préjudice important. M. LE DRIAN, dans son rapport écrit que
les dégazages sur un an sont plus importants que 10 ERIKA !
Présentation de VIGIPOL... AMOCO CADIZ, Procès de CHICAGO... MELBRIDGE BILBAO... les pollueurs sont
devenus les payeurs... Monsieur le juge "votre jurisprudence devra faire suite en France !"
Ici il s'agit d'un acte volontaire, non pas comme dans le cas du MELBRIDGE BILBAO.
Je représente les communes, toujours victimes, jamais tenues au courant... la nappe arrivera peut-être
en juillet sur les plages... coût des nettoyages, de la clinique pour oiseaux (267 oiseaux survivants
depuis janvier passés à la clinique). Il serait normal que les frais de structure de VIGIPOL soient
payés par les pollueurs. Sans parler des "intérêts connexes", c'est-à-dire des activités maritimes....
de l'attrait touristique.... de la santé des populations...
Ces dégazages volontaires et non accidentels sont quasiment impunis. En 99, 308 infractions ont été
constatées, 30 navires poursuivis, 3 capitaines seulement ont été condamnés. Il faudrait pouvoir prendre
le contrevenant en flagrant délit... comparer un échantillon du produit répandu en mer avec celui
contenu dans les soutes du navire... cependant, une évolution récente de la jurisprudence admet
désormais les photographies comme preuve devant les tribunaux...
Les collectivités locales et riverains sont seuls à supporter les coûts et dommages...
Je demande en dommages et intérêts 9000 € et 1000 € au titre de l'article 475-1 : J'ai honte de demander
si peu, comparé aux chiffres de FIPOL ou des amendes pour déversements accidentels demandés au Japon ou
en Corée (j'ai relevé dans ces pays des chiffres : 445200 FRF pour 0.3 T en 96, 794000 FRF pour 0.6 T
en 97. En faisant une moyenne on pourrait imaginer pour NADA III une indemnisation de 26040€).
NADA III est un navire poubelle, sa traduction ..."ne vaut que 3 fois rien" ... il y a un concept de
l'indemnisation punitive ailleurs qu'en France. Le tribunal de Brest est désormais dépositaire, créateur
de jurisprudence. Il faut dire aux capitaines et armateurs ce que coûtent ces dégazages...
Je sais bien que le capitaine Égyptien est sans doute pauvre et aux ordres...
Malgré tout le capitaine devait savoir.. 35 nautiques cela fait 62 km.
Le capitaine a contesté sa responsabilité. Dans la déposition du capitaine j'ai relevé: "Si j'avais
dégazé, je l'aurais fait au large du Golfe de Gascogne et de nuit".
Sur Internet et à propos d'autres affaires de dégazage on constate que la preuve par photo fait foi
jusqu'à preuve du contraire.
ILE VIERGE et PLOUGUERNEAU font partie de VIGIPOL... c'est la première fois que notre syndicat est
en partie civile, et demande des dommages et intérêts pour préjudice.
Madame le procureur:
... AMOCO ... ERIKA... pollution répétitive... nappes orphelines car on ne trouve pas le navire ... Brest,
tribunal compétent pour les pollutions maritimes au large, ce tribunal entame le cycle ... tant qu'il
sera moins cher de dégazer que de décharger légalement...
Il était intéressant de faire venir les témoins car ce qu'ils disent est intéressant et pertinent. Ces 3
spécialistes ont vu une nappe brillante sur une mer presque calme...
Le navire a arrêté volontairement en agissant sur une vanne... où sont passés les 8.5 m³?
Cette pollution venant du NADA III était volontaire !
Il faut toucher là où ça fait mal.
Je demande une amende de 75000€.
Mise en délibéré : 2 juillet
Une caution de 48000€ a été déposée au greffe de Dunkerque.
Remarquons que la sentence n'est adressée exclusivement qu'au capitaine qui était convoqué au
tribunal.
Il est prévu dans la loi du 3 mai 2001 art.L218-24, que "le paiement des amendes peut être, en
totalité ou en partie, à la charge du propriétaire du navire ; le tribunal ne peut user de cette faculté
que si le propriétaire a été cité à l'audience".
L'amende infligée le 2 juillet s'élève à 75000 € et la plainte de VIGIPOL a été déclarée recevable
et est allouée une somme de 9000 € et 500 € pour frais. Le droit des collectivités locales est donc
fondé à agir pour faire sanctionner des actes de pollutions non plus accidentels mais volontaires.
Nous regrettons à l'AFCAN, que l'instruction à Brest n'ait pas mis en cause l'armateur ni le chef
mécanicien, qu'il n'y ait pas eu mention des instructions prévues à bord selon ISM code.
A quand une justice qui soit un peu au fait des affaires maritimes ?
Depuis janvier 2001 plus de dix affaires de "dégazage" en dehors des eaux territoriales ont été
jugées au TGI de PARIS.
Le TGI de PARIS a condamné "in solidum" le capitaine et l'armateur dans plusieurs affaires.
- Un navire Chypriote qui a dégazé le 22-02-01, l'audience a eu lieu à Paris le 13-05-02 avec
75000 € requis contre le capitaine et 150000 € contre l'armateur.
- Great Century - 19 mars - 20000 € d'amende et 80000 € in solidum avec l'armateur. Greenpeace a
obtenu 5000 € et 3000 € de publication.
- Un autre navire IRON GATE a été condamné aux mêmes amendes et frais ..., mais personne ne s'était
déplacé.
- M/V REALMAR en délibéré, jugé le 20 septembre (4 personnes sont poursuivies : armateur gérant,
capitaine, directeur de la flotte [et le propriétaire ?])
- 19 juin : M/V KESKIS : sentence 90000 € dont 10000 € au capitaine et 80000 € à l'armateur.
- M/V INDIRA GHANDI en délibéré au 2 juillet 02 pour un "dégazage" au large de Ouessant du 9-10-00
- France Nature Environnement (qui représente une centaine d'associations eaux et rivières) a
demandé 1000 €.
- TGI de PARIS 10 juin 02: M/V TADACARU, nationalité roumaine, armateur Mastrogiogis shipping :
le procureur avait requis 150000 €, le juge a infligé une amende de 75000 € à payer à 80% par
l'armateur.
Cdt J. LOISEAU
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