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Quel juge compétent pour un litige capitaine-armateur ?
 
Par le Professeur Patrick Chaumette,
Centre de Droit Maritime et Océanique, Université de Nantes.


       La pratique du droit n'est pas aisée pour les amateurs et les citoyens ; les praticiens s'efforcent de mettre en œuvre et de se mettre à jour ; les spécialistes sont censés pourvoir expliquer à tous. Quand un dit spécialiste ne comprend plus, que se passe-t-il ? Il appartient au juge de dire le droit : vite des juges et des jugements !!!!

       Mon interrogation concerne le juge compétent pour statuer sur les litiges opposant un capitaine de navire à son employeur, l'armateur, pour une relation de travail maritime soumise au droit français.

       La tradition maritime donnait une fonction commerciale au capitaine de navire, quand il recrutait encore son équipage, quand il contractait en vue de l'armement du navire. Ses fonctions commerciales se sont considérablement réduites. Le capitaine de navire n'est pas commerçant. Il continue à représenter juridiquement l'armateur. Officier maritime marchande ou non, marin breveté, salarié, le capitaine d'un navire de commerce, de pêche ou de plaisance, sous pavillon français, n'est plus révocable ad nutum, mais bénéficie depuis 1997 du droit du licenciement.

       Cependant, le décret du 20 novembre 1959 donnait au Tribunal de Commerce compétence sur les litiges opposant le capitaine de navire et son armateur, tradition commerciale maritime ultime. Le marin relève lui du Tribunal d'Instance, après tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes. Le Conseil de Prud'hommes serait compétent pour des litiges ne concernant que des périodes de travail à terre du marin, même affilié ENIM (ancien art. 4 code du travail maritime).

       Aujourd'hui rien n'est sûr. L'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 a publié la partie législative du code des transports. La loi n° 2012-375 du 19 mars 2012 est relative à l'organisation du service et à l'information des passagers dans les entreprises de transport aérien de passagers et à diverses dispositions dans le domaine des transports (JORF 20-3-2012) ; son article 1er prévoit que l'ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports est ratifiée. Il en est de même de l'ordonnance n° 2011-204 du 24 février 2011 relative au code des transports.

       Le décret n° 59-1337 du 20 novembre 1959 modifiant le titre VII du code du travail maritime et relatif aux litiges entre armateurs et marins a remplacé l'article 120 du code du travail maritime. Il prévoyait que les litiges qui s'élèvent, en ce qui concerne les contrats d'engagement maritimes, entre les armateurs ou leurs représentants et les marins, à l'exception des capitaines de navires, sont portés devant le tribunal d'instance, après tentative de conciliation devant l'administration de l'inscription maritime (art. 2). L'article 12 de ce décret de 1959 donnait compétence au tribunal de commerce pour les litiges entre le capitaine et l'armateur. Ces deux articles sont abrogés par l'Ordonnance n° 2010-1307 du 28 octobre 2010 relative à la partie législative du code des transports (art. 7-40°, Les articles 2, 3 et 12 du décret du 20 novembre 1959 modifiant le titre VII du code du travail maritime et relatif aux litiges entre armateurs et marins sont abrogés). Mais ces deux articles ne sont pas remplacés, quand il s'agit en principe, selon la loi d'habilitation législative du Gouvernement pour adopter un nouveau code des transports, d'une codification à droit constant. Il n'apparaisse pas plus dans la liste de l'article 7 de l'Ordonnance des dispositions abrogées seulement à compter de la publication des dispositions réglementaires du code des transports.
Que nous dit la récente codification ?

       L'art. L. 5542-48 du code des transports prévoit que le différend qui peut s'élever, à l'occasion des périodes d'embarquement, entre l'employeur et le marin est porté devant le juge judiciaire. Sauf en ce qui concerne le capitaine, cette instance est précédée d'une tentative de conciliation devant l'autorité compétente de l'État. Quel juge judiciaire ? Le Code de l'organisation judiciaire comporte un article R. 221-13, modifié par le décret n°2009-1693 du 29 décembre 2009 - art. 3 "Le tribunal d'instance connaît des contestations relatives au contrat d'engagement entre armateurs et marins dans les conditions prévues par le code du travail maritime". Même si le code du travail a disparu, remplacé par le code des transports, la compétence du tribunal d'instance pour les litiges entre les armateurs et les marins est maintenue.
Qu'en est-il du capitaine de navire ?
       C'est un marin : donc le tribunal d'instance serait compétent sans tentative de conciliation devant l'administrateur des affaires maritimes ? Ce n'est que pour des litiges liés strictement à du travail à terre que la compétence prud'homale interviendrait.

       Le code du travail est applicable aux marins, régis par le droit français, en complément du code des transports, avec des adaptations ou des exclusions (art. L. 1311-1 et L. 5541-1 code des transports). Le code du travail prévoit en son article L. 1411-4 "Le conseil de prud'hommes est seul compétent, quel que soit le montant de la demande, pour connaître des différends mentionnés au présent chapitre. Toute convention contraire est réputée non écrite. Le conseil de prud'hommes n'est pas compétent pour connaître des litiges attribués à une autre juridiction par la loi, notamment par le code de la sécurité sociale en matière d'accidents du travail et maladies professionnelles." Il existe ainsi une exclusion explicite, puisque la compétence du tribunal d'instance est clairement exprimée par l'article R. 221-13 du code de l'organisation judiciaire.

       Le jeu de piste des textes en vigueur conduirait maintenant à confier les litiges armateur-capitaine au tribunal d'instance. Mais cette réforme bien réelle, et peut-être justifiée, se heurte à une question de principe. Comment admettre qu'une codification à droit constant modifie, sans autorisation le fond du droit ? La Cour de cassation, chambre sociale vient très récemment de montrer qu'elle n'entendait pas s'enfermer dans l'imprécision du nouvel ordonnancement du nouveau code du travail, en ce qui concerne la protection d'un salarié intérimaire, exerçant les fonctions de conseiller du salarié en matière de licenciement, dans les petites entreprises dépourvues de délégué syndical (Cass. soc. 13 février 2012, n° 11-21946, M. I c/ Sté Randstad Intérim).

       Querelle de pragmatique et de dogmatique ? Il est surtout à craindre que le pragmatisme des juges élus d'un tribunal de commerce n'accueille la nouvelle compétence du tribunal d'instance, qu'un contredit de compétence ne conduise une cour d'appel à s'interroger sur cet imbroglio, qu'un pourvoi en cassation nous conduise vers une « vérité » juridique enfin révélée, même aux spécialistes, le tout dans un délai de près de trois années. Enfin, le capitaine de navire, par exemple licencié ou sanctionné, saura quel est son tribunal compétent et pourra commencer à discuter sur le fond de son litige.

Courage moussaillons, les juristes vous soutiennent !!!!
Pr. Patrick Chaumette
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